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RECULADES (4) : LA RÉFORME DES RETRAITES ADOPTEE PAR UNE LOI, SUSPENDUE PAR UN SIMPLE DECRET NÉGOCIÉ AVEC LE PS ?
ARTICLE – L’économie s’effondre, les personnels politiques s’accrochent à leur siège plutôt que de prendre le risque de vraies réformes libérales
ATLANTICO Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l’information économique sur TF1 et LCI jusqu’en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Incompréhensible, la France fonce tout droit dans la catastrophe économique et financière qui nous entraînera forcément dans une crise politique inévitable… alors que quelques voix libérales prêchent pour des alternatives crédibles mais ne sont pas entendues.
Aujourd’hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Depuis la dissolution en juin de l’année dernière, la situation économique française n’a cessé de se désagréger… les Jeux Olympiques ont donné l’impression que le système pourrait s’animer, mais les indicateurs sont retombés dans le rouge face à l’impossibilité politique de trouver une solution solide et durable, notamment pour fabriquer un équilibre budgétaire.
La classe politique est fracturée et chaque courant ne joue que pour protéger son propre intérêt électoral. L’échec de Michel Barnier à réunir une majorité a encore aggravé la situation en ajoutant de l’incertitude politique à la crise économique. Personne ne sait si François Bayrou réussira mieux que son prédécesseur.
Ce que l’on sait en revanche, c’est que le paradigme a changé.
Avec Michel Barnier, l’urgence était de fabriquer un budget pour répondre aux inquiétudes des marchés et engager un processus de redressement du système de production. Il fallait, en promettant un budget qui rabote les déficits et nous écarte d’un risque de défaut de crédit, rassurer les agences de notation et les institutions financières étrangères qui nous apportent chaque mois des financements.
Pour fabriquer un tel budget, il fallait donc une majorité politique qui ne s’y oppose pas. La censure votée a mis fin au projet, ce qui a évidemment aggravé la situation économique.
Tous les indicateurs sont à zéro. Beaucoup de projets d’investissement ont été arrêtés, la consommation et la production industrielle ne se sont pas relevées. La croissance est donc quasi nulle. Les marchés n’ont pas mis de temps à réagir à l’échec de Michel Barnier en considérant que l’incertitude politique était plus grave que l’incertitude économique.
Les taux d’intérêts, qui pèsent directement sur le coût de l’endettement extérieur, sont passés à 3,5 %, augmentant de 30 %. Ce faisant, les marchés, la Commission européenne et la BCE ont envoyé des messages clairs à la classe politique française, et pas seulement à l’exécutif.
Et ces messages indiquent précisément deux choses. La première chose est que les contraintes économiques et budgétaires sont incontournables, certes, mais la deuxième chose est que l’incertitude politique persistante fait planer un risque de déstabilisation systémique de l’Union européenne, qui est déjà très fragilisée par la crise en Allemagne et par le contexte international.
En termes clairs, la priorité des priorités en France est de restaurer la stabilité politique.En bref, constituer un gouvernement et arrangez-vous pour passer un budget. C’est le message reçu 5 sur 5 par François Bayrou et Emmanuel Macron, qui ont donc constitué un gouvernement plus à gauche que celui de Michel Barnier, mais qui donne au Rassemblement national des garanties qui pourraient permettre de renforcer la sécurité et de s’attaquer à la question de l’immigration, du terrorisme et du trafic de drogue.
Dans ce contexte, François Bayrou doit nécessairement faire tout ce qu’il faut pour s’attirer le soutien de la gauche et couper cette gauche de ses liens avec LFI. Alors sa marge de manœuvre n’est pas grande parce que ce qu’il peut gagner comme soutien à gauche du côté des écologistes risque d’être perdu du côté de sa droite et des Républicains.
La discussion sur la réforme des retraites illustre bien cette difficulté. La gauche lui demande d’abandonner l’âge de 64 ans, ce qui est possible techniquement… mais dans ce cas-là, la droite ne le supportera pas, sauf à trouver des moyens de financement par l’épargne et la capitalisation, ce que la gauche n’accepte pas encore.
Le débat qui vise la réforme des retraites va forcément rebondir sur la question plus globale des dépenses publiques et sociales où il faut trouver des économies de dépenses pour environ 50 milliards d’euros… ce qui n’est pas gagné…
Le discours de politique générale et le budget ne peuvent éviter la censure que si et seulement si le discours comme le budget ne se composent que de mesures symboliques pour la droite comme pour la gauche.
François Bayrou a le talent qu’il faut pour manier les symboles. Il peut donc éviter la censure. Et dans ce cas-là, il gardera la confiance des marchés qui vont continuer de fermer les yeux sur les vrais dysfonctionnements du modèle français pendant au moins un an. Mais pendant ce temps qui aura été gagné, il est peu probable que François Bayrou réussisse à mettre le modèle français sur les rails du redressement parce qu’il n’a pas de vrais programmes.
Il a une pratique politique qui lui permettra de gouverner et d’expédier les affaires courantes, mais il n’a ni l’expertise, ni l’ambition de proposer des réformes de structures véritablement courageuses. Sans entrer dans le détail, le problème français porte sur la perte de compétitivité, le déficit d’innovation et de créativité et surtout le manque de travail fourni pour créer de la richesse. Le problème français est de réduire les dépenses publiques et sociales et de limiter l’action de l’État à ses fonctions régaliennes. Ce n’est qu’à ce prix que le pays retrouvera de la croissance et sera en mesure de revenir dans le jeu international. Il y a peu de monde sur le marché politique convaincu par la nécessité d’une réforme libérale en France… ils ne sont ni à droite, ni à gauche… Alors LFI n’a pas de programme économique et social responsable et applicable (c’est évident), mais le RN n’est pas plus libéral sur le plan économique et social.
Les socialistes sont muets, les centristes, les marconistes et la droite républicaine sont tellement prudents que personne n’osera faire des avancées significatives sur le terrain de l’économie et sociale.
La France toute entière a baigné tellement d’années dans le bain du keynésianisme qu’elle en a oublié les préceptes d’un modèle économique libéral ; le plus grave c’est que les libéraux français sont plutôt dans les entreprises et les organisations financières que dans les affaires publiques.
Pour trouver des libéraux sincères, il faut aller voir les rescapés du giscardisme, ceux qui ont fait leurs classes avec François Léotard, mais Alain Madelin ou Hervé Novelli sont bien seuls. Il faut ressortir les rares universitaires qui, du côté d’Aix-Marseille, de Paris-Dauphine ou d’HEC, ont plus travaillé sur Schumpeter que sur Keynes. Christian Saint-Étienne est l’un d’eux. Il faut aller du côté de Cannes, où David Lisnard travaille sincèrement à la pédagogie d’une application des concepts libéraux dans la gouvernance politique.
Il faudra bien qu’ils se regroupent les libéraux. D’une façon ou d’une autre. Il en va de leur influence. Mais les libéraux sont tellement imprégné de la nécessité de protéger les responsabilités individuelles, qu’il ont du mal à comprendre la nécessité de jouer collectif.