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QUELLE LÉGITIMITÉ POUR LA SOCIOLOGIE, ALORS QUE LA LITTÉRATURE APPORTE SA VÉRITÉ

« Je n’ai jamais compris l’intérêt de la sociologie à partir du moment où existe la littérature »

« Les pseudo-révolutionnaires actuels, qui protestent à tout bout de champ contre tout et n’importe quoi, doivent s’y mettre à plusieurs pour citer un grand écrivain. Mais ils ont une mine inépuisable de références sociologiques pêchées dans les colonnes de Libé et de l’ObsExeunt Balzac, Marx ou Nietzsche, enter Bourdieu, et les disciples de Bourdieu. » VOIR ARTICLE 1

L’INCURSION DU RÉEL DANS LA LITTÉRATURE

« Au XIXe siècle, les écrivains tels Flaubert, Zola, Stendhal ou Dumas n’hésitaient pas à pourchasser leur muse dans les rubriques judiciaires. Et lorsque les affaires criminelles se voient dotées du panache des grands romans, l’incursion du réel dans la fiction ajoute la curiosité au plaisir de la littérature. » VOIR ARTICLE 2

1. ARTICLE – Imposture sociologique, vérité littéraire 

Jean-Paul Brighelli CAUSEUR. 19 août 2024

Notre chroniqueur ne se contente pas de rompre des lances avec les « pédagogistes ». Voilà qu’il s’en prend aux sociologues, qui œuvrent si intelligemment à chercher les clés de notre société si complexe…

C’était le 1er mai 1968 et j’étais à Paris. Je suis entré à la Sorbonne (occupée, si vous vous rappelez), et dans le hall du grand amphi, j’ai lu cette déclaration pleine de sens : « Quand le dernier des sociologues aura été étranglé avec les tripes du dernier bureaucrate, aurons-nous encore des « problèmes » ? »

Ce qui distingue à jamais le manifestant 68 de celui d’aujourd’hui, c’est qu’il était nourri de culture — philosophie et littérature particulièrement, et pas uniquement les classiques du marxisme. Les pseudo-révolutionnaires actuels, qui protestent à tout bout de champ contre tout et n’importe quoi, doivent s’y mettre à plusieurs pour citer un grand écrivain. Mais ils ont une mine inépuisable de références sociologiques pêchées dans les colonnes de Libé et de l’ObsExeunt Balzac, Marx ou Nietzsche, enter Bourdieu, et les disciples de Bourdieu.

Je faisais ce constat il y a peu, en me colletant avec l’un de mes meilleurs amis / ennemis, Philippe Watrelot, ex-agrégé de SES, conseiller de Najat Vallaud-Belkacem pour laquelle il a écrit un rapport intitulé « Innover pour une École plus juste et plus efficace », et auteur, entre autres, de Je suis un pédagogiste (2021). Tout ce que j’aime. J’interviens de temps en temps sur sa page Facebook (et il a la politesse d’y accueillir mes éructations), et dernièrement, après une énième critique des sociologues de l’Educ-Nat, il a posté une page pleine d’humour :

Haha, ai-je commenté. Je n’aurais pas dû me contenter de si peu, mais FB n’est pas le lieu des analyses complexes. Causeur, qui dispose d’un lectorat moins partisan, l’est sans doute davantage.

Je n’ai jamais compris l’intérêt de la sociologie à partir du moment où existe la littérature — sinon fournir des postes aux petits bras de la philosophie. Pensez que le fondateur de cette « science » du social, Émile Durkheim, a visité les universités allemandes au moment même où Nietzsche publiait ses plus grands livres — et tout ce qu’il en a retenu, c’est le discours des « philosophes sociaux » : certes, quand on ne comprend pas la pensée ultime, on se rabat sur les ersatz. Le Positivisme a tué en grande partie la philosophie française. Heureusement nous avons eu Bergson…

Sociologie, Psycho et Pédagogie ont également stérilisé le recrutement en université. Cessons de créer de nouveaux postes en métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie, comme disait Voltaire, et nous ouvrirons des opportunités en Sciences, Littérature ou Médecine. Créons un corps d’Inspection du Supérieur, qui évalue sans scrupules l’intérêt de telle ou telle recherche, avec possibilité de reverser les inutiles dans le Second degré, et là aussi nous créerons un appel d’air pour tant de docteurs condamnés aujourd’hui à enseigner en collège, faute de postes en université, pendant que de Grands Inutiles se pavanent dans les facs.

Sur le fond de la question, je pose une question. Marx avait pour Balzac une grande admiration, non qu’il approuvât les préférences du romancier pour la monarchie, mais il avait trouvé chez lui une formidable analyse de la société bourgeoise. Qui, à vrai dire, n’a pas pris une ride : les bourgeois ne s’attifent plus avec un spencer, comme le cousin Pons, mais les ressorts sociaux n’ont pas bougé d’un iota : l’argent, l’argent, l’argent. Balzac a, avant Marx, compris que le facteur économique était déterminant en dernière instance. Et que dans un monde bourgeois libéral, le fric était la clef universelle pour décrypter les comportements.

Balzac, ou Dickens, ou Maupassant : croyez-vous vraiment que les mœurs journalistiques ou parlementaires aient bougé d’un iota depuis Bel-Ami ? Mais aussi bien Proust (lisez Sodome et Gomorrhe et oubliez tout du discours LGBT) ou Anatole France : lire L’Île des Pingouins permet d’accéder à la plus formidable analyse de l’antisémitisme d’avant l’islam. C’était cela, l’atmosphère qui a présidé à la loi de 1905 — et c’est pourquoi il faut la réécrire — sans demander leur avis aux sociologues… Car nos apôtres du collectif, presque tous gens de gauche qui ne veulent surtout pas stigmatiser telle ou telle « communauté », s’interrogent rarement sur les exactions commises aujourd’hui au nom d’Allah le Très Haut et le Miséricordieux, comme le savaient très bien Samuel Paty, Dominique Bernard et les dizaines de victimes de l’islam des caves et des déserts.

Pas tous heureusement. Il y a des sociologues qui portent le fer dans la plaie — par exemple Florence Bergeaud-Blacklerqui a récemment publié une analyse rigoureuse et impitoyable des réseaux fréristes en France (ah, pardon, elle est anthropologue, même si elle a fait ses études dans l’unité de Sciences sociales de Bordeaux). Gilles Kepel, avec qui j’étais récemment au Salon du Livre de la Haute-Tinée, m’a confirmé tout le bien qu’il en dit en préface de son livre, Le Frérisme et ses réseaux.

Mais pour un sociologue qui ose parler contre la doxa de la spécialité, combien sont, de fait, les complices passifs du communautarisme ? Ou partisans de l’enseignement de l’ignorance, comme dit Jean-Claude Michéa — qui est un authentique philosophe, lui, pas un penseur pour Télérama ? Ou adeptes « malgré eux » (comme on disait en 1943 en Alsace) de la domination de l’homme sur la femme à laquelle il impose un voile ? Sans parler de leur refus d’analyser les effets délétères de la consanguinité dans les milieux où l’on épouse volontiers sa cousine, et autres joyeusetés couvertes par le silence, au nom de l’intersectionnalité des luttes…

Je sors dans dix jours un dernier essai intitulé L’Ecole sous emprise — une analyse sans concession de l’entrisme islamiste dans l’Educ-Nat. Parions que nos sociologues y trouveront à redire. Peut-être comptent-ils bien être aux premières loges lorsque la charia sera promulguée en France, et qu’elle les autorisera, comme dans le Soumission de Houellebecq, à avoir quatre épouses et un nombre infini de concubines. Mais ils finiront égorgés comme les autres.

2. ARTICLE – Flaubert, Zola, Stendhal, Dumas… Pourquoi ils aimaient tant les faits divers

Ouest-France  Margaux MORASSO pour Lire Magazine. Publié le 24/08/2024 

Au XIXe siècle, les écrivains tels Flaubert, Zola, Stendhal ou Dumas n’hésitaient pas à pourchasser leur muse dans les rubriques judiciaires. Et lorsque les affaires criminelles se voient dotées du panache des grands romans, l’incursion du réel dans la fiction ajoute la curiosité au plaisir de la littérature.

Arrestation d’Edmond Dantès durant son repas de fiançailles.
WIKIPEDIA

En 1849, le jeune Gustave Flaubert pose un point final au texte qui le fera connaître ; du moins, il en est persuadé. Le cœur gonflé de fierté et d’espoir, il réunit ses amis Louis Bouilhet et Maxime Du Camp pour une lecture de La Tentation de Saint-Antoine. Dans ses Souvenirs littéraires, Du Camp détaille la découverte de ce fantasque poème en prose : « Si vous ne poussez pas des hurlements d’enthousiasme, c’est que rien n’est capable de vous émouvoir ! » leur annonce Flaubert. Le succès escompté n’est pourtant pas au rendez-vous.

L’interminable lecture de ce récit s’embourbe dans un lyrisme surabondant, et l’auditoire fait part de la pénibilité de l’expérience à Flaubert : « Nous pensons qu’il faut jeter cela au feu et n’en jamais reparler. » Et après le douloureux verdict vint le conseil qui fit probablement la renommée de l’auteur : « Prends un sujet terre à terre, un de ces incidents dont la vie bourgeoise est pleine… » Est alors évoqué un drame récent, vécu par un « pauvre diable d’officier de santé ». Ce dernier, monsieur Delamare, épousa une jeune femme qui courut les aventures et accumula les dettes jusqu’à se suicider, avant d’être rejointe par son époux désespéré… Flaubert s’empare du sujet sans attendre.

S’il fallut peu de temps avant que lecteurs et critiques établissent un lien entre le triste destin d’Emma Bovary et celui de Delphine Delamare, le romancier nia formellement cette inspiration : « Aucun modèle n’a posé devant moi. Madame Bovary est une pure invention. Tous les personnages de ce livre sont complètement imaginés… » Il est difficile de trancher car les souvenirs de Maxime Du Camp furent publiés après la mort de Flaubert, qui n’eut donc l’occasion de les démentir. Aurait-il pour autant eu à en rougir ?

Imiter le vrai : méthode

Son grand ami Émile Zola, lui, assuma tout à fait l’influence des faits divers sur certains de ses textes. C’est le manque de moyens pendant sa jeunesse qui le poussa vers les petites rubriques pour la première fois, lors de la composition des Mystères de Marseille. À l’origine de ce texte, il y a une proposition du directeur du Messager de Provence, celle de rédiger un roman-feuilleton reprenant des grandes affaires criminelles advenues dans la région d’Aix-en-Provence et Marseille. Il s’agissait donc d’étudier les greffes des tribunaux, d’imiter le vrai pour constituer une œuvre d’imagination.

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