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LA MAUVAISE GESTION DU COVID (1) RESTÉE IMPUNIE : ENQUÊTE ET RÉVÉLATIONS SIDERANTES
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MISE À JOUR 1 :
3. ARTICLE – Faillites, mensonges et enfumage : les révélations de Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur la gestion du Covid
Entretien – Partie I
Propos recueillis par Etienne Campion le 27/01/2025 MARIANNE
Les deux journalistes du « Monde », Gérard Davet et Fabrice Lhomme, publient « Les juges et l’assassin » (Flammarion). Les juges ? La Cour de Justice de la République. L’assassin ? Le Covid. Et les complices ? Le gouvernement et l’administration, responsables – documents, SMS et e-mails à l’appui – d’une faillite d’État durant les six premiers mois de l’épidémie.
Dans leur ouvrage Les juges et l’assassin(Flammarion), Gérard Davet et Fabrice Lhomme explorent en profondeur les défaillances systémiques qui ont caractérisé la gestion de la crise du Covid-19 en France. S’appuyant sur une documentation minutieuse issue d’une enquête judiciaire menée par la Cour de Justice de la République (CJR), les deux journalistes révèlent des choix politiques et administratifs ayant conduit à ce qu’ils qualifient de véritable faillite d’État.
Dans cette première partie de notre entretien, ils expliquent comment ils ont réussi à accéder à ces informations cruciales, malgré l’opacité qui entoure les procédures judiciaires de la CJR, et mettent en avant l’importance de les rendre publiques. Cela, dans un contexte où un non-lieu général menace de faire tomber ces révélations dans l’oubli, au profit d’une mémoire collective qui s’attarde davantage sur le « quoi qu’il en coûte » et l’idée, largement répandue, que la gestion de la crise par Emmanuel Macron aurait été globalement efficace.
Pourtant, les faits exposés dans leur enquête révèlent une tout autre réalité : les six premiers mois décisifs de l’épidémie ont été marqués par une gestion chaotique, une impréparation criante et des erreurs stratégiques majeures qui illustrent une insondable faillite gouvernementale.
Marianne : Votre livre s’appuie sur une documentation riche et variée (e-mails, SMS…), en partie issue de la procédure judiciaire menée par la Cour de Justice de la République (CJR). Comment votre ouvrage s’inscrit-il dans le cadre de cette enquête, et quel éclairage spécifique apporte-t-il ?
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1. ARTICLE – « Derrière vos décisions, ce sont des gens qui vont mourir » : découvrez les extraits du livre-enquête « Les Juges et l’Assassin » sur la gestion du Covid-19
Dans leur livre à paraître mercredi 22 janvier chez Flammarion, les journalistes du « Monde » Gérard Davet et Fabrice Lhomme reviennent, éléments inédits à l’appui, sur la façon dont l’exécutif a géré la crise engendrée en 2020 par l’épidémie. Nous en publions des extraits.
[Le récit de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, auteurs de Les Juges et l’Assassin (Flammarion, 448 pages, 23 euros), s’appuie notamment sur une documentation très abondante, extraite en partie de la procédure judiciaire ouverte devant la Cour de justice de la République (CJR). Ainsi, les échanges mentionnés entre les différents protagonistes proviennent d’e-mails, de SMS ou de notes figurant au dossier des juges chargés de l’enquête.]
Le 22 janvier 2020, une patiente chinoise originaire de Wuhan est hospitalisée à l’hôpital Bichat, à Paris. Elle souffre d’une forte fièvre. Avenue de Ségur [le ministère de la santé], la température monte aussi. « C’est exponentiel, non ? », s’inquiète [Agnès] Buzyn [la ministre]. Fausse alerte : apparemment, la touriste venue de Chine souffre d’une autre affection. Ouf… Malgré tout, il est temps de déployer des dispositifs pour prendre la température des passagers dans les aéroports. « Il faut s’assurer que nous avons des détecteurs… pas gagné », s’irrite [Jérôme] Salomon [le directeur général de la santé]. « Je sais, on a raison scientifiquement, mais on aura tort politiquement », lui répond Buzyn. Un tel arsenal a été mis en place pour le virus Ebola, en 2014, mais dans le cas présent, l’amplitude est bien plus large (au moins trois vols directs hebdomadaires entre Wuhan et Paris), et surtout le matériel manque. « Peut-être prendre les devants et dire pourquoi on ne le fera jamais », préconise d’ailleurs Buzyn.
Quoi qu’il en soit, avenue de Ségur, on s’organise : Jérôme Salomon décrète le passage du Corruss, le fameux Centre de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales …
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2. ARTICLE – «Les Juges et l’Assassin», ou la gestion erratique des six premiers mois de la crise du Covid
Basée sur l’enquête de la Cour de justice de la République, forte de 25 000 pièces, le livre de deux journalistes du «Monde», documentaire glaçant au cœur du pouvoir et de l’administration, révèle des «failles béantes au sein de l’appareil sanitaire hexagonal» en 2020.
par Nathalie Raulin. LIBÉRATION
«La logistique était déficiente, la chaîne de communication, les outils de traçabilité des décisions… Si vous voulez me faire dire que la communication n’était pas parfaite, elle ne l’était pas.»Face aux magistrats de la Cour de justice de la République, Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet du Premier ministre Edouard Philippe, ne finasse pas : la gestion des six premiers mois de la crise Covid a été erratique. Dans les Juges et l’Assassin (Flammarion), en librairie, Gérard Davet et Fabrice Lhomme rembobinent le fil d’une tragédie que même avec le recul, les citoyens peinent à comprendre. Ne leur avait-on pas dit que la France était prête ? Le périple des deux journalistes du Monde, aussi documenté que glaçant au cœur du pouvoir et de l’administration, révèle de «failles béantes au sein de l’appareil sanitaire hexagonal». Pis : par inconséquence ou mauvais calcul, l’Etat a organisé son propre désarmement.
Les auteurs puisent leurs informations à la meilleure source : l’instruction judiciaire fleuve, ouverte par la Cour de justice de la République (CJR) en juillet 2020 à la suite des plaintes déposées par des victimes du Covid contre trois membres du gouvernement, notamment pour «mise en danger de la vie d’autrui» : le Premier ministre Edouard Philippe et ses deux ministres de la Santé Agnès Buzyn et Olivier Véran. Un dossier constitué dans la plus totale confidentialité par trois magistrats qui pendant quatre ans ont perquisitionné, exhumé des rapports, et accumulé les témoignages. A la clé, quelque 25 000 pièces – mails, SMS, rapports, comptes rendus d’interrogatoires, photos, et autres scellés.
Irresponsabilité de l’Etat
Bouclée en novembre 2024, cette enquête de la CJR a fait couler peu d’encre, tant sa conclusion relève du non-évènement. Agnès Buzyn, Olivier Véran et Edouard Philippe ne sont pas mis en examen. Aucune infraction pénale dans la gestion de la crise ne leur est reprochée. Courant 2025, les magistrats de la CJR rendront, selon toute probabilité, une ordonnance de non-lieu.
De quoi conforter la ligne de défense constante de l’exécutif : si des «erreurs» ont été commises au début de la pandémie, elles l’ont été de bonne foi au regard des informations scientifiques alors disponibles. En résumé, le gouvernement a fait au mieux avec les moyens du bord. Fermez le ban.
Pour les deux journalistes, difficile d’en rester là. Car, si elle n’a rien trouvé de pénal à reprocher aux ministres,l’instruction judiciaire dont les juges et l’Assassin se veut une «restitution fidèle»établit en revanche «de manière irréfutable» l’irresponsabilité dont l’Etat a fait preuve en matière sanitaire durant de longues années.
Avant l’irruption du Covid, plus de cinquante rapports ou notes avaient alerté les autorités politico-administratives sur le délabrement en cours. Or du délabrement à la catastrophe, le pas est vite franchi quand un virus inconnu s’en mêle. L’affaire des masques, sur laquelle les juges vont longuement s’attarder tant elle cristallise de critiques, en est une illustration parfaite.
Masques incinérés
Le 20 mars 2020, alors que la première vague de Covid déferle sur la France, Matignon réclame un état précis des stocks. Réponse laconique de l’agence sanitaire nationale, Santé publique France (SPF) : les 534 millions de masques chirurgicaux entreposés sont «tous presque bons pour la poubelle, si l’on se fie à leur date de péremption». Quant aux masques destinés aux soignants, les FFP2, «il n’y en a carrément plus un seul».
Au sein de l’administration, personne pour s’étonner de cette misère : elle était programmée. Dès 2013, une instruction du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, organisme qui dépend de Matignon, avait réglé le sort des FFP2, en renvoyant aux employeurs le soin de constituer leur propre stock de masques pour protéger leur personnel : économies budgétaires obligent. La Direction générale de la santé s’est exécutée… sans se préoccuper de savoir si les «employeurs» étaient au courant de leur nouveau devoir.
La disparition du stock de masques chirurgicaux est plus insidieuse. Pas question a priori pour l’Etat d’y renoncer. Mais là encore les préoccupations budgétaires vont peu à peu infléchir la doctrine, et conduire à la fonte progressive des réserves. Dès avril 2018, dans une note de synthèse portant sur les «équilibres financiers 2018-2020», l’ancien directeur général de Santé publique France, François Bourdillon, alerte sur l’arrivée à péremption d’un «volume conséquent de masques». Une alarme réitérée dans deux courriers adressés au ministère le 26 septembre et le 3 octobre 2018, avec demande de libération de budget pour renouveler le stock. En pure perte.
Le directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon, s’inquiète d’ailleurs moins de la baisse des stocks que de l’accumulation de masques non utilisables. En 2019, il donne des instructions claires : les produits périmés doivent être incinérés. Faute de contrordre, les destructions se poursuivent en mars 2020 : ce mois-là, alors que la pénurie commence à se faire sentir en ville, plus de 2,3 millions de masques partent en fumée ! Personne n’a même songé à vérifier qu’ils sont effectivement inutilisables. «Entre les années 2000 et les masques que nous avons aujourd’hui, quelqu’un a introduit une date de péremption que nous n’avions pas auparavant, confesse l’adjoint du DGS, Maurice-Pierre Planel aux juges. Je dis «quelqu’un» car je n’ai pas réussi à ce jour à savoir qui.»Kafkaïen et terrible. Car un audit des stocks restant le révèle en avril : transposition d’une norme européenne, la date n’était qu’indicative… «Dans la foulée, 45 millions de ces protections supposément hors d’usage vont d’ailleurs être distribuées, notamment aux ministères» précisent Davet et Lhomme.
Boulets rouges
Il y a les errements doctrinaires mais il y a aussi les maillons faibles. A commencer par Santé publique France. Alors que la France s’enfonce dans la pandémie, l’inertie de l’agence sanitaire nationale exaspère jusqu’à Matignon. Averti le 19 février des tensions sur les masques, Benoît Ribadeau-Dumas réclame d’en commander 200 millions en urgence. Mais la patronne de SPF, Geneviève Chêne, tarde à s’exécuter : vu l’explosion du prix des masques, elle estime nécessaire de disposer au préalable d’un «bleu» (un accord officiel) du Premier ministre. Pas question pour elle de risquer d’être mise en cause par les juges pour infraction aux codes des marchés publics. Elle obtient son «bleu» mais que de temps perdu à l’orée de la catastrophe sanitaire.
Le 9 mars, c’est au tour de Jérôme Salomon d’épingler violemment Geneviève Chêne. Alors même que toutes les agences régionales de santé sont sur le pied de guerre, les cellules d’intervention en région de SPF «ne travaillent ni le soir, ni le week-end !»proteste-t-il. Apparemment dans le désert. Deux mois plus tard, dans un mail intitulé «Incapacité de SPF à distribuer les volumes prescrits par la doctrine masques», le commissaire général aux armées, chargé en urgence de s’occuper de la réponse logistique et matérielle au Covid, tire à son tour à boulets rouges sur une agence qui «ne travaille pas pendant les week-ends et les ponts». Entre autres défaillances. Et le même de réclamer que soit «imposé de toute urgence des mesures coercitives à SPF qui doit accepter d’être mis sous surveillance».
En juin 2021, une visite sur le site de Marolles (Marne), où sont entreposés les stocks stratégiques des produits de santé de l’Etat, achève de convaincre les magistrats de l’incurie du «bras désarmé de l’Etat» comme Davet et Lhomme qualifient SPF. A l’évidence, les anomalies inquiétantes relevées par un rapport daté d’avril 2019 sont toujours d’actualité : frigo en panne, produits abandonnés sur les rayonnages, logiciel de gestion des stocks défaillants. Les juges découvrent aussi de «nombreuses palettes de matériel (masques, gel, gants, blouses…) dont la date de péremption est arrivée à échéance, soit avant le début de la crise sanitaire, soit pendant». Autant de protections non répertoriées donc jamais distribuées… L’ancien patron de SPF, François Bourdillon, parti à la retraite début 2019, ne s’étonne guère du désordre : «On nous demandait de toujours faire plus avec moins». Aux juges, il résume : «SPF était dimensionnée pour faire face à des alertes du type de la contamination des pizzas Buitoni». Vertigineux.
En réalité, à lire les Juges et l’Assassin, sur les premiers mois de la pandémie, rien n’a été à la hauteur, ni les stocks de masques, ni la logistique, ni la communication entre les administrations, ni les circuits décisionnels… Les leçons de la crise ont-elles été tirées ? Pas si sûr. Les stocks de masques ont certes été regonflés à bloc (1,3 milliard sont désormais disponibles) et les têtes ont valsé au sein des administrations. Mais d’aggiornamento du ministère de la Santé, il n’y a pas trace. Pas vraiment une surprise : depuis le départ d’Olivier Véran en mai 2022, pas moins de six ministres se sont succédé avenue de Ségur.