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LES SENTIMENTS DES FRANÇAIS ( SUITE 4 ) : GRANDE FATIGUE, PROFONDE NOSTALGIE, DÉCLIN

APRÈS NOS 4 PUBLICATIONS SUR LES SENTIMENTS DE COLÈRE, HONTE, SIDÉRATION, VIDE ;

CEUX DE GRANDE FATIGUE, DE PROFONDE NOSTALGIE, DE FRUSTRATION, DE PEUR

À l’occasion du forum «Agir pour la société» organisé le 3 décembre par La Poste, le co-directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, Jérémie Peltier, a dressé un état des lieux d’une société où une grande partie des Français ont le sentiment que les rapports entre les individus étaient plus agréables avant.

« Ce qui fait commun chez les Français est une profonde nostalgie. »

LA GRANDE FATIGUE DEVANT LA COLÈRE, LA FRUSTRATION OU LA PEUR

D’abord, ils sont unis par un fort sentiment de fatigue. C’est le premier mot que citent les Français pour décrire leur état d’esprit du moment, devant la colère, la frustration ou la peur

Jérémie Peltier est co-directeur général de la Fondation Jean-Jaurès. La Fondation Jean-Jaurès et La Poste, viennent de publier une note, réalisée par BVA, intitulée «Réhumaniser la société de l’absence».

Un contexte qui reste marqué par le mécontentement, la défiance et un sentiment de déclin

« Par ailleurs, la nouvelle vague des Fractures françaises ( BVA) a lieu dans un climat social qui demeure difficile. En effet, la préoccupation pour le pouvoir d’achat reste de loin la plus citée par les Français (38%) et 55% des Français déclarent par ailleurs avoir des difficultés à subvenir aux dépenses courantes de leur foyer.  Dans ce climat social tendu, les Français affichent clairement leur mécontentement : 43% disent appartenir à une France en colère et très contestataire. « 

« Si ce chiffre est en baisse de deux points cette année, il demeure largement supérieur à celui observé en 2022. Par ailleurs, 54% déclarent appartenir à une France mécontente et seuls 3% à une France apaisée, le plus bas niveau jamais observée, en baisse pour la 3ème année consécutive. »

ARTICLE – «Ce qui unit les Français, c’est un sentiment de grande fatigue et de nostalgie d’une société qui n’était pas déshumanisée»

Par  Ronan Planchon LE FIGARO


LE FIGARO. – La Fondation Jean-Jaurès que vous co-dirigez publie une étude avec BVA et La Poste intitulée « Quels communs dans une société française en tension ? ». Qu’est-ce qui unit encore les Français en 2024 ?

Jérémie PELTIER. – D’abord, ils sont unis par un fort sentiment de fatigue. C’est le premier mot que citent les Français pour décrire leur état d’esprit du moment, devant la colère, la frustration ou la peur. S’il y a un sentiment partagé de façon quasi universelle aujourd’hui, c’est bien celui-ci. Ensuite, ce qui fait commun chez les Français est une profonde nostalgie.

2/3 d’entre eux estiment que la vie en France est plutôt moins bien aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Cette nostalgie est intéressante car il y a je crois un sentiment unanime quant au fait que les rapports entre les individus étaient plus agréables avant qu’aujourd’hui.

Pour le dire autrement, les Français semblent avoir en commun la nostalgie d’une société où l’atmosphère était faite de davantage de liens et d’interactions sociales que ce que nous vivons actuellement au sein de nos sociétés déshumanisées : dans leur grande majorité, nos concitoyens estiment par exemple que les liens entre les usagers et les agents des services publics se sont affaiblis par rapport à il y a vingt ans, sur fond de dématérialisation déséquilibrée et excessive.

Par ailleurs, ils considèrent que les liens avec leurs voisins se sont affaiblis, sur fond de défiance et de recroquevillement des individus sur leur petit chez soi. En outre, ils estiment que les relations entre les différentes générations se sont raréfiées depuis vingt ans, tandis que près d’un sur deux estiment que les rapports entre les commerçants et les clients ont eu tendance à se déliter au fil du temps. Conséquence de tout cela : 78 % des Français font le constat qu’il y a moins de contacts humains par rapport à il y a vingt ans. Ainsi, ce qui les rend en partie nostalgique, c’est de constater qu’ils vivent dans une société de l’absence : absence de certains services publics et de médecins dans certains territoires, absence de professeurs non remplacés dans certaines écoles, absence de longue durée de certains salariés, absence de gendarmes, absence de sociabilités depuis la crise sanitaire avec l’augmentation de la solitude et de l’isolement…

Tous les Français constatent et vivent à un moment la présence de l’absence, que ce soit dans la France des bourgs et la France des tours.

Finalement, les Français, quel que soit leur bord politique, n’ont-ils pas surtout en commun une vision négative du chemin emprunté par la France, une forme de déclinisme ?

Dans une société où quasiment aucune formation politique n’a fait un travail prospectif digne de ce nom permettant d’expliciter le tableau de la société désirable qu’elles souhaitent dessiner pour les vingt ou trente prochaines années, ce n’est pas tant une vision négative du chemin emprunté par la France qu’un flou absolu sur ce que pourrait être ce chemin, et on peut les comprendre.

Par ailleurs, la vision apocalyptique qu’on leur dessine en permanence sans faire l’effort de s’appuyer a minima sur des ressorts joyeux et optimistes n’incite guère à s’intéresser au monde qui vient. Pour moi, ce n’est pas tant du déclinisme que du désarroi face notamment à la teneur du fameux «débat public» dont ils s’éloignent de plus en plus par manque d’intérêt. 

Dans ce qu’on voit dans notre étude, c’est qu’il n’y a pas chez les Français une volonté farouche de renverser la table, mais de rééquilibrer la société du tout numérique qui a accéléré les cadences, les rythmes et violement déshumanisé nos quotidiens. Élément intéressant d’ailleurs, qui permet de faire le bilan de la fable que les béats du numérique aiment nous vendre : les Français considèrent dans leur immense majorité que les réseaux sociaux n’ont absolument pas contribué à créer du lien entre les individus, bien au contraire.

Il y a donc une demande de rééquilibrage d’une société à la fois trop déshumanisée mais aussi trop orientée «client» pour retrouver une société du liant. Il est d’ailleurs intéressant de noter que lorsqu’on demande aux gens ce qui manque le plus au pays aujourd’hui, 55 % citent en premier «de la solidarité entre les personnes», comme une réponse à la logique consumériste avec laquelle on les traite en permanence.

Les événements sportifs, à l’image des JO à Paris, sont-ils toujours aussi fédérateurs ?

Il faut faire attention à ne pas créer des mythes pour se rassurer qu’il en existe encore. Cependant, ce qui était fédérateur durant les JO de Paris à mon sens, c’était justement la compensation de la société de l’absence durant une petite période. En gros, du jour au lendemain, les Français ont constaté que la puissance publique pouvait colmater certaines absences et remettre du monde et des gens un peu partout : dans les transports, dans les gares, dans tout un tas d’endroits habituellement marqués par de plus en plus d’absence.

Du jour au lendemain, on a remis des services de sécurité, on a remis des personnes engagées et bénévoles, dans une société pourtant de plus en plus marquée par le désengagement. De fait, beaucoup ont fait l’expérience d’une réhumanisation express qui a grandement contribué à réguler les tensions (qui ont repris de plus belle depuis). Selon moi, les évènements qui parviennent à fédérer aujourd’hui sont justement les moments où la puissance publique est capable de catalyser une société à deux doigts de péter les plombs en permanence et parvient à redonner des lettres de noblesse à une forme de fraternité que les Français aimeraient voir davantage dans leur quotidien.  

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