
PUBLICATIONS PRÉCÉDENTES :
LES JO, FACTEUR DE CROISSANCE ET D’EMPLOI ? – LÉGENDE OU RÉALITÉ ? – RETOMBÉES 1 –
https://metahodos.fr/2024/07/29/les-jo-facteur-de-croissance-et-demploi-une-legende/
JEUX OLYMPIQUES ET FRÉQUENTATION TOURISTIQUE : ENTRE COMMUNICATION ET MIRAGE ? – RETOMBÉES DES JO 2 –
ARTICLE 1 – Durabilité : les fédérations sportives présentes aux JO de Paris 2024 jouent-elles le jeu ?
Publié: 28 juillet 2024, THE CONVERSATION Ugo Arbieu, Université Paris-Saclay, Madeleine Orr, Loughborough University
Les organisateurs l’ont promis : les Jeux olympiques (JO) d’été 2024 qui s’ouvrent à Paris doivent être l’édition la plus respectueuse de l’environnement de l’histoire des Jeux, notamment en émettant au moins deux fois moins de gaz à effet de serre (GES) que les éditions de Londres (2012) ou Rio (2016).
Le succès de ce pari ne pourra être confirmé qu’après les olympiades. Pour y parvenir, entre autres mesures prévues, les JO utiliseront 95 % d’infrastructures existantespour accueillir les événements sportifs, autrement dit pour miser sur une forme de « sobriété structurelle ».
Les fédérations sportives ne sont pas en reste : poussées par le CIO à s’engager sur la voie du développement durable, elles procèdent depuis peu à leur examen de conscience écologique. Trois ans après la dernière revue en amont des JO de Tokyo, le Sport Ecology Group (communauté internationale de chercheurs et universitaires), associé au Sustainability Report, vient de publier une nouvelle évaluation des stratégies de durabilité des fédérations sportives présentes aux JO de Paris (2024) ainsi qu’aux futurs Jeux de Los Angeles (2028).
L’environnement, « troisième pilier de l’olympisme »
Car l’élan olympique autour du développement durable n’est pas récent. C’est au détour des années 1990 que la prise de conscience des impacts écologiques de ces mégaévénements insuffle un changement de direction au Comité international olympique (CIO).
Il y eut d’abord le désastre environnemental des Jeux d’Albertville en 1992, qui vit des chantiers titanesques remodeler montagnes et forêts, puis le Sommet de Rio la même année.
Le CIO reconnaît alors l’importance du développement durable et déclare l’environnement comme « troisième pilier de l’olympisme », au même titre que le sport et la culture.
En 1999, le CIO lance, avec le concours du Programme des Nations unies pour l’Environnement, son « Agenda 21 ». L’enjeu : promouvoir la durabilité au sein des 206 nations membres, des 30 organisations en charge des sports d’hiver et d’été, et encourager les différentes fédérations sportives à s’engager elles aussi sur la voie du développement durable.
Comment évaluer la durabilité des fédérations sportives ?
Aujourd’hui, où en sont ces fédérations ? En 2020, en amont des JO de Tokyo, la co-fondatrice du Sport Ecology Group avait déjà procédé à une évaluation de leurs engagements. À la clé, un rapport en trois parties : la première s’intéressait au cyclisme, au tir à l’arc et à l’équitation, la deuxième au tennis de table, à l’athlétisme et au taekwondo, et enfin la troisième au surf, à l’escalade et au baseball/softball.
La comparaison avec le nouveau rapportpermet d’identifier les progrès réalisés entre les deux olympiades, ainsi que les améliorations à apporter pour rendre la pratique sportive plus durable.
La principale difficulté était d’harmoniser les données issues de fédérations internationales ne disposant pas des mêmes moyens, a fortiori lorsqu’il s’agit de recenser les initiatives de développement durable dont la définition est ambiguë. La durabilité, parfois appelée soutenabilité (« sustainability » en anglais), peut en effet se comprendre comme durabilité économique, sociale, culturelle ou environnementale selon les contextes. Or, ce rapport se penche principalement sur la question environnementale.
Pour évaluer l’engagement durable des fédérations présentes aux Jeux olympiques, nous nous sommes basés sur huit critères principaux :
- La publication d’une stratégie de développement durable et de rapports de progression réguliers.
- L’emploi de personnel dédié au développement durable au sein de la fédération.
- La gestion durable des locaux et bureaux des fédérations, ainsi que des événements sportifs qu’elles organisent.
- L’adhésion au Sports for Climate Action Framework des Nations unies et au Sports for Nature Framework de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
- La croissance de la fédération depuis 2021 (en termes de volume d’événements ou d’expansion géographique).
- La présence d’industries pollueuses ou émettrices de gaz à effet de serre (GES) parmi les sponsors des fédérations.
- Les communications ou activités relevant d’une forme de greenwashingmanifeste.
- Les controverses et polémiques liées au développement durable au sein de cette fédération depuis 2021.
Les résultats sont encourageants : dans les faits, les fédérations jouent le jeu. Sur l’ensemble des 36 fédérations sportives évaluées, 17 ont adopté des stratégies de développement durable, et dix d’entre elles ont au moins une personne employée à plein temps sur cette thématique. Parmi ces fédérations, 18 ont publié des recommandations claires concernant la tenue d’événements sportifs.
De plus, en seulement trois ans, 7 fédérations ont rejoint les 16 déjà signataires du Sports for Climate Action des Nations unies, qui vise à évaluer et réduire l’empreinte climatique des organisations sportives. Par ailleurs, 11 fédérations ont rejoint l’initiative Sports for Nature de l’UICN, qui vise à limiter la perte de biodiversité d’ici à 2030.
Des fédérations à la pointe
De fait, certaines fédérations font figure de bons élèves suite à ces évaluations. C’est le cas de la fédération mondiale de voile, seule fédération avec six critères positifs, ou encore de celles d’aviron, de baseball et de softball, de cyclisme, de tennis de table, de canoë et d’athlétisme, qui présentent toutes cinq critères positifs, sans être ternies par des controverses majeures liées au sponsoring ou à du greenwashing.
Le président de la fédération mondiale d’athlétisme (World Athletics), Sebastian Coe, n’a de cesse de promouvoir les adaptations nécessaires aux changements climatiques (annuler ou reporter certains événements en raison de la qualité de l’air ou de la chaleur, par exemple). Cette fédération mène d’ailleurs des enquêtes annuelles auprès des athlètes pour comprendre l’étendue des impacts de ces changements sur leur santé et leur performance.
À lire aussi : Les JO 2024 permettront-ils de mieux comprendre les dangers de la température humide ?
Ses prises de parole ont beaucoup d’écho médiatique et contribuent à développer plus rapidement les stratégies de développement durable :
« Nous sommes dans une course contre la montre. Et c’est une course que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de perdre ».
Les adaptations du monde du sport aux crises environnementales peuvent aussi être d’ordre technologique. Ainsi, la Fédération internationale de hockey entend réduire sa dépendance à l’eau pour le hockey sur gazon. Plutôt que de répandre jusqu’à 15 000 litres d’eau pour humidifier le gazon synthétique et offrir des conditions optimales de jeu, une solution en cours de développement porte sur la création d’une balle « autohumidifiante » reproduisant les mêmes conditions… avec seulement 10 litres d’eau !

À la demande de la fédération, un terrain de hockey « zéro carbone » a aussi été développé et installé à Paris pour les Jeux afin de poursuivre ses efforts environnementaux réalisés depuis Tokyo.
Enfin, les initiatives mises en place au sein des différentes fédérations peuvent servir d’exemple et inspirer d’autres actions dans les fédérations sportives. C’est le cas du projet Sustainability Sessions de la fédération internationale de voile, en collaboration avec Sailors of the Sea, une ONG de protection de l’environnement.
Ce projet éducatif basé sur l’apprentissage par les pairs vise à mieux former les acteurs de la voile (navigateurs, organisateurs, clubs, pratiquants), notamment autour des enjeux de biodiversité comme les collisions avec la faune marine, l’observation des animaux, les risques liés aux espèces exotiques envahissantes, les marées noires ou les produits cosmétiques néfastes aux coraux.
Comme à l’entraînement, s’améliorer, encore et toujours
Nombre de ces efforts sont louables et semblent aller dans la bonne direction. Il existe toutefois des points de vigilance importants. En premier lieu, si certaines fédérations internationales ont clairement saisi les enjeux des bouleversements environnementaux (climat, pollution, perte de biodiversité, etc.), développé des stratégies de développement durable et investi dans des actions concrètes pour remédier à ces différentes crises, certains choix de sponsoring et de communication jettent le doute sur la cohérence et la réelle volonté de faire bouger les lignes.
On peut citer ici la fédération internationale de football (FIFA), qui a affirmé à travers plusieurs actions concrètes ses engagements pour la durabilité, mais dont le dernier contrat de sponsoring avec Aramco – une des plus grosses entreprises d’énergies fossiles – discrédite les efforts. De même, World Rugby fait figure de leader en termes de durabilité de par ses engagements annoncés dans son dernier rapport Rugby and Climate Change, mais ces promesses restent entachées par le sponsoring de la dernière coupe du monde en France par Total Energies.
À lire aussi : Après le « greenwashing », le « greenhushing » ?
Une limite importante à nos recherches tient à la rareté des informations concernant les stratégies de développement durable de certaines fédérations, et au manque de régularité et de clarté des rapports produits par celles-ci.
Il est encore difficile de cerner le fossé entre ce qui est annoncé sur le papier, et ce qui sera fait concrètement sur le terrain. À ce titre, l’évaluation de ce cycle olympique produite par le Sport Ecology Group et le Sustainability Report met en lumière l’engagement croissant de ces fédérations sportives pour la durabilité. Le prochain cycle olympique devra être celui de la consolidation et de l’accélération des changements. Autrement dit, ce sera l’heure de vérité pour découvrir qui, parmi les fédérations sportives, aura transformé l’essai… ou non.
ARTICLE 2 – Le futur héritage des JO de Paris 2024 déjà en question
Publié: 7 février 2018, THE CONVERSATION
Pierre-Olaf Schut, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Lima, 13 septembre 2017, Paris est désigné par le Comité international olympique (CIO) pour accueillir les Jeux olympiques et paralympiques en 2024. La phase de candidature a donné lieu à de multiples promesses qui devaient constituer l’héritage des JO pour les Parisiens, Franciliens et Français. Mais que signifie ce futur héritage ?
Le temps révolu des Jeux bâtisseurs
Il y a 26 ans, Albertville accueillait les JO d’hiver. L’événement avait permis de moderniser les stations de ski de Tarentaise, renforçant durablement l’attractivité touristique de la région. Elle a également laissé des infrastructures démesurées pour les besoins locaux : une piste de bobsleigh à la Plagne ou une halle olympique à Albertville pour lesquelles de multiples projets de reconversion ont tenté d’en augmenter l’usage. En vain. L’héritage olympique, c’est également une dette. Cinq ans après la cérémonie de clôture, l’État épongera les 28 millions de francs (5,41 millions d’euros) encore dus.
L’héritage des grands événements sportifs a longtemps été centré sur les infrastructures sportives. Mais les équipements démesurés laissés à l’abandon du fait de coût de fonctionnement trop élevé et les dettes interminables, comme celle du stade de Montréal dont la dépense s’est étalée durant 30 ans après l’événement (Roult et Lefebvre, 2010), constituent un fardeau pour les générations futures.
Ce temps des Jeux bâtisseurs est désormais révolu et les candidats pour l’accueil des JO, comme Paris ou Los Angeles, font de la disponibilité des infrastructures un argument de campagne.
L’impératif du développement durable
Dès lors, qu’apportent les Jeux à la ville hôte ? Le CIO a souhaité que l’événement olympique ait un impact positif sur le territoire et que cet impact ne soit pas seulement sportif. C’est pourquoi les candidats doivent démontrer aujourd’hui l’impact global des JO, lequel sera évalué en reprenant le triptyque du développement durable : l’économie, l’environnement et le social.
En effet, le contrat de ville hôte exige du comité d’organisation la production de « sustainability reports » en amont et en aval des Jeux pour rendre compte de cet impact global.
Dans cette perspective, Londres ou Rio de Janeiro ont saisi l’événement pour mettre en œuvre des projets d’aménagement urbain d’envergure. Londres – dont la situation est plus comparable à celle de Paris – a entrepris de rénover le quartier défavorisé de Stratford. L’Olympiade permet d’accélérer des transformations urbaines mobilisant principalement l’État et des promoteurs privés. Si le projet n’est pas réalisé sans surcoût ni difficulté, l’héritage est certain : le quartier de Stratford apparaît sous un nouveau visage sous les caméras du monde entier.
La relative contribution des Jeux
Les Jeux de Londres sont également le douloureux souvenir de la défaite de la candidature parisienne pour l’Olympiade de 2012. Paris avait alors déjà pleinement intégré les attentes du CIO et le projet de la capitale s’inscrit dans cette même perspective de rénovation urbaine. Le village olympique est alors prévu dans le XVIIe arrondissement. Une friche libérée par la SNCF offre l’emprise foncière nécessaire pour l’accueil des 17 000 athlètes attendus.
Le projet de réaménagement du quartier des Batignolles est le pendant du quartier de Stratford londonien. Qu’est devenu, depuis, ce quartier sans les Jeux olympiques ?
Un vaste projet urbain a été engagé sur ce territoire, étendu jusqu’à Clichy. Initié à partir d’octobre 2010, le projet touche 6,5 hectares dans un premier temps pour être étendu sur près de 10 hectares à terme.
L’éco-quartier qui voit le jour rassemble plusieurs innovations dans le cadre d’une démarche haute qualité environnementale (HQE). Les synergies avec le réseau de transport en commun ne font pas défaut : les habitants devraient profiter d’une desserte en métro améliorée par l’extension en cours de la ligne 14. Les travaux se poursuivent aujourd’hui, près de six ans après l’Olympiade londonienne.
Dès lors, que représente l’accueil de l’événement ? Est-ce que la tenue des Jeux a de réelles conséquences sur le territoire ou est-ce que l’impact des Jeux est une chimère ? Les projets urbains se verraient étiquetés de la marque olympique sans que celle-ci n’ait un quelconque effet sur eux ?
Les engagements de Paris
Il faut reconnaître que la rénovation de Stratford a été plus rapide que le projet des Batignolles. La contrainte temporelle des Jeux peut être un accélérateur des politiques publiques. La loi Olympique, votée prestement après la désignation de Paris, prévoit des aménagements du code de l’urbanisme qui réduisent les délais légaux dans les procédures. L’accueil de l’événement créerait les conditions d’une mise en œuvre plus rapide des projets, même si l’annonce récente des retards dans la réalisation du Grand Paris Express révèle les limites de ces dispositifs.
Cependant, si les projets sont réalisés plus vite, sommes-nous également en droit d’attendre plus que ce qui sera fait sans les Jeux ? N’oublions pas que le projet n’entend pas seulement agir sur le paysage urbain. Il prévoit également des améliorations dans le domaine social, sanitaire, éducatif, économique et environnemental !
Les parties prenantes de la candidature n’ont pas hésité à annoncer des engagements. La Mairie de Paris a présenté ses 43 engagementsqui entendent faire de Paris une ville plus sportive, plus citoyenne, plus durable, plus innovante.
Le ministère des Sports a, lui aussi, manifesté le souhait de saisir l’opportunité des Jeux olympiques pour dynamiser ses efforts en faveur de la pratique sportive et, plus généralement, d’une politique sociale et environnementale par le sport. Mais simultanément, le budget du ministère a été réduit de 7 % pour 2018.
Tout cela raisonne comme une campagne politique. Les promesses inondent les médias jusqu’à l’élection. Puis vient le temps de la rigueur et de la gestion prudente des ressources financières, par nature limitées. Probablement à juste titre, car les Français sont nombreux à penser que le coût de l’événement dépassera les prévisions…
Si l’événement a inévitablement un effet immédiat en 2024, construire l’héritage des Jeux ne peut s’entendre que dans la durée pour éviter que l’effet ne soit aussi fort qu’éphémère. L’engouement soulevé par la nomination de Paris en septembre dernier doit enclencher dès aujourd’hui les efforts nécessaires à sa construction. L’avenir se construit au présent.
Un collectif de chercheurs s’est réuni sous l’appellation d’Observatoire pour la Recherche sur les Méga-evénements pour fédérer l’expertise et la rigueur méthodologique de la recherche sur la question des Jeux olympiques dans une perspective pluridisciplinaire. La finalité de cet observatoire est à la fois de coordonner et catalyser les travaux menés sur le sujet mais également de donner à voir les résultats de ces recherches aux parties prenantes.