
ÉMISSION – Militants politiques : comment entretenir la flamme ?
Vendredi 1 novembre 2024 FRANCE CULTURE
La part des Français « sans proximité partisane » a explosé depuis 2017, constatent les sondeurs. Mais qui sont ceux qui s’engagent encore aujourd’hui au sein d’un parti, malgré les désillusions ? Qu’est-ce qui les anime ? Et comment s’efforcent-ils de redonner du crédit à l’offre politique ?
Avec
- Julien Fretel Professeur de science politique à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, il a codirigé « L’entreprise Macron » (PUG, 2019)
Ils ne manquent pas de superlatifs. Depuis l’été, les différents chefs des partis politiques ne cessent de vanter la remontée du nombre de leurs adhérents. Selon ses calculs, le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, compte plus de 5 000 nouveaux venus dans ses rangs depuis le Nouveau Front Populaire. « Nous avons passé la barre des 100 000 adhérents« , se félicitait quant à elle Marine Le Pen le 2 juillet dernier.
Mais en septembre, à l’heure de renouveler sa cotisation, cette dynamique se confirme-t-elle ?
Pour le dire, difficile de s’appuyer sur des chiffres : il arrive qu’ils soient gonflés par les organes partisans. Surtout, ils illustrent assez peu la réalité de terrain. Il faut distinguer l’adhérent carté mais passif, de celui qui s’engage activement, tracte le week-end sur les marchés, pose ses questions durant les réunions de groupe et vote pour les grandes directions de son parti, nuance Julien Fretel, professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Dans ce reportage, nous partons à la rencontre de cette seconde catégorie de militants, en quête de compréhension sur ce qui entretient leur flamme militante.
Chez Renaissance, l’heure est à la remobilisation
La sentence est tombée le 15 octobre dernier. Selon des informations du Figaro, le parti ne compterait plus que 8 500 adhérents. Bien loin des 400 000 revendiqués en 2017. Certes, à l’époque, il ne suffisait que d’un clic pour être comptabilisé parmi les militants – le statut d’adhérent chez Renaissance n’a été crée qu’en 2022 – mais une chose est sûre, la dynamique En Marche ! est bien retombée, reconnait Léo Allaire, référent pour le parti Renaissance dans le 13e arrondissement de Paris.
« Ce chiffre, je pense qu’il va être plus important grâce au congrès du parti « , espère Léo, faisant référence ici au congrès qui doit se tenir les 23 et 24 novembre prochains. En attendant, dans son arrondissement, il organise des réunions mensuelles pour continuer « de faire vivre les idées de Renaissance dans notre quartier« . Ce lundi soir, la réunion est organisée dans le fond d’un bar de l’Avenue d’Italie et réunit une petite dizaine de personnes. Autour de la table, Paule, retraitée des PTT, est convaincue que le macronisme survivra à Emmanuel Macron et à la fin de son deuxième quinquennat.
Ce n’est cependant pas la seule raison qui la fait rester. « Je n’ai pas de famille ici à Paris, d’ailleurs je n’en ai quasiment plus du tout et avec ce groupe j’ai trouvé une deuxième famille, des gens avec qui je peux échanger, on peut aller au restaurant et donc pour moi c’est important, j’en ai vraiment besoin« , confie-t-elle. Un espace de sociabilisation d’autant plus important pour elle que l’actualité nationale et géopolitique la plonge dans de profondes angoisses. « Avoir ces échanges avec des gens qui peuvent me rassurer, c’est un énorme plus« , ajoute-t-elle.
« Les comités s’endorment en dehors des périodes électorales »
À quelques rues, la section locale du groupe Horizons organise elle aussi sa rentrée autour de sa référente, Pegah Malek-Ahmadi. La jeune trentenaire s’est portée candidate dans la circonscription aux derniers législatives, arrivant deuxième, derrière la députée du NFP Sandrine Rousseau. « J’ai réussi à m’imposer à droite et au centre face à des candidats plus installés que moi et je pense que c’est grâce à la mobilisation des militantes« , explique-t-elle.
Depuis que son comité a été créé en mars 2022, elle s’est fixée comme règle d’organiser une réunion tous les lundis. Depuis, elle développe aussi des temps d’échanges avec des élus, des réunions thématiques ou bien encore des conférences avec des associations. « J’avais l’impression que beaucoup de comités locaux s’endormaient un peu en dehors de toute période électorale et ce n’est pas ce que je voulais pour Horizons. Ce rythme c’est ce qui nous a aidé pour les législatives » selon elle, car ses militants ont été « très réactifs » et prêts à se mobiliser.
Au RN, l’enjeu de la professionnalisation s’adresse aussi aux militants
Céline Sayah est affirmative. Les législatives ont amené de nombreux nouveaux militants au Rassemblement national, mais la dynamique était déjà en cours depuis plusieurs années, « depuis au moins deux ou trois ans« , selon celle qui est aussi la responsable du Rassemblement de la jeunesse dans le Nord. Ce samedi 26 octobre, elle organise une action de tractage sur le marché de Croix, une ville située à quelques kilomètres de Lille et qui se trouve dans la circonscription où elle a porté sa candidature aux dernières élections législatives, avant d’être battue par la candidate Horizons.
Ce jour là, l’enjeu « est de montrer qu’on reste actif même en dehors des périodes électorales« , soutient Céline Sayah. Mais à ses côtés, les nouvelles recrues attendent aussi beaucoup de cette matinée. « C’est en quelque sorte une formation ce qu’on fait ce matin« , défend Ethan, 16 ans, qui tracte « pour la toute première fois« . Pour lui « c’est toujours important de faire partie d’une famille politique où idéologiquement on se comprend ».
En étant mineur, il ne pouvait pas adhérer sans une demande de tutelle. C’est donc Céline qu’il a choisi pour être sa tutrice, car impossible pour lui d’attendre ses dix huit ans. « Actuellement, je suis dans un climat d’insécurité à Roubaix et le RN est la seule opportunité de retrouver sur le territoire une sécurité parfaite », déroule-t-il devant le regard approbateur de Céline Sayah qui l’encourage dans ses ambitions. « Je vais continuer mes études et j’espère par la suite trouver une petite place dans le parti« , ajoute-t-il.
Avant cela, il devra continuer de se former. L’enjeu de professionnalisation touche aussi les militants, vivier de potentiels candidats aux élections pour le RN. Les législatives et la candidature de « quelques brebis galeuses » ont montré aux cadres du parti que la formation politique restait un des axes sur lesquels ils devaient encore travailler.
Pour les jeunes, le RN a donc développé de nombreux outils de formation ces dernières années comme le campus de formation Héméra, un guide militant, ou encore un recueil de conseils littéraires où Tolkien côtoie Laurent Obertone, Christophe Guilluy ou encore Charles Peguy.
L’union des gauches : le dernier espoir ?
La peur de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir couplé à l’union des gauches ont été deux ingrédients qui ont permis de faire décoller la campagne du Nouveau Front Populaire. Dans ce contexte, des sympathisants, souvent défiants des partis politiques, ont voulu s’engager.
Pour répondre à leur demande, plusieurs initiatives ont été créées en dehors des organes partisans. C’est l’histoire notamment des Convois de la Victoire, un projet imaginé par une dizaine de militants, pour la plupart engagés chez la France Insoumise. L’idée : organiser des déplacements de militants venus de partout en France vers les circonscriptions où le candidat du NFP était en difficulté, détaille Emma, l’une des organisatrices.
« Les gens nous rejoignaient car ils étaient angoissés et avaient besoin d’agir« , explique Margaux, co-fondatrice des Convois. « Même si aujourd’hui les Convois, on est pas de nouveau tout de suite sur le terrain, on voit que rien ne se perd, tout se transforme », martèle-t-il. En tout, l’initiative a mobilisé « entre 2 000 et 2 500 personnes envoyés dans 32 circonscriptions différentes« , estime l’un des autres co-fondateurs Théo.
« Tous ces gens qui se sont politisés via les Convois, ils sont quelque part dans les mobilisations sociales, ou dans des associations, ils suivent les débats sur le budget avec attention. Rien n’est perdu, ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus aujourd’hui engagés sur le format politique qu’ils ne sont pas quelque part. Ce qui est sûr, c’est que si jamais il y a des élections dans un an, ils seront de nouveaux là sur le terrain. »
L’équipe
- Aurélie KiefferProduction
- Jeanne CerinJournaliste
- Annie BraultRéalisation
- Caroline BennetotCollaboration
LIEN VERS L’ÉMISSION