
ÉMISSION – Le mensonge : quand on se ment d’abord à soi-même
Mardi 6 août 2024 FRANCE INTER
Est-ce qu’on est dupe du mensonge ? N’abîme-t-il pas plus qu’il n’arrange ? Ne fait-il pas plus mal à celui à qui il s’adresse ? Mais plus le temps passe et plus on finit par se rendre compte que le mensonge fait surtout mal à soi-même, alors essayons aujourd’hui de mieux le comprendre.
Toute vérité n’est pas bonne à dire. Mentir pour faire plaisir, un mensonge anodin, badin, pour ne pas blesser ; Mensonge pieux : comme, ‘j’aime sur toi, cette coupe de cheveux !’ Et puis à l’autre bout du spectre, le mensonge qui compose avec fausse sincérité, franchise et honnêteté…
Le mensonge est pratique tel une carte magique pour contourner un problème, ne pas blesser, s’arranger avec son travail, avec ses proches, avec cette sortie qu’on veut annuler. Un petit mensonge pieux, banal, inoffensif.
Pourquoi le mensonge est si pratique ? Parce que toute vérité n’est pas bonne à dire.
Condamner le mensonge. Posture morale. C’est mal. Et c’est vrai. Mais comment unifier un petit mensonge qui détruit une vie, qui tue la confiance, qui broie sur l’échelle du mensonge : est-ce que tout appartient à la même catégorie ? Est-ce que même le mensonge pratique est à bannir ? Peut-être que oui et il faudrait dire « Je n’ai pas envie de sortir ce soir » ; « Je n’ai pas lu ton livre et je ne le lirai certainement pas » ; « Ce que tu m’as envoyé, je ne l’ai trouvé pas terrible, tu sais ; « Je ne sais pas »…
La devinette littéraire
Qui est ce grand Seigneur méchant homme, qui est aussi l’un des menteurs les plus célèbres de la littérature ?
« Je n’ai pas grande peine à le comprendre moi, et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. (…) Tu vois en (…) mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un démon, un Turc, un hérétique, qui ne croit, ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d’Épicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l’oreille à toutes les remontrances qu’on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons.
Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse, crois qu’il aurait plus fait pour sa passion, et qu’avec elle, il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter, il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains : Dame, Demoiselle, Bourgeoise, Paysanne, il ne trouve rien de trop chaud, ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir.
Tu demeures surpris, et changes de couleur à ce discours ; ce n’est là qu’une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d’autres coups de pinceau (…) un grand Seigneur méchant homme est une terrible chose (…)
Le voilà qui vient se promener dans ce Palais ; séparons-nous ; écoute, au moins, je t’ai fait cette confidence avec franchise, et cela m’est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s’il fallait qu’il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti. (…)
► La réponse est à découvrir en écoutant l’émission…
Lecture longue
La conversation portait surtout sur la chasse (…). La plupart des hommes évoquaient leurs aventures et échangeaient leurs opinions, mais la voix du colonel Capadose était la plus audible du chœur. (…) II semblait, d’après ses remarques, qu’il était très bon cavalier (…) Non pas qu’il se vantât, car ses allusions étaient présentées avec beaucoup de discrétion et de désinvolture ; mais elles concernaient toutes des tentatives fort dangereuses et des catastrophes évitées de justesse.
Lyon remarqua bientôt que l’attention que la compagnie accordait aux remarques du colonel n’était pas directement proportionnée à l’intérêt qu’elles semblaient présenter ; le résultat fut que l’orateur, remarquant que Lyon, du moins, l’écoutait, commença à le traiter comme son auditeur particulier et à fixer les yeux sur lui quand il parlait. Lyon n’avait d’autre alternative que de prendre un air compréhensif et d’acquiescer (…)
Un châtelain des environs avait eu un accident (…) avec des conséquences qui semblaient sérieuses. Il s’était cogné la tête ; aux dernières nouvelles, il était sans connaissance (…) ce qui amena le colonel à confier (…) que, pour sa part, il ne désespérerait d’aucun gaillard, même s’il ne revenait pas à lui pendant des semaines – voire des semaines et des semaines et des semaines – des mois, presque des années. Il se pencha vers Lyon ; Lyon se pencha vers lui pour l’écouter (…)
Cela lui était arrivé en Irlande, des années auparavant ; il était tombé d’une voiture à deux roues et il avait fait un vrai saut périlleux et avait atterri sur la tête. On l’avait cru mort, mais il ne l’était pas (…) il s’en était fallu de peu qu’ils ne le mettent en terre.
Il était resté tout à fait insensible (…) pendant trois mois entiers (…) Et puis un jour, il avait ouvert les yeux – frais comme un gardon ! (…) Lyon trouva son histoire très frappante (…) impressionné par le ton sur lequel celui-ci avait dit qu’il s’en était fallu d’un cheveu qu’on ne l’enterrât vivant.
C’était aussi arrivé à un de ses amis en Inde – un gaillard qui était censé être mort de la fièvre de la jungle -, ils l’avaient flanqué dans un cercueil. Le colonel s’apprêtait à relater la suite du destin de ce malheureux gentleman lorsque Mr. Ashmore fit un geste, de sorte que tout le monde se leva pour gagner le salon. Lyon remarqua qu’à ce moment-là plus personne ne faisait attention à ce que lui disait son nouvel ami. (…)
« Et vous disiez que votre ami fut littéralement enterré vif ? » demanda Lyon, avec une curiosité marquée. Le colonel Capadose le considéra un instant, comme s’il avait déjà perdu le fil de la conversation. Puis son visage s’éclaira (…). « Je vous donne ma parole qu’ils le balancèrent dans la fosse ! » (…)
► Le Menteur, Henry James, 1888, traduit de l’américain par Muriel Zagha, éditions folio, pages 16 à 30 – puis écoutez l’intégralité de l’émission pour écouter le reste de la lecture (des pages 55 à 57).
L’horoscope littéraire
Quel menteur ou menteuse de la littérature êtes-vous ?
- Bélier : Le mensonge paresseux – Vous mentez sans cesse, par facilité, par envie, parce que ça vous arrange – mais ça se voit ! Votre nez s’allonge à chacun de vos mensonges, comme le personnage de Carlo Collodi : Pinocchio. Vous ne trompez plus personne.
- Taureau : le grand mensonge amoureux : vous vous êtes promis de vous attendre, de vous retrouver, de vous aimer. Mais c’est une promesse que vous serez incapable de tenir ! Alors relisez Eugénie Grandet, de Balzac.
- Gémeaux : le mensonge qui ronge, un mensonge trop monstrueux, trop terrible pour l’admettre à qui que ce soit, et puis, un jour, l’aveu, terrible – mais qui libère. Phèdre, de Racine, ma menteuse monstrueuse.
- Cancer : si vous mentez, c’est d’abord à vous-mêmes ! Vous vivez dans votre fantasme : à quand le principe de réalité ? On se plonge dans Gatsby le magnifique, encore et toujours.
- Lion : le mensonge d’opportunité ! Un mensonge presque anodin en entraine un autre, et un autre plus gros encore. Embourbé dans votre mensonge, vous avez bien trop à perdre. Vous êtes : Tom Ripley la personnage fétiche de la romancière Patricia Highsmith. La talentier Mister Ripley devrait vous dire quelque chose.
- Vierge : vous ne mentez pas, non jamais, et peut-être qu’un mensonge social ne vous ferait pas de mal – on appelle cela de la diplomatie, parce qu’on peut aussi mentir par tact, pour éviter les conflits – et pour faire plaisir ! Sur votre liste de lecture les vierges : Le Misanthrope, de Molière
Programmation musicale
- Supertramp – Breakfast in america
- Gringe – Effet de surplomb
- Leyla McCalla – Sun without the heat
- Maroon 5 – This love
- Emma Peters – Empreinte
- Dusty Springfield – You don’t own me
- Flora Hibberd – Auto icon
- Philippe Katherine – Sous mon bob
- Do Good – Burger cool
- Dalida – Paroles
- Lowland Brothers – Shape up
- Vanessa Paradis – Les espaces et les sentiments
LIEN VERS L’ÉMISSION