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« LE RÉFÉRENDUM, OUTIL DE RETOUR À LA CONFIANCE »

PROMOUVOIR L’USAGE DU REFERENDUM, SANS EN IGNORER CERTAINES LIMITES

Depuis que les Gilets jaunes ont défendu le référendum d’initiative citoyenne, le recours aux outils de la démocratie directe rencontre un certain succès – quoique contestable, notamment lors du vote sur les trottinettes électriques en libre-service à Paris, le 2 avril 2023. Le think tank Génération libre a publié le 5 juillet 2024 un rapport sur les référendums locaux, écrit par l’analyste d’opinion Paul Cébille. Il y promeut l’usage de cet outil électoral tout en soulignant certains de ses inconvénients. ( VOIR ENTRETIEN 1. )

DEVELOPPER LES CONSULTATIONS

GenerationLibre analyse près de 350 référendums locaux et consultations locales depuis 30 ans et esquisse quelques propositions pour développer cet outil de démocratie directe locale. ( VOIR ARTICLE 2. )

1. Entretien – Paul Cébille : « Le référendum est un outil fondamental pour retrouver la confiance »

Propos recueillis par  Isabelle Vogtensperger Publié le 26/07/2024 MARIANNE

Le think tank Génération libre a publié un rapport le 5 juillet dernier, sur les référendums locaux, intitulé « Référendums locaux : peut-on faire confiance aux citoyens ? », écrit par l’analyste d’opinion Paul Cébille. Au total, près de 350 référendums ont été organisés à l’échelle communale en 30 ans par des collectivités, dont 75 rien qu’en 2022.

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Cet outil électoral doit son succès aux nombreux bénéfices qu’il présente ; il permet par exemple de résoudre des crises entre élus et citoyens, de trancher des conflits au sein du conseil municipal ou encore, d’appuyer un combat contre un projet imposé par un échelon supérieur en lui donnant une légitimité démocratique. L’étude met néanmoins en évidence certains inconvénients liés au référendum local, et notamment la lourdeur administrative ou le contrôle qu’y exerce le maire.

Marianne : Dans quelles situations les maires ont-ils actuellement recours au référendum ?

Paul Cébille : Les maires qui organisent des référendums locaux le font pour quatre raisons principales. La première utilisation vise à résoudre une crise entre les élus municipaux et les citoyens. On le voit notamment lorsqu’un projet est critiqué par les administrés. Le référendum vient alors trancher ces oppositions par le vote majoritaire.

Autre situation de crise, le référendum local peut intervenir pour dénouer un conflit au sein même du conseil municipal. Cela a été le cas dans la commune de Saint-Aignan (Morbihan) au sujet d’une passerelle piétonne au-dessus d’un lac local. Le vote des citoyens est venu mettre fin à plusieurs années de conflits entre élus à ce sujet, ayant notamment entraîné une élection municipale anticipée.

Ensuite, certains maires organisent des référendums locaux par pur esprit démocratique, je pense notamment à l’ancien maire du Kremlin-Bicêtre Jean-Luc Laurent qui a promis en 2020 d’organiser un référendum par an afin de renouer le sens civique du vote et de montrer que les citoyens peuvent participer à la vie locale.

Beaucoup de maires rejoignent ce courant, notamment car ils n’imaginent pas trancher certains sujets d’importance sans l’avis de leurs administrés. Enfin, un dernier cas se présente, celui que j’ai appelé « David contre Goliath ». De nombreux maires sont confrontés à des projets venus d’un échelon supérieur, souvent l’État, et ils cherchent des moyens de faire entendre leur voix.

Pour eux, le référendum local permet de soutenir leur position en lui donnant une légitimité démocratique. C’est souvent le cas contre les projets éoliens : 75 consultations locales ont été organisées à ce sujet depuis 2010. La plupart du temps les électeurs rejettent les éoliennes, permettant aux maires qui les rejettent aussi d’aller défendre leur cause devant les autorités nationales.

Vous soulignez une verticalité de la consultation référendaire – que l’on a clairement constatée au niveau national en 2005 – qui fait du maire un pivot du référendum local. En quoi est-ce problématique ? N’est-ce pas contraire à l’esprit du référendum ?

En effet, dans la plupart des pays qui pratiquent fréquemment le référendum, ce sont les citoyens qui peuvent le déclencher, notamment en Suisse ou aux États-Unis dans la plupart des États. En France, cette initiative citoyenne n’existe pas vraiment, et c’est pourtant un aspect important de la démocratie, celui de donner aux citoyens les moyens d’intervenir dans le débat public.

Toutefois, on peut parfaitement comprendre que les maires se montrent réticents à l’idée d’une initiative citoyenne locale quand on sait à quel point leurs pouvoirs sont de plus en plus grignotés par les échelons supérieurs comme les communautés de communes ou l’État. Pour autant, ils doivent aussi comprendre que leurs administrés ne sont pas des « concurrents » ou des freins dans leur action, mais bien des partenaires et la source de leur légitimité.

L’un des enseignements de votre rapport est que les citoyens ne sont pas complètement apathiques en matière de pratique électorale. L’échelle locale mobilise-t-elle plus ? Le référendum, au niveau national, peut-il constituer une solution à l’état de paralysie actuel ?

On peut rapprocher l’analyse du référendum local à celle du référendum au niveau national. En 2005, le projet de Constitution européenne a su mobiliser un nombre particulièrement important des citoyens (69 %) sur un sujet qui les intéressait et important pour leur avenir. C’est la même chose au niveau local, lorsque l’enjeu est important pour l’avenir de leur commune, les citoyens se déplacent pour voter.

On l’a vu par exemple en 1975 à Flamanville (Manche) où 82 % des électeurs sont allés voter pour ou contre la construction de la centrale nucléaire sur la commune ou plus récemment à Gresse-en-Vercors (Isère) où les électeurs étaient 81 % à se déplacer pour installer des canons à neige, essentiels à la survie de l’économie touristique locale et donc à l’avenir de leur commune.

Le référendum est une solution car il permet aux citoyens de s’exprimer, il fait baisser la pression politique parfois écrasante, que ce soit au niveau local ou national.

Vous montrez que le référendum n’est pas un outil « populiste » mais un bon moyen d’améliorer le fonctionnement d’un système démocratique. Pourriez-vous revenir sur cette idée ?

Bien organisé, le référendum peut tout à fait être un outil constructif et favorisant de dialogue. On se focalise beaucoup sur le Brexitpour juger le référendum mais ce n’est qu’un vote parmi d’autres.

Mon analyse du référendum local montre comment son usage a permis de résoudre des conflits latents, de mieux informer les citoyens sur la réalité du travail du maire ou encore d’apporter un soutien de poids à des maires qui se sentent parfois bien seuls… Je pense notamment à la maire d’Ardoix (Ardèche), Sylvie Bonnet, qui racontait comment le référendum local organisé pour changer de communauté de communes avait brisé la solitude qu’elle vivait en tant que maire face à ce projet.

Le référendum local permet de soutenir leur position en lui donnant une légitimité démocratique

Par ailleurs, et on le constate en Suisse et aux États-Unis, les citoyens sont mieux informés et ont plus confiance dans les institutions là où des référendums sont régulièrement organisés. Ce n’est pas une baguette magique qui permettra de résoudre tous les problèmes mais c’est un outil fondamental pour retrouver la confiance.

Comment rendre le référendum plus attractif et plus simple d’utilisation ?

L’idée la plus évidente serait de créer un référendum d’initiative citoyenne locale. Un tel outil permettrait à des citoyens, imaginons 10 % des inscrits, de soumettre au vote une décision municipale ou un projet. C’est ce qui existe notamment en Suisse et permet une pratique soutenue sans pour autant faire exploser le nombre de vote au niveau local.

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Mais dans mon enquête j’ai aussi mis en valeur les lourdeurs réglementaires actuelles, notamment les 50 % de participation nécessaires pour valider un référendum local et rendre contraignant les résultats pour le maire. C’est une condition lourde, qu’il faudrait supprimer pour la simple raison qu’elle n’existe pas pour valider les autres élections. Pourquoi un référendum devrait avoir 50 % de votants pour être validé alors qu’un conseil municipal peut être élu avec 30 % des voix ? En plus, cela permettrait aux maires de garder une forme de souplesse dans l’application d’une décision prise par le peuple.

Enfin, je pense que le plus important est de mieux informer les maires sur cet outil et son fonctionnement concret. Mon analyse vise principalement à cela. La plupart des maires que j’ai interrogés pour mon analyse n’avaient aucun exemple ou aucune feuille de route à laquelle se référer pour organiser leur référendum local.

2. ARTICLE – Référendums locaux : peut-on faire confiance aux citoyens ?

05 / 07 / 2024 Paul CéBILLE GÉNÉRATION LIBRE

GenerationLibre analyse près de 350 référendums locaux et consultations locales depuis 30 ans et esquisse quelques propositions pour développer cet outil de démocratie directe locale.

La pratique des référendums locaux rencontre un certain succès depuis les mouvements en faveur des Gilets Jaunes et du référendum d’initiative citoyenne.

Le référendum local cumule un ensemble de bénéfices, nous explique Paul Cébille, spécialiste du sujet et ancien chef de groupe de l’IFOP : outil à même de corriger les politiques locales sans nécessité de changer le conseil élu, il permet un espace de respiration démocratique au cours d’un mandat de six ans, et permet de résoudre des conflits internes à un conseil municipal.

L’expérience montre ainsi que l’utilisation du référendum local ne repose sur aucune tendance idéologique claire. Sur les 143 référendums locaux et consultations locales organisées depuis 2020, près d’un tiers ont connu un taux de participation supérieur ou égal à celui des élections municipales précédentes, soit un bilan tout à fait positif si l’on met ces taux de participation en perspective avec ceux observés pour des élections classiques ritualisées.

« 2022 aura été une année record pour la démocratie directe locale en France, avec 75 référendums locaux et consultations locales. »

Paul Cébille

Cependant, il pèse sur le référendum local un ensemble de lourdeurs normatives. Contrôlé par le maire, l’outil ne permet pas de révéler l’opinion des citoyens sur l’intégralité des sujets et projets existants, nécessitant de surcroît la participation de 50% des électeurs, sous peine d’être annulé.

Tous ces obstacles ont fait que sur les 130 votes recensés en 2022 et 2023, à peine une douzaine rentraient formellement dans le cadre légal du référendum local, les autres étant généralement organisés sous la forme de consultation locale.

Non protégé juridiquement, le référendum local risque aussi de ne pas être respecté par l’exécutif local, pouvant donc décevoir les citoyens quant à son utilité. Le tout, sur fond d’un grignotage progressif des compétences du maire par le développement des structures intercommunales et la réduction des dotations d’Etat.

Nous esquissons quelques propositions pour améliorer et développer cet outil de démocratie directe locale.

Cette étude s’inscrit dans la continuité des publications de GenerationLibre en faveur de la décentralisation et d’une démocratie locale plus vivace, encore dernièrement avec l’ouvrage « Libérons nos communes ! – Une défense de la subsdiarité ascendante« .

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