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LES REFERENDUMS, LES PROMETTRE (180) RÉGULIÈREMENT, N’EN FAIRE AUCUNEMENT

NOTRE RÉCENTE PUBLICATION

DÉJÀ PLUS D’UNE UNE DIZAINE DE PROMESSES (179) DE RÉFERUNDUM ABANDONNÉES : QU’EN SERA-T-IL EN 2025 ?

ARTICLE : « Un référendum ? Ce que Macron doit faire pour éviter le grand exercice de punching-ball national »

Raphaël Doan Propos recueillis par  Etienne Campion. Publié le 02/01/2025. MARIANNE

Dès juillet dernier, le jeune essayiste et haut fonctionnaire Raphaël Doan appelait, dans nos colonnes, le Président à gouverner par référendum. Après les vœux du chef de l’État lors desquels ce dernier a évoqué cette possibilité, il analyse désormais les conditions nécessaires pour en faire une réalité.

« Pour que cette solution fonctionne, il ne s’agit pas de se contenter d’un référendum symbolique, écrivait Raphaël Doan en juillet dernier dans nos colonnes. Il faudrait en faire une méthode de gouvernement, en organisant des référendums sur plusieurs questions essentielles et sur lesquelles, jusqu’ici, les Français n’ont jamais été invités à s’exprimer.» Sans prononcer le mot référendum, Emmanuel Macron a durant ces vœux ce 31 décembre, affirmé ceci : « En 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai aussi de trancher certains de ces sujets déterminants. Car chacun d’entre vous aura un rôle à jouer. » Alors, concrètement, comment permettre au Président de sortir par le haut de cette crise ? Raphaël Doan, jeune haut fonctionnaire, normalien, énarque, agrégé de lettres classiques et auteur de Si Rome n’avait pas chuté (Passés composés) ainsi que de Quand Rome inventait le populisme (Cerf), éclaire cette voie.

Marianne : Vous avez déjà plaidé pour que le président gouverne par référendum face à l’impasse politique actuelle. Dans sa déclaration du 31 décembre, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’il pourrait, pour répondre aux blocages et sans mentionner explicitement le terme référendum, convier les Français à « trancher ». Pensez-vous qu’il s’agit d’un signal clair vers cette méthode ou plutôt d’un simple effet d’annonce ?

Raphaël Doan : J’imagine qu’il a voulu laisser entendre qu’il s’agira d’un ou plusieurs référendums, sans toutefois se lier les mains au cas où les circonstances l’empêcheraient d’y procéder, ou s’il changeait d’avis. J’imagine aussi que les vœux du nouvel an ne lui ont pas paru être l’occasion idoine pour annoncer explicitement une date et un sujet de scrutin. Il est tout à fait possible également qu’il s’agisse seulement de tester les eaux sans s’engager à rien, puisque ce n’est pas la première fois que le président évoque la solution du référendum depuis 2017, sans que jamais l’idée ne soit mise à exécution.

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S’il devait effectivement s’engager sur la voie des référendums, notamment pour contourner l’absence de majorité à l’Assemblée, quels en seraient, selon vous, les principaux avantages ? Y a-t-il aussi des risques ? Par exemple celui d’être considéré comme un président qui manœuvre par le choix des thèmes ou l’intitulé des questions, qui iraient forcément dans son sens, pour se relégitimer ?

L’avantage premier serait effectivement de pouvoir faire adopter de grandes mesures sans avoir à négocier une majorité introuvable à l’Assemblée nationale. Une loi adoptée par référendum serait également beaucoup plus légitime que toutes les réformes classiques. 

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L’inconvénient, bien sûr, c’est que les mesures proposées au référendum… peuvent être rejetées. On dit souvent que le référendum se transforme systématiquement en plébiscite, que le peuple vote pour ou contre celui qui pose la question au lieu de répondre à celle-ci. En réalité, il n’y a pas tant d’exemples de ce phénomène : celui qui vient à l’esprit est le référendum de 1969 du général de Gaulle, et c’est un cas particulier où l’initiateur du référendum lui-même mettait son sort dans la balance. Dans la plupart des autres cas, sous la Ve République, et encore plus à l’étranger, en Suisse ou aux États-Unis, les référendums suscitent au contraire de vrais débats de fond, bien plus que les débats parlementaires auxquels nous sommes habitués et que les gens n’écoutent que d’une oreille distraite.

Comment peut-il, alors, s’en sortir par le haut ?

Tout dépend, en réalité, de la manière dont le président aborde le référendum. S’il soumet aux suffrages une question artificielle en disant qu’il en va de son maintien en poste, il est certain qu’en l’état actuel des choses, ce serait un grand exercice de punching-ball national. Mais s’il en fait au contraire une véritable occasion de débat national, s’il parvient à convaincre les Français qu’il s’agit vraiment de les faire choisir directement leur propre destin, je suis convaincu que les citoyens se prononceront sincèrement sur le fond des mesures proposées. Le président en sortirait incomparablement grandi. Au lieu d’être celui qui aura mené son propre mandat dans une impasse avec la dissolution ratée, on se souviendrait de lui comme ayant revivifié une démocratie française moribonde.

Une bonne manière d’y arriver serait de poser plusieurs questions en même temps, chacune ayant une connotation politique différente. S’il y a par exemple une question où le « OUI » serait perçu comme « de gauche », une autre où il serait perçu comme « de droite », et une dernière où il serait perçu comme « du centre », il serait difficile d’envoyer un pur message d’opposition en cochant systématiquement « NON » à toutes les cases pour faire « barrage à Macron ». Les partis eux-mêmes seraient déboussolés et devraient porter leur attention sur le fond de chaque question. Il faut tout faire, en somme, pour détacher les sujets soumis à référendum de la personne du président et du personnel politique. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette méthode. Aux États-Unis, lors des dernières élections, des États ont pu voter largement pour Trump tout en votant, lors d’un référendum simultané, pour protéger le droit à l’avortement, et c’est très bien : les lignes partisanes ne reflètent pas toujours, c’est peu de le dire, les vraies opinions des citoyens.

Concrètement, sur quels sujets pourrait-il avancer ? Le choix des questions ne serait-il pas trop flou pour bâtir des réformes ?

L’article 11 de la Constitution limite, à mon sens excessivement, le champ des questions qui peuvent être soumises à référendum : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, et la ratification d’un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. Rappelons aussi qu’il s’agit nécessairement d’approuver par oui ou par non un projet de loi : cela ne peut pas être une question détachée d’un texte. Dans un monde idéal, la classe politique se mettrait d’accord pour une révision constitutionnelle qui élargirait ce champ d’action, mais c’est aujourd’hui improbable.

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Il y a malgré tout de quoi faire en l’état actuel du droit. La politique énergétique, notamment la question du nucléaire, les questions économiques relatives à l’immigration, la réforme de l’État, des questions relatives à la régulation environnementale et à la construction de logements sont des sujets importants et qui pourraient être soumis au référendum, en s’y prenant bien. D’autant qu’au-delà de l’approbation de projets de loi spécifiques, un OUI ou un NON à de telles questions aurait évidemment des conséquences politiques plus profondes : on verrait enfin clairement l’état de l’opinion française sur chaque sujet, ce qui permettrait de crever beaucoup d’abcès. Chacun de ces référendums conduirait à l’adoption d’un projet de loi donné, mais aussi à la validation politique d’une orientation plus globale.

À long terme, et si cela fonctionnait, il serait peut-être possible d’arriver à un consensus sur l’élargissement du champ de l’article 11 ; dans ce cas, pourquoi ne pas envisager de soumettre à référendum des sujets régaliens, relatifs à la politique pénale ou migratoire, ou des sujets sociétaux, comme sur la fin de vie ? Les Suisses ou les Américains le font et cela ne sabote pas leurs démocraties, au contraire.

En quoi cette pratique serait, ou non, dans l’esprit de la Ve République ?

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Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment l’esprit de la Ve République. De Gaulle aimait le référendum parce qu’il permettait de trancher de grandes questions sans s’embourber dans les querelles de partis. Il lui permettait aussi, personnellement, de renouer le lien avec le peuple. Mais notre Constitution n’a pas été pensée expressément pour réaliser de fréquents référendums ; sinon, l’article 11 serait justement plus facile d’accès. Si Emmanuel Macron se lançait dans cette aventure, il ne renouerait pas avec une tradition de la Ve ; il inaugurerait une ère nouvelle de la démocratie française, plus proche au fond de la démocratie athénienne ou suisse que de la IIIe République.

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