
1. « Insurrection des particularités » – PRÉSENTATION
de Chantal Delsol. janv. 2025
La modernité est aujourd’hui en péril. Dans les sociétés occidentales, l’universel est supplanté par le triomphe des particularités. Les grands principes, fondés sur les droits de l’homme, par les revendications communautaires.
L’esprit scientifique par le règne des croyances, des mythes et des songes.
Partout, la raison s’efface devant la dictature des sentiments et des passions. La pensée commune ne promeut plus que l’essor de l’ego, de la subjectivité et de la quotidienneté comme ultime épopée.
Sur le plan géopolitique, l’empire de l’Occident laisse place au déploiement triomphal des particularités nationales. Ayant perdu le noyau qui l’avait auparavant structuré, le monde se fragmente et voit se multiplier discordes et conflits.
C’est ce tableau accidenté, plein de ruptures et de regrets, que peint Chantal Delsol dans cet ouvrage saisissant, poursuivant la réflexion amorcée dans Le Crépuscule de l’universel.
Un essai lumineux, crucial, indispensable pour qui veut savoir où nous en sommes et où nous allons.
Professeur émérite des universités en philosophie, membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques) et chroniqueur au Figaro, Chantal Delsol est l’auteur de nombreux essais et romans qui l’ont imposée comme une voix majeure d’aujourd’hui.
2. ARTICLE – « Insurrection des particularités » : comment la subjectivité et l’indignation ont remplacé le culte de la raison
Par Eugénie Bastié, pour Le Figaro Histoire 31 janvier
Dans son dernier ouvrage, la philosophe analyse avec brio la manière dont le nihilisme et le relativisme ont imprégné les mentalités postmodernes.
«Tout est chaos », chantait Mylène Farmer en 1991. Deux ans après la chute du mur de Berlin, la chanteuse pop gothique avait saisi le zeitgeist de la postmodernité. Les grands métarécits s’effondraient, et si quelques esprits naïfs prédisaient l’universalisation des droits de l’homme et l’extension planétaire du village global, c’est en réalité le crépuscule de l’universel et le triomphe des particularités qui allaient s’imposer. Le chaos est moins dans la réalité que dans les intelligences. « Ce qui est particulièrement ravagé au début du XXIesiècle, c’est l’esprit de nos contemporains. La bombe n’est pas dans la rue : elle est dans la tête », résume la philosophe Chantal Delsol dans Insurrection des particularités, son dernier livre, où elle ausculte avec une lucidité…
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3. ARTICLE – « La démocratie est menacée lorsqu’une petite coterie impose son prêt-à-penser à une majorité dont elle nie la souveraineté »
Au cœur des sociétés occidentales, l’universel est supplanté par le triomphe des particularités. Chantal Delsol vient de publier « Insurrection des particularités » aux éditions du Cerf.
Chantal Delsol journaliste, philosophe, écrivain et historienne des idées politiques.
Née à Paris en 1947, elle est l’auteur de très nombreux essais politiques et historiques, dont Essai sur le pouvoir occidental : démocratie et despotisme dans l’Antiquité(PUF, 1985), La Politique dénaturée (PUF, 1986), Les idées politiques au XXe siècle(PUF, 1991), L’identité de l’Europe, (avec Jean-François Mattéi, PUF, 2010) ou La paresse et la révolte (Plon, 2011).
Atlantico : La question de l’identité française s’inscrit de nouveau au cœur du débat public, après l’intervention du Premier ministre au sujet du ‘sentiment de submersion’ et celles des ministres de l’Intérieur comme de la Justice sur le droit du sol. Pour autant, pour François Bayrou, la véritable question, c’est bien celle du sens qui se cache derrière ce que signifie ‘être Français’. Est-il réaliste, selon vous, d’espérer un débat serein sur ce sujet dans le contexte politique actuel ?
Chantal Delsol : La question n’est plus de parvenir à assimiler les étrangers qui arrivent et obtiennent la nationalité, nous n’avons pas fait ce qu’il fallait en temps voulu et il est bien trop tard. En plus, avec les nouvelles générations il y a un refus patent non seulement de l’assimilation mais de l’intégration, qui tient largement à notre propre haine de soi. Quand on crache à longueur de jour sur sa propre histoire, on ne peut espérer que d’autres vont l’aimer. Or c’est l’histoire qui fait une identité, non pas le futur, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire. Le futur n’est plausible que s’il s’adosse à un passé. Un débat sur l’identité française ne pourrait être serein que si l’on cessait de juger le passé avec des critères de paradis terrestre.
Dans quelle mesure faut-il penser que la participation du PS au débat, pour défendre une France ‘métissée, pluriculturelle et plurireligieuse’, est révélatrice de ce que vous exposez dans votre ouvrage « L’Insurrection des Particularités » concernant le renoncement à l’universel français (autrefois porté également par la gauche) ?
Oui, l’idéal de cette France multiculturelle traduit typiquement les particularités qui se déploient parce que le « commun » est détesté et rejeté. Il faut préciser ceci : il existe un grand pays multiculturel, qui vit très bien son multiculturalisme, ce sont les USA. Nous pourrions alors prendre modèle ! Comment cela se passe-t-il ? Dans son livre Hillbilly Elegy, le vice-président actuel des Etats-Unis, JD Vance, raconte sa famille misérable et inéduquée, violente et désolante, et dit que ces gens n’avaient que deux amours : Dieu et le drapeau. Cela traduit clairement le principe commun qui réunit tous les immigrés américains dans une communauté de destin, et leur permet de vivre ensemble malgré leurs différences culturelles et religieuses. Seulement cela veut dire que les Américains ne crachent pas sur le drapeau. Nous, nous crachons dessus. Les immigrés que nous accueillons vont-ils se réunir sous la bannière d’un drapeau couvert de crachats ?
L’humoriste Merwane Benlazar, mis en cause pour des propos tenus par le passé, fait l’objet d’une polémique qui a été décrite, à gauche, comme un déchaînement de racisme et d’islamophobie. De quoi est-ce révélateur exactement ?
C’est révélateur de la société des réseaux, où chacun peut crier son injure sur la place publique et être entendu partout. Je ne sais pas si vous avez connu un Café du Commerce, où le tout-venant vient chaque matin déverser ses lubies. Seulement au Café du Commerce on parle devant quelques personnes. Ici c’est tout le monde. N’importe qui a une capacité de nuisance. Ce qu’il vaudrait mieux faire, c’est arrêter de faire des commentaires de commentaires. Vous aurez toujours des gens qui ne peuvent exister qu’en ridiculisant un bonnet ou une coiffure. Franchement ce n’est pas intéressant.
Comment expliquer que l’universalisme et les autres valeurs ayant pu faire la force de l’Occident, ayant contribué à générer les soubassements de la démocratie libérale, puissent être rejetées de façon aussi collective aujourd’hui ? Pourquoi ces idéaux sont-ils autant critiqués aujourd’hui ?
Les idéaux de l’universalisme (la vérité universelle de nos religions, la vérité scientifique) se sont effondrés en même temps que notre puissance mondiale, qui à la fois les exportait et les garantissait. Et notre puissance s’est effondrée par son excès même. La démesure est fille de l’impiété, disait Eschyle. A vouloir embrasser la terre entière, l’Occident s’est perdu. Il a fini par jeter contre lui les identités particulières qui n’en pouvaient plus de devoir être démocratiques, de devoir croire dans les droits de l’homme etc Naturellement, comme il arrive toujours, une fois que le mouvement est mis en route il ne sait plus s’arrêter. On en vient à mettre en doute l’universel de la raison scientifique, par exemple.
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