Investitures, menaces, exclusion, et des faits de harcèlement moral ?
Dix mois après son éviction de La France insoumise, Danielle Simonnet sort de son silence et accuse Jean-Luc Mélenchon de l’avoir harcelée par messages.
La députée Danielle Simonnet brise enfin le silence après son éviction de La France Insoumise (LFI). Dans une interview pour l’émission Complément d’enquête, elle dévoile des échanges de messages entre elle et Jean-Luc Mélenchon, qu’elle qualifie de « violents et menaçants ».
Une affaire qui met en lumière une guerre interne à LFI, centrée autour des investitures des législatives de 2022, et une série de tensions entre les figures de proue du mouvement.
MISE À JOUR
Une organisation au service d’un chef que rien ne permet de contester, sous peine d’exclusion ou de marginalisation
Dans un ouvrage*, à paraître le 7 mai, fruit de plus de deux ans d’enquête, le duo de plumes, officiant respectivement à Libération et au Monde, dissèque avec précision le fonctionnement de La France insoumise (LFI), une organisation au service d’un chef que rien ne permet de contester, sous peine d’exclusion ou de marginalisation.
MÀJ :
2. ARTICLE – « Certains Insoumis étaient tétanisés » : les dessous du livre qui accable Mélenchon
Dans « La Meute », les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou dissèquent le fonctionnement interne de LFI et le « climat de violence » qui y règne. Plongée dans les coulisses de leur enquête.
Par Hadrien Brachet et Sébastien Schneegans 05/05/2025 LE POINT
Charlotte Belaïch et Olivier Pérou ont beau filer la trentaine, ils ne sont pas du genre jeunes naïfs. Rodés au suivi des campagnes électorales comme des batailles partisanes, les deux journalistes, déjà loups de mer dans leur domaine, n’ignorent rien de la violence en politique, des trahisons, des manipulations, du cynisme. Une guerre par d’autres moyens. Mais de leur propre aveu, ce qu’ils ont découvert au sein de l’appareil mélenchoniste se révèle d’une autre nature. « LFI n’est pas un parti politique comme les autres, écrivent-ils dans l’avant-propos de La Meute. Il ne s’agit pas des coups de colère d’un homme autoritaire, mais de domination, de soumission. »
Dans cet ouvrage*, à paraître le 7 mai, fruit de plus de deux ans d’enquête, le duo de plumes, officiant respectivement à Libération et au Monde, dissèque avec précision le fonctionnement de La France insoumise (LFI), une organisation au service d’un chef que rien ne permet de contester, sous peine d’exclusion ou de marginalisation. Grâce à des centaines de pages de documents exclusifs et plus de 200 témoins, dont certains sont toujours membres du mouvement, les deux compères racontent les purges successives, les intimidations, le manque de démocratie interne, les revirements de Jean-Luc Mélenchon, les dérives idéologiques, les attaques numériques. « Notre livre révèle le climat de violence qui règne entre les membres de LFI, estime Olivier Pérou, passé par L’Express et Le Point. Celui qui doute est considéré comme un adversaire. » Un récit fouillé et circonstancié, sans bavardages superflus tant les faits parlent d’eux-mêmes.
« En sous-marin »
Si le contenu du livre est édifiant, les précautions qu’ont dû prendre les deux auteurs, aussi bien pour rassurer leurs sources que se protéger eux-mêmes, frappent tout autant. Attablés dans un café du 10e arrondissement en ce début mai, Charlotte Belaïch et Olivier Pérou racontent au Pointcomment ils ont mené l’enquête. L’idée germe au moment de l’affaire Quatennens . Le soutien coûte que coûte de Jean-Luc Mélenchon à son fidèle lieutenant – qui sera condamné en 2022 à quatre mois de prison avec sursis pour des violences sur son ex-compagne – suscite de sérieuses réserves à l’intérieur du mouvement. « On a senti qu’à ce moment-là, le vernis de LFI craquelait, confie Olivier Pérou, qui a rejoint Le Monde en mars dernier. Des Insoumis avaient besoin de parler. C’était notre porte d’entrée. »
À partir de là, les deux journalistes, chargés du suivi de la gauche dans leurs médias respectifs, avancent sur deux fronts. « On continuait à couvrir le parti pour avoir le discours officiel et, en sous-marin, on voyait ceux qui doutaient », explique Olivier Pérou. Objectif : travailler le plus longtemps possible dans l’ombre, sans que la direction du parti ne verrouille leurs accès. Ce ne sera qu’en mai 2024, lors d’un meeting à Aubervilliers, que l’une des communicantes de LFI, visiblement informée, glissera à Olivier Pérou : « Il paraît que tu fais un livre sur nous. »
L’idée d’un fonctionnement sectaire revenait souvent dans la bouche de nos interlocuteurs Charlotte Belaïch
Entre-temps, il aura fallu un long travail d’orfèvre, une interminable patience parfois, pour mettre en confiance leurs sources, les convaincre de parler, qu’elles aient ou non quitté LFI. Au gré des déclarations du leader Insoumis, des polémiques ou du climat interne, des contacts se nouent, d’autres se rompent. « Certains Insoumis, même en dehors du mouvement, étaient tétanisés, lâche Charlotte Belaïch. Il nous a fallu un an et demi pour convaincre certaines sources de nous parler ! » Dans les cafés où les auteurs les rencontrent, beaucoup demandent à se positionner dos au mur pour surveiller le passage et repérer d’éventuelles oreilles indiscrètes. Ambiance Le Parrain ou film d’espionnage. « À LFI, la question centrale est celle de la loyauté absolue, explique la députée Insoumise Marianne Maximi dans l’ouvrage. La nuance n’est pas autorisée. »
Révélateur d’un mouvement qui ne tolère aucune critique aux agissements du chef ? « Lors de notre enquête, nous avons pris la mesure de la fascination que Mélenchon exerce sur les Insoumis, explique Charlotte Belaïch. L’idée d’un fonctionnement sectaire revenait souvent dans la bouche de nos interlocuteurs, ainsi qu’un lexique religieux. Son ancien chauffeur, Sébastien Delogu, qui est aujourd’hui député, dit lui-même “Mélenchon, c’est Dieu, et je suis le fils de Dieu”. » Amen.
Le « tabou » Chikirou
Les deux journalistes consacrent également plusieurs pages à un sujet électrique au sein de LFI : le rôle de Sophia Chikirou. Leur livre évoque ouvertement la relation intime qui la lie à Jean-Luc Mélenchon, « secret de Polichinelle » dans les salons parisiens. « Il y a un tabou au sein de LFI et il s’appelle Sophia Chikirou, assure Olivier Pérou. Jean-Luc Mélenchon n’accepte pas qu’on parle de sa vie privée. Mais nous avons décidé d’écrire sur ce couple, car Sophia Chikirou se présente elle-même en interne comme “la femme du chef”. C’est ce statut qui la rend intouchable, malgré la violence de certains de ses propos. » En octobre 2023, le magazine Complément d’enquête s’était déjà penché sur celle qui a été mise en examen dans l’enquête visant les comptes de campagne de la présidentielle 2017 .
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Outre une dissection précise de cette affaire, documents à l’appui, l’ouvrage décrit des « insultes » et des pressions exercées à l’intérieur du mouvement par la députée. Ainsi que les « outrances » dont la parlementaire ne se prive pas en public, comme lorsqu’elle compare sur Facebook le communiste Fabien Roussel au collaborationniste Jacques Doriot : « Il y a du Doriot dans Roussel. » Ou lâche sur X : « Le hollandisme, c’est comme les punaises de lit. »
Mise en demeure de Sophia Chikirou
Au fil des mois, les liens des deux journalistes avec la direction de LFI se sont tendus. Déjà, à l’été 2023, après un article de Charlotte Belaïch dans Libération sur le fossé grandissant entre Jean-Luc Mélenchon et les juifs, le leader Insoumis avait, selon l’ouvrage, qualifié la journaliste d’« agent du Likoud »… Puis, une fois leur projet de livre connu, les deux plumes ont peu à peu cessé d’être conviées aux « off » distillés par Jean-Luc Mélenchon aux journalistes. Ils confient même avoir été retirés de la boucle presse de LFI le 28 janvier dernier. Un procédé vis-à-vis de la presse pas si éloigné de certaines pratiques pour lequel le Rassemblement national (RN) a lui-même été épinglé .
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Sans surprises, donc, Jean-Luc Mélenchon a refusé de répondre à leurs questions une fois l’enquête bouclée. C’est Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, qui a été « mandaté » pour leur répondre. Un échange a eu lieu le 29 janvier, donnant au député de Marseille l’occasion de se défendre à propos du fonctionnement vertical du parti. Quant à Sophia Chikirou, qui a aussi refusé de répondre à leurs interrogations, elle a effectué une mise en demeure par le biais de ses avocats pour empêcher la sortie de certains passages du livre. Par bonne foi, pour lui laisser du temps supplémentaire pour leur répondre, les auteurs ont fait le choix de reporter d’une semaine la sortie.
Craintes d’attaques
Craignant « la violence des réactions de LFI », les deux associés ont également décidé de se retirer des réseaux sociaux. Le titre du livre a aussi été tenu secret jusqu’à tardivement. « Nous sommes bien conscients qu’une vague de décrédibilisation va s’abattre sur notre travail d’investigation », écrivent-ils dans leur avant-propos. Saine méfiance ? Excès d’inquiétude ? « Il y a trois façons à LFI de réagir à une enquête : ignorer, tourner en ridicule ou attaquer », analyse Charlotte Belaïch. Encore au tout début de leur promotion médiatique, les deux plumes ne savent pas exactement lequel de ces traitements leur sera réservé.
Reste qu’en avril, lors d’une conférence , avant même la publication de l’ouvrage, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris à un article d’Olivier Pérou dans Le Monde consacré à la réaction des Insoumis au procès Le Pen. Le patriarche en a profité pour fustiger, sans le nommer, « un type qui est en train d’écrire un bouquin contre nous » et qui « chaque fois qu’il prend la plume prépare la publication de son livre en nous agonissant d’injures ». « Le journal de la “gôche” Kamala Harris reste un marchepied de tous les Trump du monde », a également tweeté le leader Insoumis le 13 avril à l’encontre du quotidien du soir, en relayant un papier d’Olivier Pérou.
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Des indignations qui n’empêchent pas l’entourage du vétéran de tenter depuis quelques jours, selon les deux auteurs, de se procurer le livre… « Il paraît que c’est croustillant », s’amusait de son côté un ténor socialiste, croisé fin avril par Le Point. Dans la grande famille (éloignée) de la gauche, la curiosité est une pratique répandue.
Leur livre, tiré à 15 000 exemplaires, aura-t-il un impact sur le fonctionnement du mouvement ? Provoquera-t-il des transformations vers davantage de démocratie interne ou, à l’inverse, de nouvelles mises à l’écart ? « Il peut y avoir des départs, décrypte Charlotte Belaïch. Mais ça peut aussi provoquer des purges et une forme de repli encore plus fort, une radicalisation dans la confrontation au reste du monde. » Toute meute est toujours un peu imprévisible.
*Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, La Meute. Enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, Flammarion, 7 mai 2025, 22 euros.
1. ARTICLE : « UNE VIOLENCE ABSOLUE »: LA DÉPUTÉE DANIELLE SIMONNET ACCUSE JEAN-LUC MÉLENCHON D' »HARCÈLEMENT MORAL ET POLITIQUE »
BFM 25 04 25
« Complément d’enquête » a diffusé ce jeudi 24 avril une enquête sur Jean-Luc Mélenchon, dans laquelle la députée de Paris Danielle Simonnet, ancienne membre de LFI, dévoile plusieurs messages de menaces et d’intimidations que le leader de la France insoumise lui aurait envoyé durant près de trois mois.
« Je vous passerai tous à la trappe et c’est tout ». Dans l’émission « Complément d’enquête » sur France 2, diffusée ce jeudi 24 avril en deuxième partie de soirée et présentée par Tristan Waleckx, l’ancienne insoumise Danielle Simonnet indique avoir subi un « harcèlement moral et politique » de Jean-Luc Mélenchon, après s’être opposée à Sophia Chikirou, très proche du leader de LFI.
Il faut remonter en 2021, pour comprendre la source de ces accusations. Avant la campagne des législatives de 2022, Sophia Chikirou souhaite se présenter dans la 15e circonscription de Paris, qui représente une partie du 20e arrondissement de la capitale. Sa candidature est contestée par Danielle Simonnet, compagnonne de route de Jean-Luc Mélenchon pendant des années.
Membre du courant de la gauche socialiste au sein du PS, comme lui, elle a ensuite fait partie de son cabinet du temps où il était ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002) dans le gouvernement de Lionel Jospin.
Avant de quitter, elle aussi, la formation au poing et à la rose en 2008 pour participer à la création du parti de gauche. Surtout, Danielle Simonnet est implantée dans cette fameuse 15e circonscription parisienne, étant conseillère du 20e arrondissement à partir de 2001, un mandat qu’elle occupe toujours au moment des législatives.
« Violence absolue »
À la suite d’une décision du comité électoral de La France insoumise, Sophia Chikirou hérite finalement de la circonscription voisine, la 6e, qui regroupe une partie des 20e et 11e arrondissements. Mais un autre problème se présente: les militants du secteur refusent la venue de la communicante.
Danielle Simonnet se voit ensuite accusée par Jean-Luc Mélenchon d’alimenter une fronde anti-Chikirou. Un soir, le leader insoumis lui envoie un message Telegram, daté du 12 décembre 2021, selon les documents diffusés par France 2: « Ne crois pas que je ne me rende pas compte ».
Après lui avoir proposé un café pour discuter de la situation, Danielle Simmonet reçoit une fin de non-recevoir du patron des insoumis: « Je n’ai rien à dire », « J’agirai ». L’élue parisienne se défend mais le triple candidat à la présidentielle continue de se montrer menaçant.
Il dénonce notamment des « combines pourries des planqués contre le dispositif central », avant de lâcher: « Je vous passerai tous à la trappe et c’est tout. J’attends d’être scrupuleusement entendu. » Des messages d' »une violence absolue » pour Danielle Simonnet, qui confie: « Je l’ai vécu comme un harcèlement moral et politique »
« Se lever tous les matins, aller faire du porte-à-porte, aller faire la campagne de Jean-Luc Mélenchon alors que vous aviez dans votre téléphone tous ces messages-là (…) ce n’était quand même pas évident », témoigne-t-elle.
Mathilde Panot défend Jean-Luc Mélenchon
En décembre 2022, Danielle Simonnet n’est pas retenue dans la nouvelle direction de LFI, au même titre que plusieurs figures du mouvement, dont Alexis Corbière, Raquel Garrido, Clémentine Autain et François Ruffin. LFI choisit ensuite de ne pas accorder son investiture à la plupart d’entre eux aux législatives anticipées de 2024 et présente face à eux d’autres candidats, ce qui est décrit par les intéressés comme « une purge ».
Réélue députée, Danielle Simonnet siège aujourd’hui parmi les députés écologistes, au même titre que les autres ex-insoumis qui ont conservé leur siège. Elle fait partie des membres fondateurs de l’Association pour une République écologique et sociale (l’Après) au même titre qu’Alexis Corbière, Raquel Garrido et Clémentine Autain. Le petit parti, créé dans la foulée des législatives 2024, prône l’union de la gauche en vue de la prochaine élection présidentielle.
Après son intervention dans l’émission, Danielle Simonnet a reçu un soutien de la part de Raquel Garrido, elle aussi en désaccord avec la direction avant de quitter le mouvement après les législatives 2024 lors desquelles elle a échoué à être réélue en Seine-Saint-Denis où LFI avait choisit une autre candidature.
« Le courage de Danielle Simonnet m’impressionne (…) Ces méthodes doivent cesser dans tous les partis et dans tous les milieux », a écrit sur X l’ex-avocate de Jean-Luc Mélenchon.
Du côté des insoumis, Jean-Luc Mélenchon n’a pas souhaité répondre à l’enquête. Mathilde Panot, cheffe de file du groupe LFI à l’Assemblée nationale, s’est chargée de le défendre. La députée du Val-de-Marne n’a pas repris la qualification d' »harcèlement ».