
ÉMISSION – “Plutôt le vol d’oiseau” de Fernando Pessoa, la synthèse de la gravité
Publié le jeudi 16 janvier 2025. FRANCE CULTURE
L’actrice, réalisatrice et scénariste française, Sophie Marceau a le plaisir de partager avec nous le poème « Plutôt le vol d’oiseau” de Fernando Pessoa, le poète radical.
Avec
- Sophie Marceau Comédienne et réalisatrice
Sophie Marceau nous transmet un court poème de Fernando Pessoa “Plutôt le vol d’oiseau », extrait du Gardeur de troupeaux, publié sous l’un de ses nombreux hétéronymes, Alberto Caiero (Christian Bourgois, 1989). Ce texte est traduit par Maria Antonia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, Patrick Quillier et interprété en français par Olivier Constant et en portugais par Paula Devismes.
Réalisation : Mélanie Péclat
« Toutes les lettres d’amour sont ridicules » de Fernando Pessoa, la poésie avant l’état sentimental
« Fernando Pessoa, c’est l’art de la synthèse : il va droit au but. »
Fernando Pessoa (1888-1935) est un poète portugais célèbre pour ses hétéronymes, des alter ego littéraires créés pour explorer différentes voix et philosophies. Alberto Caeiro (né en 1889) célèbre la simplicité de la nature, Ricardo Reis (1887-1935) adopte un ton stoïque et mélancolique, tandis qu’Álvaro de Campos (1890-1935) explore l’intensité et l’angoisse de la modernité. Sa poésie, marquée par une quête d’identité et un profond doute existentiel, interroge la réalité, le temps et la condition humaine.
Sophie Marceau apprécie la poésie de Fernando Pessoa pour sa capacité à interroger le monde et la pensée, comme dans ce poème qui incarne l’idée de pouvoir exister sans laisser de traces sur terre. L’actrice et autrice est fascinée par la manière dont Pessoa parvient à synthétiser ses questionnements, son pouvoir à poser des faits pour mieux les déconstruire. Ses vers modernes dévoilent un poète qui ne se prend pas au sérieux, un poète authentique, derrière ses multiples facettes et hétéronymes.
Il cherche toujours l’angle précis pour retranscrire ses impressions de l’instant, et dans ce poème en particulier, il exprime ce ressenti de jalousie face à la supériorité de la nature, légère et fluide, tandis que le poète porte le poids de la gravité existentielle.
Et pour revenir à l’art de la synthèse, sa réponse reste claire : Plutôt le vol de l’oiseau.
Fernando Pessoa, “Plutôt le vol de l’oiseau… ”
Plutôt le vol de l’oiseau, qui passe et ne laisse pas de trace,
Que le passage de l’animal qui reste rappelé dans le sol.
L’oiseau passe et s’oublie, et c’est fort bien ainsi.
L’animal, là où il ne se trouve plus et où par conséquent il ne sert plus de rien,
Montre qu’il s’y est trouvé, ce qui ne sert à rien de rien.
Le souvenir est une trahison envers la Nature,
Parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.
Ce qui fut n’est rien, et se rappeler c’est ne pas voir.
Passe, oiseau, passe, et enseigne-moi à passer !
En portugais :
Antes o voo da ave, que passa e não deixa rasto,
Que a passagem do animal, que fica lembrada no chão.
A ave passa e esquece, e assim deve ser.
O animal, onde já não está e por isso de nada serve,
Mostra que já esteve, o que não serve para nada.
A recordação é uma traição à Natureza.
Porque a Natureza de ontem não é Natureza.
O que foi não é nada, e lembrar é não ver.
Passa, ave, passa, e ensina-me a passar!
extrait d’Alberto Caeiro, Le Gardeur de troupeaux (Christian Bourgois, 1989)