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LES LIBRAIRIES INDÉPENDANTES : SI PRÉCIEUSES ET SI FRAGILES

ÉMISSION – Les librairies indépendantes, si désirées mais si peu rentables

Mardi 10 septembre FRANCE CULTURE

Il est toujours d’indécrottables rêveurs. L’Ecole de la librairie à Maisons-Alfort ne désemplit pas, entre la formation continue, les reconversions ou les alternances. 

Avec

  • Nicole Vulser Journaliste au Monde

Chaque année pourtant, les enseignants mettent en garde les 1400 nouveaux élèves et foulent au pied toutes les idées romantiques qui entourent cette profession. On leur assure qu’ils n’auront pas le temps de lire sauf le dimanche, le lundi ou le soir. Qu’ils passeront leur vie à soulever des cartons lourds au risque d’attraper des lumbagos. Qu’ils souffriront. Qu’ils gagneront à peine de quoi vivre…

Et si ce tableau bien noir ne suffisait pas, les élèves qui font leur rentrée pourront lire les conclusions de la dernière étude de Xerfi parue en juin sur les librairies indépendantes en France. « C’est l’un des commerces les moins rentables » assène l’auteur. Dans un classement où figurent 14 professions, celle des libraires arrive en queue de peloton, à la douzième position. Avec un bien maigre 1,1 % de rentabilité par rapport au chiffre d’affaires, les vendeurs de livres arrivent certes à faire mieux que les fleuristes et les marchands de chaussures. Mais ils sont à des années lumière de l’opulence des opticiens, des boutiques de parfums, de maroquinerie, de bijoux ou de jeux…

Pour peut-être donner un tout petit espoir à ces élèves, cette étude précise que les libraires bénéficient d’un taux de défaillance bien inférieur à celui de l’économie française. Ils font donc moins faillite et mettent moins la clé sous la porte. Piètre consolation.

Un métier attractif

Contrairement à ce que pourrait laisser penser un tel tableau, ce n’est pas du tout par sado-masochisme mais bel et bien parce qu’ils déclarent vouloir « donner un sens à leur vie professionnelle »  qu’autant de volontaires souhaitent se lancer ou se reconvertir dans cette profession. Des vrais passionnés donc, prêts à abandonner une première carrière souvent plus rémunératrice mais qu’ils jugent ennuyeuse. Caroline Meneguetti qui dirige L’Ecole des libraires voit beaucoup de candidats de ce genre, de plus en plus jeunes, qui souvent ont envie de s’installer sur les lieux de leur enfance. Cette année elle a compté un avocat, une professeure agrégée, un chef de projet en urbanisme…

Après le Covid, période bénie mais éphémère pour la vente des livres, plus de 500 nouvelles librairies ont vu le jour, dont une majorité dans des petites villes, avec un tropisme pour la côte ouest et le couloir rhôdanien. Pour diversifier leur chiffre d’affaires et fidéliser leurs clients, un quart de ces magasins proposent aussi un espace café.

Un commerce singulier

Des aides publiques importantes permettent de passer le cap de la reprise ou de l’ouverture d’une librairie en France, mais après, les deux premières années s’avèrent souvent très difficiles pour le porte-monnaie. Selon une autre étude d’Axiales, dressant le bilan des créations de librairies entre 2019 et 2023, seuls 40 % des libraires ayant ouvert avant 2022 touchent plus d’un SMIC.

Les librairies sont l’un des rares commerces qui pratique un retour de la marchandise non vendue. Les nouveautés sont exposées ou mises en rayon pendant plusieurs mois avant d’être renvoyées à l’éditeur si elles n’ont pas été achetées. Ce système permet de donner une chance aux livres de s’imposer dans la durée. Le renvoi de ces ouvrages à l’éditeur, qui concerne moins d’un livre sur cinq, coûte toutefois cher au libraire.

Les 3500 librairies indépendantes représentent un peu plus de 38 % des ventes de livres dans l’Hexagone, le reste étant assuré par les grandes surfaces culturelles (Fnac, Cultura, Leclerc…), les gros opérateurs de ventes en ligne (Amazon, Apple…) et les grandes surfaces alimentaires (Carrefour, Auchan, Système U…). Un chiffre en trompe l’oeil puisque ce pourcentage peut atteindre entre 60 et 90 % des ventes en librairie pour certains types d’ouvrages, comme les sciences humaines, la littérature étrangère, la poésie ou le théâtre.

Une situation périlleuse

La concurrence avec les autres vendeurs de livres s’avère particulièrement violente. Le coeur du sujet concerne la remise accordée par les éditeurs aux libraires, ce qui reste dans leur poche après la vente d’un livre. Selon Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française, « Leclerc, Amazon, la Fnac et Cultura bénéficient des remises qui vont de 40 à 46 % , un seuil bien plus élevé que pour les grosses libraires ». Les petits libraires eux, subissent une double peine, puisqu’ils touchent encore moins que leurs confrères bien installés.

Seule une poignée d’éditeurs, comme Gallimard, Editis, Actes Sud, Libella ou L’Ecole des loisirs, conscients de ce problème, garantit un minimum de 36 % à chaque librairie. La loi sur le prix unique du livre prévoit pourtant que les éditeurs doivent tenir compte, dans leur remise commerciale, de la qualité des services rendus par les détaillants en faveur de la diffusion du livre. Elle n’est pas appliquée, mais le syndicat de la librairie française ne veut pas porter l’affaire en justice. Il en va pourtant d’un enjeu culturel majeur, demain y aura-t-il encore assez de librairies pour vendre des livres exigeants ?

LIEN VERS L’ÉMISSION

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