
Un système de pouvoir à la fois ultracentralisé et soumis à d’incessants changements de pied
Dans un livre, en librairie depuis le 29 août, l’ex-ministre de l’éducation effectue une plongée rare dans le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, qu’il critique durement, en décortiquant un système de pouvoir à la fois ultracentralisé et soumis à d’incessants changements de pied.
1. ARTICLE – « Tel un ange déchu de la politique, Emmanuel Macron s’est mis à porter une lumière noire » : l’inventaire amer de Jean-Michel Blanquer
Ce fut le « chouchou » du couple Macron, le « cerveau » du président de la République (selon Le Point), l’un des visages du macronisme triomphant, avant la disgrâce. Jean-Michel Blanquer, qui a organisé la première université d’été de son think tank Le Laboratoire de la République, du jeudi 29 au samedi 31 août, à Autun (Saône-et-Loire), en lisière du Morvan, offre dans un livre (La Citadelle, Albin Michel, 415 p., 21,90 euros) une plongée rare dans le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, décortiquant un système de pouvoir à la fois ultracentralisé et soumis à d’incessants changements de pied, inhérent au « en même temps ».
L’ex-ministre de l’éducation ne cache rien de sa fascination première pour ce jeune président de la République disruptif, intelligent et cultivé, partisan du dépassement des clivages. L’homme, qui lui donne un rendez-vous dans le restaurant Je Thé Me à Paris, le séduit d’emblée : un « charmeur de serpent ». Leur relation est au « beau fixe » : rencontres fréquentes, où ils refont le monde, au diapason ; une visite côte à côte du tombeau du Christ à Jérusalem ; un « dîner aux chandelles » au palais de l’Elysée. Surtout, Macron soutient toutes les réformes de son ministre, dont le dédoublement des classes en CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaire, l’une des réformes emblématiques du macronisme. Rien ne paraît résister à l’ancien recteur, qui ne s’interdit pas de penser à Matignon. …
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2. ARTICLE – Jean-Michel Blanquer lance une spectaculaire offensive politique
En publiant un livre choc, dans lequel il règle ses comptes avec Emmanuel Macron et en organisant, du 29 au 31 août, l’université d’été de son think tank, « Le laboratoire de la République », Jean-Michel Blanquer signe son retour dans l’arène politique. Affichant une lutte contre les extrêmes, il a choisi sa cible : LFI, le parti de Jean-Luc Mélenchon, qui a fait l’objet d’un intense pilonnage.
Un plan média bien huilé. Un livre choc, « la Citadelle » (Albin Michel), sur ses premières années flamboyantes à l’Education Nationale et sa tombée en disgrâce auprès d’Emmanuel Macron, avec qui il règle ses comptes, le considérant aujourd’hui comme « un ange déchu de la politique », qui « s’est mis à porter la lumière noire » ; des bonnes feuilles du livre et une grande interview dans « Le Point » ; et la première Université d’été de son think tank, « le Laboratoire de la République » du 29 au 31 août à Autun, une opération promue par l’agence Image 7, d’ordinaire conseil des patrons du CAC 40 et qui soutient gratuitement l’initiative.
Un Jean-Michel Blanquer organise son retour dans l’arène politique. Un peu plus de deux ans après son départ du ministère de l’Education, et alors que la France se cherche toujours un Premier ministre, il a lancé sa « bataille des idées » avec trois jours de gamberge en Saône-et-Loire. Celui qui considère avoir été « livré aux chiens » par une partie de la Macronie à la fin du premier quinquennat, notamment sur le sujet de la laïcité, revient en portant ses idées qui visent, ni plus moins, à sauver la République. « Les démocraties doivent faire vivre cette bataille des idées face aux extrêmes. Elles ont tendance à être passives, à négliger ce combat. On doit prendre le taureau par les cornes ».
Pour engager cette bataille, devant quelque 700 participants, Blanquer, qui veut rassembler tous les adversaires des extrêmes de droite et de gauche, a organisé dix ateliers sur la laïcité, l’immigration ou la « République sociale » et convié quelques stars comme le philosophe Pascal Bruckner ou le physicien Etienne Klein.
La démographie et l’immigration sans tabou
Résultat de ce brainstorming ? Beaucoup d’idées décapantes, sans filtre, avec une volonté de sortir du « politiquement correct ». Exemple frappant : l’immigration. Dans cet atelier, Nicolas Pouvreau-Monti, le directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, a pointé la panne de la natalité en France face à l’explosion de l’immigrationsur laquelle « il ne faut pas fermer les yeux », en insistant sur les avantages sociaux dont bénéficient les migrants, notamment l’AME, l’aide médicale d’Etat, « dispositif unique en Europe ». Jean-Michel Blanquer assume de porter, sans tabou, ce sujet démographie-immigration : « il est négligé par la gauche. C’est une absurdité ». Et lorsqu’un journaliste lui demande s’il ne craint pas de populariser les idées d’Éric Zemmour, sa réponse fuse : « Je m’en fous ».
Sur l’immigration, la laïcité ou le conflit au Proche-Orient, Blanquer a convié beaucoup d’anciens : premier ministre, ministres, dirigeants syndicaux ou hauts fonctionnaires. Si ces « ex » risquent parfois d’être coupés des réalités du pouvoir, ce recrutement a un avantage : une parole plus libre, sans langue de bois.
Un intense pilonnage de LFI, accusé d’antisémitisme
Visant officiellement les extrêmes, cette gamberge a toutefois choisi sa cible : l’extrême gauche en général et la France Insoumise, en particulier, qui a subi un intense pilonnage. Exemples : Eric Danon, l’ancien ambassadeur de France en Israël, a pointé « l’antisémitisme récent » de LFI – celui du RN est plus ancien — dans sa stratégie de conquête électorale des Français musulmans. Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, a lancé à la tribune : « LFI est un parti antisémite. Je ne veux pas vivre dans un pays où des antisémites veulent Matignon ». Quant à Manuel Valls, qui avait dénoncé les « gauches irréconciliables » dès 2016, il a réitéré son diagnostic en pointant l’extrême gauche « qui a remplacé la lutte des classes par la lutte des races ». Et l’ex premier ministre accuse, lui aussi, LFI d’antisémitisme : « c’est la première fois qu’un parti fait de la haine des juifs un argument politique ».
Un manque d’équilibre dans les débats
Jean-Michel Blanquer assume cette focalisation sur l’extrême gauche. Face à une Marine Le Pen discrète, qui joue la dédiabolisation, lui et ses partisans concentrent leurs critiques sur Jean-Luc Mélenchon, au contraire très offensif. Et qui l’avait violemment apostrophé lorsqu’il était ministre de l’Education. Certains participants regrettaient toutefois l’image donnée par les débats, où la stratégie du RN a été singulièrement absente. C’est une limite de l’opération politique de Blanquer : elle manque d’équilibre. Sur l’immigration, rien n’a été dit sur les discriminations, notamment à l’embauche, des immigrés venus d’Afrique. Et sur le conflit au Proche-Orient, les dérives de Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, et les bombardements aveugles de l’Armée israélienne n’ont pas été évoqués.
Alors, au-delà du coup médiatique réussi, l’offensive politique de Blanquer peut-elle se poursuivre ? Son rassemblement des défenseurs de la République de droite et de gauche peut faire mouche, dans un bloc central désarçonné par la dissolution. « Il a choisi la bataille des idées et il a raison », s’exclame l’un des animateurs. Son opération a des airs du macronisme émergent, en 2016, qui voulait sortir des postures dans son « ni de droite, ni de gauche ». Sur l’économie, par exemple, ses experts ont dénoncé les promesses sur le pouvoir d’achat (smic, exonérations d’impôts et de taxes…) portés par tous les partis dans la campagne des législatives. « Le pouvoir d’achat, cela ne se décrète pas », a lâché l’économiste Emmanuel Combe. Et de prôner des mesures favorisant la concurrence et la transparence sur les prix.
Et si c’était lui ? Certains soutiens de Jean-Michel Blanquer, 59 ans, le voient déjà dans la course de 2027. « Tout peut arriver », avertit l’un d’eux. D’ici là, il devra se construire l’image d’un politique dépassant les frontières de l’Education Nationale, le poste qui l’a fait connaître aux Français. A Autun, il s’est exprimé sur la géopolitique, notamment le conflit au Proche-Orient, dénonçant l’oubli de certains conflits comme celui du Kurdistan, où il s’est rendu dans la partie syrienne, ou de l’Arménie. Avec son think tank modeste (3 500 sympathisants, 3 antennes régionales), il veut monter en puissance en lançant des commissions (économie, environnement…), qui vont plancher et proposer. Cela pourrait ressembler à un projet présidentiel du bloc central. Et lorsqu’on lui demande s’il a vraiment envie de revenir en politique, il répond laconiquement : « je reste ouvert à tout ».