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LES CONTOURS DE L’ÉTAT DE DROIT : LE JUGE CONTRE LA LOI ? – LES AMODIATIONS DU CONSEIL D’ÉTAT ET DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL (PARTIE 1)

1. ARTICLE – Décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration : le règne du droit face au règne du nombre ? (1ère Partie) 

Publié le 29/01/2024  ACTUJURIDIQUE Patrick Lingibé  Membre du Conseil national des barreaux – ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France. 

La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 relative à la  Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, suscite d’intenses polémiques. Afin d’y voir plus clair, Me Patrick Lingibé la décrypte pour Actu-Juridique. L’article est en deux parties, ceci est la première. 

La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, de 276 paragraphes en plus du dispositif exposés sur 52 pages suscite le même émoi dans le landerneau politico-médiatique et dans l’opinion publique que le projet de texte suscitait déjà avant d’emprunter le circuit parlementaire. Plusieurs observations peuvent être relevées à la suite de cette décision.

La première résulte de la qualité d’un des quatre auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel.

En effet, la première saisine émane du président de la République Emmanuel Macron qui l’a saisi le 21 décembre 2023 aux termes d’une lettre où aucun grief n’est soulevé et qui ressemble plus à une demande de consultation juridique : « Les 26 articles du projet de loi initial ont été complétés de 60 articles supplémentaires, correspondant principalement aux dispositions que les parlementaires ont souhaité introduire dans le texte. Eu égard à l’ampleur de l’évolution du texte par rapport à sa version initiale et à l’importance pour notre Nation des droits et principes constitutionnels en cause, je souhaite, au nom de la mission que me confie l’article 5 de la Constitution, que les dispositions de la loi ne puissent être mises en œuvre qu’après que le Conseil constitutionnel aura vérifié qu’elles respectent les droits et libertés que la Constitution garantit. ». La saisine du Conseil constitutionnel directement par le chef de l’État a été très rarement utilisée sous la Cinquième République pour ne pas être soulignée.

La deuxième saisine faite à la même date émane de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet qui demande au juge constitutionnel de se prononcer sur trois articles du projet de loi résultant d’ajouts faits par le Sénat :

l’article 1er qui prévoit la tenue d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration et permet aux assemblées de déterminer le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France ; l’article 3 qui allonge la durée de séjour régulier en France à partir de laquelle l’étrange peut demander à bénéficier du droit au regroupement familial, en la portant de 18 mois, en l’état actuel du droit, à 24 mois et l’article 19 qui instaure une condition de résidence de 5 ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle de 30 mois pour le versement de certaines prestations non contributives, comme les allocations familiales, cette durée étant réduite à 3 mois pour les aides personnelles au logement.

La troisième saisine globale effectuée le 22 décembre 2023 émane de 60 députés appartenant aux groupes La France insoumise, Gauche démocrate et républicaine, Ecologiste, Socialistes et apparentésLa quatrième et dernière saisine globale du 27 décembre 2023 résulte de 60 sénateurs des groupes Socialistes, Ecologiste et Républicain ; Communiste, Républicain, Citoyen et Ecologie – Kanaky ; Ecologiste – Solidarité et Territoires.

Il convient de relever également que ce contentieux de la constitutionnalité de la loi immigration a conduit le Conseil à être saisi de 30 contributions extérieures, dont deux produites d’une part, par la Conférence des bâtonniers de France le 29 décembre 2023 et d’autre part, par le Conseil national des barreaux le 3 janvier 2024.

Suite à ces saisines, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution seulement 11 articles du texte de loi voté, soit 12,79 % du texte voté. 31 articles résultant essentiellement d’amendements sénatoriaux ont été censurés intégralement et 4 autres articles ont fait l’objet d’une censure partielle. Dans les dispositions validées, deux l’ont été avec une réserve d’interprétation.

Au final, le texte validé par le Conseil constitutionnel correspond à peu de chose près au texte initialement présenté par le ministre de l’Intérieur Monsieur Gérald Darmanin au Sénat le 1er février 2024.

Enfin la quatrième est la plus importante selon nous : la décision rendue permet de mettre en lumière une problématique actuelle inquiétante qui touche à celle de la place du Droit et du Juge au sein de notre sociétéIl faut se rendre à l’évidence que l’ordre juridique qui assurait il y a peu une transversalité sociétale de nature anthropologique est devenu aujourd’hui plus un objet de critique que d’adhésion, face à des marqueurs et courants qui visent à remettre en cause cet ordre juridique au profit de la volonté du seul peuple souverain qui dicterait sa seule norme.

La confrontation oppose ainsi deux conceptions de la notion de démocratieD’un côté, nous avons une conception fondée sur la théorie du contrat social promue notamment par l’anglais John Lockes et le français Jean-Jacques Rousseau, laquelle fait de la souveraineté populaire le principe fondamental de ce contrat. Cette volonté résulte de la volonté de la Loi voulue et adoptée par le plus grand nombre pour s’imposer à toutes et à tous, y compris au souverain. La souveraineté populaire est le Pouvoir suprême sur lequel il ne peut y avoir par essence de contrôle d’aucun organe qui en limiterait son expression et sa volonté. Le titre premier intitulé « De la souveraineté » de la Constitution comporte deux articles importants sur ce point parmi les quatre inscrits. D’une part, le dernier aliéna de l’’article 2 précise que le principe de la souveraineté de la France : « son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. ». D’autre part, l’article 3 dispose dans son premier alinéa en écho au principe précité : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. ».

De l’autre côté, nous avons une conception avant tout fondée sur le Droit et la nécessité impérieuse que la société soit régie par un ordre juridique, résultat d’acquis de l’après la seconde guerre mondiale assurant notamment la défense des droits de l’Homme, la limitation du Pouvoir et de l’arbitraire par le Droit sous le contrôle du Juge.

C’est ce que l’on nomme dans les démocraties libérales État de droit dans laquelle il existe une hiérarchie des normes à laquelle se trouve la Constitution et qui s’impose à tous les sujets de droit de la société. 

Cette conception fait évoluer la démocratie par nature populaire vers une démocratie normée où le Droit occupe une place centraleLe sociologue français d’origine russe Georges Gurvitch avait donné une définition rénovée de la définition de la démocratie par rapport au droit : « La démocratie ce n’est pas le règne du nombre, c’est le règne du droit. ».

Cette conception s’oppose à la vision rousseauiste qui considère que la Loi est la volonté du plus grand nombre et qu’elle doit s’imposer à toutes et à tous, l’expression du peuple souverain ne pouvant souffrir d’aucun contrôle. Or, depuis la Constitution de 1958, la Loi est encadrée par un organe qui contrôle l’expression du législateur et sanctionne tout manquement qui ne respecterait pas les termes de la Constitution mais également au-delà ses principes et ses valeurs de celle-ci.

Ainsi dans une décision oubliée n° 85-197 DC du 23 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel a rappelé par un obiter dictum (notion développée infra) dans son considérant n° 27 la sujétion de la loi à la norme fondamentale : 

« Considérant donc que la procédure législative utilisée pour mettre en conformité avec la Constitution la disposition déclarée non conforme à celle-ci par le Conseil constitutionnel a fait de l’article 23 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique une application ne méconnaissant en rien les règles de l’article 10 de la Constitution et a répondu aux exigences du contrôle de constitutionnalité dont l’un des buts est de permettre à la loi votée, qui n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution, d’être sans retard amendée à cette fin ; ». L’interrogation que certains se posent aujourd’hui quant à la légitimité du Conseil constitutionnel à apprécier la volonté souveraine émise par le législateur trouve sa réponse dans notre ordre constitutionnel avec le titre VII qui lui est entièrement réservé.

Il est très clair que la Constitution de 1958 a mis en place un contrôle de constitutionnalité par méfiance à l’égard du Parlement, voire des personnes que les parlementaires représentent. Nous avons une illustration concrète avec le référendum d’initiative populaire prévue par le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution suite à la réforme opérée par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. Le rôle du Conseil constitutionnel ici est double : d’une part, s’assurer que la proposition soumise ait recueilli le nombre de soutien exigé, c’est-à-dire 1/5e des parlementaires, soit 185 et d’autre part, réunir pour son adoption 1/10e de l’ensemble des électeurs, soit à peu près 4,8 millions français. Enfin, la décision rendue percute frontalement la position du corps sociétal français au nom duquel la Justice est rendue et qui soutenait majoritairement les dispositions adoptées par le Parlement. Le journal Le Point révélait dans un article paru le 23 décembre 2023 un sondage Cluster 17 où il apparaissait qu’une majorité de français était favorable à la plupart des mesures adoptées par le Parlement sur l’immigration. Si ce texte de 86 articles avait été soumis à la voie référendaire au lieu de celle habituelle du Parlement, il y avait des chances sérieuses pour qu’il eût été adopté, même avec des dispositions contraires au droit national et conventionnel. La question de sa constitutionnalité ne se serait même pas posée puisque le Conseil constitutionnel a indiqué dans une décision 2014-392 QPC du 25 avril 2014, Province Sud de Nouvelle-Calédonie, en précisant par un obiter dictum qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi référendaire : « (…) au regard de l’équilibre des pouvoirs établi par la Constitution, les dispositions législatives qu’elle a entendu viser dans son article 61-1 ne sont pas celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d’un référendum contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l’article 60, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale ; ». En résumé, les représentants du peuple que sont les députés et sénateurs peuvent être contrôlés et brimés sur le plan juridique dans leur expression au travers d’amendements parlementaires alors que le même peuple représenté à travers ses députés et sénateurs aurait le droit d’adopter souverainement le même texte dont la constitutionnalité aurait été jugée contestable par le juge constitutionnel.

Si nous défendons pour notre part à l’idée d’une démocratie enveloppée de la force du Droit, nous devons nous rendre compte également que ce débat frontal est en train de se transformer en fracture qui menace l’organisation même de notre société, ce d’autant plus qu’il est mal perçu et interprété par le peuple souverain.

Notre présente alerte se trouve confirmée et confortée par les propos tenus par le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius dans son discours des vœux du Conseil au président de la République le 8 janvier 2024 à l’Élysée : « Monsieur le Président, le Conseil constitutionnel n’est pas une chambre d’écho des tendances de l’opinion publique, il n’est pas non plus une chambre d’appel des choix du Parlement, il est le juge de la constitutionnalité des lois.

Cette définition claire, c’est probablement parce qu’elle n’est pas ou pas encore intégrée par tous que, à l’occasion des débats sur les lois concernant deux questions très sensibles, les retraites et l’immigration, le Conseil constitutionnel s’est retrouvé au milieu de passions contradictoires et momentanément tumultueuses. J’y reviendrai dans un instant mais auparavant un rapide tableau des activités du Conseil en 2023 et pour 2024. (…) 2023 nous a en effet frappés, mes collègues et moi, par une certaine confusion chez certains entre le droit et la politique. Je veux donc le redire ici avec netteté : on peut avoir des opinions diverses sur la pertinence d’une loi déférée, on peut l’estimer plus ou moins opportune, plus ou moins justifiée, mais tel n’est pas le rôle du Conseil constitutionnel. 

La tâche du Conseil est, quel que soit le texte dont il est saisi, de se prononcer en droit.

Mon prédécesseur et ami Robert Badinter utilisait volontiers une formule : « une loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais une loi mauvaise n’est pas nécessairement inconstitutionnelle ». Cette formule, je la fais mienne car elle définit bien l’office impartial du Conseil et je forme le vœu que chacun garde cela à l’esprit en 2024. ». La décision rendue sur la loi immigration illustre bien la tension frontale prégnante entre la volonté populaire représentative et le Droit.

Pour rappel, le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’immigration a été enregistré le 1er février 2023 au Sénat et comportait 27 articles. Le texte adopté par le Sénat le 14 novembre 2023 a été largement amendé et enrichi. Le projet de loi dans sa version sénatoriale a été rejeté par l’Assemblée nationale le 11 décembre 2023. Le texte est soumis à la commission mixte paritaire qui s’est réunie les lundis 18 et mardi 19 décembre 2023 et aboutit à être conclusive. 

Le texte d’accord reprend très largement celui largement amendé et adopté les sénateursLe texte de compromis de 86 articles est adopté le 19 décembre 2023 respectivement par l’Assemblée nationale et le Sénat. 

La loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration a été publiée au Journal Officiel du samedi 27 janvier 2024. Pour l’anecdote, nous pouvons noter que le président de la République étant en déplacement en Inde (Bharat), il a donc signé l’acte de promulgation de cette loi en terre étrangère le 26 janvier 2024 à New Delhi.

Nous commenterons cette décision sous trois angles Le premier traitera sur les articles validés. Le deuxième sur les dispositions partiellement censurées et en troisième lieu sur celles qui ont été censurées.

I – LES ONZE ARTICLES DECLARÉS CONFORMES A LA CONSTITUTION : UNE VALIDATION D’ENSEMBLE DONNÉ AU TEXTE GOUVERNEMENTAL.

Ces onze articles de la loi que nous détaillons ci-dessous proviennent essentiellement du projet de loi initial de 27 articles déposé le 1er février 2023 au Sénat par le ministre de l’Intérieur.

L’article 2 résulte d’un amendement parlementaire qui a introduit des dispositions pour préciser les conditions de réacheminement à la frontière : 

« Si l’entreprise de transport aérien ou maritime se trouve dans l’impossibilité de réacheminer l’étranger en raison de son comportement récalcitrant, seules les autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière sont compétentes pour l’y contraindre. »Le Conseil constitutionnel a validé cette disposition en rejetant le grief soulevé que cet article était un cavalier législatif.

L’article 35 est relatif à la suppression des protections contre l’expulsion pour certains étrangers a été validé.

Il était soutenu dans le recours que ce dispositif était contraire au principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel rappelle dans son considérant n° 113 : « Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. » Que l’étranger pouvant notamment exercer un recours contre la décision d’expulsion devant le juge administratif par la voie des procédures de référé-suspension et de référé-liberté le législateur n’avait pas porté d’atteintes arguées aux libertés : « 120. Dès lors, le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés. »

 L’article 37 qui crée une ordonnance de quitter le territoire français applicable aux étrangers qui bénéficient habituellement d’une protection contre l’expulsion a été validé.

Le Conseil a considéré qu’en adoptant les dispositions contestées « le législateur a entendu permettre qu’une décision portant obligation de quitter le territoire français puisse être prononcée y compris à l’encontre d’étrangers qui bénéficiaient jusqu’alors d’un régime de protection. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. » (Cons. 129) et qu’en tout état de cause « le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés. » (Cons. 133).

L’article 39 qui autorise la création d’un fichier des mineurs non accompagnés délinquants a été validé.

Cet article insère dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et droit d’asile un nouvel article L. 142-3-1 qui dispose : « Afin de faciliter l’identification des mineurs se déclarant privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille à l’encontre desquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’ils aient pu participer, comme auteurs ou complices, à des infractions à la loi pénale ou l’établissement d’un lien entre plusieurs infractions commises par un seul de ces mineurs, les empreintes digitales ainsi qu’une photographie de ces derniers peuvent être relevées dans les conditions prévues aux articles L. 413-16 et L. 413-17 du Code de la justice pénale des mineurs, être mémorisées et faire l’objet d’un traitement automatisé dans les conditions prévues par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le traitement de données ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir de la photographie. Les données peuvent être relevées dès que la personne se déclare mineure. La conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle. » Il était soutenu par les auteurs des recours parlementaires que cette disposition était un cavalier législatif. Le Conseil constitutionnel a indiqué que « le législateur a entendu permettre qu’une décision portant obligation de quitter le territoire français puisse être prononcée y compris à l’encontre d’étrangers qui bénéficiaient jusqu’alors d’un régime de protection. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. » (Cons. 129). Qu’en l’espèce en tout état de cause « 133. Il résulte de ce qui précède que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés. »

 L’article 42 du texte qui concerne l’allongement de la durée d’assignation à résidence des étrangers a été validé avec une réserve interprétative.

Il était soulevé dans l’un des recours parlementaires que ce dispositif portait atteinte à la liberté d’aller et de venir et au droit à mener une vie familiale normale. En effet, le Conseil juge que cet article ne porte pas une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelle sous la réserve que l’autorité administrative retienne « lors de chaque renouvellement, des conditions et des lieux d’assignation à résidence tenant compte, dans la contrainte qu’ils imposent à l’intéressé, du temps passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce dernier. » (Cons. 155).

L’article 44 relatif à l’exclusion des étrangers majeurs de moins de 21 ans et des mineurs émancipés de l’aide sociale à l’enfance s’ils sont visés par une obligation de quitter le territoire français est validé. Dans leur recours, les députés requérants soutenaient que cet article n’aurait pas sa place dans la loi au motif qu’il aurait été introduit en première lecture au Sénat selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a jugé que « ces dispositions ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles précitées de l’article 10 du projet de loi initial. » (Cons. 160).

L’article 46 emblématique qui instaure une condition de « respect des principes de la République » pour obtenir un titre de séjour.

Cet article modifie le livre IV du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en complétant son chapitre II par une section 3 intitulée « « Contrat d’engagement au respect des principes de la République » avec notamment un nouvel article L. 412-7 ainsi rédigé : « L’étranger qui sollicite un document de séjour s’engage, par la souscription d’un contrat d’engagement au respect des principes de la République, à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. » Dans leur recours, les députés requérants reprochaient essentiellement à ces dispositions d’utiliser le terme de « contrat » pour désigner un engagement unilatéral et de définir de manière imprécise les obligations qu’implique pour l’étranger la souscription d’un tel contrat. Il en résulterait pour eux une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Ils soutenaient également par ailleurs que, en prévoyant que les étrangers ne peuvent se prévaloir de leurs croyances ou de leurs convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers, ces dispositions introduiraient une discrimination entre les étrangers et les citoyens français. Il en résulterait pour eux une méconnaissance de l’article 1er de la Constitution. En outre, ils faisaient valoir que ces dispositions restreindraient de façon disproportionnée la liberté d’opinion ainsi que la liberté de communication. Le Conseil a précisé qu’« en souscrivant à ce contrat, l’étranger s’engage à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers. Ni la notion de contrat ni les obligations que ce contrat emporte pour l’étranger ne sont inintelligibles. » et qu’en l’espèce, « le grief tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi doit être écarté. » (Cons. 170 et 171). Le Conseil constitutionnel déclare la conformité constitutionnelle de cet article par un considérant qu’il convient de citer : « Loin de méconnaître ces exigences constitutionnelles, le législateur a pu, pour en assurer la protection, prévoir qu’un étranger qui sollicite la délivrance d’un document de séjour doit s’engager à respecter des principes, parmi lesquels figure la liberté d’expression et de conscience, qui s’imposent à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. À cette fin, c’est à bon droit qu’il a imposé aux ressortissants étrangers, qui ne se trouvent pas dans la même situation que celle des nationaux, la souscription d’un contrat prévoyant l’engagement de respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et de ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers. ». Il s’évince donc que les griefs tirés de la méconnaissance des exigences des articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789 et de l’article 1er de la Constitution ont été écartés.

L’article 66 qui élargit les cas dans lesquels l’OFII est tenu de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil a été validé. Dans leur recours les députés requérants soutenaient que ces dispositions ne permettraient plus à l’autorité administrative de prendre en compte la situation particulière du demandeur d’asile lorsqu’elle refuse les conditions matérielles d’accueil ou décide d’y mettre fin, une telle décision revêtant le caractère d’une sanction automatique, privant ainsi le demandeur d’asile et sa famille de moyens convenables d’existence. Il en résulterait une méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi que des principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines. Le Conseil précise qu’ « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, ce faisant, il ne prive pas de garantie légale des exigences constitutionnelles. » (Cons. 216). En l’espèce, il a jugé que le grief tiré de la méconnaissance des exigences du onzième alinéa au Préambule de la Constitution de 1946 doit être écarté que de même que de ceux tirés de la méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines, qui pour lui inopérants « dès lors qu’elles n’instituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition. » (Cons. 220).

L’article 70 mettant fin au principe de la collégialité pour les jugements rendus par la Cour nationale du droit d’asile a été validé.

Cette disposition a été critiquée tant par les députés requérants qui y voyaient notamment une atteinte au droit à un recours effectif et au droit de la défense que par les sénateurs requérants qui dénonçaient un risque d’atteinte au droit à un procès équitable, aux droits de la défense et au principe d’égalité devant la justice. Les contributions extérieures produites par la Conférence des bâtonniers de France et le Conseil national des barreaux dénonçaient également une atteinte. Se fondant sur les dispositions de l’article 16 et 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel rappelle sa conception de la constitutionnalité d’une application différenciée du principe d’égalité : «  si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales. » (Cons. 241). Il a jugé en l’espèce que le fait que la Cour nationale du droit d’asile se prononce en formation à juge unique « ne porte pas, par lui-même, atteinte aux droits de la défense. », le président pouvant toujours renvoyer en formation collégiale. De même, le grief porté sur la possibilité de confier la présidence d’audiences à des membres non permanents de la Cour ayant aux six mois d’expérience collégiale à ladite Cour ou encore l’obligation d’astreinte imposée aux membres de la formation de jugement de participer à 12 journées d’audience par an a été rejeté. Le Conseil a jugé que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au procès équitable, les droits de la défense et le principe d’égalité devant la justice et que par ailleurs le législateur a défini de manière suffisamment précise la condition d’expérience prévue par ces dispositions.

Les articles 72 et 76 qui prévoient des extensions au recours à la visioconférence pour les audiences concernant les centres et les locaux de rétention administratifs (CRA, LRA) et les zones d’attente sont validés.

Les députés requérants soulevaient le fait que ces dispositions portaient atteinte au procès équitable, au respect de la liberté individuel ainsi qu’au droit d’asile. La Conférence des bâtonniers de France et le Conseil national des barreaux dénonçaient également de telles atteintes dans leurs contributions extérieures. Le Conseil constitutionnel juge que le grief tiré de la méconnaissance du droit à un procès équitable doit être écarté pour les raisons ci-après. En première part, le magistrat peut siéger, selon les cas, dans les locaux du tribunal administratif ou au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe la zone d’attente ou le lieu de rétention, les deux salles d’audience étant alors reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle. En deuxième part, l’avocat de l’étranger peut assister à l’audience dans l’une ou l’autre salle, pouvant ainsi faire le choix d’être physiquement présent à ses côtés et a, en toute hypothèse, le droit de s’entretenir avec son client de manière confidentielle ; une copie de l’intégralité du dossier est mise à la disposition de l’intéressé ; enfin les deux salles d’audience sont ouvertes au public et un procès-verbal attestant de la conformité des opérations effectuées est établi dans chacune des salles d’audience. En troisième part, le moyen de communication audiovisuelle auquel il est recouru doit garantir la confidentialité et la qualité de la transmission.

À ce titre, le président du tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention peut, de sa propre initiative ou à la demande des parties, suspendre l’audience lorsqu’il constate que la qualité de la retransmission ne permet pas à l’étranger ou à son conseil de présenter ses explications dans des conditions garantissant une bonne administration de la justice. Nous ne pouvons que regretter une interprétation car il est évident qu’une audience en visioconférence ne peut ressembler à une audience physique, la notion de procès véritablement équitable ne pouvant se réduire au simple décorum et à l’aspect matériel au mépris d’autres aspects qui font tout procès.

L’article 77 qui procède à l’allongement à 48 heures du délai pour statuer du juge des libertés et de la détention dans les zones d’attente est validé.

Les députés requérants faisaient grief à ce dispositif qui ne viserait qu’à pallier l’insuffisance des moyens mis en œuvre par l’État et qu’il serait porté une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle. Le Conseil constitutionnel a rejeté ce grief en considérant qu’il ne portait pas atteinte à l’article 66 de la Constitution et au rôle de gardienne des libertés individuelles qui est attribuée à l’autorité judiciaire. Il rappelle que « Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis. Dans l’exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d’intervention de l’autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu’il entend édicter. La liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. »  (Cons. 259). Il motive sa position par le fait que cet allongement de la durée du jugement est pris par le premier président au regard du contexte dans lequel sa décision doit intervenir et qu’en tout état de cause, la durée de privation de liberté ne peut excéder 6 jours.

Les onze articles validés présentés ci-dessus témoignent à l’évidence d’un durcissement la loi sur l’immigration françaiseLa décision rendue par le Conseil valide les dispositions essentielles du projet de loi présenté initialement par le gouvernement.

2. ARTICLE – Décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration : le règne du droit face au règne du nombre ? (2e Partie) 

Publié le 30/01/2024  ACTUJURIDIQUE Patrick Lingibé Membre du Conseil national des barreaux – ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France. 

La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 relative à la  Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, suscite d’intenses polémiques. Afin d’y voir plus clair, Me Patrick Lingibé la décrypte pour Actu-Juridique. L’article est en deux parties, la première est accessible ici, voici la deuxième. alta/AdobeStock

II – LES PARTIES DES QUATRE ARTICLES PARTIELLEMENT CENSURÉES N’ALTÈRENT PAS LE RESTE DES ARTICLES CONCERNÉS.

 Quatre articles ont fait l’objet de censures partielles sans pour autant que les parties maintenues altèrent l’intégralité desdits articles.

La partie de l’article 1 qui imposait un débat annuel au Parlement et qui fixait des quotas d’immigration est annulée.

Il y a lieu de mentionner que la saisine de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, portait notamment sur ce point car elle estimait que cette exigence risquait de porter atteinte aux règles constitutionnelles qui encadrent la fixation de l’ordre du jour des assemblées. Les deux recours parlementaires dénonçaient une violation des compétences et règles de fonctionnement du Parlement. Le Conseil constitutionnel invalide une telle disposition qui porte atteinte aux droits constitutionnels reconnus au gouvernement dans la fixation des ordres du jour parlementaires : « Il ne résulte ni de l’article 48 de la Constitution ni d’aucune autre exigence constitutionnelle que le législateur peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration. Une telle obligation pourrait faire obstacle aux prérogatives que le gouvernement ou chacune des assemblées, selon les cas, tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour. » (Cons. 7).

La partie de l’article 14 sur l’expérimentation des procédures de traitement des dossiers de titres de séjours dans plusieurs départements a été censurée.

Les députés requérants considéraient que cette disposition portait atteinte au principe d’égalité et au principe des droits de la défense. Le Conseil a jugé que « dans les cas où l’autorité administrative a opposé un refus d’admission au séjour à l’étranger, ce dernier a la faculté de présenter une nouvelle demande avant l’expiration du délai d’un an à compter de ce refus s’il atteste d’éléments de fait ou de droit nouveaux susceptibles de permettre la délivrance d’un titre de séjour de plein droit. » mais qu’en excluant une telle faculté pour les autres titres de séjour, ces dispositions n’assurent pas une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées. » En conséquence, il a considéré comme contraire à la Constitution les mots « de plein droit » (Cons. 64) figurant à la dernière phrase du premier alinéa du paragraphe IV de l’article 14. 

Par ailleurs, il y a lieu par ailleurs d’indiquer que le Juge de la rue de Montpensier a validé l’autre partie de l’article 14 du texte avec une réserve d’interprétation.

En effet, le paragraphe II de l’article 14 prévoit que le demandeur transmet à l’autorité administrative, à l’appui de sa demande, l’ensemble des éléments justificatifs nécessaires à l’autorité administrative pour prendre une décision. Il a précisé que « ces dispositions doivent s’entendre comme imposant à l’autorité administrative d’informer l’étranger, lors du dépôt de sa demande, qu’il doit transmettre l’ensemble des éléments justificatifs permettant d’apprécier sa situation au regard de tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance de l’un des titres de séjour précités. ». Il en résulte que sous cette réserve interprétative qui s’impose à l’administration, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur n’a pas porté une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles.

La partie de l’article 47 qui conditionne les visas longue durée et de l’aide publique au développement de la coopération migratoire est censurée.

Cette disposition était dénoncée par les députés requérants comme un cavalier législatif sans rapport avec la loi. 

Il convient de signaler que le Conseil constitutionnel a fait pour cet article 47 une appréciation distributive.

D’une part, il a analysé les paragraphes III et IV de l’article 47 qui complètent l’article 1er de la loi du 4 août 2021 et l’article L. 515‑13 du Code monétaire et financier afin de prévoir que l’aide au développement solidaire doit prendre en compte le degré de coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Il a considéré qu’ « Introduites en première lecture, ces dispositions relatives à l’aide internationale au développement ne présentent de lien, même indirect, avec aucune des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat. » (184) et devaient être déclarés inconstitutionnelles car constituant un cavalier législatif. 

Par contre, il a validé les paragraphes I et II qui insèrent deux nouveaux articles L. 312‑1‑1 et L. 312‑3‑1 au sein du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de prévoir la possibilité de refuser le visa de long séjour et certains visas de court séjour aux ressortissants d’un État coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires.

Il a jugé qu’ « Introduites en première lecture, ces dispositions ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles de l’article 13 du projet de loi initial, qui introduisait pour la délivrance ou le retrait de certains documents de séjour de nouveaux critères tenant à l’engagement de l’étranger de respecter les principes de la République, l’établissement de sa résidence effective et habituelle en France ou l’absence de menace grave à l’ordre public. ».

Le 2° de l’article 64 de loi qui insérait un nouvel article L. 542‑7 au sein du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de prévoir que la décision définitive de rejet d’une demande d’asile prononcée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides entraîne immédiatement l’interruption de la prise en charge des frais de santé de l’étranger a été censuré.

Le juge constitutionnel a jugé qu’introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles contenues dans l’article 10 du projet de loi initial présenté par le ministre de l’Intérieur.

III – LES TRENTE ET UN ARTICLES CENSURÉS : UNE ANNULATION SUR LE FOND ET TRENTE ANNULATIONS SUR LA FORME.

Parmi les 31 articles annulés, le Conseil constitutionnel ne s’est prononcé sur le fond que sur l’article 38 de la loi qui modifiait les articles L. 331-2 et L. 813-10 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’autoriser le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement. Les députés requérants reprochaient à ces dispositions de ne pas entourer le recours à la contrainte physique de garanties suffisantes, tenant en particulier à la présence de l’avocat lors des opérations de relevés signalétiques, à l’information de la personne intéressée des conséquences de son refus et à la prise en compte de son éventuelle minorité ou vulnérabilité. Un tel dispositif portait atteinte à la liberté individuelle, au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789. La Conférence des bâtonniers de France et le Conseil national des barreaux dénonçaient également cet article dans leurs contributions extérieures. Si le Conseil constitutionnel a reconnu que cet article poursuivait bien l’objectif de sauvegarde de l’ordre public, il a jugé que les dispositions contestées privent effectivement les personnes visées de garanties légales suffisantes : « Toutefois, d’une part, ces dispositions se bornent à prévoir que l’officier de police judiciaire qui décide de procéder à la prise d’empreintes ou de photographie sans le consentement de l’intéressé en informe préalablement le procureur de la République. Ces opérations ne sont ainsi ni soumises à l’autorisation de ce magistrat, saisi d’une demande motivée en ce sens, ni subordonnées à la démonstration qu’elles constituent l’unique moyen d’identifier la personne qui refuse de s’y soumettre. » (Cons. 141) « D’autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient que, lorsque la personne contrôlée ou retenue a demandé l’assistance d’un avocat, la prise d’empreintes digitales ou de photographie sans son consentement doit être effectuée en la présence de ce dernier. » (Cons. 142).

Pour les 30 autres articles, il a annulé que sur la forme, sanctionnant ces dispositions sur le fondement de sa jurisprudence appliquée aux cavaliers législatifs. Ces 30 articles proviennent d’amendements sénatoriaux qui selon le Conseil ne présentaient pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial déposé par le gouvernement. Pour rappel, un cavalier législatif peut se définir comme une disposition qui est adoptée par le législateur alors qu’il est étranger par son objet au sujet abordé par le texte initialement soumis et discuté au Parlement. Il faut savoir que depuis sa décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l’emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociauxle Conseil constitutionnel a décidé de censurer même d’office des dispositions constituant des cavaliers législatifs. Il ne s’estime donc pas lié à ce niveau par l’étendue des contestations formulées par les auteurs de sa saisine : il fait donc de lui-même son marché et retient souverainement les dispositions législatives qu’il considère comme étant des cavaliers législatifs. Les critères appliqués par le Conseil constitutionnel pour apprécier objectivement un cavalier législatif sont à géométrie variable, la notion de lien direct et indirect pouvant être très équivoque. Ainsi, le juge constitutionnel a laissé passer dans les lois qui lui étaient déférées certaines dispositions qui pouvait relever très clairement de la qualification de cavalier législatif. C’est sur le fondement de l’article 45, alinéa premier in fine, de la Constitution que se fait cette appréciation, lequel dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » Or il faut rappeler que le travail d’un parlementaire est avant tout un travail d’amendement mené sur les projets de loi qui lui sont présentés afin de l’enrichir. Un certain nombre de projets de loi a été profondément bouleversé et enrichi par des amendements parlementaires sans pour autant qu’ils aient été déclarés inconstitutionnels ou que le Conseil constitutionnel en soit saisi. Pour tenter de comprendre et de contextualiser la question des cavaliers législatifs, il convient d’analyser préalablement le projet de loi qui a été déposé initialement sur le bureau du Sénat par le gouvernement le 1er février 2023 par le ministre de l’Intérieur. Ce projet comportait à l’origine 27 articles répartis en six titres, à savoir :

Titre Ier – Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue (articles 1 à 8).

Chapitre I – Mieux intégrer par la langue (articles 2 et 3).

Chapitre II – Favoriser le travail comme facteur d’intégration (articles 4 à 7).

Chapitre III – Mieux protéger les étrangers contre les employeurs abusifs (article 8).

Titre II – Améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public (articles 9 à 13).

Chapitre I – Rendre possible l’éloignement d’étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public (articles 9 à 13).

Chapitre II – Mieux tirer les conséquences des actes des étrangers en matière de droit au séjour (article 13).

Titre III – Sanctionner l’exploitation des migrants et contrôler les frontières (articles 14 à 18).

Titre IV – Engager une réforme structurelle du système de l’asile (articles 19 et 20).

Titre V – Simplifier les règles du contentieux relatif à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers (articles 21 à 25)

Chapitre Ier – Contentieux administratif (articles 21 à 23).

Chapitre II – Contentieux judiciaire (articles 24 à 25).

Titre VI – Dispositions diverses et finales (articles 26 à 27).

 Il est regrettable pour notre part que le Conseil constitutionnel n’ait pas pu se prononcer sur le fond des articles censurés, d’autant que la qualification de cavalier législatif donnée à certaines dispositions introduites par voie d’amendement sénatorial peut laisser sérieusement interrogative. En effet, l’affirmation de l’absence de tout lien direct ou indirect de certaines propositions avec le projet de loi initialement déposé sur le bureau de la présidence du Sénat peut donner lieu à équivoque sur le plan juridique et surtout est peu compréhensible et intelligible pour l’opinion publique.

Au regard du sujet sociétal posé et très clivant et des conceptions précitées dont nous avons fait état plus haut, il nous semble, que faute d’avoir pu statuer sur le fond, le recours à l’obiter dictum aurait pu être une voie souple et indolore utilisée par le Conseil constitutionnel dans ce débat enflammé et enflammant. Cette technique permet à une juridiction d’introduire dans la décision qu’elle rend un raisonnement qui n’a aucune force obligatoire et qui ne fait pas partie de la ratio decidendiIl a surtout le grand avantage de permettre de faire connaître à tous l’opinion d’une juridiction qui exprime sa doctrine qui serait susceptible de bâtir ses décisions ultérieures. Le locataire du 2 rue de Montpensier a déjà fait usage de cette technique pour faire connaître sa position sur des débats et problématique posés en arrière-plan de ses saisines. Nous pouvons citer sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, dans laquelle il se prononce par un obiter dictum sur la responsabilité du chef de l’État alors que le texte soumis ne portait pas précisément sur cette question : « 16. Considérant qu’il résulte de l’article 68 de la Constitution que le président de la République, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d’une immunité ; qu’au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la haute cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article ; ». Nous pouvons encore nous référer à sa décision déjà citée plus haut n° 85-197 DC du 23 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, dans laquelle par un obiter dictum il a énoncé sa doctrine sur l’ordonnancement juridique français et la place de la loi : « 27. Considérant donc que la procédure législative utilisée pour mettre en conformité avec la Constitution la disposition déclarée non conforme à celle-ci par le Conseil constitutionnel a fait de l’article 23 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique une application ne méconnaissant en rien les règles de l’article 10 de la Constitution et a répondu aux exigences du contrôle de constitutionnalité dont l’un des buts est de permettre à la loi votée, qui n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution, d’être sans retard amendée à cette fin ; ». Ainsi, nous pensons qu’un obiter dictum posant sa doctrine et ses principes au-delà des cavaliers législatifs distribués qui au final n’apportent rien au débat sociétal de fond très vif sur l’immigration aurait été opportun sur le plan juridique, d’autant plus que notamment le même législateur peut parfaitement revenir par la suite avec une proposition de loi comportant les articles censurés uniquement sur la forme et où la question du lien direct ou indirect ne se posera plus.

Le Droit n’a de pertinence selon nous que s’il est compris par le corps sociétal auquel il a vocation à s’appliquer. Cela passe par l’intelligibilité de la norme produite et des décisions rendues. La décision du Conseil constitutionnel et la médiatisation à laquelle elle donne lieu la rendent difficilement sur le plan sociétal décryptable, compréhensible et intelligible pour le corps électoral qui est pourtant la source de la souveraineté populaire sur lequel se fonde notre régime constitutionnel et politique. Ce corps incarnant la souveraineté du Peuple ne comprend rien aux subtilités des cavaliers législatifs pour un texte qu’il aurait sans aucun doute approuvé par voie référendaire s’il avait été sollicité à cet effet, si l’on tient compte des sondages publiés. Nous sommes donc bien comme nous l’avons déjà dit au début de cet article dans une confrontation nouvelle majeure opposant le règne du Droit, élément organisationnel de toute société évoluée et le règne du nombre fondé sur la souveraineté populaire directe ou représentative qui doit s’imposer car exprimant la volonté dominatrice du peuple souverain, quitte à remettre en cause tout notre édifice juridique et en premier lieu la Constitution elle-même avec tout l’héritage, les valeurs, les principes et les traditions qu’elle porte au-delà de la lettre du texte constitutionnel.

Pour une meilleure compréhension des articles censurés totalement et partiellement, nous avons établi un tableau récapitulatif ci-dessous.

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