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LA PROTECTION DE L’ENFANCE : CRISE MAJEURE
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LA PROMESSE (128) D’INSTAURER UN DEVOIR DE VISITE DU PÈRE : UNE INSPIRATION OBSCURE POUR UNE IDÉE SIMPLISTE
DES MILLIERS DE MÈRES ET NOURRISSONS SANS ABRI (2) « Pour que plus aucun enfant ne dorme dans la rue » –
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« 42.000 ENFANTS SANS DOMICILE FIXE, C’EST INADMISSIBLE DANS UN PAYS DÉVELOPPÉ »
ARTICLE – Le long combat des anciens placés pour faire reconnaître leur expertise
Leur protection est un vieil angle mort des politiques publiques. Alors que se déroulent les Assises nationales de la protection de l’enfance ces 27 et 28 juin, les anciens enfants placés continuent de mener bataille.
Le Comité de vigilance des enfants placés ne lâchera rien. Créé en mars dernier pour participer aux travaux de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements de la protection de l’enfance menée par le Parti socialiste, le comité est maintenu malgré l’arrêt prématuré de cette commission, conséquence de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le but : entretenir la pression sur un enjeu absent des élections législatives.
Car il aura fallu plusieurs décennies pour qu’enfin les politiques s’intéressent à cette question, mais surtout prennent en compte la parole des anciens enfants placés. Ces derniers n’entendent donc pas perdre ce qu’ils ont durement gagné, à savoir leur légitimité.
« C’est une très vieille histoire, note Philippe Fabry, formateur en travail social au Centre de recherche éducation et formation de l’université Paris-Nanterre. Elle remonte aux années 1950, lorsque des anciens des Adepape (Associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance) ont commencé à témoigner de leurs vécus. À l’époque, il s’agissait de montrer que les pupilles de l’État pouvaient réussir dans la vie. L’objectif était de les déstigmatiser, car être un enfant de la Ddass était alors perçu comme honteux. »
Ce premier pas va faire naître un mouvement de solidarité et de rencontres, et contribuer à l’élaboration d’un véritable réseau qui, peu à peu, va intégrer les anciens enfants placés. « Puis le cadre légal va leur donner davantage de droits : l’accès aux conseils de famille, aux instances départementales, puis aux commissions d’évaluation de la situation et du statut des enfants confiés, avec la loi de 2016 sur la protection de l’enfance. » Quelque soixante-dix ans donc, pour devenir enfin acteurs de questions qui les concernent directement.
Pendant tout ce temps, l’ancien enfant placé, cantonné au statut de victime, n’est visible que par le prisme de son parcours. Son recul, son analyse, son expertise, sont niés. Lorsque Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant ayant lui-même une histoire de placement, arrive dans ce jeu de quilles dans les années 2010, les témoignages sont encore rares tant est grand le risque de faire exploser la question des violences dans la protection de l’enfance, un tabou.
Son livre Dans l’enfer des foyers (éd. Flammarion) fait du bruit, mais principalement dans le microcosme du travail social. Il sort en 2014, comme le documentaire de deux journalistes, Enfants en souffrance, la honte !
Pour Lyes Louffok, le combat, âpre, commence par la mise au jour des violences institutionnelles. « Notre héritage est celui de la révolte des bagnes d’enfants, qui a mené à des réformes de la justice des mineurs », nous explique-t-il.
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Il rencontre alors la socialiste Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille et des personnes âgées, puis ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. « À la suite de cette rencontre, je me suis lancée dans ce qui allait devenir la loi de 2016 relative à la protection de l’enfance, se souvient l’actuelle sénatrice. Deux anciens enfants placés, Lyes et Céline Gréco ont été intégrés au comité de pilotage. La protection de l’enfance était alors un véritable angle mortdes politiques publiques. Encore aujourd’hui, un président de département n’est jamais réélu sur son bilan en protection de l’enfance. »
Deux phénomènes, étroitement liés, ont contribué à rendre visible ce sujet. La figure de Lyes Louffok, qui se prêtera (jusqu’à l’épuisement) à l’exercice médiatique ; et l’intérêt croissant des journalistes, pour qui la protection de l’enfance devient un sujet d’enquêtes, de livres, de documentaires.
En parallèle, le réseau d’anciens enfants placés se concrétise, pour former en 2015 l’association Repairs, une communauté d’entraide aujourd’hui présente dans huit départements. Pour maintenir l’alerte et la médiatisation, des collectifs éphémères se forment, tels #LaRueÀ18Ans en 2019, pour protester contre les « sorties sèches » de l’ASE quand un jeune atteint la majorité, ou SOS Enfants placés en 2020, en plein confinement, pour centraliser les situations familiales délétères.
Pour en arriver là, Lyes Louffok se souvient avoir dû en passer par du « name & shame »sur les réseaux sociaux, après avoir reçu plus de trois mille témoignages à la suite d’un appel sur un plateau télévisé. « Lyes est devenu lanceur d’alerte et porte-parole,explique Laurence Rossignol. Puis il s’est installé sur la durée comme un acteur majeur. Aujourd’hui, il n’est plus seul, et le Comité est une forme de “syndicat des enfants placés”, un interlocuteur pérenne et institutionnel. Cela peut contribuer au changement, alors même que les politiques sociales ne sont jamais conçues et évaluées avec les usagers eux-mêmes. »
La prise en compte de notre parole reste fragile. Certaines oreilles deviennent réceptives,mais de manière inégale selon les territoires.
De son côté, Philippe Fabry rappelle que le milieu de la recherche a également participé à cette émulation, en soutenant l’émergence de cette parole et en formant une partie de ces jeunes nouveaux militants à mieux connaître leurs droits. Certains départements ont aussi saisi le train en marche et associé ces jeunes à des groupes de travail, pour écouter leurs expériences et suggestions.
Anne-Solène Taillardat, membre du Comité de vigilance et bénévole pour Repairs
« La reconnaissance de leur expertise s’est accélérée ces dix dernières années, observe le formateur-chercheur. Ils font aujourd’hui pleinement partie du réseau qui produit des connaissances sur le sujet. » À la fois pairs aidants et experts, les anciens enfants placés ne perdent pas de vue le but de la bataille : changer le système de protection de l’enfance. Et ne pas baisser la garde au vu de ces balbutiements prometteurs. « Nous voir au centre de l’élaboration des politiques publiques contrarie certains acteurs institutionnels, rapporte Lyes Louffok. On a perturbé les dynamiques. »
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« La prise en compte de notre parole reste fragile, renchérit Anne-Solène Taillardat, membre du Comité de vigilance et bénévole pour Repairs. Certes, certaines oreilles deviennent réceptives, mais de manière inégale selon les territoires. Si la parole devient trop incisive ou manifeste une forte volonté d’évolution, ça se crispe un peu. » La jeune femme et ses compatriotes voient bien le plafond de verre qu’il reste à briser pour faire entendre, en plus de leurs voix, la nécessité d’une refondation totale d’un système qui continue de broyer des enfants.