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COMPARAISON MACRON/MAC MAHON ? – Gambetta « Le président n’a que ce choix : il lui faut se soumettre ou se démettre » – « J’y suis … »

ENTRETIEN – Nouveau Premier ministre : destitution, gouvernement démissionnaire, blocage… la situation analysée par un constitutionnaliste

 28/08/2024 Propos recueillis par Martin Planques LA DÉPÊCHE

Alors que les consultations organisées par Emmanuel Macron ont continué sans le NFP, la crise politique s’installe en France en attendant la nomination d’un nouveau Premier ministre. Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, livre une analyse de cette situation au caractère exceptionnel sous la Ve République.

La situation politique et institutionnelle actuelle était-elle exceptionnelle ? Avec plus de 40 jours sous un gouvernement démissionnaire ?

Elle ne s’est jamais présentée sous la Ve République. Il n’y a jamais eu de situation où une majorité a été autant introuvable. La seule hypothèse dans laquelle un gouvernement démissionnaire est resté plus longtemps, c’est en 1962. Lorsqu’après la motion de censure et la dissolution de l’Assemblée nationale, le gouvernement est resté démissionnaire jusqu’aux législatives de novembre 1962. Mais à l’époque ces élections ont mis un terme au débat. Là, la crise politique a vocation à durer. Et à durer au moins jusqu’à ce qu’une nouvelle dissolution soit possible, à supposer qu’elle donne des résultats plus probants que la dernière. Aucune force ne peut prétendre à la majorité, donc la crise devrait durer tant que l’une des forces n’aura pas cédé.

Je fais partie de ceux qui considèrent qu’Emmanuel Macron a manqué au devoir de sa charge en maintenant en vie artificielle un gouvernement démissionnaire. C’est un débat parmi les juristes mais certains considèrent que l’article 8 oblige le Président à nommer un Premier ministre. Politiquement, c’est un peu compliqué mais rien n’interdisait à Emmanuel Macron de refuser la démission de Gabriel Attal indéfiniment ou même de le renommer.

Peut-on considérer qu’Emmanuel Macron a été un peu dépassé par sa propre dissolution ?

Oui, tout à fait. Emmanuel Macron s’attendait à ce que la gauche soit divisée et en profiter pour replacer des duels entre le bloc présidentiel et le RN aux législatives. Le pari a complètement échoué. Et donc là, ce qu’il n’a pas réussi à faire avant l’élection, il tente de le faire après, c’est-à-dire simplement diviser la gauche. C’est de bonne guerre mais le problème c’est que cela entraîne un gel la situation de la situation politique.

D’un point de vue constitutionnaliste, la gauche est arrivé en tête aux élections mais elle ne dispose pas d’une majorité suffisante à l’Assemblée pour prétendre gouverner seule donc l’argument selon lequel Lucie Castets serait la candidate naturelle à Matignon ne me semble pas recevable. En revanche, le président de la République ne fait pas de gestes vers une sortie de crise. En réalité, Emmanuel Macron reste prisonnier d’une logique de blocs et semble incapable d’en sortir. Mais il en va de même de l’autre côté.

Les consultations menées par Emmanuel Macron sont-elles une habitude constitutionnelle ?

Absolument pas. C’est une spécialité des régimes parlementaires. Que ce soit en Belgique, en Allemagne, en Italie ou en Espagne, lorsqu’il n’y a pas de majorité qui se dégage, le chef de l’État fait des consultations avec les différentes forces politiques en présence. C’est un fonctionnement parlementaire plutôt classique. Le problème, c’est que nous sommes un régime parlementaire qui n’est pas classique. Nous sommes dans un régime parlementaire à prépondérance présidentielle.

La France est-elle devenue ingouvernable ?

Nous sommes de retour à une forme d’Assemblée nationale tripartite, divisé en trois, dans lesquelles aucune force ne peut prétendre gouverner sans s’exposer à une motion de censure. Le compromis est la seule solution. Le problème, c’est que le Président n’est pas du tout le plus à même de le faire, étant donné qu’il est à la fois arbitre au sens de l’article 5 de la Constitution et capitaine de l’une des équipes dont il doit être arbitré. Donc là, nous sommes véritablement dans une impasse. Mais il existe deux manières d’en sortir. Soit tenter un accord de coalition entre la gauche et le bloc présidentiel mais ça me semble trop contraire à notre culture et nos mœurs politiques. L’autre solution, qui selon moi finira par émerger, est celle du gouvernement technique.

La destitution agitée par LFI est-elle envisageable ?

D’un point de vue constitutionnel, tout est envisageable, dès lors que la constitution le permet. Depuis 2007, la révision de l’article 68 exige désormais un simple manquement à ses devoirs incompatible avec la poursuite de son mandat. Il y a néanmoins un obstacle politique : la Constitution exige, tant pour la résolution tendant à constituer le Parlement en Haute Cour (juridiction spéciale destinée à juger le chef de l’État) que la décision prise par cette Haute Cour, une adoption à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée. On parle de deux tiers des membres, c’est énorme. Avec les forces en présence, cette hypothèse de la destitution est agitée pour des raisons de brouhaha politique mais elle est invraisemblable.

La comparaison entre Macron et Mac Mahon est-elle raisonnable ?

C’est la fameuse crise de 1877 durant laquelle le Président Mac Mahon a congédié le président du conseil républicain modéré alors qu’il n’avait pas fait l’objet d’un vote de défiance. Une crise politique s’en était suivie aboutissant à la démission de Mac Mahon. Avec la célèbre phrase de Gambetta « Le Président n’a que ce choix : il lui faut se soumettre ou se démettre ». Mais cette crise n’est pas comparable avec celle que nous vivons. En 1877, il y avait une majorité claire à l’Assemblée nationale. De nos jours, il est difficile de dire qu’Emmanuel Macron va à l’encontre de la majorité de l’Assemblée nationale, comme c’était le cas à l’époque. Les parallélismes historiques sont donc limités.

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