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LES GUEUX (3) MARCHENT SUR LES MAIRIES – CONTRE LE MÉPRIS : TOURNANT POLITIQUE ?

DOSSIER ZFE en Occitanie : Montpellier, Toulouse, Nîmes, Perpignan… quand les zones à faibles émissions tournent à la confusion

TITRE MIDI LIBRE – 01/03/2025 LUDOVIC TRABUCHET

« Au 1er janvier, Nîmes et Perpignan devaient restreindre la circulation des véhicules les plus polluants, comme à Montpellier et Toulouse en région. Mais la mesure, socialement difficile à imposer, est partout contournée. »

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LES ZFE : ALEXANDRE JARDIN, LES GUEUX ET LES AUTRES – 22 À 26 MILLIONS DE FRANÇAIS CONCERNÉS (1) https://metahodos.fr/2025/01/27/les-zfe-alexandre-jardin-les-geuux-et-les-autres-22-a-26-millions-de-francais-concernes/

LES ZFE ET LA VINGTAINE DE MILLIONS DE GUEUX : ENTRETIEN AVEC ALEXANDRE JARDIN (2) https://metahodos.fr/2025/01/28/les-zfe-et-la-vingtaine-de-millions-de-gueux-entretien-avec-alexandre-jardin-2/

ARTICLE – ZFE : qui sont les « gueux » qui suivent la trace des gilets jaunes ?

La résistance contre les restrictions de circulation dans les grandes métropoles françaises s’organise, à l’appel de l’écrivain Alexandre Jardin. Les « gueux », comme ils se décrivent eux-mêmes, vont marcher devant les mairies de France tous les samedis matin.

NICOLAS MEUNIER. 1 MARS 2025 CHALLENGES

La mise en place des ZFE (Zones à Faibles Emissions) n’est certes pas nouvelle. C’est en 2015 que Paris a mis en place les premières restrictions de circulation, justifiées par une volonté d’améliorer la qualité de l’air. Au fil des années, les seuils d’application se sont durcis, et d’autres métropoles ont suivi le mouvement… Dans l’indifférence presque générale. Car si des millions de véhicules sont concernés par l’interdiction de circulation, dans les faits, les verbalisations sont inexistantes. Selon le site actu.fr, entre janvier et novembre 2022, il n’a été dressé que 558 procès-verbaux dans la ZFE du Grand Paris… Autant dire rien, vu le nombre de véhicules qui y circulent chaque jour. Il suffit de regarder dans les rues pour se rendre compte qu’une bonne proportion d’entre eux ne sont – théoriquement – pas autorisés à circuler.

Les ZFE sont une véritable poudrière sociale, les résultats d’une consultation de la Métropole du Grand Paris, mise en avant par la Ligue de Défense des Conducteurs, en sont la preuve. Publiés à l’automne 2024, ceux-ci portent sur l’application des nouveaux seuils, qui interdisent les voitures Crit’Air 3 et supérieurs (véhicules essence avant 2006 et diesel avant 2011) depuis le 1er janvier 2025. La nature des réponses est sans appel, avec 94 % d’avis défavorables à la mesure. Celle-ci est jugée comme une « injustice sociale », les sondés pointent du doigt un « manque d’infrastructures alternatives », un « classement Crit’Air incohérent » et une « mise en œuvre trop rapide ». Le bilan de la consultation stipule que « ce fort rejet traduit un besoin urgent d’adaptation des modalités ».

La classe politique semble être consciente de la sensibilité du sujet, qui concerne 11,4 millions de véhicules en France. Les verbalisations par radars ont été maintes fois repoussées, officiellement pour des raisons techniques… Alors même qu’un dispositif de vidéo-verbalisation par caméra existe à Londres depuis plus de vingt ans, pour contrôler les accès à la Congestion Charge Zone ! Ce sera au plus tôt en 2026. En mars 2024, le ministre de l’Ecologie de l’époque, Christophe Béchu, réduisait nettement la liste des villes qui ont pour obligation d’instaurer une ZFE. Initialement, la mesure devait concerner toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, soit 40 métropoles. Aujourd’hui, seuls Lyon et Paris sont concernées, même si certaines mairies, comme Grenoble et Strasbourg, persistent.

Lyon veut accélérer la verbalisation dans la ZFE

Tant que les interdictions de circulations ne se doublaient pas de verbalisations, elles n’étaient, dans les faits, pas appliquées. Mais les temps changent. A Lyon, le maire écologiste Grégory Doucet compte verbaliser les contrevenants : « Mon rôle, c’est de faire appliquer la loi », a-t-il déclaré lors d’une interview accordée à BFM Lyon, soulignant que les verbalisations avaient augmenté, suite à une augmentation des contrôles de police. Le vendredi 14 février, une opération de contrôle de police portant sur le respect des ZFE, a été mise en place. Quant au président écologiste de la Métropole de Lyon, Bruno Bernard, il réclame des radars lecteurs de plaque, pour une verbalisation automatique. « L’Etat n’assume pas le contrôle de la ZFE », a-t-il déclaré lors de ses vœux à la presse. La préfète de Lyon Fabienne Buccio abonde dans son sens. « Il a raison de s’impatienter. »

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Les « gueux » s’organisent pour protester, à l’appel d’Alexandre Jardin

La mesure devenant concrète, et donc visible, la grogne monte. L’écrivain Alexandre Jardin, depuis rejoint par le chanteur Daniel Guichard, se place en pourfendeur des ZFE. « Une chose est certaine : il n’y a aucune bonté derrière l’exclusion de millions de Français des ZFE – parce qu’ils n’ont pas les moyens de changer de voiture –, aucune compassion, aucun amour de la République fraternelle. Seulement un rapport autoritaire, irrespectueux des gens sans solutions. », lâche l’écrivain sur X. « Traitez les gens comme des gueux, ils partiront. », ajoute-t-il en parlant des touristes.

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Sur les réseaux sociaux, le hashtag « gueux » a pris de l’ampleur, devenant le signe de ralliement des exclus des zones urbaines, du fait de l’âge de leur voiture. « Trier les voitures, c’est trier les êtres humains », appuie Alexandre Jardin, qui appelle à la contestation. « On ne doit jamais accepter qu’une saloperie se fasse dans notre pays. Je ne dis pas que l’intention fut celle-là. Je dis que la mise en place des ZFE est une saloperie, un irrespect du peuple qu’on va punir ». Depuis le 22 février, Alexandre Jardin appelle les « gueux » à marcher pacifiquement (sans banderole) devant toutes les mairies de France, tous les samedis de 10h à midi.

Si Alexandre Jardin appelle à la contestation massive mais douce, c’est pour éviter la catastrophe. Les sujets automobiles sont plus sensibles qu’on pourrait le croire. Rappelons que c’est l’annonce par Edouard Philippe de la baisse de limitation à 80 km/h sur route qui a mis le feu aux poudres, donnant naissance à la crise des gilets jaunes. L’écrivain espère encore, par cette action, éviter le chaos de 2018. « Pourquoi est-ce si difficile pour un gouvernement de s’excuser et de dire « on s’est trompé, on annule » ? AVANT la grosse colère du pays. »

Les ZFE prennent un tournant politique

Les émeutes sont un risque lié à l’application des ZFE, le vote d’extrême droite également. Jérôme Fourquet, directeur de l’Ifop, révélait ainsi que lors des dernières élections législatives, le score du Rassemblement national a atteint 49 % parmi les personnes très dépendantes de la voiture au quotidien, contre seulement 28 % parmi les personnes qui n’en sont pas du tout dépendantes. « La carte du score des candidats RN ou alliés au RN se superpose presque exactement avec celle des régions où la voiture est indispensable », soulignait alors l’analyste.

Cette montée du vote Rassemblement national est un symptôme de l’irritation à l’égard de la politique mise en œuvre par les partis traditionnels. La mise en place des voies de covoiturage sur le périphérique parisien en est un exemple frappant. Malgré une consultation publique qui a mis à jour que 82 % des sondés étaient contre cette mesure, elle a été entérinée, avec une mise en application dès le 3 mars. Inutile de jeter la pierre à Anne Hidalgo, cible favorite des automobilistes excédés.

Effectivement, elle est partie prenante de cette mesure « anti-bagnole », répondant aux attentes de ses électeurs : seuls 34 % des ménages parisiens possèdent une voiture, selon l’Insee. Mais la maire de Paris socialiste a cosigné le communiqué de presse avec la préfecture de Paris, qui dépend du gouvernement (Renaissance) et de la Métropole du Grand Paris (Les Républicains). Le RN s’est positionné dès 2022 contre les ZFE en appelant à les supprimer et a lancé une pétition. La France insoumise de son côté réclame une suspension dans l’attente d’alternatives de mobilité, notamment en transports en commun.

En appelant les « gueux » à protester, Alexandre Jardin espère éviter la gabegie, tout autant que l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. « Plus je regarde la politique américaine, plus je m’étonne de la faible remise en question des Démocrates US. Ils perdent le peuple et pensent mordicus… que le problème, c’est le camp d’en face. Quand on a deux fois comme successeur Donald Trump, n’a-t-on pas gravement merdé ? De même, en France, qu’a merdé fondamentalement le « camp du bien » pour doper à ce point le RN ? ». L’enjeu des ZFE prend un tour politique majeur, que les initiateurs de la mesure semblent n’avoir pas imaginé.

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