
Olivier Babeau : «On craignait d’avoir élevé des révolutionnaires, c’est pire que ça : on a élevé des paresseux»
Par Ghislain de Montalembert et Olivier Babeau, 12 janvier LE FIGARO
Prise de distance par rapport au travail, paresse généralisée, déclassement… dans l’Ère de la flemme, dont Le Figaro Magazinepublie des extraits, Olivier Babeau dénonce une crise de l’effort qui pourrait pénaliser durablement notre pays.
Professeur d’université, Olivier Babeau est président-fondateur de l’Institut Sapiens, un laboratoire d’idées dédié à la place de l’être humain dans le monde technologique.
Extraits choisis Ghislain de Montalembert
En matière de travail, nous sommes passés d’une logique du « toujours mieux » à celle du « juste assez ». L’éthique de l’amélioration permanente a fait place à l’éthique du minimum possible. La cause ? L’industrialisation d’abord […] La logique industrielle du produit a effacé la logique artisanale de l’œuvre. Le tour de main perd son importance.
La tertiarisation de l’économie et l’élargissement des lignes hiérarchiques ont multiplié les emplois aux contours peu définis et à l’utilité douteuse : les fameux bullshit jobs du sociologue David Graeber […] Seconde cause de la fin du travail bien fait : son statut a changé. On ne croit plus en rien, et surtout pas en lui. On n’espère plus rien, même pas une vie meilleure…
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ÉMISSION – Les Français et le travail : « Aujourd’hui le plaisir est très important, et cela enlève des vocations », selon Olivier Babeau
Par François Pares Publié le 12/01/2025 RADIO CLASSIQUE
A-t-on un problème avec le travail ? Invité de la matinale de David Abiker du 7 janvier dernier, le président de l’Institut Sapiens Olivier Babeau, auteur de l’ouvrage L’ère de la flemme – Comment nous et nos enfants avons perdu le sens de l’effort qui paraîtra le 15 janvier chez Buchet Chastel, a analysé le mal-être français face à la notion de travail. Il explique l’épidémie de flemme dans laquelle le pays est plongé.
La France s’isole dans « un délire autour de l’idée qu’on va tous pouvoir travailler moins. [Imaginer] retourner à 62 voire 60 ans en France, c’est totalement lunaire. » regrette Olivier Babeau. Il compare les discussions sur les retraites dans l’Hexagone à celles de nos voisins européens qui, tels que l’Italie, évoquent un départ à 70 ans. A travers ce symbole, il déplore une incapacité des Français à voir la réalité en face : « Nous sommes déjà depuis plus longtemps qu’on ne le pensait dans un système de retraites par répartition qui est profondément déséquilibré. […] Ce petit jeu est en train de trouver une fin puisque nous arrivons au bout de l’exercice du déficit et de la dette. On ne veut pas se rendre compte qu’il y a un problème ».
La solution aux maux économiques du pays ? « Travailler plus, c’est la solution la plus saine, la plus évidente. […] Notre taux d’emploi est trop bas. Dès que quelqu’un travaille, au lieu de peser sur le système, il le finance. ». Le président de l’Institut Sapiens pointe cependant un problème de fond : « Le travail est moins bien vu chez nous qu’ailleurs ».
Une crise des valeurs en France
Mais que s’est-il passé dans l’inconscient national pour refuser en bloc de travailler jusqu’à 64 ans ? L’essayiste perçoit une crise des valeurs, un éloge de la paresse qui viendrait des révolutions idéologiques des années 60. Ne pas travailler était perçu comme un moyen de résistance au système, comme l’a expliqué Jean-Pierre Le Goff dans son livre Mai 68, l’héritage impossible, pointe le président de l’Institut Sapiens. Aujourd’hui, cela va même plus loin, selon Olivier Babeau, qui assure que certains voient “l’entreprise uniquement [comme] un lieu d’exploitation et de souffrance”.
Quid alors de la France qui se lève tôt, la fameuse « première ligne » du Covid ? Certes, elle existe toujours, selon l’invité de David Abiker, mais il la juge insuffisante, face à un système qui « va permettre à beaucoup plus de gens de ne pas faire grand-chose et de continuer à vivoter ».
Nous avons perdu le goût de l’effort
À la présence de cette idéologie s’additionne celle du confort dans lequel les dernières générations sont installées. En effet, si l’on a perdu le goût de l’effort, c’est parce que nous avons moins eu besoin d’en faire selon l’essayiste : « Au moment des 30 Glorieuses, les gens voyaient les différences de vie avec la guerre. […] Maintenant il y a une forme de lassitude, on a des générations qui prennent pour acquis ce confort auquel nous avons toujours eu accès et ne voient pas pourquoi il faudrait travailler pour l’avoir de façon assez simple ».
Il voit à travers ce blocage une perte des perspectives et des vocations, liée à un plaisir disponible en permanence, ne nécessitant plus un effort pour son obtention : « On est face à une civilisation qui facilite une forme d’hédonisme un peu facile. Jusque-là, survivre, appartenir, se réaliser, c’était difficile et on savait que la vie, c’étaient des efforts, de la souffrance. Le plaisir était moins important. Aujourd’hui, il l’est beaucoup, et cela enlève beaucoup de vocations ».
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La solution : rendre le fruit de leur labeur aux individus
La solution passera-t-elle par des mesures collectives ? L’essayiste n’y croit pas, et mise plutôt sur une dynamique individuelle, la responsabilité incombant à chacun : « L’État, c’était la grande fiction par laquelle chacun espérait vivre aux dépens de tous les autres. Et chacun en France espère que les autres vont bosser pour financer, parce que finalement tout avantage, tout privilège, toute rente, est financé par le travail des autres ».
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Il est essentiel selon Olivier Babeau qu’il y ait une récompense à la clé, il faut que les Français puissent « toucher le fruit de leurs efforts ». Il appelle surtout à ne pas donner le sentiment que “le système va le confisquer pour le solidariser”.
François Pares