
MISE À JOUR 3 :
UNE RÉSERVE D’INTERPRETATION DU CC QUE LE JUGE N’A PAS RESPECTÉE
L’AVIS DE J.P. DEROSIER CONSTITUTIONNALISTE
MISE À JOUR 1 :
3. ARTICLE – « La condamnation de Marine Le Pen représente un progrès indéniable pour notre démocratie » LUC ROUBAN
MISE À JOUR 2 :
MICHEL SAPIN SE DÉFEND
DES RÉACTIONS QUI MONTRENT LA GRAVE CRISE INSTITUTIONNELLE ET DÉMOCRATIQUE QUE TRAVERSE LA FRANCE
Le tribunal correctionnel de Paris a prononcé, lundi au procès des assistants parlementaires européens, une peine d’inéligibilité de cinq ans s’appliquant immédiatement (exécution provisoire) contre Marine Le Pen, oblitérant à ce stade ses chances de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. La cheffe de file du RN a également été condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet.
Le prononcé d’une peine d’inéligibilité « apparaît nécessaire« , a justifié la présidente, soulignant la « gravité des faits« . Elle a mis en avant « leur nature systématique, de leur durée, du montant des fonds détournés » mais aussi de « la qualité d’élu » des personnes condamnées, et de « l’atteinte portée à la confiance publique et aux règles du jeu démocratique« .
Les réactions à cette décision de justice qui provoque un séisme à deux ans de la présidentielle, alors que la leader du parti d’extrême droite était en tête dans tous les sondages pour le premier tour, ne se sont pas faites attendre.
Chez LR, cette décision est lourdement critiquée. « Il n’est pas sain que dans une démocratie, une élue soit interdite de se présenter à une élection« , a déploré Laurent Wauquiez sur BFMTV.
« Ce n’est pas le chemin qu’il aurait fallu prendre« , a jugé le patron de la droite à l’Assemblée Laurent Wauquiez
« La France est-elle encore une démocratie?« , s’est interrogé de son côté l’ancien LR qui Éric Ciotti.
« Le destin démocratique de notre nation confisqué par une cabale judiciaire indigne (…) ce n’est pas un simple dysfonctionnement, c’est un système de captation du pouvoir qui écarte systématiquement tout candidat trop à droite en mesure de gagner », a ajouté l’ancien président des Républicains.
L’eurodéputé François-Xavier Bellamy a déploré sur X « un jour très sombre pour la démocratie française« .
La France insoumise à rebours du reste de la gauche
« Y a des semaines qui commencent bien », a écrit de son côté Philippe Poutou, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), sur le même réseau social, estimant que « pour une fois, la justice est bien faite ».
Pour Marine Tondelier, cheffe de file des Écologistes, Marine Le Pen « doit payer sa peine » car elle est une « justiciable comme les autres ». « Quand on donne des leçons d’exemplarité à tout le monde, on doit commencer par se l’appliquer à soi-même », a-t-elle ainsi déclaré.
Même son de cloche du côté des communistes, avec Fabien Roussel qui a affirmé que « la justice est la justice. ‘Selon que vous serez puissant ou misérable’ comme écrivait La Fontaine, elle doit être la même pour tous. D’autant que Mme Le Pen est une responsable politique qui exige plus de fermeté de la part de la justice »
Toutefois, toute la gauche n’est pas unanime sur la question.
La gauche « prend acte », sans consensus
La France insoumise a réagi dans un communiqué. « Nous prenons acte de cette décision de Justice, même si nous refusons par principe que le recours soit impossible pour un justiciable quel qu’il soit », écrit LFI. « Nous notons que les faits qui sont déclarés avérés sont particulièrement graves. Ils contredisent entièrement le slogan ‘tête haute, mains propres’ sur lequel ce parti a longtemps cherché à prospérer« , tacle le parti dirigé par Manuel Bompard. « Quant au reste, La France insoumise n’a jamais eu comme moyen d’action d’utiliser un tribunal pour se débarrasser du Rassemblement national. Nous le combattons dans les urnes comme dans la rue. (…) Nous le battrons aussi demain dans les urnes, quel que soit son ou sa candidate », conclut LFI.
Jean-Luc Mélenchon a estimé que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple »
. Le parti de La France insoumise a dit dans un communiqué« refuser par principe que le recours soit impossible pour un justiciable quel qu’il soit », affirmant n’avoir « jamais eu comme moyen d’action d’utiliser un tribunal pour se débarrasser du Rassemblement national« .
Dans un communiqué, le Parti socialiste a appelé « chacune et chacun à respecter l’indépendance de la justice et l’État de droit« .
MISE À JOUR 2 :
MICHEL SAPIN SE DÉFEND :
« Ma loi a durci les choses mais elle n’a pas supprimé la liberté du juge« , défend Michel Sapin
François Bayrou : « troublé par le jugement » … « une accusation injuste », … « très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu’on puisse faire appel »
Du côté du bloc central, François Bayrou a été « troublé par le jugement » prononcé à l’encontre de Marine Le Pen, confie l’entourage du Premier ministre.
En janvier, le Premier ministre avait estimé que ces procès visant le MoDem comme le RN étaient fondés sur « une accusation injuste« .
Il avait aussi considéré comme « très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu’on puisse faire appel« .
Aucun ministre n’a réagi à cette décision, le président Emmanuel Macron n’a pas réagi non plus.
Le Premier ministre a lui-même été jugé pour un système de fraude visant à rémunérer des assistants parlementaires européens, suspectés de travailler en réalité pour le Modem. Il a finalement été relaxé en février 2024. Le parquet a depuis fait appel.
Prisca Thevenot a voulu rappeler que les élus sont « des citoyens comme les autres ». « Le RN plaide en permanence pour des peines fermes (…) Je ne vois pas pourquoi Marine Le Pen serait au-dessus ou à côté du droit », a affirmé depuis l’Assemblée nationale la députée des Hauts-de-Seine.
« Nous battrons [le RN] demain dans les urnes, quel que soit son ou sa candidate », a balayé Manuel Bompard, coordinateur de la France insoumise.
Dans son propre camp, Jordan Bardella, qui pourrait être le candidat du RN y pour 2027, a estimé que « la démocratie française est exécutée« .
Pour Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, la « seule culpabilité » de sa tante est qu’elle « menait notre camp sur le chemin de la victoire« .
LES JUGES EUX MÊMES RÉAGISSENT, S’ÉTONNANT DES RÉACTIONS POLITIQUES ET POPULAIRES
Le premier président de la cour d’appel de Paris a dénoncé lundi les « menaces » à l’égard des magistrats ayant rendu ce jugement. Exprimant dans un communiqué « sa vive préoccupation« , le premier président Jacques Boulard déplore que la décision rendue par le tribunal de Paris suscite, « en particulier sur les réseaux sociaux, des attaques personnelles à l’encontre des trois magistrats composant la collégialité« . « Dans un État de droit démocratique, la critique d’une décision de justice ne peut en aucun cas s’exprimer par des menaces formulées à l’égard des magistrats« , a-t-il insisté.
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) français a pour sa part exprimé lundi dans un communiqué son « inquiétude face aux réactions virulentes » après la condamnation de Marine Le Pen, les jugeant « de nature à remettre en cause gravement l’indépendance de l’autorité judiciaire« . « Les menaces visant personnellement les magistrats en charge du dossier, tout comme les prises de parole de responsables politiques sur le bien-fondé des poursuites ou de la condamnation, en particulier au cours du délibéré, ne peuvent être acceptées dans une société démocratique« , a déclaré le CSM dans une rare prise de parole publique de l’organe français, qui a pour rôle de garantir l’indépendance des magistrats par rapport au pouvoir exécutif.
On attend les réactions des syndicats de juges
MISE À JOUR 3 :
L’AVIS DE J.P. DEROSIER CONSTITUTIONNALISTE
UNE RÉSERVE D’INTERPRETATION DU CC QUE LE JUGE N’A PAS RESPECTÉE
« Enfin, le Conseil constitutionnel émet une « réserve d’interprétation », c’est-à-dire qu’il confirme la constitutionnalité du mécanisme en indiquant que, lorsque le juge assortit une peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire, il doit, pour respecter le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, « apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Ce faisant, il doit tenir compte de la situation et de la personnalité de celui ou celle qui est condamné, conformément au principe constitutionnel de personnalisation des peines. Ce n’est donc guère nouveau.
Toutefois, on peut y voir une forme de message aux juges correctionnels qui auront à se prononcer le 31 mars. Le Conseil confirme clairement que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité est conforme à la Constitution, donc possible. On peut comprendre qu’elle ne doit pas avoir pour effet de priver totalement les électeurs de leur liberté de choisir leurs élus.
C’est désormais aux juges correctionnels d’en tirer les conséquences, mais on peut imaginer qu’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire soit prononcée, d’une durée telle qu’elle n’empêcherait pas Marine Le Pen d’être candidate à la prochaine élection présidentielle… si elle a lieu à échéance normale. »
1. ARTICLE – Marine Le Pen inéligible, François Bayrou a choisi un mot lourd de sens pour réagir
31/03/2025. Par Anthony Berthelier Huffpost
Le Premier ministre a plusieurs fois jugé injuste le sort judiciaire réservé à Marine Le Pen, sur le fond du dossier ou la peine immédiate.
Le mot choisi par Bayrou pour réagir à la condamnation de Le Pen est lourd de sens
Le poids du mot. Depuis la condamnation de Marine Le Pen ce lundi 31 mars, à une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, les réactions se multiplient dans la classe politique. L’extrême droite dénonce un procès politique, quand la gauche prend acte d’une décision de justice, qui est « la même pour tous. » François Bayrou, lui, se dit « troublé. »
Selon une réaction de son entourage transmise à plusieurs médias, dont l’AFP, le Premier ministre a été « troublé par l’énoncé du jugement », mais ne souhaite faire « aucun » autre « commentaire » sur cette « décision de justice. » Un message peut-être sibyllin. Mais lourd de sens dans le contexte actuel, à l’heure notamment où les dirigeants du Rassemblement national font feu de tout bois contre l’État de droit.
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De fait, François Bayrou a clairement dénoncé à plusieurs reprises le sort judiciaire réservé à Marine Le Pen. « Je pense qu’il est très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu’on puisse faire appel », expliquait-il par exemple le 27 janvier sur LCI, après les réquisitions des procureurs, lesquels réclamaient déjà une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire à l’encontre de Marine Le Pen. Donc sans voie de recours contre l’application immédiate.
Quand Bayrou jugeait « injuste » le sort de Le Pen
À cette occasion, le chef du gouvernement s’était même risqué à un commentaire sur le fond du dossier. Interrogé notamment sur le procès du FN (devenu RN), il avait expliqué qu’à ses yeux, c’est « une accusation injuste que de penser que le parti politique n’aide pas » ses députés européens. « Un parti politique, ça fait élire un député européen, puisque c’est sur une liste. C’est lui qui les choisit, (qui) les aide à défendre leurs idées, surtout quand ils sont minoritaires », avait-il insisté. Avec certaines arrière-pensées ?
Difficile effectivement de ne pas lier les déclarations du centriste, hier ou aujourd’hui, avec sa propre situation. Le président du MoDem a été jugé l’année dernière pour une affaire similaire, sur la qualité, pas l’ampleur des méfaits. Il était accusé, comme son parti et plusieurs de ses compagnons de route, de « complicité par instigation » de « détournement de fonds publics. » Il a été relaxé, mais un procès en appel l’attend dans les mois à venir.
Sur le terrain politique, force est de constater aussi que le président du MoDem prend soin d’épargner Marine Le Pen depuis qu’il est à Matignon. Il se montre par exemple ouvert sur ses obsessions, la « submersion migratoire » ou la proportionnelle, tandis que la présidente du Rassemblement national loue en réponse la « méthode positive » du centriste.
Des conséquences politiques ?
Un temps révolu ? Le parti d’extrême droite agite de nouveau le spectre d’une motion de censure ces derniers jours, en évoquant par exemple la politique énergétique du gouvernement ou les difficultés du conclave sur la réforme des retraites. Le « trouble » du Premier ministre, comme un message à celle qui avait choisi de faire chuter Michel Barnier en décembre, juste après les lourdes réquisitions des procureurs ?
Il est intéressant de noter en tout cas qu’au-delà de François Bayrou, aucun ministre de poids ne se risque à un commentaire sur le jugement du tribunal de Paris, véritable séisme politique à deux ans de la présidentielle. L’un des plus proches du centriste, le numéro deux du MoDem Marc Fesneau, assure même qu’il n’appartient « pas aux élus de remettre en cause des décisions de justice ». Il ouvre la porte en revanche à une évolution de la loi.
Le texte actuel, qui laisse les mains libres aux magistrats quant au caractère immédiat d’une peine ou non, peut « légitimement interroger le législateur », écrit ainsi Marc Fesneau dans un communiqué ce lundi après-midi. « Peut-on condamner en première instance un élu avec exécution immédiate de sa peine, au risque de le condamner définitivement, avant toute forme d’appel ? », ajoute-t-il, appelant à en débattre le cas échéant « dans le cadre du Parlement ». Après un séisme, aucune secousse n’est anodine.
2. Tribune – Jean-Éric Schoettl : « Le Pen inéligible : les juges se rebellent contre le Conseil constitutionnel… et contre les électeurs »
Par Jean-Éric Schoettl. MARIANNE 31/03/2025
Jean-Éric Schoettl : « Le Pen inéligible : les juges se rebellent contre le Conseil constitutionnel… et contre les électeurs »
Le tribunal judiciaire de Paris a-t-il outrepassé ses prérogatives en ordonnant l’exécution provisoire de l’inéligibilité de Marine Le Pen ?
Trois jours après une décision du Conseil constitutionnel posant des limites strictes à cette mesure, la justice pénale a choisi de passer outre, explique Jean-Éric Schoetll, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, auteur de « La Démocratie au péril des prétoires :
De l’État de droit au gouvernement des juges » (Gallimard).
Une décision juridiquement discutable, politiquement lourde, qui soulève de sérieuses questions sur le respect du droit d’éligibilité, la souveraineté populaire… et la tentation d’un gouvernement des juges.
Procès des assistants des eurodéputés du RN : la fuite en avant des juges. L’exécution provisoire de l’inéligibilité ordonnée contre Marine Le Pen par le tribunal correctionnel de Paris, décidée le 31 mars dans l’affaire des assistants des eurodéputés du Rassemblement national, est contestable à divers égards. Elle est d’abord contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025 (QPC n° 2025-1129).
CE QU’A DIT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Étaient contestés, dans l’affaire jugée par le Conseil constitutionnel, deux articles du code électoral portant l’un sur l’inéligibilité aux élections municipales des individus privés d’éligibilité, l’autre sur sa conséquence (la déchéance immédiate du mandat en cours). En s’en tenant strictement aux dispositions en cause, on pouvait certes constater que les deux articles soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel n’avaient pas de rapport direct avec l’éligibilité à une élection présidentielle.
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Toutefois, pour mesurer la portée de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars, et ses incidences sur la décision rendue trois jours plus tard par le tribunal judiciaire de Paris, on ne pouvait se borner à ce constat. Ce qui était essentiellement en jeu, dans les deux affaires, c’était l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité. Lorsque celle-ci est prononcée par le juge, elle est d’effet immédiat : l’intéressé ne peut plus se porter candidat à une élection et ses mandats électoraux (autres que parlementaires), s’il en exerce, s’interrompent. Et ce, alors même qu’il n’est pas définitivement jugé. Le droit au recours et le droit d’éligibilité en sont nécessairement affectés.
La question de l’inéligibilité à titre provisoire d’un élu municipal est englobée par celle, plus générale, de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. Cette question touche tous les mandats électifs, avec cette différence que la déchéance du mandat parlementaire par suite de l’inéligibilité n’est, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, jamais prononcée avant condamnation définitive.
ORDONNER L’EXÉCUTION PROVISOIRE DE L’INÉLIGIBILITÉ
Le Conseil devait se prononcer sur le point de savoir si l’exécution provisoire d’une inéligibilité était conforme à la nature des mandats politiques et plus particulièrement à la liberté de l’électeur. Au-delà de l’effet immédiat de l’inéligibilité sur l’exercice d’un mandat, était en cause son effet immédiat sur la possibilité de se présenter à une élection future.
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La faculté, pour le juge pénal, d’ordonner l’exécution provisoire de l’inéligibilité résulte, que ce soit pour la poursuite du mandat ou pour le droit de se présenter à une élection, des dispositions combinées de l’article 131-26-2 du Code pénal (trouvant son origine dans la loi Sapin 2), qui punit de la peine complémentaire « automatique » d’inéligibilité des manquements à la probité comme le détournement de fonds publics et la prise illégale d’intérêts, et de l’article 471 du code de procédure pénale, qui permet de donner un effet immédiat aux peines complémentaires.
La réponse apportée par le Conseil avait donc une portée dépassant celle du sort des mandats en cours des élus municipaux. Elle concernait notamment l’élection présidentielle. La loi organique du 6 novembre 1962 relative à l’élection présidentielle prévoit en effet qu’un candidat inéligible ne peut être candidat à cette élection. Elle le fait par renvoi à l’article L199 du code électoral, aux termes duquel : « Sont inéligibles les personnes désignées à l’article L. 6 et celles privées de leur droit d’éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation ». Le Conseil constitutionnel a statué au regard notamment« du droit d’éligibilité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 3 de la Constitution ».
Le cœur de sa décision tient dans une réserve d’interprétation explicite, de portée « directive » : « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure(l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Il résulte de ses termes mêmes que cette réserve d’interprétation s’applique non seulement aux mandats en cours, mais encore aux élections futures. Quel sens aurait sinon la référence à la liberté des électeurs ?
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Conformément à sa jurisprudence antérieure, le Conseil constitutionnel ne censure pas, dans son principe, l’exécution provisoire de l’inéligibilité. Cette mesure, considère-t-il, a pour objet de prévenir la récidive, de garantir la bonne exécution des décisions de justice et de contribuer à « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants ». Mais il assortit cette bénédiction d’une sérieuse réserve d’interprétation.
CONSÉQUENCES DISPROPORTIONNÉES SUR LA LIBERTÉ DE L’ÉLECTEUR
Eu égard à cette réserve, le tribunal judiciaire de Paris ne pouvait éviter de se prononcer sur le point de savoir si l’exécution provisoire de l’inéligibilité de Marine Le Pen et de ses coprévenus emportait de conséquences disproportionnées sur la liberté de l’électeur lors des prochains scrutins, notamment à l’élection présidentielle. Et poser cette question, c’est y répondre : l’exécution provisoire de l’inéligibilité de Marine Le Pen emporte manifestement des conséquences disproportionnées sur la liberté de l’électeur, car elle prive des millions de nos concitoyens de leur candidate naturelle à la principale élection du pays.
Déjà discutable quant à ses finalités (prévenir la récidive ? sauvegarder l’ordre public ?), l’exécution provisoire de l’inéligibilité méconnaît la réserve d’interprétation émise par le Conseil. Elle va en effet à l’encontre de la « liberté de l’électeur » que la réserve d’interprétation vise précisément à garantir. Elle contrevient, ce faisant, à l’autorité conférée par l’article 62 de la Constitution à la chose jugée par le Conseil constitutionnel.
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La décision du tribunal judiciaire de Paris est également contestable du point de vue de la souveraineté populaire et de l’universalité du suffrage. En démocratie, c’est en effet à l’électeur de dire qui est digne de ses suffrages. Nous basculerions dans le gouvernement des juges si nous admettions que le peuple est incapable de discernement moral et qu’il appartient en conséquence à la magistrature de filtrer les candidats selon l’idée qu’elle se fait de leur vertu.
Le 31 mars 2025, le tribunal judiciaire de Paris a pris le risque de se rebeller contre le Conseil constitutionnel, comme celui de déstabiliser la vie politique du pays en frustrant et en indignant une partie importante de ce « peuple français » au nom duquel il statuait.
3. ARTICLE – « La condamnation de Marine Le Pen représente un progrès indéniable pour notre démocratie »
Publié: 31 mars 2025, Luc Rouban, Sciences Po THE CONVERSATION
Marine Le Pen a été reconnue coupable de détournement de fonds publics et condamnée à quatre ans de prison et cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. Malgré sa décision de faire appel, cette décision de justice l’élimine probablement de la course à la présidentielle en 2027. Le politiste Luc Rouban nous livre une analyse de ce fait politique majeur. Entretien.
The Conversation : La condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité avec application immédiate est une surprise et un choc. Certains juristes imaginaient une lourde peine mais doutaient que le juge, sous la pression, aille au bout de la logique d’inéligibilité – pourtant inscrite dans la loi…
Luc Rouban : Oui c’est une surprise et je crois que le RN ne s’attendait pas à cette décision. C’est une forme de revanche de l’État de droit sur un certain style de vie politique qui fonctionnait à l’arrangement, à l’entre-soi pendant des décennies. C’est ce à quoi nous avaient habitués la période chiraquienne et la période mitterrandienne, faites de liaisons dangereuses entre le politique et certains membres de la classe économique. On pense aussi – bien sûr – à l’affaire Nicolas Sarkozy, plus récemment. Nous assistons aujourd’hui à un retournement historique. Marine Le Pen s’attendait sans doute à du sursis, à des peines un peu symboliques. Or cette condamnation n’est pas symbolique du tout. Elle ne s’inscrit plus dans cette vie politique à l’ancienne où l’on « s’arrange ».
Pour la démocratie, ce jugement est-il une bonne chose, avec une juge qui applique la loi sans trembler ? Ou est-ce un problème comme le disent Jordan Bardella, Eric Ciotti, Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon, mais aussi Elon Musk, Viktor Orban, Geert Wilders, Matteo Salvini ou le Kremlin ?
L.R. : Ce jugement représente un effort pour que la démocratie aille mieux. La réaffirmation de l’État de droit est tout à fait indispensable et légitime. Le système démocratique français est très fragilisé, bien plus que dans d’autres pays européens. Le niveau de confiance des citoyens envers la classe politique et dans la justice est très bas, il doit être restauré. Cela passe notamment par le fait que la justice s’applique à des personnalités qui détournent des millions d’euros, et pas uniquement à des caissières de supermarché qui se font licencier et sont poursuivies au pénal pour le vol d’une barre chocolatée. Marine Le Pen condamnée, c’est un progrès indéniable de notre démocratie : c’est le signe que le rapport au politique change, que la politique est devenue une activité professionnelle comme une autre, soumise à des réglementations, à des lois.
Bien sûr, il y aura des attaques concernant la justice, on aura l’argument trumpiste du « gouvernement des juges ». Mais il faut rappeler que le juge n’a fait qu’appliquer la loi. Il faut aussi rappeler que ceux, dont Marine Le Pen, qui critiquent les peines d’inéligibilité avaient applaudi la loi Sapin 2, votée à l’unanimité en 2016 à la suite de l’affaire Cahuzac.
Quel est l’avenir de Marine Le Pen et du RN ? Jordan Bardella est-il en capacité de remplacer Marine Le Pen ?
L.R. : Hors scénario incertain d’un jugement favorable en appel avant l’élection présidentielle, Marine Le Pen va certainement céder sa place de candidate du RN à Jordan Bardella. Mais Jordan Bardella est-il capable de remplacer Marine Le Pen ? C’est toute la question.
En interne, ce dernier n’a pas vraiment réussi à s’imposer vraiment au sein du parti, notamment pour renouveler les cadres et structurer le mouvement. Dès que Marine Le Pen s’est absentée – ce qui était le cas après le décès de son père – le parti semblait s’affaisser.
Par ailleurs, Jordan Bardella, c’est le dauphin et l’héritier de Marine Le Pen. Or la « normalisation » du parti pourrait passer par une forme de « délepénisation ». La famille Le Pen a totalement structuré ce parti, qui est très vertical, très organisé autour de sa personne, de son entourage immédiat. Il va y avoir une interrogation sur ce modèle oligarchique et sur cette verticalité, évidemment. Est-ce que Bardella va en faire les frais ? D’autres leaders du RN, comme Sébastien Chenu ou Jean-Philippe Tanguy, qui se sont imposés sur la scène médiatique, peuvent tenter de le devancer dans la course à la présidentielle. Cela supposerait pourtant une rupture avec Marine Le Pen dans un parti où les dissidents sont vite exclus. La probabilité d’une telle contestation reste donc faible.
Quid de Marion Maréchal ? Pourrait-elle prendre la relève ?
L.R. : Je n’y crois pas car elle joue la carte du trumpisme, elle met mal à l’aise au RN. L’électorat RN est trop attaché à la souveraineté de la France, il a évolué vers une forme de droite sociale éloignée du libéralisme pur et dur. L’électorat de Reconquête ! est plus bourgeois, plus âgé, plus diplômé, plus fortuné que celui du RN.
Le RN va-t-il tirer un bénéfice de ce procès ou perdre des électeurs ?
L.R. : Il est possible que certains abstentionnistes dont la sociologie est proche des électeurs du RN expriment leur mécontentement face à la condamnation de Marine Le Pen en choisissant de voter pour le futur candidat du Rassemblement national.
Mais du côté des catégories moyennes diplômées supérieures de droite qui ont voté RN au législatives de 2024, le vote pourrait se reporter sur Les Républicains.
Par ailleurs, quel que soit le candidat futur du RN, va se poser un problème de soutiens. Pour gagner une élection présidentielle, il faut avoir des appuis dans le monde économique. Or traîner un parti dont les principaux dirigeants ont été condamnés au pénal n’est pas une bonne carte de visite. Au fond, le RN était déjà isolé des élites sociales. Il pourrait l’être encore plus demain.
Comment l’opinion pourrait réagir à cet événement majeur qui prive des millions d’électeurs de leur candidate ? Doit-on s’attendre à des réactions populaires, éventuellement violentes ?
L.R. : Du côté de la société en général, il y aura peut-être des réactions épidermiques pendant un temps, des incidents isolés, mais je ne pense pas qu’il y ait des mouvements de masse comme dans les années 30. Le manque d’enthousiasme pour la vie politique est patent : qui va prendre des risques physiques et s’engager dans des actions violentes pour défendre un parti politique et sa représentante ? Pas grand monde je pense.