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LE Cl. CONSTITUTIONNEL, « TEMPLE DE LA CONNIVENCE DES PUISSANTS »

ARTICLE – Richard Ferrand n’est pas le (vrai) problème du Conseil constitutionnel, ce temple de la connivence des puissants »

Par  Erwan Binhas 20/02/2025 MARIANNE

Erwan Binhas, avocat à la Cour de Paris, revient sur l’accession de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. Si l’on s’étonne aujourd’hui que cette institution soit devenue un objet de convoitise politique, cette transformation remonte en réalité à la loi de 1971 qui mit à bas le subtil équilibre gaullien des pouvoirs.

François Hollande avait son Laurent Fabius, Jacques Chirac son Jean-Louis Debré et François Mitterrand ses Robert Badinter et Roland Dumas. Emmanuel Macron va avoir son Richard Ferrand. Nouveau président du Conseil constitutionnel, ce « Marcheur » de la première heure brille plus par sa fidélité au chef de l’État que pour ses compétences en droit. Ainsi, à droite comme à gauche, on fulmine devant le caractère partisan de cette proposition présidentielle.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, OUTIL DE L’EXÉCUTIF

On y voit la marque de l’entre-soi. De la connivence des puissants. Et de la « République des copains ». On s’émeut que l’aile Montpensier du Palais-Royal se vide peu à peu de ses juristes madrés au profit des vieux barons de la politique française. On s’étonne que le Conseil constitutionnel soit un objet de convoitise politique. Mais ce serait oublié ce qu’est le Conseil constitutionnel. Ou plutôt, ce qu’il est devenu.

En 1958, Michel Debré présentait l’esprit originel du Conseil constitutionnel : « La création du Conseil constitutionnel manifeste la volonté de subordonner la loi, c’est-à-dire la volonté du Parlement, à la règle supérieure édictée par la Constitution. Il n’est ni dans l’esprit du régime parlementaire, ni dans la tradition française, de donner à la justice, c’est-à-dire à chaque justiciable, le droit d’examiner la valeur de la loi. (…) La Constitution crée ainsi une arme contre la déviation du régime parlementaire. »

Les pères fondateurs de la Ve République concevaient le Conseil constitutionnel comme un outil du pouvoir exécutif dans sa lutte contre l’omnipotence des partis. L’instabilité chronique de la IVe République avait fait des gaullistes les premiers défenseurs de la verticalité politique ; le pouvoir ne devait plus être la seule chose du Parlement mais aussi et surtout celle du président.

Armés du seul texte de la Constitution, les sages étaient cantonnés au simple rôle d’arbitres des règles de compétence et de procédure parlementaires. À l’époque, le Conseil constitutionnel n’aurait jamais eu l’idée de juger la valeur des lois. C’eut été vécu comme un affront juridique au visage du pouvoir politique. C’était sans compter sur la révolution de palais qui allait se dérouler en 1971.

LE TOURNANT 1971

Le 16 juillet 1971, les sages rendaient une décision dite « Liberté d’association », qui conférait une valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ainsi qu’au préambule de la Constitution de 1946. D’inspiration libérale pour le premier, socialiste pour le second, ces textes énoncent des grands principes philosophiques et abstraits sans aucune portée juridique.

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Dès lors, les juges constitutionnels s’octroyaient le pouvoir exorbitant de juger le droit à l’aune de valeurs morales. Ils s’arrogeaient le privilège de poser un regard politique et idéologique sur le contenu de la loi. L’aristocratie du droit venait de mettre à bas le subtil équilibre gaullien des pouvoirs. Le Conseil constitutionnel devenait ainsi un pouvoir politique. Au cœur des années 1970, cette révolution juridique allait faire la rencontre d’une autre révolution. Celle des mentalités. En 1979, l’historien et sociologue Christopher Lasch décrivait la disparition des figures traditionnelles d’autorité (père, prêtre, autorité du politique) qui frappait la société américaine ; le nouvel individu narcissique occidental se retrouvait englué dans un no man’s land historique et spirituel.

En France, mai 1968 était passé par là et l’individu-roi était enjoint de jouir sans entrave. Le juge devenait alors le nouveau prêtre d’une société sans dieu. Et le Conseil constitutionnel se transformait en temple du libéralisme-libertaire, des droits individuels et de la nouvelle morale. Le voyage de Narcisse dans le monde de la jurisprudence trouverait son aboutissement dans la réforme constitutionnelle de 2008 : tout justiciable pouvait désormais poser une « Question prioritaire de constitutionnalité » et contester une loi portant atteinte aux sacro-saints droits fondamentaux. L’intérêt général cédait le pas devant l’intérêt individuel, le suffrage universel abdiquait face aux désirs des individus.

RICHARD FERRAND, PRÊT À TOUTES LES ACROBATIES POUR MACRON

C’est ainsi que dix ans plus tard, Cédric Herrou invoquait le principe de fraternité et obtenait des sages la censure du délit d’aide aux migrants clandestins. Aujourd’hui, droit fiscal, politique d’immigration ou bien encore procédure pénale sont largement forgés par les décisions du Conseil constitutionnel. Une telle prise de pouvoir n’est pas vraiment… démocratique.

Michelet définissait la Révolution française comme « l’avènement de la Loi, la résurrection du Droit ». Le moment démocratique où le peuple souverain acquérait son autonomie juridique. Où il se faisait le seul créateur de la loi qu’il se choisit. Les juges constitutionnels le savent. Et leur génie est précisément là : ils ne cessent d’invoquer les grands principes de la Révolution pour mieux la vider de sa substance populaire.

Pour cette nouvelle aristocratie, il s’agit de perpétuer le vieux combat tocquevillien contre le « despotisme de la majorité », de confisquer le pouvoir à un peuple jugé incapable de l’exercer, de canaliser les pulsions de ceux qui auraient de mauvaises pensées.

En 2023, Richard Ferrand regrettait que la Constitution empêche Emmanuel Macron de se présenter une troisième fois à l’élection présidentielle : « Notre Constitution en dispose ainsi. Cependant, à titre personnel, je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire. La limitation du mandat présidentiel dans le temps, le non-cumul des mandats, etc. Changeons tout cela en préservant (…) le Conseil constitutionnel, gardien vigilant des principes républicains et des libertés publiques. » Décidément, lorsqu’il s’agit d’Emmanuel Macron, Richard Ferrand est prêt à toutes les acrobaties.

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