
ARTICLE – Avec près de 4% de son PIB perdu à cause de la complexité administrative, la France bat un record mondial dont elle pourrait allègrement se passer
Une étude menée par des enseignants de l’Université Columbia et de la New York University Shanghai dévoile le coût du poids de la bureaucratie et de la complexité administrative sur le PIB de différents pays.

Marc de Basquiat ATLANTICO
Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il préside le think tank AIRE créé en 1989 par Henri Guitton et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de Centrale-Supélec, d’ESCP Europe et docteur en économie de l’université d’Aix-Marseille. Son dernier ouvrage : L’ingénieur du revenu universel, éditions de L’Observatoire.
Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.


Atlantico : Au regard de cette étude, la France perd près de 4% de son PIB à cause de la complexité administrative. La France bat un record mondial dont elle pourrait allègrement se passer. Comment en sommes-nous arrivés là et quelles sont les conséquences d’une telle perte pour notre productivité et notre économie ?
Marc de Basquiat : Les auteurs de l’étude, Bruno Pellegrino et Geoff Zheng, ont cherché à identifier si les réglementations nationales contribuent à diminuer le PIB de deux manières. D’abord, les charges administratives (déclarations diverses, contraintes, etc.) peuvent être vues comme une sorte d’impôt « fantôme » pesant sur la rentabilité des entreprises. Ensuite, la diversité des règles administratives applicables aux entreprises selon leurs secteurs, leurs niveaux de chiffres d’affaires, leurs localisations… a pour effet de favoriser tel ou tel à investir (ou pas) à rebours d’une logique économique raisonnable.
L’étude a été menée sur 7 pays européens pour lesquels les données requises étaient disponibles et décerne à la France une médaille peu enviable. On en est peu surpris sachant que la France est également championne mondiale des prélèvements obligatoires. Le poids des procédures nombreuses et compliquées s’ajoute naturellement aux impôts explicites.
L’explication principale de cette tendance observée depuis au moins 40 ans tient en un principe décrit en 1955 : la Loi de Parkinson. Edictée en analogie du comportement des gaz qui occupe tout le volume disponible, elle stipule que dans une administration publique, les effectifs augmentent indépendamment de toute variation de la quantité du travail à effectuer.
Ce phénomène explique en grande partie notre déficit public abyssal, notre endettement insoutenable et le déclin alarmant de notre industrie.

Charles Reviens : La lecture de sa synthèse m’a immédiatement rappel » la tribune remarquable de Jérôme Fourquet dans le Figaro du 12 mai 2024 sur le « modèle stato-consumériste » français et son épuisement avec les faits stylisés suivants : – grande glissade de la dette et des déficits publics ; – déficit commercial désormais structurel ; – France comme un pays « en voie de détention » via l’acquisition de nombreuses entreprises françaises par des investisseurs ou industriels étrangers ; – production abandonnée et remplacée par l’importation (hors secteurs du luxe et de l’aéronautique) ; – soutien massif à la consommation via la politique du chèque et du guichet. Mais la tribune analysait également l’inflation réglementaire avec le constat d’une augmentation massive des normes juridiques en une vingtaine d’années.
Jérôme Fourquet concluait ainsi sur la folie bureaucratique française : – « une autre des caractéristiques du modèle stato-consumériste qui s’est mis en place au cours des dernières décennies réside dans l’extension ininterrompue du périmètre de la sphère publique avec en corollaire une bureaucratisation et une complexification réglementaire et administrative de plus en plus paralysante pour la société » ; – « soumis depuis des décennies à ce régime particulier, le corps social est aujourd’hui proche de la thrombose, tant les couches de cholestérol bureaucratique et réglementaire qui se sont sédimentées les unes sur les autres sont en passe de boucher notre système artériel. De tous les milieux socio-professionnels remontent les symptômes d’une overdose bureaucratique. » Il y a ainsi une forte corrélation entre les résultats de la note des professeurs de finance et le constat de Jérôme Fourquet.
Que penser de cette étude ? Est-elle fiable ?
Charles Reviens : L’étude compare sept pays européens et sa conclusion la plus frappante n’est pas que la France est bureaucratisée (toute le monde le sait et le reconnait) mais pire que l’étude conclut à un écart abyssal entre la France et les 6 autres pays étudiés : – la France serait 39 fois plus bureaucratique que le Royaume-Uni ou l’Autriche (les deux pays les moins bureaucratiques du panel) ; – la France serait 4.8 fois plus bureaucratique que 2ème pays le plus bureaucratique à savoir l’Italie.

Il est difficile de juger de la fiabilité de l’étude dont je ne dispose que d’une synthèse et une courte présentation. Il faudrait en outre des connaissances détaillées des autres systèmes bureaucratiques européens que je n’ai pas. En tout cas les conclusions de l’étude mettent en avant un constat de bon sens faisant largement consensus.
Marc de Basquiat : Il n’existe pas de méthode robuste pour mesurer le poids de la bureaucratie. On peut multiplier les enquêtes d’opinions auprès des citoyens et des responsables d’entreprise, les chiffres qui en résultent resteront un indicateur de ressenti, pas un fait économique calculable à partir de données financières. L’originalité du travail de nos deux chercheurs est d’insérer des résultats d’enquête dans un programme informatique élaboré (un « modèle d’équilibre général ») qui simule les réponses économiques aux contraintes réelles vécues par les entreprises. C’est un gros travail technique, qui a probablement été mené sérieusement.
Donc, si votre question est « les chiffres présentés sont-ils vrais ? », la réponse est évidemment négative. Si elle est « la tendance décrite par ces chiffres est-elle crédible ? », on peut raisonnablement y accorder de l’intérêt.

Quelle est la méthodologie principale utilisée dans l’étude ? Quelles sont les sources de données utilisées, et sont-elles fiables et représentatives ?
Marc de Basquiat : Les deux chercheurs ont utilisé la base de données EFIGE créée par le think tank bruxellois Bruegel, qui intègre des données de 14.759 entreprises de 7 pays européens (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Hongrie, Italie et Royaume-Uni). Il est compliqué de qualifier cette source, dont la gestion est nécessairement moins industrialisée que celle des institutions statistiques nationales telles que l’INSEE. Parmi les données d’enquêtes collectées par Bruegel, la réponse à la question « quels facteurs empêchant la croissance de votre entreprise ? » a été utilisée pour discriminer celles impactées ou non par des « restrictions législatives ou bureaucratiques ». Extrapoler ces réponses dans un modèle macro-économique est une démarche intellectuelle intéressante, mais dont il faut tout de même souligner la fragilité.
Charles Reviens : Les 2 professeurs de finance présentent leur méthodologie de la façon suivante : – recours à une nouvelle approche pour estimer l’impact de distorsions sur l’investissement des entreprises et la (mauvaise) allocation des facteurs, en « combinant le modèle d’équilibre général dynamique d’une entreprise hétérogène avec des données d’enquêtes auprès des entreprises » (sic) ;
– évaluation d’un « impôt bureaucratique » via l’estimation du coût économique de la bureaucratie et de la réglementation qui retardent ou limitent les investissements dans sept économies européennes développées (Autriche, France, Allemagne, Hongrie, Italie, Espagne et Royaume-Uni).
Les données utilisées dont celle d’EFIGE, base de données au niveau des entreprises créée par le groupe de réflexion bruxellois Bruegel. Les données EFIGE couvrent un échantillon représentatif de 14 759 entreprises manufacturières des sept pays du panel. L’article s’appuie notamment sur la question où les dirigeants d’entreprise sont invités à identifier les principaux facteurs qui freinent la croissance de leur entreprise : « nous considérons les entreprises qui ont indiqué que les ‘restrictions législatives ou bureaucratiques’ étaient des facteurs principaux, tandis que les entreprises qui ne l’ont pas fait sont considérées comme des entreprises sans contraintes ».

D’après cette étude, la France se classe en tête des pertes de PIB causées par les tâches administratives. 45,8 % des entreprises françaises se disent contraintes par le poids de l’administration et des normes. Comment faire évoluer cette réalité qui nuit considérablement aux entreprises, à l’économie et à la productivité ? Quelles seraient les mesures à prendre pour soulager les entreprises ?
Marc de Basquiat : On cite souvent la Belgique comme un autre enfer bureaucratique européen, mais ce pays ne figure malheureusement pas dans la liste des 7 couverts par cette étude. Ce cas aurait contribué à juger de la pertinence de l’étude. Restons-en à l’idée que la France est particulièrement mal notée en termes de bureaucratie, ce qu’on peut rapprocher de faits évidents.
A l’évidence, la fiscalité française explique déjà le sentiment d’un poids excessif de l’administration et des normes. Ensuite, le récent rapport de Mario Draghi explique qu’en 2019 l’Union Européenne a adopté 13.000 textes législatifs, contre 3.000 aux Etats-Unis. La production législative nationale est également impressionnante. Au moment de la crise COVID-19, un expert-comptable me faisait remarquer qu’ils devaient digérer tous les jours de nouveaux règlements conçus pour faire face à l’épidémie mais contribuant à les noyer…
Les règles administratives et fiscales différenciées entre entreprises et natures d’opérations contribuent également au désastre. Les fameux « impôts de production » sont identifiés par tous comme étant particulièrement nocifs mais n’ont toujours pas été supprimés. Diverses aides aux entreprises – y compris celles estampillées « quoi qu’il en coûte » en 2020 – incitent certaines entreprises à des comportements aberrants, transformant leurs responsables en « chasseurs de primes » au lieu de les laisser développer leur activité sur des critères sains.

Cette étude ajoute un argument supplémentaire pour dénoncer l’interventionnisme étatique français, qui prélève lourdement et maladroitement et subventionne sans discernement des entreprises qui se développeraient (ou seraient évincées par d’autres) plus sainement en fonction de la dynamique du marché réel.
Charles Reviens : Jérôme Fourquet rappelle dans la tribune précitée plusieurs déclarations volontaristes pour lutter contre ce profond mal français ; – Valéry Giscard d’Estaing évoque en 1978 « la marée blanche de la paperasse qui doit être refoulée» ;
– Jacques Chirac déclare en 1995 que « l’inflation normative est devenue paralysante » ; – François Hollande en appelle en 2013 à un « choc de simplification » ;
– Gabriel Attal se fixe comme objectif début 2024 de « débureaucratiser la France ».
L’écart abyssal entre ces déclarations de principe régulièrement renouvelées et la réalité amène Jérôme Fourquet à considérer que « nous sommes bien en présence d’un système disposant de sa propre dynamique et ayant une très puissante inertie, en dépit des alternances politiques aucun frein n’a pu être posé à cette ossification bureaucratique et à cette inflation réglementaire. »

Le nombre d’entreprises se déclarant contraintes par les tâches administratives est parfaitement corrélé à l’indice de régulation développé dans une autre étude. L’une des principales raisons de ce retard n’est-il pas lié à la surréglementation, qui impose un fardeau énorme aux entreprises, notamment les plus jeunes, et freine le dynamisme des entreprises ?
Charles Reviens : On peut effectivement parvenir à cette conclusion constatée par exemple par l’augmentation ininterrompue de la taille des principaux codes juridiques français évoquée plus haut. La culture du Parlement et de l’administration française joue un rôle déterminant en la matière puisque le rôle de production de nouveaux textes juridiques (lois et textes réglementaires) est infiniment plus valorisé que les fonctions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques nationales.
wow!! 3SAMUEL PATY, L’ÉCOLE FACE AU TERRORISME
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