
L’incohérence entre la nation et sa représentation politique au parlement
EXTRAITS DE L’ENTRETIEN PROPOSÉ CI CONTRE EN LECTURE :
« Cette trêve d’union nationale risque ainsi, au lendemain des Jeux, de rendre insupportable l’incohérence entre la nation et sa représentation politique au parlement…. »
Le contournement de la souveraineté nationale
« Cet imaginaire de la nation est politiquement contrarié par le contournement de la souveraineté nationale de la part de l’Union européenne, relayé par le sommet de l’État.
SOUVERAINETÉ ET RÉPUBLIQUE ASSÉCHÉES. DÉMOCRATIE À VIDE
« La souveraineté populaire et la République s’en trouvent asséchées, la démocratie tourne à vide sans prise sur le réel.
« Alors, nous nous effondrons dans tous les domaines. »…
Le possible effet boomerang de la réussite des Jeux contre le président de la République
« La réussite des JO de Paris risque de se retourner comme un boomerang contre le président Macron jugé responsable de l’ingouvernabilité du pays.
« Les partis politiques ne vont pas changer d’attitudes. Un gouvernement, pour durer, devrait ne rien faire et pour agir n’obtiendrait pas de majorité parlementaire. »
ENTRETIEN AVEC STÉPHANE ROZÈS – « La réussite du spectacle artistique et olympique va rendre le spectacle politique plus insupportable encore »
Propos recueillis par Isabelle Vogtensperger Publié le 12/08/2024 MARIANNE
Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à l’Institut catholique de Paris, auteur de « Chaos essai sur les imaginaires des peuples », (Cerf) et « Le sport comme rite politique », (« Revue politique et parlementaire » de juillet 2024).
Au lendemain des JO, Stéphane Rozès évalue le possible effet boomerang de la réussite des Jeux contre le Président Emmanuel Macron
Le politologue Stéphane Rozès analyse la ferveur populaire suscitée par les Jeux olympiques dans une France fracturée. Il montre que les Français sont allés puiser cette unité dans un imaginaire, une mémoire nationale, aujourd’hui contrariés par le contournement de la souveraineté nationale de la part de l’Union européenne, relayé par le sommet de l’État.
Cette trêve d’union nationale risque ainsi, au lendemain des Jeux, de rendre insupportable l’incohérence entre la nation et sa représentation politique au parlement.
Marianne : Pourquoi le pays est-il passé si rapidement d’une humeur frondeuse à une union nationale ? Cette union est-elle substantielle ou s’agit-il d’une trêve illusoire ?
Stéphane Rozès : Humeur frondeuse et union nationale ont le même fondement : celui d’une aspiration au commun, contrariée par la politique ou déployée au travers de la mise en scène d’un récit national artistique au travers des JO. La jacquerie des Gilets jaunes, le vote aux européennes et législatives, expriment la fracture entre la nation et l’État, le peuple et le président Macron, normalement en charge de ressouder une société fracturée. Le succès populaire de la cérémonie d’ouverture des JO est émotionnel.
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La mise en scène artistique et esthétique de Thomas Jolly, par l’entremise de tableaux d’arts vivants, puise dans notre imaginaire, patrimoine, et mémoire nationale. Cela a réactivé notre fierté et patriotisme, et dopé nos sportifs durant les épreuves des JO, qui ont battu leurs records de nombre de médailles depuis les JO d’Atlanta.
Que nous apprend, de la France et des Français, ce succès populaire de la cérémonie des Jeux olympiques et des épreuves ?
Notre passion politique qui nous tient ensemble, au travers de disputes politiques communes qui impriment nos façons de voir, d’être et de faire. Notre imaginaire doit, pour assembler notre extrême diversité, sans cesse nous transcender et projeter dans l’espace et le temps. Notre imaginaire est projectif et universaliste. C’est la condition pour construire un avenir commun.
Aujourd’hui, cet imaginaire de la nation est politiquement contrarié par le contournement de la souveraineté nationale de la part de l’Union européenne, relayé par le sommet de l’État. La souveraineté populaire et la République s’en trouvent asséchées, la démocratie tourne à vide sans prise sur le réel. Alors, nous nous effondrons dans tous les domaines. Mais qu’un évènement artistique, sportif et olympique avec ses rites et codes en cohérence avec notre imaginaire, se déploie, alors notre génie ressurgit à nos yeux, à ceux des autres et sa force symbolique et performative rayonnent momentanément.
La fracture du pays est-elle moins grave qu’on ne le pensait ?
Depuis La guerre des Gaules, la France a toujours été un archipel. Notre fracture est de nature politique. Que soit restaurée la souveraineté nationale, que l’État se réaligne sur la nation, sur son imaginaire et ses intérêts, que la construction politique de notre avenir commun prévale sur l’adaptation permanente à des normes économiques, financières et juridiques néolibérales extérieures immédiates, alors la République sera réactivée. Nous retrouverons notre compétitivité et l’efficacité de notre modèle social comme ces JO ont momentanément mis en mouvement la France et les Français.
Cette communion est-elle avant tout parisienne ou nationale ? La presse est-elle représentative de ce que le peuple français ressent ?
La presse a, comme toujours, relayé et amplifié la représentation immanente du pays qui préexiste. Dès le départ, la cérémonie d’ouverture des JO a reçu le soutien massif de 85 % de l’Opinion publique.
Le choc émotionnel, suscité par le spectacle artistique et esthétique conforme à ce que nous sommes, fut tel, qu’il embarqua tout sur son chemin dont le passager idéologique clandestin woke et postnational embarqué par l’historien médiéviste Patrick Boucheron qui ne fait pas mystère de ses intentions postnationales.
Le Paris médiatico-politique s’intéressa à ces polémiques qui passèrent sous les radars des Français, d’autant que l’essentialisation des minorités par le wokisme anglo-saxon fut privée de ses ressorts et expressions victimaires par la force des choses nationales et festives.
On peut penser qu’au sein du Sud global, les transgressions wokes ont dû être vécues comme l’expression d’une arrogance occidentale voulant dicter ; au-delà de ses modèles économiques, commerciaux et juridiques néolibéraux ; son « soft power », une nouvelle forme d’hégémonie culturelle dont les revendications LGBT+ seraient les porte-drapeaux de nouveaux standards devant s’imposer aux us et coutumes de chacun des peuples.
Assiste-t-on à une instrumentalisation politique des Jeux ?
Les politiques sont prudents. Tous ont été surpris de l’engouement populaire et ont bien compris que ce mouvement venait des profondeurs du pays et les dépassait. Les politiques sont conscients de leurs discrédits relatifs à commencer par le président Macron qui fut hué en ouverture de cérémonies. La gauche est spontanément, pour des raisons idéologiques et culturelles, devenue mal à l’aise avec les expressions d’union nationale et de patriotisme. La droite a été déstabilisée par la concomitance entre expressions wokistes lors de la cérémonie d’ouverture, et soutien populaire à cette dernière en confondant, comme les wokistes d’ailleurs, corrélation et causalité.
Cette communion retrouvée va-t-elle être favorable au président Emmanuel Macron et rétablir une reprise de l’activité politique ou doit-on s’attendre à une recrudescence des tensions et des fractures à l’issue des Jeux ?
Le climat actuel d’union nationale venant de la cohérence entre notre imaginaire national et le spectacle artistique et olympique, va rendre plus insupportable encore pour les Français le spectacle politique de l’incohérence entre la nation et sa représentation politique au Parlement et au sommet de l’État.
La réussite des JO de Paris risque de se retourner comme un boomerang contre le président Macron jugé responsable de l’ingouvernabilité du pays. Les partis politiques ne vont pas changer d’attitudes. Un gouvernement, pour durer, devrait ne rien faire et pour agir n’obtiendrait pas de majorité parlementaire.
La pression du pays, des classes dirigeantes, de l’UE et des marchés financiers va être très forte pour que le président Macron se démette pour faire fonctionner normalement les institutions. Se profilerait alors une présidentielle anticipée avec des législatives dans la foulée comme l’ancien secrétaire général du Conseil Constitutionnel Jean-Éric Schoettl en a laissé entrevoir la possibilité dans vos colonnes.