
VOIR NOTRE DOSSIER PARTIES 1 ET 2
LA PROPORTIONNELLE EST ELLE NÉCESSAIRE AU RENOUVEAU DE LA DÉMOCRATIE FRANÇAISE ? – OSERA-T-ON LA VOTER ? – DOSSIER –
PARTIE 3 :
1. – La France est-elle le seul pays européen « à ne pas faire élire ses députés à la proportionnelle » ?
2. – Listes départementales, scrutin à un tour… Vers une introduction de la proportionnelle aux législatives ?
3. – Marie-Anne Cohendet, constitutionnaliste : « Adopter la proportionnelle serait la voie de la sagesse »
4. – La proportionnelle, un moyen de sortir de la crise démocratique ?
5. – Le scrutin proportionnel est-il vraiment intéressant pour le RN ?
1. ARTICLE – La France est-elle le seul pays européen « à ne pas faire élire ses députés à la proportionnelle » ?
TF1 Par Caroline QUEVRAIN le 10 septembre 2024
Le retour à un scrutin à la proportionnelle pour les législatives fait débat dans la classe politique.Selon Marine Le Pen, la France fait d’ailleurs figure d’exception parmi ses voisins européens.C’est le cas dans l’Union européenne, depuis le Brexit.
C’est à la faveur d’une certaine instabilité politique que le débat ressurgit en France : et si une dose de proportionnelle était intégrée aux élections législatives ? Plusieurs responsables politiques plaident à nouveau pour ce mode de scrutin qui, selon eux, donnerait une représentation plus juste à l’Assemblée nationale. Lors de sa conférence de rentrée le 8 septembre, Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée, y a vu un « impératif pour un mode démocratique sain » et a affirmé que « nous sommes tout de même le seul pays en Europe à ne pas faire élire nos députés à la proportionnelle ».
Le RN plaide donc pour changer le mode de scrutin, tout comme le Nouveau Front populaire (NFP), qui avait ajouté la mesure à son programme conçu pour les législatives anticipées. Déjà en 2017, un certain Emmanuel Macron en avait fait un engagement de campagne. Le chef de l’État a eu l’occasion récente de réaffirmer cette volonté d’en introduire lors de l’élection des députés. Mais qu’en est-il du mode de scrutin des autres pays de l’Union européenne ? Comment élisent-ils leurs députés ?
Un principe consacré par la Constitution de 10 pays
D’abord, il convient de différencier les modes de scrutin majoritaire et proportionnel. Le premier « permet l’élection de celui ou de ceux qui ont obtenu le plus de voix », tandis que le second « attribue les sièges selon le nombre de voix », comme le rappellele site gouvernemental Vie Publique.
Aujourd’hui, le scrutin proportionnel est très largement majoritaire chez nos voisins européens. Comme le souligne le Conseil constitutionnel, son principe est même consacré dans la Constitution de dix pays : l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et le Portugal. Ces pays n’accordent pas cependant la même place à la proportionnelle dans leurs élections, certains en intégrant plus que d’autres dans le scrutin. Quatre autres États ont mis en place un système mixte, combinant le fait majoritaire et proportionnel : il s’agit de la Hongrie, de l’Italie, de la Lituanie et de l’Allemagne. Une liste retranscrite ici, par le site spécialisé Toute l’Europe. https://739afeae1c50d8a1a1fca8bbfa66cbe8.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-40/html/container.html?n=0
La France, l’exception de l’Union européenne
Le Royaume-Uni, lui, consacre le fait majoritaire à un tour pour ses élections législatives. Mais depuis son départ de l’UE, la France est le seul État-membre à ne pas intégrer de proportionnelle pour l’élection de ses députés, avec un vote majoritaire à deux tours. Une exception française qui a pour origine sa propre histoire politique, comme le souligne Vincent Couronne, docteur en droit public et membre fondateur des Surligneurs : « Sous la IIIe République, le mode de scrutin était déjà principalement majoritaire. Puis l’expérience de l’instabilité sous la IVe République a poussé les rédacteurs de la Constitution de la Ve à préserver ce mode qui favorise les majorités stables ».
Face au blocage d’une Assemblée nationale sans véritable majorité, des voix s’élèvent désormais pour réintégrer ce système dans le processus électoral. Une exception a cependant été observée sous la Vᵉ République : en 1986, les législatives se sont déroulées sous le principe de la proportionnelle et ont permis l’entrée du Front national dans l’hémicycle, avec 35 députés élus.
2. ÉMISSION – Listes départementales, scrutin à un tour… Vers une introduction de la proportionnelle aux législatives ?
Selon les informations d’Europe 1 l’Élysée et Matignon planchent sur la proportionnelle intégrale par listes départementales, avec l’objectif d’assurer une bonne représentativité politique tout en conservant un ancrage territorial. Mais ce mode de scrutin ne garantirait pas forcément une majorité absolue dans l’hémicycle.
« Si c’est une solution, je ne me l’interdis pas », avait déclaré Michel Barnier la semaine dernière au 20H de TF1 . Le Premier ministre parlait ici de la mise en place de la proportionnelle lors des élections législatives . Une réforme du mode de scrutin, réclamée par de nombreuses personnalités politiques, qui garantirait une représentation politique plus fidèle au vote des Français à l’Assemblée et permettrait de surmonter des blocages comme celui né des dernières élections. https://d-3702649183946045965.ampproject.net/2408291337000/frame.html
En déplacement au Havre jeudi, Emmanuel Macrons’est dit favorable à une réflexion sur le sujet. En théorie, il existe de multiples méthodes de proportionnelle, avec des modalités d’application très différentes. Mais selon les informations d’Europe 1, l’Élysée et Matignon planchent sur la proportionnelle intégrale par listes départementales, avec l’objectif d’assurer une bonne représentativité politique tout en conservant un ancrage territorial.
Un scrutin à un tour
Ce modèle de proportionnelle a été utilisé une seule fois sous la cinquième République pour des législatives, à l’initiative de François Mitterrand en 1986. Concrètement, il n’y aurait plus de circonscriptions telles que nous les connaissons aujourd’hui et les partis présenteraient à la place des listes de candidats par départements et récolteraient un nombre de sièges proportionnel au nombre de voix récoltées.
>> LIRE AUSSI – INFO EUROPE 1 – Les dessous de la nomination de Michel Barnier, avec la proportionnelle comme condition
Le scrutin serait à un seul tour et il y aurait un taux minimum, probablement fixé à 5%, pour obtenir des élus, ainsi qu’une prime à la liste arrivée en tête pour éviter une assemblée trop fragmentée. Ce mode de scrutin ne garantirait pas forcément une majorité absolue dans l’hémicycle et le risque d’instabilité. C’est d’ailleurs le grand reproche généralement adressé à la proportionnelle.
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3. ARTICLE – Marie-Anne Cohendet, constitutionnaliste : « Adopter la proportionnelle serait la voie de la sagesse »
Marie-Anne Cohendet Constitutionnaliste LE MONDE. Publié le 03 septembre 2024
La professeure de droit constitutionnel estime, dans une tribune au « Monde », que le refus du compromis politique, qui persiste en France, à la différence des autres pays d’Europe, provient en grande partie des pouvoirs excessifs du président et du mode de scrutin.
La gauche a gagné les législatives car sa coalition a le plus grand nombre de députés. Elle est majoritaire, même si sa majorité n’est que relative. Le président de la République aurait donc dû confier la direction du gouvernement au leader qu’elle s’est choisi, Lucie Castets. Dans un autre pays de l’Union européenne (UE), le Nouveau Front populaire aurait voulu et pu rechercher des compromis avec d’autres partis. Il aurait aussi pu former un gouvernement dit « minoritaire », ne disposant pas d’une majorité absolue mais qui n’est pas renversé par les autres. Mais les partis français s’opposent au compromis, au point de risquer une situation de blocage et une crise grave. Ils restent crispés sur leur programme, chacun rêve de l’Elysée et d’une majorité absolue en 2027. C’est pour cette raison, et parce que le président veut garder la maîtrise de l’agenda politique, que la formation du gouvernement tient du casse-tête chinois. Or ces deux facteurs résultent largement du mode de scrutin.
En démocratie, le pouvoir implique responsabilité. C’est pourquoi, comme tous les autres Etats de l’UE sauf Chypre, la Ve République établit un régime qui est parlementaire, du seul fait qu’elle organise la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Ainsi, selon notre Constitution, le gouvernement est puissant, c’est lui, et non pas le président, qui détermine et conduit la politique de la nation (article 20), sous la direction du premier ministre (article 21) parce qu’il est légitimé et contrôlé en permanence par les représentants du peuple (articles 49 et 50).
Au contraire, le président est un garant et un arbitre (article 5) même s’il est élu directement par le peuple, il n’a pas de responsabilité purement politique (article 68). Qu’en est-il en fait ? Dans les autres régimes parlementaires de l’UE, c’est le premier ministre qui dirige …
…/…
4. ARTICLE – La proportionnelle, oui, mais pour quoi faire ?
Pierre-Gaël Jeangène CONTREPOINTS
La polarisation politique et territoriale met en échec le système électoral majoritaire français, plongeant le pays dans un no man’s land institutionnel. La France est face à un dilemme historique : réactiver son système majoritaire par le césarisme, ou consentir à adopter un modèle consensuel.
Depuis quelques semaines, on ne compte plus les tribunes et interventions de politiques ou intellectuels en faveur de la proportionnelle, dont on vante à juste titre la capacité à mieux représenter la diversité de la société et à offrir un vote plus sincère. Toutefois, le débat autour de la proportionnelle masque les vrais enjeux et n’est pas dénué de faux-semblants. Compte tenu des innombrables variantes de ce mode de scrutin, passer à la proportionnelle n’a aucun sens précis d’un point de vue institutionnel. Et surtout, la seule démarche sérieuse consiste d’abord à définir l’architecture des pouvoirs que l’on estime la plus adaptée, et à ensuite en déduire les changements nécessaires, dont ceux portant sur le mode de scrutin. Car au-delà des modalités d’élection de nos représentants, ce qui est en cause est bien le modèle de gouvernance d’un pays secoué par des divisions politiques et sociales de plus en plus marquées.
La doctrine retient deux modèles de gouvernance, selon que l’on considère les clivages politiques comme étant dépassables ou indépassables : la démocratie consensuelle d’un côté, et la démocratie majoritaire de l’autre.
Théorisés dans la seconde moitié du XXe siècle et analysés par Arend Lijphart dans son ouvrage Patterns of Democracy (1999), c’est dans la manière dont nous pratiquons et envisageons ces modèles en France que réside le cœur de la crise démocratique actuelle, et sa résolution.
Modèle consensuel contre modèle majoritaire
Le premier modèle, la démocratie consensuelle, part de l’hypothèse que les divisions politiques peuvent être surmontées. Ce modèle est basé sur des modes de scrutin qui reproduisent au Parlement la diversité des opinions de la société, et repose sur de délicates négociations post-électorales entre blocs antagonistes en vue de former une majorité. En faisant bénéficier le gouvernement d’une assise électorale plus large et plus inclusive, le modèle consensuel gratifie le pouvoir en place d’une indiscutable légitimité pour une action plus stable sur le long terme. On reconnaît ici le modèle allemand, qui est aussi celui de la majorité des régimes parlementaires européens.
Le second modèle, la démocratie majoritaire, principalement pratiqué en France et au Royaume-Uni, est basé sur le postulat que les clivages politiques sont trop forts pour être dépassés. Ce modèle est donc pensé pour concentrer le pouvoir dans les mains du bloc arrivé en tête aux élections, même si celui-ci n’est soutenu que par une faible proportion de l’électorat. Réputé engendrer des gouvernements plus homogènes et donc plus efficaces, le modèle majoritaire souffre néanmoins d’un défaut majeur : la légitimité des gouvernants est émoussée par la distorsion de la représentation, ce qui peut aggraver la défiance envers les élus et les institutions.
La dépendance française à un modèle majoritaire en panne
Probablement parce qu’elle a été conçue dans une période agitée par de forts clivages sociaux, la Cinquième République fonctionne pleinement sur le modèle majoritaire. Tout a été conçu pour que le sort de la nation française ne soit jamais suspendu à une improbable union de forces discordantes. Notre pratique présidentialiste est la pièce maîtresse de ce modèle majoritaire : élire un chef politique unique pour cinq années assure d’être à l’abri des divisions. De manière générale, toutes les élections organisées en France, y compris les élections municipales, départementales et régionales, n’ont pas été conçues pour représenter fidèlement la diversité des électeurs mais pour désigner des gagnants immédiatement capables de régner sans nécessité de compromis, dévoilés le soir de l’élection, à 20 heures.
Le mode de scrutin des législatives ne fait pas exception. Son objectif assumé est d’exclure les petits partis sans attache territoriale et de donner une majorité confortable au bloc le moins minoritaire. Mais il échoue depuis 2022 à accomplir cette mission. Il est en panne, et l’est probablement pour longtemps, tant le territoire national semble irrémédiablement se morceler en bastions politiques mutuellement exclusifs.
Face à cette Assemblée fragmentée, certains espèrent qu’une dynamique coalitionnelle surgisse. Mais c’est une vue de l’esprit : un système conçu pour fonctionner sans coalition est le moins apte à en construire une. Concrètement, les députés élus n’ont aucun intérêt à s’allier et constituer un fragile gouvernement doté d’un programme rapiécé, en situation de semi-cohabitation avec un président élu pour appliquer le sien et déterminé à garder son cap. Et rien dans notre système n’encourage ni ne contraint les députés à une telle initiative.
Les tourments provoqués par le nouveau type de régime que l’on voit se structurer insidieusement depuis 2022, et que l’on pourrait baptiser le présidentialisme minoritaire, sont désormais assez intenses pour que, peut-être, un consensus émerge : affronter les enjeux cruciaux auxquels notre pays fait face nécessite une transformation du système institutionnel pour s’assurer de toujours pouvoir disposer d’un cap clair et d’un gouvernement pleinement légitime, efficace et stable.
Pour surmonter la crise actuelle de la représentation, il nous faut choisir résolument l’un des deux modèles de gouvernance, et le mode de scrutin qui va avec. Et la proportionnelle peut servir dans les deux cas.
Réactiver le modèle majoritaire (proportionnelle avec prime) : une manœuvre séduisante mais dangereuse
La première option, de loin la plus simple, serait de conserver le modèle majoritaire français et de redonner sa chance à l’agencement présidentialiste, en corrigeant le mode de scrutin des législatives pour qu’il produise à nouveau l’effet winner-take-all recherché. À cette fin, et compte tenu de l’intensification des polarisations politiques et territoriales, la seule stratégie efficace serait l’adoption de la proportionnelle aux législatives, accompagnée d’une prime majoritaire élevée. Ce type de procédé, déjà utilisé pour les élections municipales et régionales, diviserait l’Assemblée en deux, avec une première partie élue à la proportionnelle et une seconde partie (20 % ou davantage) attribuée entièrement au bloc arrivé en tête.
En l’état actuel des forces, la proportionnelle avec prime majoritaire accorderait une écrasante majorité de députés au Rassemblement national, raison pour laquelle ce parti est le seul à y être favorable (Marine le Pen l’avait proposé en 2022 avec une prime d’un tiers, soit un bonus de 192 sièges pour le premier bloc).
En aggravant les travers du régime actuel et en permettant à des clans minoritaires possiblement extrémistes de régner sans partage, la proportionnelle avec prime majoritaire a tout d’une solution efficace et commode, mais formidablement paresseuse et déraisonnable. Si ce mode de scrutin était adopté, il devrait, a minima, être accompagné de nouveaux garde-fous institutionnels (renforcement des contre-pouvoirs et constitutionnalisation des droits et libertés fondamentaux) pour prémunir les citoyens des risques de dérive.
Par ailleurs, ce procédé ne garantirait pas au président élu d’avoir sa majorité, mais pourrait également se traduire par une (nette) cohabitation en début de mandat. Seule la fusion des élections présidentielles et législatives (en un seul tour) permettrait (toujours à l’aide de ce mécanisme de prime) de donner d’office une majorité au président élu et de faire donc persister la sacro-sainte pratique présidentialiste majoritaire, nous plongeant de facto dans un régime césariste.
Basculer vers le modèle consensuel (proportionnelle intégrale) : un bouleversement des équilibres constitutionnels
La seconde option consisterait à basculer vers le modèle de la démocratie consensuelle. Mais l’intoxication de la France au modèle majoritaire étant très profonde, ce revirement impliquerait trois lourdes transformations.
D’abord, adopter la proportionnelle dite intégrale (sans prime, avec un seuil inférieur à 5 % et des circonscriptions régionales) pour que l’Assemblée reflète fidèlement tous les courants, renforçant ainsi sa légitimité.
Ensuite, il faudrait s’assurer que l’Assemblée ainsi constituée, forcément divisée, construise effectivement des coalitions parlementaires majoritaires. On a pu constater pendant l’été 2024 que cela n’avait rien d’évident. Le seul levier vraiment efficace serait de contraindre les députés au compromis sous peine d’être congédiés. Par exemple : fixer dans la Constitution un délai de 30 jours pour qu’une coalition majoritaire soit constituée et investie par l’Assemblée, et déclencher une dissolution automatique en cas d’absence d’investiture une fois le délai écoulé.
Enfin, le troisième changement serait le plus délicat : il s’agirait de déconstruire et reconstruire la fonction présidentielle. Car en consacrant la prééminence politique de l’Assemblée, le modèle consensuel entre en contradiction flagrante avec notre pratique présidentialiste. La mauvaise habitude consistant à élire un président-gouvernant avec un programme législatif devrait donc cesser.
Il se trouve que la Constitution confère au président plusieurs pouvoirs qui, utilisés de manière extensive et désinhibés, deviennent des pouvoirs vassalisateurs : la nomination du Premier ministre, la dissolution, la présidence du conseil des ministres et les pouvoirs exceptionnels. La pleine réalisation du modèle consensuel exigerait donc de placer le président sous un dôme de confinement constitutionnel en atténuant ou conditionnant ces quatre pouvoirs propres.
Mais qui briguerait une magistrature suprême ainsi déshabillée ? Une fois déconstruite, la fonction présidentielle devra être redéfinie. Doit-on constitutionnaliser le domaine réservé et circonscrire le rôle du président à l’international ? Peut-on lui confier la mission d’oxygénation de la démocratie ?
Si on voulait l’adopter, cette option consensuelle exigerait donc de réviser le cœur du réacteur constitutionnel (a minima les articles 5, 8, 9, 12, 16 et 49), abritant les dispositions normatives les plus essentielles et les plus sacralisées de la Cinquième, quasiment inchangées depuis 1958. Autant dire qu’il s’agit là d’un scénario cohérent mais extrêmement ambitieux.
S’arrêter au milieu du gué, en optant pour la proportionnelle sans réviser la Constitution, dans une démarche mono-paramétrique, ne réglerait rien au problème et risquerait au contraire d’aggraver les affres du présidentialisme minoritaire, en jetant une Assemblée émiettée et passive dans les griffes d’un président aux pouvoirs intacts.
La question de fond n’est donc pas de savoir s’il faut passer à la proportionnelle, mais plutôt si nous voulons continuer à exacerber notre système majoritaire à l’aide de procédés de distorsion toujours plus clivants et dangereux, jusqu’à flirter avec le césarisme, ou nous sentons-nous suffisamment matures pour faire enfin le deuil du présidentialisme et le pari du consensus ?
Un débat sur la proportionnelle devrait s’ouvrir prochainement au Parlement. Chacun doit jouer cartes sur tables en assumant les implications institutionnelles de ses propositions (notamment sur l’équilibre des pouvoirs et l’avenir de la pratique présidentialiste), et à la fin, le peuple doit pouvoir trancher lui-même, par référendum.
5. ARTICLE – La proportionnelle, un moyen de sortir de la crise démocratique ?
Par Mathis Hardouin. Publié le 10 juillet 2024 NOUVEL OBS
Décryptage Régulièrement discuté, le passage du scrutin majoritaire au scrutin proportionnel est de nouveau au goût du jour. Pensée pour faire face au malaise démocratique, la mesure pourrait être l’une des premières à trouver une majorité dans la nouvelle Assemblée.
Et si la proportionnelle était la première pierre transpartisane du monde politique de l’après 18 juillet ? La semaine prochaine débute la 17elégislature de la Ve République avec une nouvelle Assemblée fracturée en trois blocs, sans qu’aucun n’ait atteint un nombre suffisant de députés pour gouverner seul.
Dans ce moment d’incertitude politique, l’introduction du scrutin proportionnel aux élections législatives s’invite à nouveau dans le débat public, pensé comme jalon vers une sortie de crise. La mesure est inscrite dans le programme du Nouveau Front populaire, qui dispose d’une majorité (très) relative. Elle ne nécessite qu’une simple loi électorale, et non une révision de la Constitution ou le passage à une VIe République.
Même si le RN, qui n’est plus autant pénalisé par le scrutin majoritaire, n’en fait plus une priorité comme le souligne « Libération », la volonté d’instaurer la proportionnelle est partagée au-delà des affiliations partisanes.
A l’inverse du scrutin majoritaire, dans lequel un élu est désigné à la majorité, le constitutionnaliste Benjamin Morel rappelle que « le mode de scrutin proportionnel conduit à répartir les sièges en fonction du pourcentage de voix, en proportion du pourcentage de voix ». « En d’autres termes, si vous faites 30 % des voix, vous obtenez théoriquement 30 % des sièges », souligne le maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
« Il y a mille façons de concevoir la proportionnelle, avec plusieurs modalités », continue le juriste, qui cite les seuils de représentation. « En Allemagne, ne sont représentés que les partis qui font plus de 5 %. Cela permet de limiter le nombre de groupes et de rendre l’ensemble plus gérable. » Autre modalité, la prime majoritaire : « Un certain nombre de sièges est réservé à la liste ou à l’alliance arrivée en tête. »
Il existe aussi la proportionnelle à deux tours. « Au second tour ne peuvent se maintenir que les listes ayant dépassé un certain seuil », rappelle le constitutionnaliste.
« Enfin vous avez la diminution de la taille des circonscriptions. Le département est un échelon qu’on a retenu historiquement, sous la IV République et en 1986, parce que c’est un échelon qui donnait à la proportionnelle un effet très majoritaire et limitait la puissance des petits partis », conclut-il.
« La proportionnelle peut aider »
Déjà expérimenté sous la présidence de François Mitterrand en 1986, le scrutin proportionnel départemental fait une nouvelle fois son chemin. Le texte avait été instauré pour affaiblir la droite aux législatives de 1986, tout en permettant la percée du Front national, avec 35 députés.
Lors de la première cohabitation de la Ve République, le gouvernement de Jacques Chirac supprima la proportionnelle et revint au scrutin majoritaire dès 1988.
Seul passage à la proportionnelle depuis 1958, ce précédent de 1986 occupe le cœur des débats. « Pendant très longtemps en France, on a résisté au scrutin proportionnel en se disant qu’il favoriserait la représentation du RN. Mais le scrutin majoritaire produit un effet de loupe pour le parti arrivé en tête, et le RN finira par en profiter », souligne Marie-Anne Cohendet. « Exceptée la France, tous les pays de l’UE ont un scrutin soit proportionnel, soit mixte », reprend-elle.
Les opposants de la mesure agitent aussi le fantôme de la IVe République, caractérisée par une très grande instabilité politique. « Sauf qu’on n’a pas la même Constitution. Sous la Ve République, on a une Constitution avec des processus de rationalisation du parlementarisme qui permettent de gouverner malgré une majorité simple ou difficile à constituer », reprend la professeure de droit constitutionnel l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne.
Au printemps dernier, Yaël Braun-Pivet a rouvert le débat du scrutin proportionnel aux élections législatives, en se disant favorable à une dose de proportionnelle aux législatives. En parallèle, les Insoumis ont déposé une proposition de loi en avril pour l’élection des députés à la proportionnelle intégrale. D’autres propositions de loi ont été déposées depuis 2022 pour un scrutin proportionnel aux élections législatives, restées lettres mortes jusqu’à maintenant. Des réponses pertinentes à la crise démocratique ou un simple pari électoraliste ?
Selon Benjamin Morel, « la proportionnelle peut aider ». « On l’a vu lors de ces deux dernières semaines, les électeurs se mobilisent quand il y a un enjeu. L’avantage avec le scrutin proportionnel, c’est qu’il y a toujours un enjeu. Un parti n’est jamais complètement écrasé et n’est jamais totalement triomphant. Même si l’élection est perdue pour mon camp, j’ai quand même l’enjeu du fait qu’il ne perde pas trop. A partir de là, il y a une stimulation de la participation », expose le constitutionnaliste.
« Mais il ne faut pas non plus se mentir. Nos problèmes ne sont pas qu’institutionnels. Ce n’est pas qu’une question de mode de scrutin. Pas plus que la proportionnelle n’est responsable de la chute de la IVe République, le scrutin majoritaire n’est responsable du blocage actuel. C’est quelque chose de plus profond, qui est lié au paysage politique », nuance-t-il.
Vers une « proportionnelle départementale » ?
Interrogé sur LCI lundi 8 juillet sur la possibilité d’un dialogue entre les différentes forces à l’Assemblée, Jean-Luc Mélenchon a mis en exergue cette « proportionnelle départementale, loi de 1986 ». « Voilà un exemple », a lancé l’Insoumis, en ajoutant que « si le Nouveau Front populaire dépose une telle loi, on peut penser qu’elle recevra immédiatement le renfort de monsieur Bayrou. Et par conséquent nous aurons une majorité pour le faire voter ».
L’adoption du scrutin proportionnel sur une base territoriale a aussi fait l’objet d’une tribune dans « Le Monde », signée le 2 avril dernier par des personnalités de gauche et du centre, parmi lesquelles figurent le sénateur écologiste Yannick Jadot, la porte-parole du PS Chloé Ridel, Bertrand Pancher, ancien président du groupe LIOT à l’Assemblée ou encore la secrétaire générale du MoDem Maud Gatel.
Marie-Anne Cohendet a aussi signé cet appel. Pour la constitutionnaliste, « la proportionnelle départementale ou régionale limite les effets de division des partis, tout en favorisant la diversité dans la représentation des personnes. Plus la taille des circonscriptions est grande, plus les effets de la proportionnelle entraînent la division des partis », explique-t-elle.
Cité par Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou a fait du scrutin proportionnel sa marotte. S’inscrivant aussi dans la lignée du texte de 1986, le président du MoDem défend de longue date la proportionnelle départementale, préconisant un seuil de 5 % des suffrages.
Benjamin Morel estime que « l’échelon départemental pose tout de même des problèmes. Par exemple, en Lozère, on élit un seul député. En fait, dans ce département, la proportionnelle devient un scrutin majoritaire à un tour : celui qui arrive en tête l’emporte. »
Même s’il reste à s’accorder sur ses modalités, le sujet prend dans l’immédiat les airs d’un dialogue inaugural quant aux prochains débats à l’Assemblée, où les recherches de majorité se feront texte par texte dans l’espoir d’éviter la paralysie.
« Le chemin peut se trouver », a affirmé François Bayrou, lundi 8 juillet au micro de France Inter. « Ces blocages devront être levés pour faire des pas les uns vers les autres ». L’adoption du scrutin proportionnel pourrait être le premier de ces pas.
5. ARTICLE – Le scrutin proportionnel est-il vraiment intéressant pour le RN ?
Georges Le Breton. 10 septembre 2024 BOULEVARD VOLTAIRE
L’instauration de la proportionnelle aux élections législatives est une position ancienne du Rassemblement national. Ainsi, la 11e proposition du programme présidentiel de Marine Le Pen, en 2022, visait à « instaurer le référendum d’initiative citoyenne et mettre en place la proportionnelle », tandis que Jordan Bardella avait rappelé, lors des rencontres de Saint-Denis du 31 août 2023, les positions du RN incluant, notamment, « l’instauration d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ».
On a donc noté avec intérêt que le nouveau Premier ministre Michel Barnier, dont on dit ou on suppose que l’absence d’hostilité radicale du RN à sa personne a pesé sur son choix par Emmanuel Macron, a indiqué le 6 septembre, sur TF1, que le changement de mode de scrutin législatif ne constituait pas une ligne rouge. « Si la proportionnelle en partie est une solution, je ne me l’interdis pas, mais j’ai besoin de discuter avec tous les groupes politiques. »
Mais quel est l’intérêt électoral ou politique du RN pour un tel changement du mode de scrutin ? On peut ainsi regarder le sujet par rapport à trois types de systèmes électoraux : l’actuel scrutin uninominal à deux tours, le scrutin majoritaire à un tour de type britannique et, enfin, le scrutin proportionnel souhaité par le RN.
Scrutin uninominal à deux tours
Les élections législatives françaises fonctionnent aujourd’hui sur cette base, avec possibilité pour tous les candidats ayant obtenu un score représentant 12,5 % des électeurs inscrits de se maintenir au second tour… ou pas, comme cela s’est passé au second tour de juillet 2024, avec les désistements massifs du front républicain qui était, de fait, un front anti-RN allant de LFI à LR. La question qui se pose est de savoir si le RN pourrait obtenir une majorité absolue dans la foulée d’une élection présidentielle victorieuse ? C’est ce qui s’est passé 4 fois sur 5 (2002, 2007, 2012, 2017) depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Le seul cas où cela n’a pas fonctionné est l’élection législative de 2022, qui est également le seul cas où un Président sortant s’est présenté et a gagné l’élection présidentielle. Donc, il n’est pas sûr que le scrutin actuel soit systématiquement et irrémédiablement défavorable au RN.
À ce sujet — Législatives : imprévision sondagière et système électoral
Scrutin majoritaire à un tour
Le candidat qui recueille le plus de voix gagne l’élection quel que soit son score. C’est le scrutin britannique first past the post qui dégage le plus souvent, au Parlement, une majorité de gouvernement claire comme celle du Parti travailliste, suite aux élections de juillet 2024. Charles Millon a récemment indiqué sa préférence pour ce système dans une tribune du Figaro : « Je suis pour l’élection des députés au scrutin majoritaire à un tour, pour obliger les grands courants politiques – appelons-les la droite et la gauche, pour faire simple – à gérer leurs extrêmes. » La simulation faite sur Boulevard Voltaire dans une contributionpassée conclut d’ailleurs que le RN aurait obtenu 297 députés avec ce système, soit la majorité absolue, calcul basé sur les votes du premier tour du 30 juin 2024.
Scrutin proportionnel
Il faut d’abord rappeler qu’il y a de nombreuses variantes de ce scrutin, très fortement utilisé partout dans le monde : unique circonscription nationale, multiples circonscriptions (le département pour les élections législatives françaises de 1986), méthode de la plus forte moyenne, méthode du plus fort reste… Il demeure qu’il est extrêmement improbable qu’un seul parti remporte plus de la moitié des voix, notamment dans le cas d’une circonscription nationale unique. Ainsi, le RN aurait obtenu, en juin 2024, 192 députés, près d’une centaine de moins que les 289 nécessaires à la majorité absolue. Il y a, toutefois, une exception dans l’histoire électorale française : la majorité absolue de députés obtenue par l’alliance RPR-UDF aux élections de 1986, avec 45 % des voix mais un scrutin proportionnel départemental.

In fine, le soutien du RN à la proportionnelle le conduit d’emblée à admettre qu’il ne gouvernera pas seul et devra trouver des alliés puis construire, avec ces autres forces politiques, un programme de gouvernement, ce qui nécessite des changements très profonds des pratiques politiques françaises au regard de l’attitude d’hostilité de tous les partis hors l’allié ciottiste lors du second tour de 2024.