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LES ÉLITES RESPONSABLES DE LA CHUTE DE ROME

Les membres de l’élite n’ont pas agi conformément à l’intérêt supérieur

« Si par chute de Rome on entend la dissolution politique, en Occident, de l’empire universel fondé par Auguste, force est de constater que les membres de l’élite n’ont pas agi conformément à l’intérêt supérieur. » lit on dans l’article ci contre.

ARTICLE – Comment les élites ont provoqué la chute de l’Empire romain d’Occident

Par Claire Sotinel Extrait d’un article paru dans L’Histoire n°46. Il est republié dans Challenges

Le 1er janvier 395 entraient en charge deux consuls appartenant à la même famille : Anicius Hermogenianus Olybrius et son frère Anicius Probinus. Tous deux avaient été nommés par l’empereur Théodose qui avait, l’année précédente, mis fin au règne éphémère de l’empereur Eugène et restauré ainsi l’unité de l’empire. Olybrius et Probinus appartenaient à la plus haute aristocratie sénatoriale, celle dont les membres formaient une élite qui s’appelait elle-même « la meilleure partie du genre humain ».

L’ordre sénatorial avait été largement élargi par Constantin au début du IVe siècle, lorsqu’il y avait aggloméré chevaliers et sénateurs, le dégageant ainsi de la plupart de ses obligations politiques, telles que la résidence à Rome et la participation aux séances de l’assemblée. Au sein de ce groupe élargi, quelques familles, dont celle d’Olybrius et Pronibus, avaient accumulé des fortunes considérables, tout en ayant accès aux fonctions les plus prestigieuses.

Stilicon le fossoyeur de Rome

Les deux frères furent, parmi d’autres, des acteurs de l’évolution politique de l’Empire romain d’Occident. Grands propriétaires campaniens, ils bénéficiaient de la remise d’impôts massive octroyée par le régent de l’empire d’Occident, Stilicon. Ils purent aussi, grâce à une loi de 397, conserver leur main-d’œuvre rurale, en payant une somme d’argent pour qu’elle échappe aux obligations militaires. Ce qui obligea l’empereur à avoir davantage recours à des recrues barbares. Car la situation militaire était critique en Occident : à l’automne de la même année 397, le comte d’Afrique Gildon se rebella et suspendit la livraison de blé à Rome, obligeant Stilicon à lever une armée contre lui. En 401, l’Italie était menacée par Alaric, puis de nouveau en 406 par l’arrivée d’une coalition hétérogène de Goths et de Germains, avant qu’un groupe de Vandales et d’Alains passent le Rhin et sillonnent les provinces nord-occidentales.

Stilicon déploya une incroyable énergie pour se concilier les sénateurs. Outre la politique fiscale qui les privilégiait grandement, il redonna à leur assemblée la charge de voter la guerre. Tous ces efforts furent vains. Aucun sénateur ne soutint Stilicon contre ses adversaires à la cour.

Le sénateur Rutilius Namatianus, très lié à la haute aristocratie, désigna explicitement Stilicon comme le fossoyeur de Rome et le véritable responsable du sac de la ville. Stilicon était déjà mort, à l’issue d’un complot organisé en août 408 à la cour de Ravenne par des conseillers de l’empereur.

Les réfugiés partent pour l’Afrique

Tous les Barbares présents dans l’armée stationnée en Italie, ainsi que leurs familles, furent massacrés. La force de l’armée impériale en Occident s’en trouvait considérablement réduite, la possibilité de recruter des Barbares pour combler les vides avait disparu, et les adversaires de Rome, que Stilicon avait alternativement vaincus et convaincus par la négociation, savaient désormais qu’il ne leur restait que la victoire ou la mort. Deux ans plus tard, Rome était prise.

Anicius Hermogenianus Olybrius était mort avant 410 ; son frère, proconsul d’Afrique en 396 ou 397, disparaît de nos sources. Leur mère, Anicia Faltonia Proba, était, elle, toujours en vie : chrétienne convaincue, elle utilisa, comme d’autres grandes dames, ses richesses pour soulager la misère des Romains pendant le siège.

La tradition tardive qui l’accuse d’avoir ouvert les portes de la ville aux Goths n’est sûrement pas à prendre au pied de la lettre, mais, peu de temps après, elle se débarrassa de la plupart de ses propriétés romaines et partit pour l’Afrique, avec nombre de réfugiés des bonnes familles. D’autres rejoignaient Constantinople. Anicia, elle, partit en pèlerinage à Jérusalem et y ­fréquenta les meilleurs esprits du christianisme latin, Augustin et Jérôme.

L’intérêt personnel contre l’intérêt supérieur

Il restait pourtant des ­représentants des grandes familles à Rome : des consuls, des préfets et des gouverneurs de province. Leur préoccupation principale fut de défendre leur statut et leur fortune, ce qui, pour eux, revenait à défendre les valeurs de la Rome éternelle. Concrètement, ils s’évertuaient à rivaliser auprès du prince contre l’influence des militaires d’origine barbare, à préserver leurs privilèges fiscaux en luttant contre toute augmentation d’impôts fonciers. Le seul domaine dans lequel les opinions de ces grandes familles divergeaient était la question religieuse et l’attitude à adopter face au christianisme impérial, que Théodose avait déclaré comme la seule forme de religion publique.

Les malheurs ultérieurs de l’Italie ne modifièrent pas les positions des grandes familles de Rome. Les tentatives impériales de taxer les terres sénatoriales pour renforcer la capacité de l’Empire à se défendre échouèrent. Certains chroniqueurs byzantins disent même que l’assassinat de Valentinien III fut fomenté par Petronius Maximus, un rejeton de ces grandes familles, qui s’opposait à la politique fiscale de l’empereur.

Ces quelques images fragmentées ne veulent pas former une démonstration imparable. Mais si par chute de Rome on entend la dissolution politique, en Occident, de l’empire universel fondé par Auguste, force est de constater que les membres de l’élite n’ont pas agi conformément à l’intérêt supérieur.

Les élites on fait défaut

Entre la prédominance des intérêts financiers (l’évasion fiscale permanente, le report sur les groupes inférieurs des charges à payer), les choix des carrières individuelles (concurrence auprès de l’empereur, allant jusqu’à l’assassinat ou la guerre civile) ou des intérêts de famille, la lâcheté si caractéristique de l’ordre sénatorial depuis la fin de la République (fuite hors de la ville, sur des terres privées ou à Constantinople) et l’imbécillité stratégique (la condamnation radicale de la politique d’intégration des Barbares dans l’armée), on peut affirmer que les élites sénatoriales, à force de défendre les valeurs de la civilisation antique, la gloire de Rome et la rhétorique, ont fait défaut.

Les autres élites, que ce soit l’entourage palatin ou l’aristocratie militaire, n’ont pas fait beaucoup mieux. Si de grands généraux ont su tenir le péril à distance pendant quelques décennies, jamais ils n’ont su ou pu concourir à la construction d’un empire solide dans un contexte géopolitique devenu radicalement différent avec la pression des peuples barbares.

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