
ARTICLE – La mer au cœur des civilisations antiques, entre épopées, mythologies et dangers de navigation
Publié: 3 octobre 2024, Pierre-Hubert Pernici, Université de Corse Pascal-Paoli, THE CONVERSATION
Le domaine maritime est omniprésent et indissociable des préoccupations politiques, économiques, culturelles et spirituelles des civilisations antiques, comme le prouvent de nombreuses représentations littéraires et artistiques.
Dans l’Antiquité déjà, la mer était considérée par l’homme comme une interface, une entité de passage, aussi bien d’un point de vue très concret que d’un point de vue abstrait et spirituel. En effet, d’une manière très pragmatique, elle permet la navigation et la liaison entre les espaces terrestres ; dans sa dimension plus spirituelle, la mer et l’océan renvoient également à la mort et au domaine funéraire. D’où la forte présence de leur représentation dans les contextes funéraires antiques méditerranéens. Cette idée profondément ancrée dans la pensée antique, principalement grecque, s’illustre par l’exemple du philosophe Anacharsis, qui ne sait dire si les gens qui sont en mer, sont à compter parmi les vivants ou bien parmi les défunts.
Culturellement, la mer occupe une place prépondérante dans la mythologie. Chez les Grecs, l’océan et la mer sont des divinités fondatrices, un père-océan (Pontos), auquel s’adjoint son pendant féminin, la mer (Thalassa), l’un et l’autre sont à l’origine de la vie marine. À ne pas confondre avec le titan Océan, à l’origine de tous les cours d’eau.
Épopées maritimes
La place de la mer dans de nombreuses civilisations de la Méditerranée, et même au-delà, correspond également à une conception spécifique du monde, qui s’oppose à la conception terrestre. Les bases de la mythologie grecque sont connues par les récits d’Homère et d’Hésiode, deux poètes grecs.
Pour le premier, le monde se conçoit principalement via le domaine maritime. Ses œuvres majeures, l’Iliade et l’Odyssée, représentant des épopées tournées vers la mer. Dans l’Iliade, c’est le récit de la Guerre de Troie qui est conté. Les cités grecques coalisées contre la cité troyenne s’en vont faire le siège de cette dernière en traversant la mer Égée, avec une vaste flotte d’environ un millier de navires.
À la suite de ce conflit, l’Odyssée nous conte le retour long et semé d’embûches du héros Ulysse vers sa cité, sa femme et son enfant. L’Odyssée, au-delà de toute considération littéraire et poétique, est également une manière pour Homère de nous montrer l’étendue des connaissances maritimes que possédaient les Grecs autour du VIIIe siècle av. J-.C, à une période où de nombreuses cités grecques s’aventurent sur la Méditerranée, fondent des comptoirs et des colonies et se structurent en tant que civilisation pérenne.
En revanche, pour Hésiode, qui pose lui aussi les bases de la mythologie et de la cosmogonie des Grecs, la mer représente un danger mortel. La navigation est nécessaire mais contraignante et synonyme d’un funeste destin. La dualité terre-mer est d’ores et déjà bien ancrée dans l’esprit méditerranéen de l’Antiquité.
Nous le disions, la mer est un lieu de passage, notamment celui du monde des vivants vers le monde des morts, élément bien présent dans les œuvres homériques. Pour les Grecs, il y a une mer intérieure (la Méditerranée) sur laquelle il est possible de naviguer, non sans mal, comme le rappelle le périple d’Ulysse. Au-delà de cette mer c’est l’Océan, qui correspond au domaine des morts, où règne la nuit éternelle et où se situe l’entrée des enfers, et par extension l’entrée dans le royaume des morts.
Le vin et la mer
Étant lié à cette idée de passage d’un monde à l’autre, les connexions avec Dionysos, dieu du vin, de la vigne et de l’excès, sont étroites et nombreuses. Les représentations artistiques mêlant Dionysos et le domaine maritime sont légion. Cela s’explique par le fait que Dionysos est lui-même le dieu des passages d’un état à un autre. Parmi ces diverses représentations, il est possible de retrouver, entre autres, des scènes de naumachie (spectacle représentant une bataille navale), de pêche, parfois simplement des navires voguant sur la mer, ou bien encore des références à des mythes et créatures marines.
C’est principalement par la pratique du banquet funéraire que cela s’observe, pratique aussi bien répandue dans le monde grec que le monde étrusque. La liaison entre mer et vin dans a la pensée antique s’illustre parfaitement dans les récits homériques à travers l’expression de « mer vineuse ». Cette expression littéraire s’illustre également dans les décors des céramiques qui servent à la pratique du banquet. Le vin, pur ou mélangé, représente la mer sur laquelle voguent les navires qui figurent sur les décors peints des vases et des coupes.
Dangers de la navigation
La navigation est nécessaire à l’expansion politique, économique et culturelle des cités et civilisations méditerranéenne. Or, la pratique de la navigation nécessite fatalement de s’aventurer sur la mer et d’en braver les dangers et l’instabilité. Ce sont ces dangers et les conditions particulières de la mer qui ont façonné les mythes et la popularité de la thématique maritime dans l’Antiquité.
C’est d’ailleurs cela que veut montrer Hésiode lorsqu’il présente les périodes favorables et défavorables à la navigation. Ainsi le poète identifiait déjà le phénomène de saisonnalité qui rythme la pratique de la navigation, avec l’idée d’une mer ouverte et d’une mer fermée, selon les moments de l’année. Effectivement, pendant la période hivernale, les conditions de navigation sont bien plus instables que pendant la période estivale, ce qui implique une dangerosité accrue.
À cela s’ajoutent les dangers physiques, liés à la nature des côtes et du littoral, il s’agit des écueils et des hauts-fonds qui peuvent causer le naufrage et sont des dangers mortels. C’est, là encore, un thème très présent dans la mythologie et dans la tradition funéraire antique. Ce danger est représenté généralement par la figure de la sirène. Dans le périple d’Ulysse ainsi que dans celui des Argonautes, la sirène est en fait une allégorie des écueils qui parsèment de nombreuses côtes de la Méditerranée. Plusieurs céramiques arborent au sein de leur décor des sirènes, dans des rôles plus ou moins centraux.

Un autre danger très fréquent pour les marins de l’Antiquité, cet fois-ci humain, était la piraterie. Une pratique aussi ancienne que la navigation elle-même. Bien qu’elle n’était pas vraiment perçue de la même façon qu’elle l’est de nos jours, elle représentait quand même un danger et faisait partie du quotidien de la navigation. Ainsi il n’est pas surprenant de retrouver des mythes autour des pirates, et encore moins de les observer à plusieurs reprises sur des céramiques antiques.
À travers tous ces exemples de représentations, nous constatons que le domaine maritime est omniprésent et un élément indissociable des préoccupations politiques, économiques, culturelles et spirituelles des civilisations antiques. Dans des formes différentes, ce phénomène s’est perpétué tout au long de l’histoire humaine, jusqu’à nos jours où le rapport de l’homme à la mer est un élément capital dans bien des pays.

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.