
ARTICLE – « Et si la poésie pouvait nous aider à réenchanter le monde… »
Entretien avec Benjamin Guérin, poète, écrivain, philosophe, venu dans le Lot, à Autoire, inviter à se tourner vers la poésie, chemin de sérénité et de paix…Découverte !
Par Jean-Claude Bonnemère 23 mars 2025
Au manoir de Laroque Delprat à Autoire, Aurélie Lassaque organise des rencontres autour de la musique, la poésie, l’écriture, la philosophie… Entretien avec Benjamin Guérin, invité dans le cadre de la manifestation nationale du Printemps des poètes.
« L’une des fonctions du poète c’est de proposer de faire un pas de côté, d’avoir un autre regard sur les choses, de se décentrer si vous préférez », souligne Benjamin Guérin. Tout artiste, d’une certaine manière, a ce rôle-là à jouer ; aider à voir les choses différemment. Il poursuit : « Il nous revient d’aider les autres à découvrir ce qui est devant nous, mais qu’on ne voit pas, parce que c’est peut-être un peu dans des recoins, vers des limites, dans des zones frontières… » Le poète fait preuve d’audace et nous accompagne pour aller de l’avant…
Dans vos travaux, ressort un questionnement au sujet de l’habitat humain et du sauvage, comme si la frontière entre les deux devenait de plus en plus floue ; qu’en est-il ?
Benjamin Guérin : Aujourd’hui se pose la question en effet, de savoir où est la frontière entre l’humain et le sauvage. La zone lisière entre les deux est liée aussi aux questions de la fin de vie, qui sont toutes des endroits où on n’a pas forcément envie d’aller, des lieux un petit peu inquiétants. Alors, c’est le rôle du poète d’y aller et d’en raconter quelque chose. Ces zones d’entre deux, de limites, ce sont des choses qui nous intriguent, qui nous fascinent tous et qui nous concernent, parce que, qu’on le veuille ou non, nous passons tous par ces états d’entre deux.
Y a-t-il dans votre parcours, un point de bascule qui vous aurait happé vers ce terrain à l’écart des sentiers battus, alors qu’on pourrait très bien se complaire dans le monde du bruit et de l’image, de l’immédiateté, où nul besoin de se poser de questions ?
Pour ma part, la poésie est existentielle, au sens où l’on vit comme on écrit et on écrit comme on vit. Il y a une certaine sincérité, ce n’est pas romanesque, c’est-à-dire que le poète doit y mettre de lui-même. Il joue sa vie dans ses poèmes ; l’engagement est plein. Et comment dans ces conditions, dans ce rapport à l’écriture, pourrait-on faire l’impasse des questions de vie ou de mort ? Pour ma part, l’existence n’a jamais été non plus une évidence et ma vie a été traversée d’un certain nombre d’accidents, qu’ils soient tragiques ou merveilleux. J’ai beaucoup, beaucoup voyagé et cela m’a conduit à vouloir faire ces pas de côté, à aller vivre comme ça au fin fond de la Lozère, en bordure de forêt, à essayer de travailler dans des zones limites, auprès de gens qui sont entre la vie et la mort, avec des soignants aussi que je rencontre, écoute. Je trouve qu’il y a des choses très belles dans tout ce que ces personnes me racontent. Je pense que la poésie aujourd’hui, est curieuse d’aller aussi dans ces zones de la société, qui sont des entre-deux.
Moi j’aime bien aller explorer ces zones frontières, aller suivre la piste des loups en forêt. J’aime bien aller dans les hôpitaux, dans les services de soins palliatifs, aller voir ces entre-deux, aller aux États-Unis, voir ceux qui explorent à travers des expériences psychédéliques et arrivent dans des états modifiés de conscience à redécouvrir un éblouissement poétique à la vie. Ce sont des choses étonnantes.Vidéos : en ce moment sur Actu
Pareil pour le voyage. J’ai beaucoup travaillé sur le voyage, sur la Syrie, l’Iran, l’Amazonie… Ce sont des zones qui m’ont marqué je pense. Tout cela est lié.
« La poésie, c’est une parole qui vient vous attraper et qui vous emporte, parce que c’est une parole musicale, qui est forte, qui vient parler aussi quelque part de sujets qui font écho avec notre vie, pour aller un peu plus en profondeur, dans des choses qu’on n’a jamais le temps de creuser dans nos vies qui vont trop vite. » Benjamin Guérin
Cultiver l’esprit poétique, s’adonner à l’écriture, n’est-ce pas une manière de se mettre un peu à l’écart ?
On peut écrire dans le bruit, mais je pense que le poète se doit de rester toujours d’une certaine manière au centre des choses, tout en se mettant un petit peu à l’écart. En effet, il y a un certain recul ou du moins un pas de côté. Dans mon dernier livre « Quand nous étions des loups », je parle de la question du rapport au sauvage aujourd’hui, du rapport au loup, au fait que ces animaux sauvages, viennent à présent dans l’espace des humains, jusque dans des maisons.
Dans des maisons ?
L’histoire de ce livre part d’une attaque qui a vraiment eu lieu, de loups dans mon jardin. Or, cela, ça n’a rien d’étonnant. Certes c’est un fait un peu limite, anecdotique et très excitant. Parce qu’on va raconter des choses dont on n’a pas l’habitude de parler. Comme s’il s’agissait d’un pays éloigné. Aller à la rencontre de loups en Lozère, ça semble être aussi une aventure. Mais en même temps, cela renvoie à des choses qui sont au cœur de préoccupations actuelles. Cela peut sembler loin du bruit et de la fureur de tout ce qui se passe et de l’actualité brûlante. Mais en fait, on est en plein dedans. Pourquoi est-ce que les loups viennent-ils si proches de nous ? C’est la sururbanisation, c’est le délire de cette époque, de l’anthropocène où en fait tout est régi par l’homme et on en oublie de préserver des espaces sauvages qui ont toujours existé. Depuis quelques décennies, à peine quelques siècles, ces espaces sauvages sont dévorés et du coup où est ce qu’ils vont les animaux sauvages ? Ils reviennent vers chez nous. Mais où est le sauvage puisqu’il est chez nous ? Nous assistons à une sorte de renversement que j’observe à me demander, aujourd’hui, qui est le sauvage ? Au Moyen Âge, c’était facile à dire. On allait dans les forêts et là c’était la zone où il y avait les sorcières, les brigands et les loups et c’était clair. Nous avions affaire à une sauvagerie qui faisait peur, qui était incontrôlable. Mais aujourd’hui, maintenant qu’on a tout annexé, le sauvage, il est où ? Il est à la Maison-Blanche ?
Il est au cœur de nos villes. Pendant le COVID, on a vu des animaux se balader en plein Paris. Des sangliers qui viennent bouffer dans nos poubelles et des loups qui viennent tuer des moutons dans mon jardin. C’est très intéressant, ça peut paraître anecdotique, ça peut paraître marginal, or à mes yeux, nous sommes là en présence de questions centrales. Lorsque je suis dans les zones en fin de vie, c’est vraiment l’endroit où personne ne veut aller ? Or, là, je me retrouve au cœur d’un problème de société qui est actuel.
Est-ce qu’à côté de tout ce que vous essayez de nous faire toucher du doigt, n’y aurait-il pas l’idée que les gens ont perdu le sens de l’existence ?
C’est exactement cela. Comme moi, en quelque part le journaliste fait face au même constat dans son rapport à l’écriture. Sauf que le métier de journaliste fait que vous allez devoir vous concentrer sur une certaine immédiateté. Une certaine rapidité aussi, parce qu’il y a l’information, après laquelle vous courrez. L’avantage des poètes c’est que notre genre nous amène à aller creuser beaucoup plus en profondeur dans les choses et donc à sortir le plus possible de cette immédiateté, dans laquelle nous, on vit aussi.
On a beau vivre à la campagne ou ailleurs, on est pris dans les réseaux sociaux, dans l’actualité, nous sommes pris dans cette vitesse du monde. Pour autant, la poésie invite à creuser, à prendre du temps. Même démarche pour ceux et celles qui s’intéressent à la poésie, qui se mettent à la poésie. De nos jours, de plus en plus de gens se mettent à ne plus lire de romans, mais à s’intéresser à la poésie. Non pas les alexandrins, mais la poésie entendue comme cet art populaire, accessible à tous.
Comment la définissez-vous cette poésie actuelle, bien loin de celle des alexandrins ?
La poésie contemporaine est une langue facile, accessible à tous et très simple. Il n’y a pas besoin d’être éduqué à la poésie, il n’y a pas besoin d’être cultivé ou d’être érudit ou je ne sais quoi d’autre. La poésie c’est se poser, écouter avec curiosité, juste comme on le fait avec de la musique et c’est tout. La poésie, c’est une parole qui vient vous attraper et qui vous emporte, parce que c’est une parole musicale, qui est forte, qui vient parler aussi quelque part de sujets qui font écho avec notre vie, pour aller un peu plus en profondeur, dans des choses qu’on n’a jamais le temps de creuser dans nos vies qui vont trop vite. À travers des manifestations comme le Printemps des poètes, des lectures comme celles organisées à Laroque del Prat, ici à Autoire, des festivals, la poésie attire de plus en plus de monde. La poésie depuis 20 ans, connaît en France un âge d’or. Les poètes d’aujourd’hui parlent d’écologie, de voyage, de fin de vie, de voyage mystique, d’aventure, de plein de choses. Il y en a pour toutes les sensibilités.
Et vous, quel poète êtes-vous ?
On est sur un double niveau, c’est-à-dire que nous sommes à la fois des écrivains ; nous produisons des livres, mais nous sommes aussi des performeurs. Être poète, c’est monter sur scène et travailler avec des musiciens. Nous sommes en dialogue avec des musiciens, on peut travailler avec des danseurs, avec des chorégraphes… Il y a un côté scénique qui fait que c’est très facile pour le public. Il y a juste à voir et écouter.
Quand vous écrivez de la poésie, vous faites résonner des mots. Quel est l’objectif que vous recherchez ?
Cela dépend du poème. Tous les poèmes ne visent pas le même objectif. L’objectif c’est surtout de finir le poème et de faire un bon poème. Parfois l’objectif change en cours d’écriture. Vous savez, ce poème d’Éluard sur la liberté, j’écris ton nom, il s’agissait d’un poème d’amour au départ et puis à la fin c’est devenu une hymne à la liberté et le poème a changé de dimension.
Je pense que dans la création, les objectifs varient selon les poèmes.
Il y a tout de même deux thématiques qui ressortent, l’existentiel et l’environnemental dans votre écriture. Quelle est la touche qui vous définit dans ce que vous recherchez à travers la poésie ?
J’ai beaucoup écrit sur le voyage, sur la marche, d’accord, ça reste très existentiel en effet, le rapport au monde, à l’environnement, sur la thématique de comment vivre et habiter ce monde. Autant de sujets qui m’intéressent beaucoup. C’est le mot de Holderlin, comment habiter poétiquement le monde. Je trouve que c’est une vraie question existentielle ; comment être au monde ? C’est quelque chose qui m’habite beaucoup et donc être au monde c’est être aussi sensible à tout ce qui nous entoure. Arriver à voir toute son horreur et en même temps y voir la beauté qui perce à travers, c’est un rôle important pour le poète. Sans perdre de vue qu’il conviendra de toucher le plus grand nombre. C’est pour cela aussi que je me plais à aller dans les écoles, et autres lieux pour faire de la poésie avec plein de monde et montrer que ce n’est pas une affaire d’élites.
Une manière de chercher à réenchanter le monde, en quelque sorte, que la démarche du poète ?
Parfaitement ! Il y a vraiment de cela dans notre vocation ! Cette volonté de réenchanter ce monde. Sans trop se fixer des objectifs, si l’on veut écrire avec le cœur.
Bibliographie non exhaustive : « Quand nous étions des loups », Benjamin Guérin éd. Corlevour, 2024 (poésie). « Chants du voyageur », texte de Benjamin Guérin, dessins de Jean-Gilles Badaire, éd. Corlevour, 2019 (poésie). « Le Rossignol de l’Oronte », texte de Benjamin Guérin, dessins de Bellagamba, éd. Papiers Coupés, 2018 (poésie). « Métropole oubliée », préface de Loul Combres, dessins de l’auteur, éd. Lucie, 2016 (poésie)