
LE DOSSIER BUDGET 2025 DE METAHODOS, PARTIES 1 à 7 :
UN BUDGET EN AUGMENTATION, GRÂCE À UNE FISCALITÉ SUPPLEMENTAIRE DE 30 MILLIARDS D’EUROS – COMMENT PARLER D’ÉCONOMIES ? DOSSIER 7
ARTICLE – Budget 2025: personne ne veut la rigueur, mais tout le monde est content que Michel Barnier fasse le sale boulot
Gérard Horny a effectué l’essentiel de sa carrière dans un hebdomadaire financier. Il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Le dérapage des finances publiques nécessitait une action forte. Le Premier ministre, publiquement très critiqué de tous les côtés, a une carte maîtresse en main: il prend des mesures que personne ne veut assumer.
Le déficit public devait se situer à 4,4% du PIB en 2024: il est officiellement estimé aujourd’hui à 6,1%. Le dérapage est incontestable. Il avait d’ailleurs déjà commencé en 2023 et plus personne ne cherche à le nier. Le débat porte seulement sur la responsabilité des uns et des autres et sur la façon dont il faut redresser nos finances publiques.
Le ministre de l’Économie Antoine Armand et le ministre chargé du Budget Laurent Saint-Martin, dans leur présentation du budget 2025, proposent plusieurs explications: des recettes décevantes, une remontée des taux d’intérêt qui a pesé sur la charge de la dette, la prise en compte de l’inflation passée dans la revalorisation des prestations vieillesse (par ailleurs en hausse du fait, comme les dépenses de santé, du vieillissement de la population) et, enfin, une augmentation des dépenses des collectivités locales.
Chronique d’une catastrophe annoncée
Toutes ces explications sont justes, mais il faut tout de même remarquer que ni le vieillissement de la population ni l’inflation passée ne sont des surprises. La hausse des dépenses des collectivités locales serait par ailleurs peut-être plus aisément supportable si le président de la République n’avait pas voulu alléger voire supprimer certains impôts locaux à un moment où les charges pesant sur ces collectivités s’alourdissaient. C’est notamment le cas du revenu de solidarité active (RSA), financé par les départements.null
Quant à la faiblesse des rentrées fiscales, elle est manifeste depuis le début de l’année. Avec des dépenses de consommation très faibles (et même un léger recul de 0,1% au premier trimestre de cette année), la TVA, qui devait rapporter 100,8 milliards selon la loi de finances initiale pour 2024, ne devrait rapporter en fait cette année que 96,1 milliards. Des déceptions ont été constatées également sur l’impôt sur les sociétés (57,7 milliards selon les estimations actuelles au lieu des 72 milliards attendus) et l’impôt sur le revenu (88,1 milliards au lieu de 93,4 milliards).
Peut-être aurait-il fallu réagir plus fortement en cours d’année et aller au-delà de la coupe de 10 milliards dans les dépenses décidée par décret le 22 février. Mais le pouvoir exécutif n’a pas voulu annuler d’autres dépenses (le décret du 22 février a été très mal reçu dans l’opinion publique) alors que les élections européennes approchaient et que des élections législatives non programmées ont suivi. Dix milliards de crédits supplémentaires ont toutefois été gelés le 16 juillet, mais un projet de loi de financesrectificative a été refusé à Bruno Le Maire.null
Une seule surprise: l’ampleur du sinistre
Surtout, le pouvoir exécutif n’a pas voulu entendre les mises en garde qui lui avaient été adressées dès le mois de septembre 2023 par le Haut conseil des finances publiques: «La prévision de déficit public pour 2024 (4,4 points de PIB) conjugue principalement des hypothèses favorables et paraît optimiste. La prévision de prélèvements obligatoires est en effet tirée vers le haut par la prévision de croissance élevée de l’activité et, au-delà, par des hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts (croissance de la TVA supérieure à celle de sa base taxable, arrêt de la baisse des droits de mutation à titre onéreux). De plus, les dépenses risquent de s’avérer plus élevées que prévu.» Ce qui est arrivé en 2024 est tout sauf un accident imprévisible.
Le plus surprenant est l’ampleur du sinistre. Le gouvernement misait sur un déficit public en repli en 4,4% du PIB après 5,5% en 2023. En réalité, celui-ci est reparti à la hausse et est même passé nettement au-dessus de celui de 2023, à 6,1% du PIB selon les estimations actuelles. Cette fois, il n’est plus possible de faire comme si de rien n’était.null
Visions opposées
Que faire? Pour la gauche, le problème est simple. Il ne faut surtout pas toucher aux dépenses: les réduire aurait un impact fortement négatif sur l’activité économique, ce qui ne ferait qu’aggraver le problème, et les premières victimes des coupes seraient les fonctionnaires et ceux qui ont le plus besoin de services publicsefficaces et dépendent le plus des prestations sociales –en clair, les plus démunis.
La solution s’impose, si l’on ose dire: il faut augmenter l’impôt sur les grandes fortunes et les hauts revenus et arrêter de faire des cadeaux aux entreprises. En prenant l’argent là où il est, on retrouvera des marges de manœuvre et on pourra réduire progressivement les déficits, lesquels ne sont d’ailleurs pas un problème en soi: s’ils financent des dépenses utiles, ils sont au contraire bénéfiques.null
Au centre et à droite, on n’a pas du tout la même vision. Pour ceux qui ont soutenu l’action du président de la République, il n’est pas question de toucher au dogme: il est inenvisageable de revenir sur les baisses d’impôts. Seules la réduction des dépenses et la recherche d’une plus grande efficacité dans l’utilisation des deniers publics doivent conduire à l’assainissement des finances publiques. Chez Les Républicains et à l’extrême droite, on se montre un peu plus souple sur le recours au levier fiscal, à condition qu’il soit modéré; quant aux dépenses, les coupes doivent être très sélectives et épargner complètement certains domaines comme la sécurité.
Un projet de budget qui mécontente tout le monde
Que fait Michel Barnier? Le projet de loi de finances et celui de financement de la Sécurité sociale présentés le 10 octobre, avec plus d’une semaine de retard sur le calendrier normal, ont une particularité remarquable: ils ont été conçus de telle façon qu’ils doivent mécontenter tout le monde. Il y a des hausses d’impôts sur les riches et les entreprises, mais très raisonnablement calibrées, et pratiquement tout le monde sera amené à contribuer, par exemple avec la hausse des accises sur l’électricité. Quant au recul des dépenses publiques, il ne satisfait pas ceux qui en réclament davantage à cors et à cris et veulent la fin de «l’assistanat».null
De fait, la présentation du budget faite par l’équipe de Michel Barnier est assez tendancieuse: elle part de l’idée que si rien n’était fait en 2025, le déficit des finances publiques atteindrait 7% du PIB. Or, pour que le plan d’assainissement soit jugé crédible, il faudrait dès la première année revenir à 5%, ce qui représente un recul de 2 points de PIB, soit environ 60 milliards, si l’on prend pour point de départ ce niveau hypothétique de 7%.
«La cible d’évolution des dépenses publiques prévue pour 2025 apparaît particulièrement ambitieuse.»
Haut conseil des finances publiques
Pour y arriver, on augmenterait les recettes de 20 milliards et on réduirait les dépenses d’environ 40 milliards (une vingtaine pour l’État, une quinzaine pour la Sécurité sociale et cinq pour les collectivités locales). Les chiffres sont élevés et simples à retenir, ils frappent l’opinion et mettent l’accent sur la modération des dépenses.null
Le Haut conseil des finances publiques a refusé de tomber dans le panneau: il estime que l’effort annoncé porte en fait sur 42 milliards et que l’essentiel, 30 milliards, soit 70% du total, s’explique par la hausse des prélèvements obligatoires. Et, perfidement, il laisse entendre que «la cible d’évolution des dépenses publiques prévue pour 2025 apparaît particulièrement ambitieuse et supposerait, pour être atteinte, la mise en place rapide des mesures d’économies annoncées, alors que leurs modalités sont à ce jour peu définies». Voilà qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui estiment que l’effort sur les dépenses devrait être plus important.
Des choix parfaitement logiques
Faut-il vraiment s’étonner des choix faits par Michel Barnier? Ceux-ci sont parfaitement logiques. Les hausses d’impôt sont impopulaires, mais quand on met en avant celles qui pèseront sur les plus riches et les grandes entreprises, cela passe sans trop de douleur. De surcroît, ce gouvernement a choisi d’y aller avec modération: la contribution différentielle sur les très hauts revenus aura pour but d’aboutir à une contribution égale à 20% du revenu fiscal de référence. Finalement, il semble qu’elle ne touchera que 24.300 ménages, alors qu’on parlait de 65.000 au départ, et un taux d’imposition de 20% du revenu fiscal de référence n’est pas d’une violence extrême. On peut même se demander si cette mesure permettra effectivement d’atteindre les 2 milliards de recettes annoncés.null
Sur les 19,3 milliards de recettes supplémentaires figurant dans le projet de loi de finances, 13,6 milliards seront perçus sur les entreprises. Sur les 5,7 milliards à percevoir sur les particuliers, 2 milliards seraient donc perçus sur les plus aisés. Certes, la hausse des accises sur l’électricité, qui touchera tous les foyers, devrait rapporter 3 milliards, mais le recul des prix de l’électricité sur le marché devrait conduire à une baisse des factures, ce qui doit rendre cette hausse presque indolore (au passage, le gouvernement en profite pour faire passer aussi une hausse de la TVA sur les abonnements au gaz et à l’électricité, qui montera du taux réduit de 5,5% au taux normal de 20%…). Au total, ces mesures fiscales devraient pouvoir passer dans l’opinion sans trop de difficultés.
Les hausses d’impôts et de taxes ont un autre avantage: elles peuvent être prises très vite et elles ont un effet immédiat. La baisse des dépenses est beaucoup plus difficile. Il faut le répéter: les dépenses inutiles n’existent pas, toutes ont un bénéficiaire qui n’apprécie pas que l’on touche à son revenu. La moindre initiative en ce domaine a des répercussions dans l’opinion publique qui dépassent presque toujours les prévisions. Et les conséquences économiques peuvent être lourdes.null
Pour bien faire, il faudrait à chaque fois effectuer des études d’impact. En quinze jours, le gouvernement Barnier n’a évidemment pas eu le temps de mener une réflexion approfondie et l’on comprend que la plupart des mesures annoncées sont parfois encore floues. Enfin, pour être efficaces dès lors qu’il s’agit de réduire rapidement le déficit budgétaire, ces mesures doivent concerner des postes importants.
Le bal des faux-culs
On s’étonne par exemple que le Premier ministre, après avoir publiquement affirmé dès la passation de pouvoirs que l’école resterait la priorité du gouvernement, fasse figurer dans son projet de budget la suppression de 4.000 postes d’enseignants. Mais si l’on veut réellement faire des économies, c’est bien sur les gros ministères qu’il faut frapper, pas sur le budget des Anciens combattants.null
Un autre exemple significatif est celui des retraites, qui pèsent particulièrement lourd dans les dépenses publiques… et les déficits. En 2024, la branche vieillesse de la Sécurité sociale devrait dépenser 293,7 milliards et afficher un déficit de 6,3 milliards. Beaucoup d’économistes pensent que c’est là qu’il faut porter l’essentiel de l’effort. Michel Barnier a annoncé que la revalorisation des retraites pour tenir compte de l’inflation n’interviendrait pas au début de 2025, mais seulement le 1er juillet. À elle seule, cette décision devrait permettre d’économiser 3,6 milliards. C’est énorme, pour une mesure qui ne remet en question aucun droit et constitue simplement un report dans le temps.
Comme il fallait s’y attendre, la réaction est très négative, non seulement parmi les retraités et leurs proches, mais aussi et peut-être surtout dans le monde politique. Tous les ténors se déchaînent, y compris ceux qui réclament des actions énergiques. C’est le bal des faux-culs. Cette indignation surjouée à droite comme à gauche ne trompe personne: chacun sait que les seniors sont les électeurs les plus assidus les jours de scrutin. Il faut absolument les défendre, ou du moins en avoir l’air.null
Incertitude politique
Cette réaction montre à quel point la partie qui se joue va être difficile. Car le budget 2025 n’est pas seul en jeu. Alors que les hausses de recettes atteignent leurs limites –ne nous dit-on pas que certaines d’entre elles sont temporaires?– , le retour à une situation moins déséquilibrée des finances publiques va dépendre pour l’essentiel de la réduction des dépenses ou, tout au moins, de leur modération, comme on dit à Bercy. Or on voit bien que la partie n’est pas gagnée.
Le Haut conseil des finances publiques, dans son avis sur le plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2028,, estime que les informations transmises ne lui permettent pas d’apprécier «le réalisme de la trajectoire pluriannuelle» inscrite dans ce plan.null
Les jours de Barnier à Matignon commenceront vraiment à être comptés quand il pourra afficher de bons résultats.
L’agence Fitch, qui vient de confirmer la note AA- donnée à la dette publiquefrançaise, mais la place sous surveillance négative, estime que le déficit public de la France sera encore de 5,4% en 2025 et 2026 et qu’il ne passera pas au-dessous de 3% en 2029, contrairement à ce que promet le gouvernement. Elle constate notamment que l’incertitude politique est grande et que le gouvernement risque de devoir faire des concessions pour faire passer ses textes budgétaires.
Mais tous ceux qui s’inquiètent (ou se réjouissent) de la fragilité de ce gouvernement ont peut-être tort. Car tous les dirigeants politiques qui critiquent son projet de budget avec des arguments opposés ont au fond intérêt à ce que Michel Barnier reste en place: exercer le pouvoir dans les conditions financières actuelles, c’est prendre de grands risques. Mieux vaut laisser ce Premier ministre adopter les décisions les plus difficiles et le renverser quand les finances publiques commenceront à s’inscrire dans la bonne trajectoire. Ses jours à Matignoncommenceront vraiment à être comptés quand il pourra afficher de bons résultats…
La dette publique va continuer à augmenter
La période qui s’ouvre va de toute façon être compliquée. Même si le retour vers un déficit public inférieur à 3% du PIB se fait progressivement d’ici à 2029, il est sûr que cette rigueur budgétaire (certains parlent d’austérité, mais c’est déjà un terme qu’ils employaient quand les précédents gouvernements laissaient filer les déficits) va peser sur la croissance et les revenus. Pourtant, cette phase de rigueur est nécessaire. Ainsi que le souligne le Haut conseil des finances publiques, même si la réduction des déficits a lieu effectivement comme cela est annoncé, la dette publique va continuer à augmenter et elle ne commencera à baisser, en pourcentage du PIB, qu’à partir de 2028. En 2031, elle serait encore à 113,5% du PIB, contre 110% en 2023.
Quant au service de la dette (le paiement des intérêts), qui représentait 1,9% du PIB en 2023, il monterait jusqu’à 3,5% du PIB en 2031 avant de commencer à refluer l’année suivante (à condition qu’il n’y ait pas de nouveaux dérapages). Si l’on raisonne sur la base du PIB d’aujourd’hui, 3,5 points, c’est 105 milliards: ce serait le premier poste de dépense, loin devant l’Éducation nationale. Si l’on veut retrouver des marges de manœuvre et financer les dépenses prioritaires telles que la transition énergétique et écologique, cette remise en ordre des finances publiques est indispensable.
À tous ceux qui s’intéressent à ces questions, on ne peut que recommander la lecture des Nouvelles leçons d’histoire économique de Jean-Marc Daniel, professeur émérite d’économie à l’ESCP Business School. On peut ne pas être d’accord avec les conclusions de l’auteur et sa vision très libérale de l’économie, mais il faut se rendre à l’évidence: cette histoire remarquablement documentée est passionnante et montre comment, au fil des siècles, la nécessité d’assurer des rentrées d’argent dans la caisse du souverain puis de l’État a façonné la pensée économique. C’est à la fois distrayant et instructif, et cela nous rappelle que la question du financement de la dette publique a été au cœur d’événements politiques majeurs, dont la Révolution française. On n’a pas fini d’entendre parler d’histoires de dette et de déficit!