
ÉMISSION – “Les Papillons” de Gérard de Nerval, les merveilles éphémères
Publié le vendredi 27 12 24 FRANCE CULTURE
Pour clôturer notre sélection consacrée aux poèmes appris dans l’enfance, L’Instant poésie vous propose de découvrir la beauté des “Papillons” de Gérard de Nerval
Avec. Mathilde Wagman Chroniqueuse et programmatrice du « Book club »
Dans cette nouvelle saison de L’Instant poésie consacrée aux poèmes de l’enfance, Mathilde Wagman, chroniqueuse littéraire du “Book Club” de France Culture, a choisi de partager avec vous le poème “Les Papillons” de Gérard de Nerval, extrait d’Odelettes (1853), un poème qui dépeint toute la richesse du monde lépidoptère.
Lu par Daniel Kenigsberg.
Un défilé lyrique de papillons.
Gérard de Nerval (1808-1855) est un poète du XIXe siècle, dont l’œuvre mêle romantisme, mysticisme et quête d’absolu. Son recueil Les Chimères (1854) témoigne de son goût pour les mondes oniriques et l’introspection. À travers ses vers, il explore la dualité de l’âme humaine, entre amour, solitude et folie, tout en cherchant à transcender les réalités terrestres. Marqué par une vie personnelle troublée, il a su transformer sa souffrance en poésie, donnant à son écriture une dimension presque spirituelle. Poète du rêve et du symbolisme, il invite son lecteur à naviguer entre le visible et l’invisible.
Avec “Les Papillons”, symboles de légèreté et de fugacité, Gérard Nerval semble vouloir saisir l’instant magique d’un amour ou d’une émotion éphémère, qui s’échappe aussitôt qu’il essaie de le retenir.
L’évocation des papillons, créatures délicates et éphémères, peut également faire écho au passage du temps. La légèreté de ces insectes est un contrepoint à la profondeur et à la souffrance de l’existence humaine, thème récurrent dans l’œuvre de Nerval.
Venez découvrir cette collection de papillons poétiques et profitez de leur envol éphémère.
Gérard de Nerval, « Les Papillons »
I
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu’aimez-vous mieux ? – Moi, les roses ;
– Moi, l’aspect d’un beau pré vert ;
– Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
– Moi, le rossignol qui chante ;
– Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l’on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l’oiseau !…
Quand revient l’été superbe,
Je m’en vais au bois tout seul :
Je m’étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d’eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d’amour !
Voici le papillon « faune »,
Noir et jaune ;
Voici le « mars » azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D’un velours riche et moiré.
Voici le « vulcain » rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le « soufré », dans l’espace,
Comme un éclair a relui…
Mais le joyeux « nacré » passe,
Et je ne vois plus que lui !
II
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d’argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D’un or verdâtre et changeant.
Voici le « machaon-zèbre »,
De fauve et de noir rayé ;
Le « deuil », en habit funèbre,
Et le « miroir » bleu strié ;
Voici l’ »argus », feuille-morte,
Le « morio », le « grand-bleu »,
Et le « paon-de-jour » qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
Mais le soir brunit nos plaines ;
Les « phalènes »
Prennent leur essor bruyant,
Et les « sphinx » aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
C’est le « grand-paon » à l’oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu’à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le « bombice » du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le « papillon du chêne »
Qui ne meurt pas en hiver !…
Voici le « sphinx » à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
Je hais aussi les « phalènes »,
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j’aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d’amour !
III
Malheur, papillons que j’aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !…
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !…
Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d’une aiguille,
Vous contemple, l’oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l’ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !…
Gérard de Nerval, Odelettes
