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UNE JUSTICE À CONTRE SENS DES ATTENTES DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA PREMIÈRE OBLIGATION DE L’ÉTAT, LA SÉCURITÉ ?

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ARTICLE – Multiplications de réquisitoires contestés : qui sauvera la justice française d’elle-même ?

« On ne peut pas avoir mené un réquisitoire qui globalement montre la participation des uns et des autres et finalement demander des peines qui me semblent beaucoup trop légères par rapport à ce qui a été montré factuellement », a déclaré la soeur de Samuel Paty après les réquisitions tombées lundi 16 décembre.

Bertrand Saint-Germain

Bertrand Saint-Germain est Docteur en droit, essayiste, auteur de Juridiquement correct, comment ils détournent le Droit, publié aux éditions La Nouvelle Librairie (2023).

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d’appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu’il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l’Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d’enseignement. Il est l’auteur de L’aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d’avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

Atlantico : Ces dernières semaines, nous avons été témoins d’une multiplication de réquisitoires contestés : dans de nombreux procès, les peines prononcées semblent excessivement clémentes au regard de la gravité des faits. Comment expliquer ce sentiment de laxisme judiciaire ? Quels sont les raisonnements qui conduisent à de tels réquisitoires controversés ?

Bertrand Saint-Germain : Lorsqu’on en arrive à l’étape des réquisitions, celles-ci sont formulées par un magistrat qui va se prononcer en fonction des éléments du dossier ; mais également de sa lecture personnelle de l’affaire. Son jugement sera nécessairement influencé par les circonstances particulières de l’affaire, ainsi que par son analyse des éléments recueillis lors de l’enquête et des débats.

Ce point de vue est, en outre, imprégné de considérations personnelles. Or, force est de constater que la justice est aujourd’hui largement dominée par des magistrats non seulement aux sensibilités de gauche, mais également parfois très marqués politiquement. Ce phénomène s’exprime pleinement à travers la philosophie politique du Syndicat de la Magistrature, dont l’influence est indéniable. On se souvient de la célèbre harangue du juge Baudot, prononcée en 1974 et qui demeure un cadre de pensée courant pour beaucoup de magistrats : « Soyez partiaux (…) Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurances de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police ».

Prenons l’exemple de l’affaire Paty : quelle que soit la gravité des faits, les auteurs de ce crime – le principal responsable ayant été tué – sont parfois perçus par certains magistrats comme des sortes criminels « malgré eux ». Ces derniers sont alors souvent présentés sous l’angle des victimes d’un système oppressif, en raison de leur appartenance à des minorités ethniques ou religieuses. Ce regard biaisé conduit à une lecture manichéenne, où l’on voit le petit contre le grand méchant, un combat contre une oppression systémique. Cette approche, fondée sur des considérations sociales et politiques, tend à relativiser la gravité des actes commis. Dans l’affaire Paty justement, le parquet a demandé à la Cour de faire preuve de clémence en écartant la mesure d’éloignement du territoire pour trois des accusés, sous prétexte qu’ils ont grandi en France. Ce raisonnement va à l’encontre même des principes posés par la Cour européenne des droits de l’homme, qui autorise l’expulsion de personnes ayant vécu toute leur vie dans un pays (la Cour a validé l’expulsion d’un ancien Danois vers la Tunisie, où il n’avait jamais vécu, considérant que sa famille pouvait l’y suivre ; Johansen c. Danemark, n° 27801/19). Ce type de réflexion met en lumière l’écart de perception entre la réalité juridique et les considérations idéologiques de certains acteurs judiciaires. 

Gérald Pandelon : Ce qui est à l’œuvre est aujourd’hui le déploiement d’une idéologie judiciaire répressive mortifère. Pour le philosophe Alain Laurent, l’idéologie qui découle de la harangue du juge Baudot est à la source de l’ « angélisme pénal » dont souffre la justice française : « Le délinquant se mue en innocent, en victime, à double titre : d’un ordre social injuste, d’une répression policière, puis de la prison (En finir avec l’angélisme pénal, Les Belles Lettres, 2013) ».

Quelle que soit l’interprétation que les juristes ont pu donner à cette déclaration d’Oswald Baudot, certains y voyant la marque la plus aboutie de l’impartialité du magistrat exprimée de façon ironique, on peut dire que le substitut du parquet de Marseille fut entendu, si l’on admet que certains juges sont devenus des petits Torquemada. Certains d’entre eux ne sont plus là pour appliquer la loi, mais pour incarner la prétendue conscience morale de la République, voire leur propre idéologie, sous couvert d’une technique juridique prétendument dictée par un souci d’objectivité et de neutralité. Ce qui explique leur ambivalence : l’extrême sévérité envers les détenteurs d’un pouvoir, quel qu’il soit, ou plutôt d’un titre ou d’un statut (chef d’entreprise, personnel politique, avocat, notaire, policier) et un extraordinaire laxisme quand il s’agit de juger des individus censés faire partie de ceux que Pierre Bourdieu appelait les «  dominés  », surtout s’ils sont issus de l’immigration, fussent-ils des délinquants multirécidivistes. Deux affaires qui ont défrayé la chronique ont tout particulièrement illustré, ces dernières années, cette partialité «  sociétale  » des juges  : l’affaire Mila, puis l’affaire Traoré —, du nom du meurtrier de Sarah Halimi, assassinée au mois d’avril 2017 dans le quartier de Ménilmontant à Paris. 

Comment expliquer ce sentiment de laxisme judiciaire ? Quels sont les raisonnements qui mènent à ces réquisitoires controversés ? Et en vertu de quelles dispositions législatives ?

Gérald Pandelon : Pour certains magistrats souvent politiquement marqués à gauche de l’échiquier politique, le voyou est souvent perçu comme une victime pendant que celui qui atteste d’un statut, d’un « bourgeois » ; pour certains juges celui-ci est à abattre pendant que celui-là doit être immédiatement accessible au pardon, à l’indulgence, à l’empathie judiciaire. Le juge militant personnalisera la peine pour le délinquant multirécidiviste tandis qu’il fera montre d’une intransigeance toute particulière envers le citoyen sans casier mais qui dispose d’une profession en vue. Il s’ensuit qu’un pouvoir invisible plane désormais sur nos existences : celui de certains juges politisés à l’extrême qui peuvent détruire nos vies.

Du jour au lendemain, au gré d’une infraction réelle ou présumée, plus ou moins grave ou presque anodine, un magistrat peut s’inviter au cœur de votre odyssée terrestre, pour ne plus vous lâcher. D’emblée, votre tranquillité se transformera en cauchemar, non seulement pour vous mais également pour votre famille, victime par ricochet de cette injustice. Votre existence, qui était jusqu’alors paisible, et se caractérisait par la plus parfaite probité, peut s’en trouver ravagée à jamais. En -dehors de ceux qui ont vécu la mésaventure d’une mise en cause qui s’est achevée en non-lieu ou en relaxe, personne ne peut vraiment mesurer les dégâts commis par ces inculpations sans réels fondements. Une fois la vindicte passée, et même si vous avez été réhabilité ou judiciairement innocenté, le sceau d’infamie subsistera de façon indélébile. Si vous êtes chef d’entreprise, votre société sera tôt ou tard placée en liquidation judiciaire ; si vous êtes avocat, vous n’aurez plus de clients, car certains médias se seront chargés de vous calomnier (sans le début de commencement de preuve) ; si vous êtes un élu, ou un ministre de premier plan, votre carrière s’achèvera immédiatement – c’est la «  jurisprudence Balladur  ». Autrement dit, le mal sera irrémédiable, même si vous deviez ultérieurement être mis hors de cause.

Les magistrats à l’origine de vos démêlés judiciaires n’auront que faire de votre sort, même si vous avez été innocenté. Pour eux nous ne sommes qu’un dossier parmi d’autres  : c’est la logique du système judiciaire. Dans une société libérale, qui prétend faire de la présomption d’innocence le fondement de l’État de droit, ce paradoxe est inouï  : une fois que vous avez été mis en examen, et quelle que soit la conclusion de l’affaire, vous aurez été «  jeté aux chiens  », comme le dira en 1993 François Mitterrand lors des obsèques de Pierre Bérégovoy, accusé injustement de corruption dans un dossier où son honneur aura été brisé. Cet homme d’une grande probité se suicida face à l’insupportable opprobre (à moins qu’on l’y ait aidé). À l’heure des réseaux sociaux vengeurs et toxiques, c’est un euphémisme que de considérer qu’il ne fait pas toujours bon avoir affaire à notre justice pénale, qui repose sur une culture du mandat de dépôt et une religion de l’aveu, malgré les réformes intervenues ces dernières années. C’est bien que “ quelque part ” vous êtes coupable, et ne l’avez pas volé, même si vous pouvez être totalement innocent de ce dont on vous accable. Car les juges veulent croire d’emblée à votre culpabilité, ils croient en définitive ce qu’ils désirent. Par réflexe mental, le magistrat vous rangea dès le début de l’affaire dans une case « nécessairement coupable » tandis que d’autres justiciables seront, eux, rangés d’emblée dans une autre case « doute sur la culpabilité », et quoi que vous fassiez, le juge ne modifiera pas son impression de départ, une impression reposant pourtant sur pas grand-chose. Accuser, même à tort, c’est cela la logique du système.

Les victimes de ce dispositif se ressemblent en effet étrangement. Policiers, chefs d’entreprises, avocats, hauts fonctionnaires, hommes politiques généralement de droite sont scrutés, surveillés, épinglés au moindre soupçon d’incartade. Et lorsque la preuve de leur culpabilité est judiciairement rapportée, ils sont immédiatement lynchés. M. Claude Guéant méritait-il d’être incarcéré à titre provisoire, alors même que le code de procédure pénale permettait qu’il fût maintenu en liberté sous un régime d’assignation à résidence  – un homme dont le casier judiciaire était vierge, et qui disposait de toutes les garanties de représentation  ? Les juges vous diront oui, Claude Guéant devait être incarcéré, et qu’il en allait de la défense des libertés, et de la sauvegarde de notre démocratie. En pareilles circonstances, où se loge pourtant l’humanité de l’institution judiciaire, son empathie, son objectivité ? Il est impossible de ne pas y voir l’influence d’une idéologie, celle véhiculée par le Syndicat de la magistrature. Une dérive encouragée par la religion de l’État de droit, qui stipule que le pouvoir des juges est le garant ultime des valeurs démocratiques

Peut-on également voir dans ce laxisme apparent des causes sociologiques ou politiques ?

Gérald Pandelon : J’ai acquis la conviction que certains procureurs ne recherchent pas la vérité dans un dossier pénal ; bien souvent, ils savent pertinemment que les personnes à l’encontre desquelles ils vont requérir des peines sont innocentes ou qu’il existe les concernant un doute fort raisonnable. Pourtant, ils demanderont systématiquement une sanction. Comme si au fond l’institution judiciaire avait besoin de punir pour légitimer son autorité voire sa propre existence. Car les représentants du parquet abhorrent l’idée d’une possible innocence d’un accusé. Il s’agit d’un réflexe mental a priori : les prévenus sont coupables. Ce qui est à l’œuvre, c’est un « patriotisme constitutionnel », selon le mot forgé par le philosophe allemand Jürgen Habermas, patriotisme auquel s’ajoute la surveillance zélée des juridictions européennes, toujours promptes à censurer une décision d’un État souverain, si cette décision contrevient à leur idéologie libertaire. Il s’ensuit qu’une minorité de magistrats n’applique pas seulement la loi, mais se transforme en une corporation de prétendus hussards d’une République qu’ils considèrent comme étant en danger. Comme sous l’Ancien Régime, ces auxiliaires de justice se sont en fait autoproclamés jurislateurs, voire co-constituants. Comment en effet ne pas voir que la mise en examen et le placement immédiat sous mandat de dépôt du fonctionnaire de police ayant tiré sur le jeune Nahel relève de cet état d’esprit, qui a scandalisé l’opinion  ? Des fonctionnaires assurant quotidiennement notre sécurité mais qui, à tout moment, peuvent devenir la cible de juges idéologues.

« La police tue », assènent-ils ! Pourtant, où et quand la police a-t-elle tué intentionnellement un homme désarmé en France  ? Il ne faut pas négliger l’influence, depuis les années 1970, d’une idéologie marxisante diffuse qui a également pénétré les esprits des auditeurs de justice de l’École nationale de la magistrature, et qui est à la justice ce que les théories de Pierre Bourdieu furent et sont toujours à l’institution scolaire. Cette idéologie stipule que le délinquant, le voyou, le « dealer  » ou le violeur sont avant tout et d’abord des victimes de la société et, par conséquent, des laissés pour compte, des “ dominés”. Un parti politique n’a-t-il pas proposé le 23 novembre 2024 un texte visant à l’abrogation du délit de terrorisme dans notre pays ? Ce même parti n’a-t-il pas pourtant les faveurs de certains magistrats du Syndicat de la magistrature ? En réalité, cette idéologie mortifère soulève aussi comme postulat que les gardiens de l’ordre public, à commencer par les policiers, sont des agents parfois inconscients de la domination sociale, et des chiens de garde d’une société oppressive qui discrimine les « minorités » :, femmes, gays, trans, « cisgenre », migrants, etc. On connaît la chanson…

Bertrand Saint-Germain : Il faut noter que depuis plus de 30 ans, le Syndicat de la Magistrature obtient entre 25 et 35 % des voix lors des élections professionnelles. Ce n’est pas seulement un syndicat qui est alors chois, mais bien une ligne politique non seulement de gauche, mais de gauche radicale. Surtout, les membres de ce syndicat occupent désormais des postes importants dans les couloirs de la chancellerie et aujourd’hui, il n’existe pas de mesure pénale qui échappe à leur influence. La droite de gouvernement, il faut le souligner, n’a jamais véritablement remis en cause les réformes portées avec l’assentiment de ce syndicat. 

On observe également une forte influence au niveau de la formation des magistrats, au niveau des orientations données par l’École nationale de la magistrature notamment. Dès lors, l’ensemble du corps judiciaire devient plus ou moins perméable à ce discours et cette idéologie. Cela se traduit par une vision de la justice qui prend parti pour l’ouvrier contre le patron, pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre les parents, comme l’y incitait Baudot. C’est un projet profondément révolutionnaire dans son sens le plus pur. 

Pour les nominations les plus importantes, on constate que les individus concernés ont presque toujours eu un parcours méritant, avec de solides capacités juridiques. Mais plus on grimpe dans la hiérarchie, plus il devient naïf de croire que seule la compétence justifie une nomination. Il existe d’ailleurs une véritable lacune dans la recherche et le journalisme d’investigation en France concernant le profil et le cursus des magistrats. Lors de certaines décisions de justice, qu’elles concernent le juge administratif ou judiciaire, j’ai pu constater, en examinant les parcours, que certains juges, rendus responsables de décisions controversées, ont des liens particuliers avec la sphère de gauche. Lorsque l’on voit toutes les pétitions signées par des magistrats, ou les articles publiés dans des revues spécialisées, cela suscite des interrogations sur l’indépendance et l’impartialité de la justice. Par exemple, il n’est pas neutre d’avoir été au cabinet de Christiane Taubira, d’intervenir dans un colloque organisé par la Ligue des Droits de l’homme ou d’écrire dans la revue du GISTI… 

Quand des personnalités publiques sont impliquées, la justice semble prononcer des peines plus sévères. Comment expliquer cette dichotomie ?

Gérald Pandelon : Des procureurs ont requis récemment à l’encontre de Marine Le Pen de sévères peines dans une présumée affaire de détournement de fonds publics, le tout assorti de l’exécution provisoire. Qu’est-ce qu’une exécution provisoire ? Le fait qu’un jugement s’applique immédiatement, sans attendre un appel ou une voie de recours. Si l’on vous condamne à cinq ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis et deux ferme, que vous, à titre personnel, devrez verser la somme de 300.000 € et votre parti des millions qu’il n’a pas, que l’on vous inflige au plus fort une interdiction de vous présenter à une élection : votre carrière politique est terminée.

D’ailleurs, quelles que soient nos idées politiques, comment un procureur peut-il décider d’éliminer de la vie politique un parti pour lequel plus de 11 millions d’électeurs ont décidé de voter aux dernières élections ? Est-ce d’ailleurs son rôle ? Et pourquoi ces magistrats du parquet ne l’ont-ils jamais ordonné auparavant ? Parce que tout simplement, au mépris de la séparation des pouvoirs, la justice est par essence politique, c’est comme l’avait déjà souligné Karl Marx, une justice de classe. Certes, les magistrats du parquet nous expliqueront que rien n’est partial dans ces réquisitions, que l’article 131-26-1 du code pénal prévoit cette peine complémentaire d’inéligibilité. Ces mêmes parquetiers oublieront toutefois de vous indiquer que c’est la première fois qu’ils ordonnent l’exécution provisoire envers une personnalité de premier plan au casier vierge de toute condamnation, cette faculté n’ayant jamais été ordonnée à l’encontre de messieurs Sarkozy, Fillon ou Bayrou par exemple et pour des faits présumés au moins aussi graves.

Ôtez ces deux mots terribles, exécution provisoire, et la sentence ne s’appliquera pas tant que ce jugement en appel n’aura pas été confirmé. Pour des dossiers concernant des faits similaires mais bien plus graves au regard des mentions contenues aux casiers judiciaires de prévenus multirécidivistes, mes clients écopent souvent de peines rarement assorties de l’exécution provisoire… Avons-nous déjà eu un exemple plus net d’une justice politique dans notre pays, qui prend le chemin non pas d’un État de droit (pourtant le totem sans tabou de notre époque), mais d’une république bananière reposant en façade sur un Etat de droit ? Sur un Etat de droit tout autant garant de l’égalité que soucieux de préserver les libertés ? Je ne suis pas l’avocat de la présidente du Rassemblement national. Je n’ai pas accès, par conséquent, au dossier pénal. Peut-être existe-t-il des éléments sujets à controverse voire davantage. Mais solliciter l’exécution provisoire va au-delà de la mission capitale d’un État, car cette peine complémentaire immédiate excède la mission du juge pénal qui est de punir non d’éliminer lorsqu’une justiciable ne la mérite pas au regard de son profil particulièrement lisse et son passé objectivement irréprochable. C’est, à ma connaissance, la première fois qu’on utilise une mesure aussi problématique dans un contexte politique. Problématique ? L’exécution provisoire, en effet, dénature les réquisitions : elle jette un doute sur leur impartialité, car celles-ci sont peut-être infondées. Où se loge dans cette affaire le principe de présomption d’innocence ?

Surtout, ce manque d’objectivité ternit l’image du parquet (les procureurs), dont l’un des grands principes est celui de l’indivisibité. Pour le dire autrement et plus simplement, cela signifie que lorsqu’un procureur dit une chose, tous les autres procureurs sont tenus de s’aligner sur sa position. Quand une représentante du parquet affirme : « Écoutez sur ce contrat, je n’ai aucun élément, mais je ne peux pas demander la relaxe parce que ça me ferait trop mal », cela veut dire que toute la magistrature du parquet se dresse comme un seul homme contre le Rassemblement national. Il s’ensuit que des juges, une minorité agissante, se dressent contre la justice, voire contre la démocratie. Cette démocratie n’est-elle pas en définitive en sursis ? Où s’arrêtera ce pouvoir de la République des juges ? Un pouvoir sans autres limites que celles qu’elle décide parfois de s’imposer ?

Bertrand Saint-Germain : Dans les réquisitions prononcées contre Marine Le Pen, on remarque qu’elle est presque devenue la personnification du mal. Or, il est connu que « le bruit ne fait pas de bien » et dès qu’une affaire devient médiatisée, cela rend la décision judiciaire beaucoup plus complexe à rendre. Si la décision est perçue comme clémente, il y a toujours ce risque qu’on y voie une forme de connivence. À l’inverse, lorsqu’elle s’avère plus sévère, il est facile d’y déceler un règlement de comptes. Ce phénomène se manifeste systématiquement dès qu’il y a une médiatisation excessive, qu’il s’agisse de politiques, de journalistes, de grands sportifs ou de toute autre affaire qui fait la une des médias. 

Qui sauvera la justice française d’elle-même ?

Bertrand Saint-Germain : Au regard de la situation actuelle de la Justice en France, nous sommes clairement en 1788. En effet, il ne faut pas oublier que la Révolution ne fut pas d’abord un affrontement contre le roi (qui restera en place jusqu’en 1792), mais surtout une lise en cause de l’ordre juridictionnel et des blocages qu’il engendrait. Une très grande partie des élus du Tiers-Etat était d’ailleurs issue du monde judiciaire (on compte près de 450 magistrats, avocats et titulaires d’offices). Et il est essentiel de se souvenir qu’au-delà de la destruction de l’ordre juridique français, symbolisée par l’abolition des privilèges du 4 août, qui a effacé tout l’édifice juridique, très rapidement, la loi et les réformes se sont tournées contre la Justice telle qu’elle existait avant la Révolution. 

On peut penser à l’élection des magistrats prévue par la Constitution de 1791 (Titre III, art. 5), ou à la loi des 16 et 24 août 1791 qui interdisait aux juges de se mêler de l’administration. On peut aussi se rappeler le mot de Robespierre, qui disait : « il faut effacer le mot jurisprudence de la langue française ». À bien des égards, nous sommes aujourd’hui en France en 1788. 

Aujourd’hui, l’autorité judiciaire semble chercher à s’arroger un pouvoir qui ne lui revient pas en République et en Démocratie. Cette situation appelle sans aucun doute une remise en place de la magistrature. Elle doit se cantonner à son unique rôle : appliquer la loi et rendre à chacun ce qui lui est dû, sans se poser en moraliste ni corriger les « malpensants ».

Gérald Pandelon : Nous vivons sous le règne d’un paradoxe qui devrait nous étonner. Comment se fait-il, alors que nos sociétés occidentales ont cessé d’être chrétiennes sur le plan rituel et cultuel, (l’athéisme et l’agnosticisme concernent désormais une majorité de Français, partisans de l’euthanasie) que nous soyons si soumis au règne généralisé de la faute  ? Une culpabilité diffuse n’emplit-elle pas le fond de l’air, à travers les miasmes de ces réseaux sociaux qui pratiquent, sur tous les sujets, la dénonciation ad hominem, et ce sans la moindre preuve  ? 

En réalité, si la présomption d’innocence n’a jamais été plus nécessaire, c’est que nous vivons à une époque où la dénonciation publique est devenue un phénomène de masse, qui annule en amont ce principe fondamental. Dans ce contexte de délation sociétale généralisée, que reste-t-il de ce pilier de toute démocratie ? Autre question qui nous préoccupe : la notion de pardon, indissociablement liée aux traditions juives et chrétiennes. Celle-ci a-t-elle encore un avenir dans le monde d’Internet, où l’oubli semble devenu impossible, puisqu’une simple vidéo qui circule sur les réseaux sociaux peut entacher, voire détruire, une réputation ad æternam ? Pourquoi être jugé dans une enceinte solennelle investie par des avocats et des juges, puisque le jugement médiatique est déjà tombé en amont  ? Et gare à nous si nous ne penchons pas dans le bon sens  : celui de la victime auto déclarée. Gare à l’homme qui sera aussitôt suspecté de complaisance envers son propre sexe. Il ne se passe plus de rentrée littéraire sans qu’une ex-victime d’emprise, fantasmée ou réelle, n’écrive un pseudo roman où elle se venge de celui qui l’a suborné. Ainsi de Vanessa Springora sur l’écrivain Gabriel Matzneff (Le Consentement, Grasset, 2023), pseudo roman, mais vraie jérémiade, qui a été repris par des médias (Le MondeLibérationLe Nouvel Observateur) qui, voici trente ans, hissaient Matzneff, aujourd’hui réprouvé pour pédophilie, au pinacle. 

Face à la résignation croissante de nos sociétés, aura-t-on le courage d’œuvrer à une pensée qui ne serait pas découplée du courage, du « thumos », comme le qualifiaient les Grecs du Ve siècle avant notre ère ?

Articulé à la question de l’émergence d’un pouvoir judiciaire minoritaire d’essence tyrannique au cœur de notre démocratie moderne, que faudrait-il imposer pour que certains justiciables, toujours les mêmes, n’aient plus affaire à un acharnement punitif  ? Il existe un puissant pouvoir de la justice et une faible justice du pouvoir. Pour y remédier, il conviendrait, face à l’abus d’autorité de quelques magistrats, de pouvoir plus facilement les mettre en cause, ce que prévoient d’ailleurs les dispositions tirées de l’article 432-4 du Code pénal : «  Le fait, par une personne dépositaire de l’’autorité publique ou chargée d’’une mission de service public, agissant dans l’’exercice ou à l’’occasion de l’’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’’ordonner ou d’’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’’emprisonnement.  » 

Mais en pratique, qui a déjà osé utiliser cette disposition légale à l’encontre d’un magistrat qui aurait démontré par ses actes un zèle particulier à vouloir accabler un justiciable  ? Pas grand monde… Il faudrait donc que les avocats aient davantage de courage, afin de mieux protéger leurs clients face à la transmission par exemple d’informations confidentielles qui leur sont préjudiciables par le parquet aux médias et ce, en début d’instruction, alors même que la culpabilité du mis en cause n’aura pas encore été définitivement rapportée.

Qui peut vraiment mesurer les dégâts occasionnés par cette médiatisation de masse à l’exception de ceux qui en sont les victimes  ? Comment comprendre un fait ou une situation bien concrète si soi-même on ne l’a pas vécue  ? Face au gouvernement de certains juges, il devient urgent de mieux délimiter leurs pouvoirs. Est-il normal que ce soit un magistrat, en principe statutairement neutre et indépendant, qui vienne expliquer quelles doivent être les fonctions d’un assistant parlementaire, ne serait-ce pas au Parlement d’en décider  ? Pourquoi le Parquet national financier devrait-il intervenir dans des affaires ne présentant pas de complexité financière particulière, comme l’affaire Fillon  ? 

Je crois que quelques mesures devraient être prises rapidement. Tout d’abord, il conviendrait de mieux encadrer les pouvoirs discrétionnaires. Si les procureurs disposent en effet d’un pouvoir discrétionnaire trop large (par exemple, décider ou non de poursuivre selon des critères flous), il est plus facile pour eux de laisser leurs convictions personnelles influer sur leurs décisions. Une codification plus stricte des critères de poursuite pourrait limiter ces biais.

Il conviendrait par conséquent d’instaurer des mécanismes de recours : Les parties concernées par les décisions du parquet (classement sans suite, poursuite) pourraient disposer d’un droit renforcé pour contester ces décisions devant une juridiction impartiale. Ensuite, il serait souhaitable qu’un contrôle externe du parquet supervisé par un organe mixte, c’est dire un organe composé de magistrats, de juristes indépendants, de représentants élus et de citoyens pourrait être chargé de surveiller les décisions du parquet et d’évaluer leur conformité aux principes de neutralité et d’égalité devant la loi. Un nouvel observatoire de la justice pourrait publier régulièrement des rapports sur l’équité et l’objectivité des décisions judiciaires, notamment celles prises par le parquet. Enfin, il faudrait surtout former les auditeurs de justice de l’ENM à ne pas voir les avocats comme des ennemis mais de simples adversaires au procès. Vaste chantier…

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