ÉMISSION – Pierre Rosanvallon : « La révolution démocratique attendue est une politique de la proximité »

Vendredi 12 juillet 2024 FRANCE INTER

Les élections législatives anticipées ont renversé le jeu politique et créé de l’incertitude. Populisme, démocratie, lien social : on continue d’éclairer les questions que cela soulève avec Pierre Rosanvallon, historien, sociologue et auteur de nombreux ouvrages de référence.

Avec

• Pierre Rosanvallon Historien et sociologue, directeur d’études de l’EHESS en histoire et philosophie du politique

La période politique ouverte par la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron le 9 juin est inédite. Or, en l’absence de majorité claire au sein de la nouvelle Assemblée, la France doit-elle renouer avec un régime parlementaire ? Comment faire émerger une coalition durable des trois principales forces en présence ?

Alors que le Rassemblement national était presque déjà entré à Matignon, les digues républicaines ont tenu, mais lorsque les vagues se retirent, les fractures sociales apparaissent plus importantes que jamais.

Au-delà de la formation d’un gouvernement, comment entendre toutes les colères, le désarroi et les envies des Français après ce choc politique mais aussi psychologique ? Comment se réconcilier et quelle est la place de la société civile dans la construction de notre futur politique ?

De nouvelles pratiques de la démocratie

Pour sortir du marasme actuel, il ne suffit pas de changer de gouvernement ou de Premier ministre, estime Pierre Rosanvallon, historien, sociologue et professeur émérite au Collège de France. « Il faut définir de nouvelles pratiques de la démocratie. Beaucoup de Français ont le sentiment qu’ils n’ont pas été écoutés, que la politique est trop loin d’eux, qu’on ne prend pas en compte les réalités qu’ils vivent. »

Qu’il s’agisse du pouvoir d’achat ou de la réforme des retraites, qui sont des problèmes réels, l’historien estime que le langage et l’action politique demeurent « en surplomb, dominants », sans aborder les déclinaisons de ces sujets dans la vie quotidienne des Français, sur le logement, le transport, le prix de l’essence… « Je crois que trop souvent, le problème de la politique, c’est une gestion statistique du pays et des populations. »

Il prend l’exemple des propositions concernant l’ISF, citées dans un entretien par Ingrid Levavasseur, l’une des grandes figures du mouvement des Gilets jaunes. Peut-être la réforme de l’ISF est-elle une bonne idée en termes de théorie économique et de justice sociale, souligne-t-elle, mais beaucoup de gens se demandent : « Qu’est-ce que cela va changer dans ma vie, concrètement ? »

S’adresser aux « individus sensibles »

Ainsi, pour Pierre Rosavallon, « la révolution démocratique attendue aujourd’hui, c’est de définir une politique de la proximité. Une politique qui s’adresserait aux individus sensibles, qui prendrait en compte ce que vivent au quotidien, dans leur chair, les hommes et les femmes de ce pays. »

Pour cela, poursuit le sociologue, il est indispensable d’« élargir le sens de la démocratie ». De réinventer le Parlement, certes, mais aussi de diffuser ses fonctions démocratiques dans toute la société. À l’université, dans les médias, dans tout le monde culturel et associatif, « faire en sorte que personne ne se sente oublié ». C’est, à ses yeux, la seule façon de « conjurer la montée du Rassemblement national ». Une ascension liée, selon lui, au sentiment de nombreux électeurs d’avoir été trompés, de ne pas avoir été pris en considération.

À écouter : La démocratie selon Pierre Rosanvallon : « Chacun de nous peut avoir une action politique »

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