
L’EXPLICATION DU COMPORTEMENT POLITIQUE DOIT ELLE PASSER PAR L’ANALYSE PSYCHIATRIQUE
Pour le sociologue Marc Joly, le chef de l’Etat correspond au profil du pervers narcissique, une catégorie créée au XXᵉ siècle par le psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier.
Comprendre ce qui nous arrive, ce qui nous est arrivé…
Tel est l’enjeu de ce livre. Avec les outils des sciences sociales et de la psychanalyse, le sociologue Marc Joly, spécialiste de la sociologie du pouvoir et de la violence morale, décrypte avec précision et efficacité la crise démocratique que nous vivons à partir d’un cas, celui du président Macron.
“La Pensée perverse au pouvoir” : le livre le plus cruel jamais écrit sur Emmanuel Macron ?
Dans cet essai sociologique, nourri de littérature psychanalytique, Marc Joly analyse la personnalité du président sous le signe de sa névrose : la perversion narcissique. Le portrait au vitriol d’un mégalomaniaque sans scrupule.
“On a énormément de mal à rehausser la politique au niveau de la pensée”, déclarait Emmanuel Macron en 2015 avant de devenir président.
“Lui n’en a aucun à rabaisser la politique au niveau de la pensée perverse”,
lui rétorque, comme du tac au tac, le sociologue Marc Joly dans un essai aussi désolant (pour Macron) que jubilatoire (pour les lecteur·rices), La Pensée perverse au pouvoir. Peut-être le livre le plus cruel jamais écrit sur le président, parce que le plus lucide et féroce dans l’exploration de sa structure mentale.
Alain MINC a pris ses distances avec le PR : l’intelligence peut être mise en défaut par la psychologie
«Quand un type intelligent prend une décision absurde, c’est un problème psychologique», raille Alain Minc au sujet d’Emmanuel Macron en novembre dernier.
« « Déni de réalité », ce sont les mots forts utilisés par Minc, pour qualifier celui qu’il portait jadis au pinacle. Il s’était déjà fâché tout rouge au moment de la dissolution, lâchant des propos peu aimables à l’endroit du Chef de l’État, propos qu’on a davantage l’habitude de lire dans cette chronique du samedi matin, notamment, que chez les tenants du fameux « Cercle de la Raison ». Alain Minc n’est d’ailleurs pas le seul à déplorer de se retrouver dans la situation du Docteur Frankenstein, voyant sa créature lui échapper, alors qu’il a évidemment participé à sa fabrication politique ». EXTRAIT DE MARIANNE
« Il y a des erreurs historiques pardonnables, celle-là ne l’est pas » »
TITRAIT L’EXPRESS… »Comme dans les drames shakespeariens, la fin efface le reste. »
L’Express : « Ce ne sera la faute de personne le soir du deuxième tour. Ce sera la responsabilité des Français », a dit Emmanuel Macron avant même le premier tour. Le président est-il comptable de ce que votent les électeurs ?
Alain Minc : C’est une phrase honteuse, oui, honteuse. Nous sommes déjà dans la démarche psychologique qui va permettre à Emmanuel Macron de s’exonérer de toute responsabilité. Il a créé les conditions du désastre, il en est le responsable. Il aurait pu chercher à faire oublier le résultat des européennes et là, il a réussi la performance de le faire entrer dans le marbre de manière définitive. On aurait fini par oublier la victoire du RN le 9 juin, il en a fait désormais le parti interclassiste et intergénérationnel comme le furent le RPR et le PS.
Comment expliquez-vous qu’un président qui paraissait incarner une forme de raison ait décidé cette dissolution ?
Quand un homme que l’on suppose intelligent et qui l’est prend une décision d’une absolue bêtise, c’est que la dimension psychologique a pris le pas sur la réflexion et la raison. Emmanuel Macron est, parmi les dirigeants des dernières décennies, celui pour lequel la psychologie personnelle est la plus déterminante. Cette dissolution est le résultat d’un narcissisme poussé à un état presque pathologique, ce qui conduit au déni du réel. Comment imaginer passer de 250 à 280 députés ? Aucun argument purement réfléchi ne pouvait justifier pareille
1. ARTICLE « La Pensée perverse au pouvoir » : dans la tête d’Emmanuel Macron
Marc Joly cherche à comprendre l’enchaînement des événements depuis 2017. Spécialiste de Norbert Elias et de Pierre Bourdieu, l’auteur utilise en sociologue la boîte à outils conceptuelle du psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier (1924-1996), créateur de la catégorie de la « perversion narcissique ». Ayant consacré son postdoctorat, au CNRS, à la circulation de cette notion parfois dévoyée, il discerne, en scrutant l’exercice du pouvoir par le chef de l’Etat, les caractéristiques propres à ceux qui, selon lui, maîtrisent et manipulent habilement les rouages de la pensée perverse.
Paradoxe et ambiguïté
D’après l’auteur, le chef de l’Etat a en quelque sorte mis « sous emprise » la société française. Ce comportement, cause de nombreux échecs, est celui du pervers narcissique qui, pour atteindre ses objectifs, se doit d’évincer tout conflit intérieur en faisant peser sur autrui la charge de cette éviction. Il liste les différents procédés utilisés par le pervers narcissique : l’affirmation tranquille de soi, le rappel du cadre en nommant les comportements inadéquats, le refus de l’urgence ou encore la technique du disque rayé qui consiste à réaffirmer autant que nécessaire la légitimité de son point de vue « sans changer de ton et sans agressivité ».
Le président de la République a pour ambition de secouer la société pour la moderniser, au risque de l’insécuriser. Après le mouvement des « gilets jaunes », il affirme lancer un grand débat qui se transforme en un exercice où la parole présidentielle réduit celle des autres au silence. Lors de la bataille sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron dit vouloir « coconstruire » le texte de loi avec Laurent Berger, puis accuse le secrétaire général de la CFDT d’avoir été désavoué en interne pour avoir soutenu une réforme similaire à celle
2. ARTICLE – «La Pensée perverse au pouvoir», une analyse psychosociologique d’Emmanuel Macron
Benjamin Caraco, Nonfiction – 6 décembre 2024 SLATE
Marc Joly prolonge ses travaux sur la perversion narcissique, d’abord développés dans le cadre du couple, en s’intéressant à la domination politique.
Le 9 juin 2024, Emmanuel Macron décide de dissoudre l’Assemblée nationale à la suite des résultats historiques du Rassemblement national aux élections européennes. «Dans ce contexte, le champ sémantique de la folie irrigue le débat politique comme jamais», associé, dans la bouche du président de la République, au terme de «clarification». Pour le sociologue Marc Joly, auteur de La Pensée perverse au pouvoir, la «superposition» des deux est symptomatique, alors que tout est fait pour que la clarification annoncée soit impossible. Macron «a inventé la clarté confuse, la clarté dans le brouillard de la peur et de l’incompréhension».
Au bout du compte, le président de la République en vient à s’allier avec la droite, ce qu’il aurait pu faire avant et sans dissolution, le tout au mépris de la logique des institutions, qui aurait voulu qu’il appelle le Nouveau Front populaire (NFP), arrivé en courte tête, pour essayer de former un nouveau gouvernement. Pour Joly, une «folie narcissique» est bien à l’œuvre et s’inscrit dans des processus sociaux. Autrement dit, nul besoin d’opposer psychologie et sociologie, individu et société, bien au contraire, pour saisir que «le macronisme est un délire individuel qui s’étaye sur des dynamiques sociales-historiques».
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Du couple au pouvoir: transposition d’une analyse sociologique
L’ambition de Marc Joly, auteur dernièrement d’une somme sur la perversion narcissique, est de comprendre Emmanuel Macron à l’aune de la sociologie, notamment celle de Norbert Elias, et de la psychologie, en particulier celle de Paul-Claude Racamier. Au cœur de sa thèse, on retrouve l’idée qu’«il n’y a de prospérité de la pensée perverse qu’à la faveur d’une crise de la violence symbolique». Il transpose son interprétation sociologique développée dans le contexte du couple. La perversion narcissique est, selon lui, une pathologie sociale. Celle-ci naît d’un désajustement entre une violence symbolique (la domination masculine), qui n’est plus légitime au sein de la société, et des individus qui perdurent dans de tels comportements, générant une violence morale à l’égard de leurs conjoints.
Marc Joly a en effet été frappé par les similitudes entre les joutes verbales, pendant la réforme des retraites, entre le président de la République et Laurent Berger, alors leader de la CFDT, et les comportements de compagnons manipulateurs envers leurs femmes. Pour Joly, Berger semble au fait de la personnalité de Macron et répond en conséquence, tout en restant maître de lui-même, pratiquant même la contre-manipulation. Le sociologue contraste également les personnalités des deux hommes, entre sincérité et empathie du premier et malhonnêteté autocentrée du second.
Emmanuel Macron a fait de la défense des femmes, notamment contre la violence masculine, l’une des grandes causes de ses deux mandats et s’affiche comme un mari attentionné. Il existe pourtant une continuité entre son fonctionnement et celui des pervers narcissiques en couple. «Embrouiller pour nuire; nuire en embrouillant», telle semble sa devise selon Marc Joly. La dissolution équivaut à la volonté de détruire une femme qui veut quitter un pervers. Par ailleurs, le sociologue rappelle le soutien du président à Gérard Depardieu, le destin contrarié de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), ses difficultés à travailler avec des femmes, son entourage très masculin ou encore son management toxique.
La rencontre entre une personnalité et des institutions inadaptées
Comment le président a-t-il fait plonger, lors de l’épisode des retraites, puis de celui de la dissolution, tout un pays dans un état de «sidération» (Élisabeth Borne), se demande alors le sociologue? Marc Joly revient sur l’histoire familiale du futur président. Enfant, il est adulé par sa grand-mère, chez qui il va vivre à sa demande, puis il le sera par sa femme. Ces relations seraient à l’origine de –et entretiendraient– son fantasme d’auto-engendrement, sa très haute estime de lui-même ainsi que son immaturité. Pour le sociologue, «il a l’âge mental d’un premier de la classe docte et volontiers moralisateur, persuadé d’incarner la seule voie du juste, du vrai et de la réussite», que révèlent ses petites phrases.
En s’appuyant sur les travaux de Racamier, Joly estime que Macron est un adepte de la pensée paradoxale –le fameux «en même temps»– qui génère contradictions, insécurité et culpabilité chez les autres. Et de citer l’éditorialiste Catherine Nay, qui considère le président comme l’«inventeur de la logique illogique». En revanche, Macron serait bien conscient de ses propres intérêts. Pour le sociologue, le concept de «pensée perverse» de Racamier s’applique à celle du président, avec des conséquences pour toute la France.
Finalement, le but de Macron serait de durer à tout prix et d’empêcher le retour de la gauche au pouvoir.
Outre le caractère du président, Marc Joly estime que la société française a évolué: elle ne tolère plus la domination autoritaire et symbolique, dont témoigne le rejet révélateur du 49.3. À ce titre, la pratique du pouvoir de l’actuel président est particulièrement problématique. Contrairement à Jacques Chirac, qui n’hésita pas à reculer pour certaines réformes trop impopulaires comme celle du CPE, afin de préserver la cohésion de la nation. Qui plus est, Macron paraît à la fois «anachronique» et «insaisissable», puisqu’il s’est présenté comme l’héritier de la deuxième gauche en 2017 avant de pratiquer une politique néolibérale.
Dans le contexte d’une crise de l’acceptation des hiérarchies sociales, «Emmanuel Macron est incapable de prendre la mesure de la contradiction entre sa soif individuelle de pouvoir souverain et la faible disposition sociale à accepter une autorité qui ne fasse pas la preuve de sa contribution au service de l’intérêt commun». Marc Joly rappelle le projet (non réalisé) de Georges Pompidou, de faire évoluer les institutions de la VeRépublique pour les adapter aux hommes ordinaires, alors qu’elles avaient été conçues par et pour un homme exceptionnel, le général de Gaulle. Jacques Chirac, le successeur désigné de Pompidou, aurait dû achever son œuvre après sa disparition brutale. Les changements n’ayant pu être réalisés, les partis se sont tous organisés pour conquérir l’Élysée, alors que de Gaulle cherchait à dépasser ces mêmes partis. Pour Marc Joly, Macron est le révélateur des vices constitutifs du régime actuel, et la rencontre entre sa personnalité et les institutions conduit à des résultats néfastes.
Le centrisme de Macron rend de facto impossible l’alternance politique, puisque son parcours s’est construit sur le dynamitage du clivage gauche-droite et que le président brandit en permanence la menace de l’extrême droite, ou de ce qu’il qualifie d’extrêmes en général. «En bref, il y a les choix qui ne peuvent pas avoir valeur de choix –ce sont de terribles accidents. Et il reste un choix qui n’en est pas vraiment un, puisqu’il n’y a pas le choix.» Finalement, le but de Macron serait de durer à tout prix et d’empêcher le retour de la gauche au pouvoir. La dissolution lui aurait permis d’éviter sa propre disparition progressive avec la fin de son mandat et de se remettre au centre du jeu, au service du capital et de lui-même. Une situation qui appelle, pour Marc Joly, une urgente réforme des institutions de la Ve République.
La Pensée perverse au pouvoir est un livre très incisif, à la fois analyse sociologique convaincante, portrait au vitriol –comme au sujet des prétentions intellectuelles du président– et essai politique.