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LA FRANCE RACISTE OU RACIALISTE ? : UNE INVENTION GROSSIÈRE

1. Le mythe de la France raciste (1) Le racialisme, histoire d’un échec

FONDAPOL PAR VINCENT TOURNIER – AVRIL 2025

Formalisées au travers d’expressions telles « racisme structurel » ou « racisme systémique », des accusations particulièrement sévères ont été lancées contre la France au cours des dernières années. Ces accusations, jamais sérieusement étayées, sont d’autant plus injustes qu’elles entrent en contradiction flagrante avec une histoire nationale profondément réfractaire aux théories de la race. 

La première partie de cette note propose d’analyser les principales raisons qui, au fil du temps, à la suite d’une série de conjonctures et de bifurcations originales, ont conduit à neutraliser la question de la race. Ce processus de longue durée, fruit des conditions propres à l’histoire de France, repose sur une multitude de facteurs décisifs que l’on propose d’analyser ici : l’héritage chrétien, le mariage exogamique, la sociologie des élites aristocratiques, la valorisation de l’éducation, la conception de la nation ou encore l’attitude des intellectuels.

2. Le mythe de la France raciste (2) De l’échec du racialisme à la naissance du mythe

Fondapol PAR VINCENT TOURNIER – AVRIL 2025

Après avoir souligné, dans le premier volume de cette série de deux notes, les facteurs qui ont permis de tenir la France à distance de l’idéologie de la race, on s’intéresse désormais aux indices qui confirment que la société française se caractérise par une hostilité structurelle envers le racisme et le racialisme. Une comparaison avec les États-Unis, pays proche par de nombreux aspects, aide à mieux faire ressortir la divergence des trajectoires entre les deux pays.

Au-delà d’une critique de la thèse du racisme systémique, il s’agit alors de comprendre pourquoi une telle thèse a pu émerger et bénéficier d’un succès relatif. Pour cela, un détour par la mythologie est nécessaire. Situer le racisme systémique sur le terrain du mythe permet d’en comprendre les ressors intellectuels et de saisir les risques que recèle cette théorie en cette période de tensions autour de l’immigration et de la place des minorités.

Vincent Tournier est maître de conférences de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble-PACTE/CNRS.

3. Introduction

Une recension serait longue et fastidieuse. Un aperçu peut être obtenu en cherchant les expressions « racisme systémique » ou « racisme structurel » sur le site universitaire The Conversation, lequel se décline dans plusieurs pays. Pour le Canada, on peut consulter le document « La lutte contre le racisme systémique et la discrimination au Canada » disponible sur le site du gouvernement.

« Racisme d’État », « racisme structurel », « racisme institutionnel », « racisme systémique » : toutes ces expressions, et bien d’autres encore comme « privilège blanc » ou « blanchité », se sont banalisées1.

Si elles sont moins présentes en France qu’en Amérique du nord ou au Royaume-Uni2, elles sont désormais couramment utilisées par une partie des élites3 et des institutions internationales4. Elles ont aussi su convaincre une grande partie de l’opinion, notamment chez les jeunes. En février 2021, 54% des Français estiment que le « racisme systémique » correspond à une réalité (66% chez les moins de 35 ans5) et 30% des Français (47% chez les 18-24 ans) pensent que le « racisme d’État » correspond à une réalité6.

Entre juin 2020 et février 2021, la proportion de Français qui voient le « privilège blanc » comme une réalité est passée de 32% (52% chez les moins de 35 ans) à 46% (61% chez les jeunes).

Qu’entend-on par racisme structurel, systémique ou institutionnel, expressions relativement interchangeables ? L’expression « racisme institutionnel » est apparue en 1999 dans un rapport britannique consacré au meurtre d’un jeune homme noir par la police (rapport Macpherson). Elle désigne l’ensemble des processus qui, basés sur des stéréotypes racistes, désavantageraient les membres des minorités ethniques7. Quant au racisme structurel, il est défini par l’université de Cambridge comme les « lois, règles ou politiques officielles d’une société qui produisent et entretiennent, sur la base de la race, un avantage inéquitable continu pour certaines personnes et un traitement inéquitable ou néfaste pour d’autres8 ».

À s’en tenir à ces définitions, il paraît évident que la France n’est pas concernée tant on chercherait en vain des traces du racialisme dans la législation et les institutions. Mais le problème ne s’arrête pas là. L’utilisation des termes de « système » ou de « structure », lesquels ont un riche passé en sciences sociales, désignent des éléments liés entre eux dont l’assemblage forme un tout cohérent, ce qui laisse entendre que le phénomène est généralisé et omniprésent. Dire que le racisme a une dimension structurelle ou systémique signifie que celui-ci est de nature endémique et qu’il se loge au cœur même des institutions et de la société ; en somme, il imprègne les politiques de l’État comme la culture de la société.

Dans le cas de la France, une telle analyse se heurte à une impasse : les anomalies sont trop nombreuses pour que cette analyse puisse être sérieusement retenue. Même ses partisans sont mal à l’aise9. Et pour cause : dans l’histoire de France, tout va justement à l’encontre de la thèse du racisme structurel ou systémique.

Mais cette contradiction ne suffit pas à ébranler les convictions. Pour les partisans du racisme structurel, même si le racisme ne se donne pas à voir de manière explicite à travers la législation, il n’en imprègne pas moins le fonctionnement des institutions et de la société. La société française est donc accusée de reposer, hier comme aujourd’hui, sur une entreprise de domination et d’exclusion fondée sur la race, comme l’avait déjà soutenu Michel Foucault en 1976 lorsqu’il expliquait que toute société connaît une « guerre des races », et même que tout pouvoir assoit sa domination sur un « racisme d’État10 ».

C’est pourtant la thèse exactement inverse que nous proposons de défendre dans ce texte, à savoir que la société française, en raison d’une culture et d’une histoire spécifiques s’est constituée sur une base profondément réfractaire au racialisme comme au racisme11. En disant cela, il ne s’agit pas de nier l’existence du racisme, ni de tomber dans un déterminisme historique qui remplacerait un culturalisme par un autre.

La thèse que nous voulons soutenir est plutôt qu’au cours du temps, sous l’effet de contraintes et de circonstances singulières, la société française a suivi une série de bifurcations qui l’ont amenée à récuser le racisme. Ce cheminement n’était pas donné d’avance ; il résulte d’un ensemble d’ingrédients dont la combinaison a débouché sur une situation originale que l’on pourrait qualifier, quitte à paraître grandiloquent, de « miracle français ».

Une fois ce constat dressé, nous tâcherons de comprendre pourquoi une thèse aussi éloignée de la réalité que celle du racisme structurel ou systémique a pu se développer et gagner les esprits, ce qui nous conduira à faire un détour par l’analyse des mythes.

Notes

1. 

Vini Lander, « Structural racism: what it is and how it works », The Conversation, 30 juin 2021, [en ligne] ; Pierre-André Taguieff, L’antiracisme devenu fou. Le « racisme systémique » et autres fables, Hermann, 2021.

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2. 

Une recension serait longue et fastidieuse. Un aperçu peut être obtenu en cherchant les expressions « racisme systémique » ou « racisme structurel » sur le site universitaire The Conversation, lequel se décline dans plusieurs pays. Pour le Canada, on peut consulter le document « La lutte contre le racisme systémique et la discrimination au Canada » disponible sur le site du gouvernement.

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3. 

Voir « Racisme institutionnel », Multitudes, vol.4, n°23, 2005 ; « Un racisme institutionnel en France ? », Migrations et Société, vol. 1, n°163, 2016. Certains universitaires adoptent des positions ambiguës. Le politologue Patrick Weil explique par exemple dans une émission intitulée « Racisme structurel » que « la notion de ‘racisme structurel’ est à utiliser avec beaucoup de précautions. Je pense que nous avons en France, une forme de politique qui a un racisme institutionnel » (« Les sociétés face au racisme structurel », France culture, 8 juin 2020). En 2017, l’historien Pap Ndiaye, futur ministre de l’Éducation nationale, a contesté l’expression de « racisme d’État » défendue par Sud-Education 93, mais il a soutenu qu’« il existe bien un racisme structurel en France » (« Pap Ndiaye : ‘Il existe bien un racisme structurel en France’ », Le Monde, 18 décembre 2017).

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4. 

« Un rapport phare de l’ONU offre un programme pour éradiquer le racisme systémique », Haut-commissariat pour les Droits de l’homme, Nations-Unis, 29 juin 2021. On retrouve l’expression « racisme systémique » sur les sites du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne, ou sur les sites de nombreuses ONG (voir par exemple « Racisme structurel » sur le site de l’ONG Inter-agency Network for Education in Emergencies).

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5. 

Sondage IFOP pour l’Express réalisé les 23 et 24 février 2021 auprès de 1011 personnes de 18 ans et plus.

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6. 

Sondage IFOP pour Sud Radioréalisé les 16 et 17 juin 2020 auprès de 1020 personnes de 18 ans et plus.

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7. 

William Macpherson, The Stephen Lawrence inquiry, février 1999.

8. 

« Structural racism », Université de Cambridge [en ligne].

9. 

Fabrice Dhume, « Du racisme institutionnel à la discrimination systémique ? Reformuler l’approche critique », Migrations Société, vol. 163, n° 1, 2016, pp. 33-46 [en ligne] ; Valérie Sala Pala, « Faut-il en finir avec le concept de racisme institutionnel ? », Regards Sociologiques, n°39, 2010, pp.31-47 [en ligne].

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10. 

Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France (1975-1976), 2012 [en ligne].

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11. 

Le terme « racisme » désigne les attitudes individuelles, alors que le terme « racialisme » concerne les idées et les représentations qui s’élaborent à partir de la race.

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