
LA 1ere MINISTRE A BIEN REÇU UNE LETTRE DE BERCY MAIS … PAS DE DEMANDE DE RDV
L’ancienne Première ministre a été auditionnée au Sénat dans le cadre d’une mission d’information sur la dérive des comptes publics. Une note de Bercy lui recommandant dès la mi-décembre 2023 de communiquer largement sur la situation critique des finances n’a pas été suivie d’effets.
1. ARTICLE – Dérapage budgétaire : ce courrier de Bercy qui embarrasse Elisabeth Borne
Par Sébastien Dumoulin LES ÉCHOS 16 nov. 2024
Vendredi après-midi, c’était au tour de l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne d’être auditionnée par la mission d’information de Sénat sur la dégradation du déficit public. Tout aurait dû bien se passer. Son successeur à Matignon, Gabriel Attal, était déjà passé sur le gril, ainsi que les anciens ministres Thomas Cazenave et Bruno Le Maire. Et tous avaient défendu vigoureusement leur bilan , en dépit du ton parfois très vif des échanges avec les sénateurs – et notamment des questions du rapporteur général du Budget (LR) Jean-François Husson. Mais Elisabeth Borne a été gênée par un courrier, dont les sénateurs ont eu connaissance ces derniers jours et que « Les Echos » ont pu consulter.
Le silence de Matignon
La note date du 13 décembre 2023. Elle est adressée à la Première ministre par son ministre de l’Economie Bruno Le Maire, et son ministre du Budget Thomas Cazenave. Et les deux locataires de Bercy n’y vont pas par quatre chemins. Ils soulignent le possible dérapage des comptes, et invitent Elisabeth Borne à « partager largement le caractère critique de notre situation budgétaire, à la fois au sein du gouvernement, mais également dans l’opinion publique ». Or, le voile ne sera levé que deux mois plus tard, par Bruno Le Maire sur TF1 . Pourquoi Matignon a-t-il choisi à l’époque de faire le mort ?
Autour de cette question, Elisabeth Borne louvoie. « En général, quand une situation est très alarmante, le ministre vient rencontrer le Premier ministre », assure-t-elle, pointant que le locataire de Bercy ne viendra la voir que le 4 janvier. Par ailleurs, l’ancienne cheffe du gouvernement brandit une autre note, envoyée par les services du Trésor une semaine plus tôt, « dont je ne suis pas destinataire mais qui a largement circulée et dont j’ai eu connaissance ».
L’administration y recommande au contraire aux ministres de l’Economie et du Budget de ne pas communiquer à ce stade, en raison des incertitudes qui persistent sur la réalité des moindres recettes fiscales. « On ne sait pas si on est en train de parler d’un écart de recette d’un milliard ou de 10 milliards, voire in fine, comme on l’apprendra bien plus tard, de 20 milliards », plaide Elisabeth Borne. « Je ne sais pas vous expliquer pourquoi les ministres recommandent de communiquer alors que les services recommandent de ne pas communiquer. Il faut leur demander ».
Un calendrier serré
Dans le courrier qui lui est adressé, il est pourtant déjà précisé que « les rentrées fiscales se sont dégradées ». Les divers manques à gagner listés (impôt sur le revenu, cotisations sociales, TVA, CRIM) dépassent 6 milliards d’euros. « Nous sommes en risque de manquer notre cible de déficit », écrivent les ministres, précisant que les dernières estimations disponibles montrent qu’il pourrait atteindre 5,2 % du PIB, au lieu des 4,9 % attendus (il terminera à 5,5 %) et que ces moins-values auront des répercussions sur 2024.
Pour sa défense, Elisabeth Borne rappelle le calendrier extrêmement serré. Le courrier date du 13 décembre, et la Première ministre dégainera son dernier 49-3 pour faire adopter le budget le 20 décembre. Sans compter qu’au même moment, son attention est mobilisée par la loi Immigration, sur laquelle elle tente d’obtenir un accord entre députés et sénateurs « Je suis parfaitement disponible pour bâtir un plan de communication sur le caractère critique de nos finances publiques à ce moment-là », ironise-t-elle.
Des décisions impopulaires
Malgré cela, elle se défend d’être restée les bras croisés. Ses ministres recommandaient trois mesures urgentes à intégrer au PLF dans sa dernière ligne droite : augmenter les taxes sur le gaz, se donner la possibilité de la faire sur l’électricité par voie réglementaire et réduire les dépenses de l’Etat de 600 millions d’euros. Les deux premières figurent bien dans le texte final (les taxes sur l’électricité seront remontées en février) , et la troisième n’était quoi qu’il arrive pas du même ordre de grandeur que le trou dans la caisse qui allait finalement se matérialiser.
« Je pense avoir pris ma part dans la maîtrise des dépenses publiques au travers des réformes structurelles », martèle l’ex-Première Ministre, en rappelant avoir fait passer trois réformes de l’assurance chômage et une réforme des retraites très impopulaire – qui représentent conjointement « une économie de 30 milliards d’euros à l’horizon 2030 ».
2. ARTICLE – Dérapage budgétaire : Elisabeth Borne concède avoir été « alertée » en 2023 sur le « caractère critique » de la situation
L’ancienne première ministre était auditionnée au Sénat dans le cadre d’une mission d’information sur la dérive des comptes publics.
L’ancienne première ministre Elisabeth Borne a reconnu, vendredi 15 novembre, avoir été « alertée » à la fin de l’année 2023 sur le « caractère critique » de la situation budgétaire, mais a estimé avoir « pris [sa] part » dans la maîtrise des comptes publics.
Auditionnée au Sénat dans le cadre d’une mission d’information sur la dérive des comptes publics, l’ancienne locataire de Matignon a notamment été appelée à s’expliquer sur l’explosion du déficit, qui atteindra 6,1 % du produit intérieur brut (PIB) en 2024, contre les 4,4 % initialement prévus dans le budget de l’Etat qu’elle avait elle-même présenté à l’automne 2023.
« Traditionnellement, ce qu’on attend du gouvernement, c’est qu’il prenne des mesures pour maîtriser les dépenses. Je pense en avoir pris largement ma part », a lancé la députée Renaissance du Calvados. « Ce n’est pas par plaisir qu’on mène trois réformes de l’assurance-chômage. Ce n’est pas par plaisir qu’on mène une réforme des retraites dont on ne peut pas dire qu’elle ait été extrêmement populaire », a-t-elle ajouté.
Les sénateurs l’ont également interrogée sur une note interne transmise par son ministre de l’économie Bruno Le Maire datant du 13 décembre 2023, qui lui recommandait de « partager largement le caractère critique de [la] situation budgétaire, à la fois au sein du gouvernement mais également dans l’opinion publique ».
« Il n’y a pas un signal d’alarme »
Elisabeth Borne a confirmé l’existence et le contenu de ce courrier, qu’elle a qualifié « d’alerte ». Il s’agissait de « premières indications » sur un dérapage possible des recettes de l’Etat, « mais sans qu’on soit en mesure, à ce moment-là, de savoir quel était l’ordre de grandeur », a-t-elle martelé. « Il n’y a pas un signal d’alarme, ni adressé au ministre de l’économie ni que le ministre de l’économie m’aurait transmis à l’époque », a évacué Elisabeth Borne.
Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson (LR), a fait part de son « étonnement » face à ces réponses. « On nous a dit à l’époque qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Et les mêmes qui nous ont dit ça vous écrivent en disant : “Attention, il y a une situation critique” », a-t-il regretté. « On a le sentiment après coup qu’il n’y a pas une prise de conscience à la hauteur de l’alerte. »
« Je ne sais pas ce qu’on peut faire quand on est face à une information de ce type-là. On ne sait pas si on est en train de parler d’un écart de recette d’un milliard ou de dix milliards, voire in fine, comme on l’apprendra bien plus tard, de vingt milliards », s’est justifiée l’ancienne première ministre. Elle a par ailleurs semblé rejeter une partie de la responsabilité sur Bruno Le Maire. « En général, quand on est face à une situation très alarmante, le ministre [de l’économie] vient rencontrer le premier ministre », a-t-elle fait remarquer. Or, cela n’a été le cas que « le 4 janvier » 2024. Elle a aussi noté qu’à l’époque, « l’essentiel de [son] énergie était mobilisée » à « la recherche d’un compromis sur la loi immigration » et non sur les finances publiques.
Le Sénat, qui a notamment auditionné Bruno Le Maire et Gabriel Attal dans le cadre de cette mission d’information, rendra ses conclusions dans les prochains jours, avant le lancement d’une commission d’enquête sur le même sujet à l’Assemblée nationale.