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VIVRE EN PHILOSOPHIE AVEC METAHODOS : L’IA N’A PAS D’ESPRIT

Notre intelligence est faite de doute, d’humour, d’hésitation, d’ambiguïté. L’esprit.

« Notre intelligence à nous est faite d’une autre matière : le doute, l’humour, l’hésitation, l’ambiguïté, la question indécidable du sens de la vie. Et cette autre matière, c’est peut-être cela que nous nommons : l’esprit. »

ÉMISSION – « Qu’est-ce que la philosophie peut nous dire de l’intelligence artificielle ? ».

Samedi 19 octobre 2024 RADIO FRANCE

D’abord que c’est une intelligence. Intelligence vient de intellegere qui veut dire saisir, comprendre, mettre en relation différentes données. Plus on a de données à mettre en relation, plus on peut donc comprendre de choses. De ce point de vue-là, l’IA est très intelligente, bien plus intelligente que nous. Si l’intelligence c’est d’analyser et de traiter des données, nous ne pouvons à l’évidence pas rivaliser avec l’IA.

Ensuite que c’est une intelligence qui parle. Quiconque utilise Chat GPT 4 s’en rendra compte : le langage n’est plus le propre de l’homme et cela est parfaitement ahurissant, on peut même y voir une blessure narcissique comme il y en a peu dans l’histoire de l’humanité.

Vous vous souvenez surement du mot de Freud sur les trois grandes blessures narcissiques de l’humanité ?

La première c’est Galilée, la Terre n’est plus au centre de l’Univers, la deuxième c’est Darwin, l’homme est une espèce animale parmi d’autres dans l’évolution, et la troisième c’est Freud lui-même, avec la découverte de l’inconscient

Exactement, et la quatrième, c’est peut-être cette IA générative qui pense et qui parle. Les auteurs de SF nous avaient prédit un futur plein de robots, de cyborgs, d’androïdes, ils n’avaient pas vraiment vu venir cette IA minuscule, tenant sur une puce, et capable de penser, de parler, de converser, de lire aussi d’ailleurs, car n’oublions pas que c’est en lisant que les IA deviennent aussi intelligentes.

Si nous continuons à ne pas lire, à passer nos soirées à scroller au lieu de lire, et si les IA continuent à apprendre en lisant, nous avons peu de chances de nous faire notre place au soleil dans le monde de demain dirigé par les IA.

Pour bien comprendre la blessure narcissique qui nous est infligée par ces IA, il faut se souvenir aussi que les progrès de l’éthologie, l’étude des comportements animaux, nous avaient déjà montré qu’il était difficile de trouver un propre de l’homme.

La conscience ? Les animaux en ont une, même moins développée. L’altruisme ? Il y a des animaux altruistes. Le soin accordé aux défunts ? Il n’y a qu’à voir les fourmis porter le corps d’une de leurs congénères pour comprendre que nous ne sommes pas seuls à prendre soin de nos morts… Après tous ces progrès de l’éthologie, une seule piste de propre de l’homme tenait encore la route… : le langage !

Mais voila que l’IA parle ! Nous sommes vraiment cernés ! A droite, les animaux qui rivalisent en conscience, organisation sociale, respect des morts etc.. A gauche, les IA qui rivalisent en langage ! Que nous reste-t-il ? Devons-nous abandonner toute idée du propre de l’homme ?

Vous y allez un peu fort non ? Ne nous reste-t-il pas une forme d’intelligence proprement humaine ?

C’est vrai, vous avez raison : l’intelligence humaine n’est pas simple analyse de données, elle est aussi réflexion sur les valeurs et sur le sens de la vie, et de cela l’IA n’est pas capable, ou en tout cas pas encore. Elle peut archiver parfaitement les différentes réponses apportées dans l’histoire à la question du sens de la vie, produire un parfait catalogue raisonné des différentes perspectives sur cette question mais, au fond, elle ne peut pas vraiment se poser cette question. Elle ne peut pas non plus hésiter entre deux réponses, elle ne peut pas douter. Bref, elle ne peut pas philosopher.

Nous, les humains, nous sommes capables d’hésiter vraiment : le sens de la vie… est-ce de chercher à se rendre heureux à tout prix ? Ou avant tout d’être lucide, quitte à être malheureux ? Quand nous nous posons vraiment cette question, nous les humains, cette question traverse notre corps, elle nous réchauffe parfois la poitrine, ou nous fait mal au ventre, ou agite nos pieds sous la table pendant que nous argumentons… Bref, nous pensons aussi avec notre corps, nos émotions, nos affects, et de cela, l’IA n’est pas capable…

L’IA n’est pas capable non plus de tomber amoureuse, d’avoir un choc esthétique ou mystique ; elle n’est pas capable de trouver beau ce qu’elle ne comprend pas. Elle est une intelligence qui utilise les données, les data, l’électricité, le silicium, la matière, les statistiques, les probabilités, et avec cela elle peut produire des étincelles.

Notre intelligence à nous est faite d’une autre matière : le doute, l’humour, l’hésitation, l’ambiguïté, la question indécidable du sens de la vie. Et cette autre matière, c’est peut-être cela que nous nommons : l’esprit.

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