
ÉMISSION – “Le vallon” d’Alphonse de Lamartine, le lyrisme absolu
14 janvier 2025 FRANCE CULTURE
L’actrice, réalisatrice et scénariste française, Sophie Marceau, nous propose d’écouter le poème « Le vallon”, d’Alphonse de Lamartine, ou comment trouver refuge dans les bras apaisants de la nature.
Avec Sophie Marceau, comédienne et réalisatrice
Sophie Marceau nous propose de découvrir “Le vallon » d’Alphonse de Lamartine, extrait de son premier recueil des Méditations poétiques publié en 1820, un poème lyrique qui évoque la douleur du deuil, l’absence de l’amour perdu.
Ce texte est lu par Johann Weber et Christine Culerier. Réalisé par Mélanie Péclat.
« L’énergie de la poésie, son rythme, sa musicalité, emportent sur la tristesse »
Alphonse de Lamartine (1790-1869) est l’un des poètes français les plus célèbres du XIXe siècle, associé au mouvement romantique. Né à Mâcon en 1790, il mène une vie marquée par la politique, les voyages et une profonde quête spirituelle. Sa poésie, souvent mélancolique et contemplative, aborde des thèmes tels que l’amour, la nature, le temps qui passe et la foi. En octobre 1816, il rencontre Julie Charles à Aix-les-Bains et vit avec elle un amour tragique puisque Julie meurt en décembre 1817. Il écrit alors les poèmes des Méditations poétiques, dans lequel il exprime son chagrin, la perte de son idéal romantique et sa recherche de l’infini. Sa plume lyrique et émotive a laissé une empreinte durable sur la littérature française.
Sophie Marceau a choisi de partager avec nous ce poème pour la beauté de son lyrisme et de sa musicalité. À l’instar d’Arthur Rimbaud, Alphonse de Lamartine manie ses vers avec une telle finesse qu’il parvient à peindre une nature vivifiante, capable de répondre aux tourments du poète. Face à la mort de Julie, les mots s’élèvent dans une verticalité qui emporte avec eux le monde vivant : un lyrisme qui s’oppose à l’absence. La mélodie de ces vers nous invite à nous fondre dans cette nature, éveillant et stimulant nos sens.
Le poète se permet alors de devenir une seule entité avec son environnement, comme lorsqu’il était enfant, instinctivement attiré par la terre, son refuge. Nous revenons toujours à cette source, à notre terre, pour puiser l’énergie vitale capable de réparer les souffrances liées à la mort.
Suivez Sophie Marceau, et rejoignez ces vallées verdoyantes où les poètes aiment se ressourcer.
Alphonse de Lamartine, « Le vallon »
Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,
N’ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d’un jour pour attendre la mort.
Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source, ils se perdent sans nom.
La source de mes jours comme eux s’est écoulée ;
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour :
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour.
La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne,
M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux,
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s’assoupit au murmure des eaux.
Ah ! C’est là qu’entouré d’un rempart de verdure,
D’un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux.
J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie :
L’oubli seul désormais est ma félicité.
Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance,
À l’oreille incertaine apportée par le vent.
D’ici, je vois la vie, à travers un nuage,
S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ;
L’amour seul est resté, comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.
Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir,
S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l’air embaumé du soir.
Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L’homme par ce chemin ne repasse jamais ;
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l’éternelle paix.
Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne,
Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ;
L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne,
Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.
Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ;
Plonge-toi dans son sein, qu’elle t’ouvre toujours
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
De lumière et d’ombrage, elle t’entoure encore :
Détache ton amour des faux biens que tu perds ;
Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore,
Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts.
Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ;
Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ;
Avec le doux rayon de l’astre du mystère
Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon.
Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence :
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à l’esprit parle dans son silence :
Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?
Extrait des Méditations poétiques, 1820
LIEN VERS L’ÉMISSION