
Interview – « Il y a un changement dans le rapport au travail » pour Jérôme Fourquet
Publié le 26/09/2024 LA MONTAGNE
Jérôme Fourquet est l’invité de la septième édition des Trophées des entreprises du Cantal qui se déroulera à Aurillac, ce jeudi 26 septembre. Le directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop expliquera comment l’entreprise « classique » est bousculée.
« Le travail a perdu de sa centralité depuis quarante ans », assure Jérôme Fourquet. Le directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop, qui a publié en fin d’année dernière La France d’après. Tableau politique (Seuil), où il pousse toujours plus loin sa quête de cartographie du vote dans une société malmenée par le contexte économique, est le grand témoin de la septième édition des Trophées des entreprises du Cantal, qui se déroule à Aurillac, ce jeudi 26 septembre.
Pourquoi le rapport au travail a-t-il changé ?
Quand on interrogeait les Français sur la place du travail dans leur vie au début des années 90, 60 % déclaraient que c’était très important. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 22 %… Cela peut s’expliquer mécaniquement par le fait qu’on y passe moins de temps. En passant la durée légale à 35 heures par semaine en 2000, cela fait tout bêtement six semaines en moins sur une année par rapport à avant. Au passage, ces six semaines travaillées en moins n’ont pas été perdues pour tout le monde ! Cela a beaucoup contribué à la montée en flèche du passage à la société de loisirs avec les RTT, les longs week-ends… Concernant la perte de centralité du travail, il y a aussi ce qu’il s’est passé dans la vie des entreprises : l’omniprésence des process, des impératifs financiers et des délais qui ont entraîné une perte de sens chez les travailleurs, dans le public ou dans le privé…
La crise du Covid et la généralisation du télétravail ont-elles joué un rôle dans ce désengagement ou cette inversion de priorités ?
Comme souvent dans l’histoire, les crises sont des accélérateurs de tendance en gestation. Cette perte de centralité s’observait déjà mais, oui, elle a été accentuée par la crise Covid. Cette période a modifié nos façons de vivre, de consommer et elle a valorisé les loisirs. Quant au télétravail, il a également joué son rôle dans tout ça, mais à la marge. Si les grands médias nationaux nous parlent du matin au soir de télétravail, il faut savoir que 70 % des Français ne le pratiquent pas. Mais ça a changé les codes. Ceux qui y ont droit se trouvent plutôt dans les bureaux, dans l’encadrement. En général, on ne les voit pas le lundi et le vendredi. Ça crée une distorsion entre les salariés.
Quelles pistes de réflexion allez-vous proposer aux entrepreneurs cantaliens ce soir ?
Quelques années en arrière, les employeurs pouvaient se permettre de dire : “Si tu n’es pas content, il y en a dix qui attendent ta place”. Ce n’est plus possible de dire ça aujourd’hui. Encore plus dans un territoire comme le Cantal, où, au sens statistique du terme, on est au plein-emploi avec un taux de chômage à 4 %. Si ce chiffre est une bonne nouvelle pour un territoire, c’est aussi une contrainte supplémentaire à prendre en compte pour les entrepreneurs. Il y a un changement dans le rapport au travail, et donc une révolution copernicienne à entreprendre, si je puis dire. Pour fidéliser ses collaborateurs et en attirer de nouveaux, un patron ne peut plus penser l’organisation du travail dans sa forme traditionnelle, sans prendre en compte l’individualisme, la quête d’épanouissement – qui ne passe pas forcément par la rémunération d’ailleurs – et d’autonomie qui nourrit et motive les jeunes générations.
Propos recueillis par Emmanuel Tremet