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LE JOURNALISME : PRÉSENTER LES FAITS OU PRIVILÉGIER LES ATTENTES ?

ÉMISSION – Les journalistes face à leur « public »

28 novembre 2024 FRANCE CULTURE

W. Lippmann et J. Dewey représentent deux approches du rôle du journaliste. Lippmann défend la restitution rigoureuse des faits, même contre l’opinion publique, tandis que Dewey privilégie l’écoute des attentes du public. Comment ce débat peut-il nous aider à analyser notre actualité ?

Avec

  • Joëlle Zask Maître de conférences à l’université Aix-Marseille, membre de l’Institut universitaire de France, spécialiste du pragmatisme, de philosophie sociale et de démocratie participative
  • Edwy Plenel Journaliste, cofondateur du site Mediapart
  • Barbara Stiegler Philosophe française

Aux États-Unis, les études des médias distinguent deux traditions d’analyse du rôle du journaliste, incarnées par Walter Lippmann et John Dewey. Lippmann prône un journalisme centré sur la vérité factuelle, même si cela bouscule les attentes du public. À l’inverse, Dewey défend une approche plus attentive aux attentes et à la culture du public. Ces deux perspectives peuvent être perçues comme complémentaires, mais parfois en tension, offrant ainsi un riche sujet de réflexion.

Dewey face à Lippmann : un débat sur la confiance

Le débat entre John Dewey et Walter Lippmann porte sur la place du public dans la démocratie et sur la confiance que l’on lui accorde. Selon Edwy Plenel, Dewey affirme que « la construction de public suppose de mettre la connaissance au cœur de cette construction« , insistant ainsi sur le rôle central de la connaissance et de l’enquête dans la démocratie. Edwy Plenel rappelle aussi que Dewey, en 1938, publie un ouvrage fondamental pour les journalistes, La théorie de l’enquête. Edwy Plenel met en évidence que pour Dewey, « notre métier (de journaliste) doit construire des publics et ne pas être du côté de la foule », en opposant ainsi une démocratie fondée sur la participation éclairée à une vision qui réduit le public à une masse passive.

De son côté, Barbara Stiegler critique la vision de Walter Lippmann, qui réduit le public à « une masse d’individus isolés les uns des autres« . Lippmann, dans sa conception, « ne voit pas du tout les potentialités d’action du public », qu’il considère comme « passif » et « incapable de comprendre« .

À l’inverse, Dewey croit que le public peut être acteur, capable de se « mettre en action » pour résoudre des problèmes communs. Cette divergence entre les deux penseurs souligne des visions opposées de la démocratie : Lippmann se méfie de l’implication du public, tandis que Dewey lui accorde une confiance profonde.

À écouter :  Le concept de croissance chez John Dewey

Une conception de la vérité profondément divergente

La conception de la vérité chez Dewey et Lippmann diffère radicalement, ce qui influence profondément leur vision de la démocratie. Joëlle Zask explique que, pour Lippmann, la vérité est « la proposition qui est en adéquation avec une réalité extérieure », une conception « classique et métaphysique de la vérité« . En revanche, pour Dewey, la vérité n’est pas un objet absolu, mais un processus : « la vérité est toujours liée à un processus de vérification » et « relative à un processus de construction collective« . Pour Dewey, cette vérité se construit progressivement à travers une enquête qui implique la communauté et ses débats. En ce sens, la vérité devient un produit dynamique, constamment révisé et enrichi par de nouvelles informations et perspectives, plutôt qu’une réalité statique à découvrir.

Pour en parler

Joëlle Zask enseigne au département de philosophie de l’université Aix-Marseille et est membre de l’Institut universitaire de France. Spécialiste de John Dewey, elle s’intéresse aux conditions d’une culture démocratique partagée. Ses réflexions l’amènent à plonger dans des domaines aussi différents que ceux de l’éducation, l’agriculture, l’économie, l’art, les politiques publiques et bien sûr l’écologie. Elle a publié :

Barbara Stiegler, professeure de philosophie à l’université Bordeaux-Montaigne. Elle a publié :

Edwy Plenel, Journaliste, écrivain et co-fondateur du journal en ligne « Mediapart ». Il a notamment publié :

Pour aller plus loin

  • Walter Lippmann, Le Public fantôme, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurence Decréau, texte présenté par Bruno Latour, Démopolis, 2008
  • John Dewey, Le public et ses problèmes (1927), trad. par Joëlle Zask, Gallimard, coll. Folio essais, 2010
  • John Dewey, Logique (La théorie de l’enquête), Paris, Puf, 2006.

Références sonores

  • Lecture par Nicolas Berger d’un extrait de Walter Lippmann, Le public fantôme (1925) trad. par Laurence Decréau, Editions Demopolis, 2008, p. 51-52.
  • Lecture par Nicolas Berger d’un extrait de John Dewey, Le public et ses problèmes (1927), trad. par Joëlle Zask, Gallimard, coll. Folio essais, 2010, p. 231-232.
  • Chanson en fin d’émission : “Messieurs les journalistes” de Renée Lebas (1947)

LIEN VERS L’ÉMISSION

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/les-journalistes-face-a-leur-public-1306730?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2024-11-28&at_position=3

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