
ARTICLE – Richard Ferrand au Conseil constitutionnel : voilà pourquoi Emmanuel Macron a fait le choix d’une proposition de nomination hautement contestable
L’ancien président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, a été officiellement choisi lundi 10 février par Emmanuel Macron pour prendre la suite de Laurent Fabius à la tête du Conseil constitutionnel.
Hervé Lehman ATLANTICO
Ancien juge d’instruction, avocat au barreau de Paris, Hervé Lehman est l’auteur de « Justice, une lenteur coupable » (Puf, 2002). Il a participé à la rédaction du rapport de l’Institut Montaigne sur la réforme de la Justice (Pour la Justice). Il est l’auteur des livres « Le procès Fillon » (Cerf, mars 2018), « L’air de la calomnie – une histoire de la diffamation » (Cerf, 2020) et « Soyez partiaux – Itinéraire de la gauche judiciaire » (Cerf, 2022).
Atlantico : Le nom de Richard Ferrand a été proposé par Emmanuel Macron pour prendre la tête du Conseil constitutionnel en remplacement de Laurent Fabius, qui achève son mandat. La nomination de Richard Ferrand ne risque-t-elle pas d’être contestée en raison de l’affaire des Mutuelles de Bretagne et cela ne va-t-il pas contribuer à une politisation excessive du Conseil constitutionnel ?
Hervé Lehman : Malheureusement, ce type de nomination, dans un but politique, n’est pas une nouveauté. François Hollande avait nommé Laurent Fabius, Jacques Chirac avait désigné Jean-Louis Debré et François Mitterrand avait sélectionné Roland Dumas. À chaque fois, les présidents de la République ont choisi des personnalités politiques qui leur étaient proches pour le Conseil constitutionnel.
Ce qui distingue cette nomination, c’est que Richard Ferrand ne possède ni d’une formation ni d’une expérience juridique solides, contrairement aux hommes politiques précédents cités, qui avaient un bagage juridique conséquent. Mais le fait qu’un président de la République choisisse un proche en tant que membre du Conseil constitutionnel n’a rien de surprenant.
Concernant l’affaire des Mutuelles de Bretagne, une telle polémique et des candidats impliqués dans des affaires judiciaires ne sont pas des choses inédites également. Alain Juppé a été condamné, Laurent Fabius a été poursuivi (bien que relaxé) dans l’affaire du sang contaminé. Ce type de nominations n’est donc pas un fait nouveau.
Ce qui change en revanche, c’est l’importance grandissante du Conseil constitutionnel. La France est confrontée de plus en plus à ce que certains qualifient de « gouvernement des juges », ou d’« État de droit », où le Conseil constitutionnel joue un rôle déterminant en limitant le pouvoir législatif. Ce phénomène pose une vraie question : quelle est la légitimité du Conseil constitutionnel pour annuler des lois adoptées par le Parlement, notamment sur des sujets comme l’immigration ? Ce problème devient de plus en plus prégnant, alors qu’auparavant, le Conseil constitutionnel se contentait principalement de garantir l’équilibre institutionnel.
Un rééquilibrage aurait pu être envisagé avec d’autres candidatures et nominations. Mais la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a fait le choix de l’ancienne députée Laurence Vichnievsky. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a choisi Philippe Bas. Ces choix ne vont pas contrebalancer suffisamment l’influence de Richard Ferrand. N’y aura-t-il pas un déséquilibre dans les futures décisions du Conseil constitutionnel ?
Après douze années de gouvernance par la gauche ou le macronisme, les nominations récentes concernent majoritairement des personnalités proches de ces courants politiques. Le Conseil constitutionnel penche davantage à gauche qu’à droite.
Mais ce phénomène ne se limite pas au Conseil constitutionnel. Le premier président de la Cour des comptes est un ancien socialiste. Le président de l’ARCOM récemment nommé a travaillé dans plusieurs cabinets socialistes. Le président de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, Didier Migaud, était aussi un ancien socialiste. Emmanuel Macron a donc tendance à nommer des personnalités issues de la gauche à la tête de nombreuses autorités administratives indépendantes.
Au regard du contexte politique et du passé de certaines personnalités, ces nominations ne sont-elles pas plus choquantes que par le passé ? Ne risquent-elles pas de déséquilibrer nos institutions ?
Elles ne sont pas véritablement choquantes car cette pratique est malheureusement une tradition de la Ve République. Depuis toujours, les présidents nomment leurs proches politiques au Conseil constitutionnel.
Cependant, du fait de l’équilibre actuel des nominations, le Conseil constitutionnel empêche le Parlement de mener une politique qui ne correspond pas aux orientations dominantes, notamment en matière de droits de l’homme et de ce que certains appellent la « bien-pensance ».
Ce phénomène alimente un sentiment d’impuissance chez les électeurs, qui peuvent se demander à quoi bon voter si, au final, ce sont des membres nommés au Conseil constitutionnel qui décident des lois applicables. Il y a un véritable problème d’équilibre des pouvoirs entre les élus et les juges nommés. Ces derniers, bien que non élus et ne rendant de comptes à personne, ont le dernier mot sur des décisions fondamentales.
Quel rôle peut jouer l’Assemblée nationale dans le processus des nominations ? Pourrait-elle avoir le dernier mot ?
Le Parlement a les moyens de s’opposer explicitement à des nominations mais cela n’aura pas lieu. Il n’y aura pas de majorité parlementaire pour bloquer la nomination de Richard Ferrand. Il semble d’ailleurs que la majorité sénatoriale ait déjà laissé entendre qu’il n’y aurait pas d’obstacle à cette nomination. Chacun procède à ses propres nominations et tout le monde s’en accommode.
Cependant, ce mécanisme devient de moins en moins satisfaisant à mesure que le Conseil constitutionnel assume un rôle qui dépasse celui d’un simple arbitre institutionnel pour devenir un véritable législateur, ayant le dernier mot sur l’adoption des lois.
Dans le contexte politique actuel, marqué par la dissolution et les difficultés budgétaires, en quoi cette réalité institutionnelle peut-elle fragiliser encore davantage le pouvoir politique ? Les nominations actuelles sont favorables à Emmanuel Macron mais en quoi pourraient-elles entraver l’application des politiques du ministre de l’Intérieur ou de la Justice si des lois étaient censurées par le Conseil constitutionnel ? Cela ne mène-t-il pas à une impasse politique ?
Il existe un véritable problème politique. Le Conseil constitutionnel annule de plus en plus de lois, notamment via le mécanisme des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), ce qui entraîne l’abrogation progressive de nombreuses dispositions législatives en vigueur. Ces décisions relèvent souvent de choix politiques. Le Conseil constitutionnel avait notamment invalidé 40 % des articles de la dernière loi sur l’immigration.
Cela pose une question fondamentale : quelle est la légitimité et la responsabilité de cette institution lorsqu’elle invalide une loi votée par le Parlement ? Dans de nombreux cas, ces décisions ne sont pas prises au regard d’une incompatibilité stricte avec la Constitution, mais parce qu’elles ne correspondent pas à une certaine vision des droits de l’homme.
Existe-t-il des garde-fous pour rééquilibrer le pouvoir du Conseil constitutionnel, de la Cour des comptes ou des hautes autorités, afin de garantir un meilleur équilibre institutionnel ?
À l’heure actuelle, non. La présidente de l’Assemblée nationale semble satisfaite de cette situation et devrait elle-même nommer une députée qui n’est pas particulièrement marquée à droite. Il n’y a donc pas grand espoir de voir ce système évoluer prochainement.
La situation pourrait devenir problématique en cas d’alternance à la prochaine élection présidentielle, notamment si Marine Le Pen accède à l’Élysée, ce qui est une possibilité. Il serait alors complexe pour une présidente comme Marine Le Pen de gouverner avec un Conseil constitutionnel composé de Richard Ferrand, Laurence Vichnievsky et d’autres personnalités partageant la même sensibilité politique. La gestion du pays pourrait s’en trouver considérablement compliquée.