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« ROMPRE AVEC LA MONOCRATIE PRÉSIDENTIELLE » – UN PRÉSIDENT QUI SE RÊVE SANS 1er MINISTRE RESPONSABLE DEVANT LE PARLEMENT ?

DOSSIER « CHAOS INSTITUTIONNEL » SUITE

1. ENTRETIEN – « Ceux qui proposent la VIe République ne savent même pas quel régime ils voudraient mettre en place »

2. Entretien – Délai de nomination du Premier ministre : « Il y a là une faille béante dans notre droit qu’il serait prudent de combler »

3. ARTICLE – «Derrière l’absence de gouvernement et la menace de destitution, la déliquescence de la politique française»

4. ANNEXE : Présentation de l’ouvrage « ROMPRE AVEC LA MONOCRATIE PRÉSIDENTIELLE »

LIEN VERS LES PUBLICATIONS PRÉCÉDENTES

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1. ENTRETIEN – « Ceux qui proposent la VIe République ne savent même pas quel régime ils voudraient mettre en place »

Le constitutionnaliste Benjamin Morel propose des réformes pour moderniser la Ve République, allant du mode de scrutin au calendrier électoral.

Propos recueillis par Juliette Jacqmarcq LE POINT. Publié le 13/08/2024

Face à une polarisation croissante et à une représentation défaillante, le constitutionnaliste Benjamin Morel plaide pour une réforme des institutions dans son nouveau livre, Rompre avec la monocratie présidentielle : comment réformer nos institutions (éditions Le Bord de l’eau).
Selon lui, les bouleversements politiques récents montrent les limites de notre Constitution de 1958. Il plaide pour un scrutin proportionnel et un changement dans le calendrier électoral… vers une VIe République ?

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Le Point : Pourquoi faut-il réformer nos institutions ?

Benjamin Morel : Les ruptures que nous avons connues avec l’explosion du vieux système partisan en 2017, l’entrée massive du RN en 2022, puis une majorité introuvable en 2024 montrent que nous sommes arrivés au bout d’un système… Il ne faut pas faire de fétichisme institutionnel, les institutions ne règlent pas tout. Celles-ci sont des instruments qui peuvent aggraver ou offrir des outils pour juguler le phénomène. La Constitution de 1958  a été pensée pour limiter l’instabilité parlementaire. Pour ses concepteurs, ce sont d’abord les absences de majorité qui peuvent conduire à la déstabilisation politique. D’où un mode de scrutin qui permet de gouverner avec une minorité d’électeurs.

Le mode de scrutin majoritaire remet-il en question la légitimité de nos institutions ?

En 2017, LREM et le Modem obtiennent 60 % des sièges avec 32 % des votants et 17 % des inscrits. C’est moins d’un Français sur deux qui a voté au premier tour pour une coalition qui détient tous les pouvoirs. Et même si une coalition n’a pas la majorité, grâce à des instruments comme l’article 49 alinéa 3 , un gouvernement minoritaire peut quand même appliquer sa politique. Le bon côté de tout cela, c’est que l’on peut mener une politique. Le mauvais côté, c’est qu’on peut la mener contre 80 % du pays sans avoir vraiment conscience que l’on est assis sur une Cocotte-Minute. C’est réduire la légitimité à la légalité. Or, la légitimité implique une adhésion des gouvernés à la justesse des mécanismes politico-institutionnels, qui s’est érodée d’année en année.

 Quand Debré et de Gaulle ont pensé la Constitution de 1958, ils étaient persuadés qu’il n’y aurait jamais de majorité absolue. 

Vers la proportionnelle ?

Dans un mode de scrutin proportionnel, la logique de blocs à laquelle nous assistons n’est pas la règle. Les groupes politiques sont aujourd’hui liés à un système d’alliances rigides ne leur permettant pas de nouer des accords après les élections, de peur de se trouver esseulés au prochain scrutin. Avec la proportionnelle, les partis sont rivaux lors des élections et trouvent une majorité après. En mettant en avant un certain nombre d’instruments (seuil de représentation, prime majoritaire), la proportionnelle permet d’obtenir des assemblées plus gouvernables.

Vous proposez un télescopage des élections législatives et présidentielles. Pourquoi ?

Tenir les élections législatives après la présidentielle fait des législatives une simple validation des résultats de la présidentielle. On dit souvent que les Français veulent donner une majorité au président qu’ils viennent d’élire. Ce n’est pas tout à fait vrai. On assiste surtout à une démobilisation de l’électorat qui a perdu la présidentielle, et qui pense qu’il a déjà perdu les législatives.

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Ne serait-ce pas condamner la France à une assemblée ingouvernable, comme aujourd’hui ?

Si une absence de majorité absolue pour un parti signifie que le pays est ingouvernable, alors l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, etc., sont des pays ingouvernables. Le monde est à feu et à sang sauf peut-être les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon, qui disposent de majorités monoblocs… Soyons sérieux.

Dans la quasi-totalité des régimes parlementaires, on fait des coalitions . Et que l’on nous épargne l’argument essentialiste que « ce n’est pas dans notre culture ». Sous la IVe République, on répondait aux gaullistes qu’un président fort, « ce n’était pas dans notre culture ». Qu’on nous épargne également l’argument sur « l’esprit de la Constitution ». On fait du droit, de la politique, pas du spiritisme. Quand Debré et de Gaulle ont pensé la Constitution de 1958, ils étaient persuadés qu’il n’y aurait jamais de majorité absolue. Le mode de scrutin à deux tours n’a jamais donné de majorité absolue avant 1962. Il ne l’a fait qu’en période de forte bipolarisation de la vie politique, aujourd’hui arrivée à son terme. 

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La tripolarisation de la vie politique est un jeu où le centre gagne. Qu’est-ce qui a changé en 2024 ?

Historiquement, si vous êtes un candidat centriste, vous avez plus de chances de l’emporter. C’est l’une des clés du succès du macronisme en 2017. Face à la droite, vous avez des reports de gauche et vice-versa. Mais on a à présent un bloc centriste autonome, et un bloc de gauche et un bloc de droite beaucoup plus polarisés. Ces blocs sont peu poreux électoralement et se trouvent même dans une situation de défiance les uns vis-à-vis des autres, ce qui complique les alliances et les reports de voix. Lors de ces élections, l’électorat RN s’est mobilisé, pensant qu’il pouvait gagner . L’électorat NFP s’est mobilisé pour faire barrage au RN. L’électorat centriste s’est mobilisé pour faire barrage à tout le monde.

 Qui tient l’Élysée tient le Palais-Bourbon ; qui tient le Palais-Bourbon tient Matignon. Qui tient l’Élysée tient donc tout. Si vous changez le mode de scrutin, vous brisez cela. 

Nous dirigeons-nous vers une VIe République ?

Ceux qui, souvent, le proposent ne savent même pas quel régime ils voudraient mettre en place. Nous évoquions la proportionnelle, ce qui ne passe pas par une réforme de la Constitution. Rien que cela changerait en profondeur le régime. Le président de la Ve République n’a pas tant de pouvoir ; il en a même assez peu, hormis les pouvoirs d’exception. Ce qui fait son pouvoir, c’est le fait qu’il détienne une majorité devant laquelle le gouvernement est responsable. Qui tient l’Élysée tient le Palais-Bourbon ; qui tient le Palais-Bourbon tient Matignon. Qui tient l’Élysée tient donc tout. Si vous changez le mode de scrutin, vous brisez cela.

Ensuite, si vous voulez aller plus loin, notamment sur plus de démocratie directe, vous pouvez changer la Constitution. Si cela rassure tout le monde d’appeler cela « Ve », c’est très bien. Si appeler cela « VI » donne le sentiment de faire l’Histoire, alors c’est parfait. Mais avant de se concentrer sur l’ordinal, il faut savoir ce que l’on veut faire et jouer avec finesse dans l’horlogerie.

2. Entretien – Délai de nomination du Premier ministre : « Il y a là une faille béante dans notre droit qu’il serait prudent de combler »

Propos recueillis par  Isabelle Vogtensperger Publié le 20/08/2024 MARIANNE

Benjamin Morel, politologue et universitaire, analyse la situation politique actuelle et les recours possibles pour l’opposition si Emmanuel Macron tardait à nommer un Premier ministre. Il met en lumière une faille dans notre droit : un gouvernement démissionnaire, dont les pouvoirs augmenteraient avec le temps, pourrait se maintenir pendant 5 ans sans que cela ne soit contraire à la Constitution.

Marianne : Quels sont les recours constitutionnels possibles pour l’opposition si Emmanuel Macron tardait trop à nommer un Premier ministre ?

Benjamin Morel : Il n’y a pas de recours véritablement possible. L’article 8 de la Constitution ne prévoit pas de délai pour nommer un Premier ministre. L’opposition dispose de deux instruments pour faire évoluer la situation. Un gouvernement démissionnaire ne peut pas être renversé, car la conséquence d’une motion de censure est d’obliger le gouvernement à démissionner, ce qui n’a pas de sens pour un gouvernement déjà démissionnaire. Cependant, les ministres en fonction ne sont plus ministres, ils font office de ministres et leur marge de manœuvre est limitée aux affaires courantes.

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Dès lors, l’opposition peut saisir à chaque fois que possible le juge administratif pour s’assurer que les décisions prises relèvent bien des affaires courantes. Il y a toutefois deux limites à cela. D’abord, pour saisir le Conseil d’État, encore faut-il avoir un intérêt à agir. Or, les députés n’ont pas de droit de saisine du juge en principe. Ensuite, plus le temps passe, plus des décisions qui n’auraient pas paru urgentes a priori deviennent nécessaires et sont donc susceptibles d’être validées par le juge. Il n’y a rien de plus politique qu’un budget. Toutefois, le Conseil constitutionnel censurerait-il un budget au motif qu’il a été déposé par un gouvernement démissionnaire, au risque de plonger le pays dans le chaos ? Ce n’est pas certain.

L’autre moyen de pousser un président à agir serait de lancer une procédure de destitution. Cependant, cette procédure a été conçue pour ne jamais être utilisée. Pour réviser la Constitution, il faut une majorité à l’Assemblée, au Sénat, puis les trois cinquièmes des deux chambres réunies en Congrès. Pour destituer un président, une fois passés les différents filtres (Bureau, puis Commission des lois), il faut une majorité des deux tiers à l’Assemblée, des deux tiers au Sénat, puis des deux tiers des deux chambres réunies en Haute Cour. En d’autres termes, il est plus facile de réformer la Constitution pour supprimer la fonction de président de la République que de démettre un président en fonction.

Ce type de situation a-t-il déjà existé par le passé ?

Non, jamais aucune proposition n’a passé le stade de l’examen préalable par le Bureau de la Chambre. Cela dit, cela ouvre la voie à des dérives. Ce n’est pas ce qui est en train de se passer ici. Emmanuel Macron aura attendu environ deux mois pour nommer un gouvernement. C’est exceptionnel pour la Ve République. Il l’a fait pour de bonnes raisons : un gouvernement dans ce contexte (Castet, Bertrand, Borloo, Cazeneuve…) ne tiendrait pas plus de 48 heures. En cas de gouvernement NFP, les macronistes, LR et RN ont déclaré qu’ils voteraient une motion de censure.

« Emmanuel Macron aura attendu environ deux mois pour nommer un gouvernement. C’est exceptionnel pour la Ve République »

Un gouvernement LREM-LR subirait également une motion de censure du NFP qui passerait si Marine Le Pen la votait. Il était donc préférable d’avoir un gouvernement démissionnaire ayant préparé les JO plutôt qu’un gouvernement démissionnaire nommé trois jours auparavant et n’ayant pas encore pris ses marques… Il l’a aussi fait pour des raisons moins avouables. Le chef de l’État espère en effet une division du NFP permettant d’envisager une alliance des centres avec les socialistes et les Verts. Dans ce cadre, il lui convenait de « laisser pourrir » la situation.

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Pour autant, cela révèle une faille dans le droit. On peut adopter un discours politique sur la Constitution et expliquer que ce n’est pas constitutionnel, mais cela l’est. Et c’est un problème. Un chef de l’État qui déciderait de maintenir pendant 5 ans, contre le Parlement, un gouvernement démissionnaire dont les pouvoirs augmenteraient avec le temps, pourrait ignorer les fondements du régime parlementaire. Il y a là une faille béante dans notre droit qui pourrait être exploitée à l’avenir et qu’il serait prudent de combler.

Dans Rompre avec la monocratie présidentielle, vous écrivez : « Sans contre-pouvoir réel, notre République est devenue une technocratie plébiscitaire à renouvellement quinquennal, incarnée par un seul homme ». Doit-on s’attendre à la mise en place d’un gouvernement technique pour assurer la continuité de l’État ? Que pensez-vous de cette situation ?

Le gouvernement technique n’a pas de définition juridique. C’est une notion empruntée à la vie politique italienne qui repose sur l’idée qu’en cas de majorité impossible, il est plus facile pour les partis au Parlement de soutenir un gouvernement apolitique, du moins en apparence. Si vous êtes un député PS ou LR et que vous participez à un même gouvernement, Jean-Luc Mélenchon vous accusera, à raison, de gouverner avec la droite. Marine Le Pen dira, pas à tort, que vous êtes un allié de la gauche et de la Macronie. Vos électeurs risquent de ne pas comprendre votre démarche. Si vous participez au gouvernement, vous en assumerez le bilan. Comment alors incarner l’alternance demain ?

Si vous vous contentez de ne pas voter les motions de censure, vous serez tout de même comptable d’avoir permis à la politique d’un gouvernement qui n’est pas de votre couleur politique de survivre. D’autres forces politiques se feront alors un plaisir de rappeler que sans vous, le gouvernement n’aurait pas pu mener les réformes impopulaires qui furent les siennes et qu’au fond, vous n’incarnez pas l’alternative pour demain.

L’avantage d’un gouvernement technique est qu’il déresponsabilise quelque peu les partis. Ces derniers peuvent dire : « Ce gouvernement me déplaît, son budget est infâme, mais il n’y a pas de majorité. Je ne soutiens pas, mais c’est soit cela, soit le chaos, donc faute de mieux, je ne renverse pas ». Le gouvernement technique n’est pas tant le fruit d’une définition juridique que d’un jeu rationnel d’acteurs poussés à faire le choix le plus conforme à la fois à leur intérêt et à l’intérêt du pays. Et qu’on nous épargne l’argument essentialiste du « ce n’est pas dans notre culture ».

« L’avantage d’un gouvernement technique est qu’il déresponsabilise quelque peu les partis »

Ce n’était pas non plus dans la culture politique italienne. Sous la IVe République, on disait aux gaullistes qu’un président fort « ce n’était pas dans notre culture ». Depuis 1962, nous vivons à l’heure de la discipline majoritaire. Même lors des quelques périodes de gouvernement minoritaire, le jeu parlementaire, combiné avec les institutions de la Ve République, permettait de gouverner. Ce n’est pas le cas ici. Ce n’est pas une affaire de « culture » ou « d’esprit », c’est une affaire de rationalité politique.

Vous appelez de vos vœux une réforme de nos institutions, pouvant mener à l’instauration d’une VIe République. Qu’entendez-vous par là ? Cela pourrait-il nous sortir de cette période d’instabilité parlementaire ?

D’abord, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un problème d’ordinal. Déjà, si l’on instaurait la proportionnelle, le système politique serait transformé. Le président français n’est pas le seul à être élu au suffrage universel direct. Les présidents portugais, finlandais ou autrichiens le sont également. En droit, le président français n’a guère plus de pouvoir que ses homologues européens, à l’exception de pouvoirs d’exception (article 16…) dont il ne se sert pas tous les quatre matins. La force du président français, c’est qu’il dispose, en raison du mode de scrutin et du télescopage des calendriers électoraux, d’une majorité disciplinée et souvent absolue à l’Assemblée.

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Qui tient l’Élysée tient le Palais-Bourbon, qui tient le Palais-Bourbon tient Matignon. Si vous brisez cela, notamment par la proportionnelle, qui peut être instaurée par une loi ordinaire (le mode de scrutin n’étant pas dans la Constitution), alors vous changez de régime. Ensuite, je n’ai pas de tabou. On peut envisager un RIC (référendum d’initiative citoyenne), un vrai, pas le RIP (référendum d’initiative partagée) dont on sait qu’il est impraticable. Cela implique de réformer l’article 11. On peut modifier les prérogatives du Conseil constitutionnel, ce qui implique de modifier à la marge l’article 61…

En soi, passer à une VIe République n’est pas nécessaire pour tout ça. Ce que l’on fait, c’est que si l’on fait tabula rasa d’un texte constitutionnel et qu’on rédige quelque chose de nouveau, le résultat 10 ans plus tard est imprévisible. En 1875, on pensait poser les bases d’une monarchie parlementaire avec un exécutif fort, on a produit une République parlementariste.

Michel Debré prenait en exemple le régime britannique et pensait le copier ; il a produit le régime le plus présidentialiste du monde occidental. En bref, le droit constitutionnel est de l’horlogerie fine. On sait beaucoup mieux ce que l’on fait et où l’on va en partant d’un texte que l’on connaît. La Ve République n’est d’ailleurs qu’une IVe amendée. Ne pas partir de rien ne borne en rien l’ambition, cela sécurise sa réalisation. Ensuite, on peut appeler cela Ve bis ou VIe République, ce n’est qu’une question de communication.

3. ARTICLE – «Derrière l’absence de gouvernement et la menace de destitution, la déliquescence de la politique française»

Par Maxime Tandonnet. Publié le 19/08/2024 LE FIGARO

– Plus d’un mois après la démission du gouvernement Attal, Emmanuel Macron n’a toujours pas nommé de premier ministre et le pays paraît résigné. Une situation qui en dit long sur le nihilisme dans lequel a sombré la vie publique nationale, analyse l’essayiste Maxime Tandonnet.

Maxime Tandonnet est essayiste et historien. Il a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019), récemment réédité dans la collection «Tempus» (poche).

Le 16 juillet 2024, Gabriel Attal a présenté la démission de son gouvernement au chef de l’État, à la suite de la dissolution et des élections législatives perdues pour la majorité présidentielle. Plus d’un mois après, le 19 août, la France n’a toujours pas de gouvernement.

Certes sous la IVe République, la France pouvait rester un certain temps sans président du Conseil (premier ministre) ni ministres. Ce fut le cas par exemple en octobre 1949 où pendant trois semaines, le président Auriol s’arracha les cheveux à essayer de former un cabinet de coalition avant de faire appel au centriste Georges Bidault. Toutefois, à l’époque, cette situation était perçue comme dramatique. Par le plus grand des paradoxes, alors que la Ve a été justement conçue pour mettre fin à ce genre de situation, l’absence prolongée de gouvernement, sans précédent sous le régime actuel, ne semble déranger personne. Le pays paraît résigné, comme indifférent…

Cette absence en dit long, pourtant, sur le nihilisme dans lequel a sombré la vie publique nationale, et sa transformation en grand spectacle dérisoire. Les Jeux olympiques sont terminés. Le suspense entretenu autour de la personnalité du futur premier ministre est une manière d’occuper, quelques semaines supplémentaires, l’attention médiatique. Cette attente nourrit le rayonnement élyséen, en montrant un chef de l’État seul au sommet qui ne cède pas à la pression et se présente en maître des horloges. Le mythe de la toute-puissance élyséenne, exclusive de toute autre source d’autorité, atteint son paroxysme.

De fait, un gouvernement sert en principe à gouverner. Or, l’objectif essentiel de toute vie politique n’est plus de gouverner ou diriger mais de répandre des illusions, de faire croire à la réforme et à l’autorité, de paraître et de pavoiser. Dès lors, la France peut aisément se passer d’un gouvernement. Telle sera la grande leçon de l’histoire.

Dissoudre une Assemblée nationale (briser) est beaucoup plus facile que fonder une solution politique (construire).Maxime Tandonnet

Cette période marque l’apothéose de la courtisanerie. Les contorsions de la classe politique pour placer un premier ministre – qui ne disposera d’aucune marge de manœuvre dans le contexte d’une Assemblée nationale chaotique – sont révélatrices de l’obsession des prébendes qui domine les esprits. Même les plus réticents envers la présidence Macron depuis 2017 se dévoilent aujourd’hui comme prêts à faire allégeance… pour le fromage de Matignon.

Cette attente est probablement aussi révélatrice d’une hésitation sincère de l’occupant de l’Élysée. Son choix d’un premier ministre, sans grand effet sur la politique du pays en l’absence de toute majorité possible, sera emblématique d’un penchant à droite ou à gauche ou celui de la continuité. Dissoudre une Assemblée nationale (briser) est beaucoup plus facile que fonder une solution politique (construire). Au fond ce dilemme est bien à l’image de notre époque plus prompte à «déconstruire» les personnes, la nation ou l’histoire, qu’à préparer fermement l’avenir. 

La conférence des chefs de groupes politiques à l’Élysée, du 23 août, préalable à la désignation d’un gouvernement est dans la lignée d’une méthode d’exercice du pouvoir fondée sur des opérations de communication. Après le «Grand Débat», les «conventions citoyennes», «le jour d’après», le «Conseil national de la refondation», les «Cent jours» «l’Initiative d’ampleur», le «grand rendez-vous avec la nation». Cette nouvelle cérémonie à laquelle se prêtent volontiers tous les partis, permettra de leur faire porter le chapeau de l’inévitable chaos politique à venir. Quant au psychodrame de la France Insoumise et de la gauche autour de la destitution du chef de l’État, parfaitement illusoire comme chacun sait, il procède, lui aussi, de ce climat de pourrissement et de fuite dans la communication stérile.

Et pendant ce temps, derrière le paravent du circus politicus, les difficultés de la France continuent de s’accumuler – la crise de l’école, la dette publique, le chômage (5,4 millions de personnes) la pauvreté, la violence et l’insécurité, la maîtrise de l’immigration, le logement et l’hôpital. Les Français se sont mobilisés comme jamais lors de l’élection législative qui a battu des records de participation. Leur déception, à la hauteur de cette espérance, risque de favoriser l’écœurement, le découragement ou la révolte.

4. Présentation de l’ouvrage « ROMPRE AVEC LA MONOCRATIE PRÉSIDENTIELLE »

Nos institutions vont mal. Élaborée dans le but de garantir avant tout la stabilité, la Ve République est aujourd’hui soumise à de violentes secousses et à une dérive autoritaire inquiétante.

Face à cette situation, deux attitudes prédominent. La première est de se retrancher derrière une certitude éprouvée depuis 65 ans et de ne concéder que des évolutions cosmétiques. La seconde prône une tabula rasa : il faut une VIe République, peu importe sa forme.

Dans cet ouvrage, l’auteur – Benjamin Morel – définit des objectifs pour une refonte institutionnelle visant une plus grande démocratie sans renoncer à la stabilité.

Comment redonner la voix au peuple dans notre démocratie en modifiant le mode de scrutin et en rétablissant le rôle du référendum et de la démocratie directe ? Comment rééquilibrer les pouvoirs entre un président de la République devenu omnipotent et un parlement relégué au second plan ? Comment réformer le Conseil constitutionnel pour qu’il devienne un véritable garant des libertés du peuple ? Face à ces interrogations récurrentes, l’ouvrage vise à fournir des réponses précises, fondées juridiquement et applicables, afin ni de se payer de mots, ni de se complaire dans l’impuissance.

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