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TERRA NOVA : CAP SUR L’IMMIGRATION POUR SAUVER LA FRANCE ET … LA GAUCHE – ÉCONOMISME ET ÉLECTORALISME – DOSSIER

LE DOSSIER DE METAHODOS : TERRA NOVA ET L’OBSESSION L’IMMIGRATION

1. « SAUVER LE MODÈLE SOCIAL FRANÇAIS «  : UN PRÉTEXTE ET UN RAISONNEMENT BIAISÉ

2. DÉNI ET APPROCHE ACCOMMODANTE AU SUJET DES QUESTIONS SOCIETALES ET DÉMOCRATIQUES

3. TERRA NOVA ET LA GAUCHE, EN MARGE DE LA DÉMOCRATIE AUTHENTIQUE ?

4. TERRA NOVA ADOPTE UNE POSITION DOGMATIQUE

5. ARTICLE – Pour Terra Nova, « sans les travailleurs immigrés, une partie essentielle de notre économie s’arrête »

6. ARTICLE – « 310 000 personnes par an d’ici à 2040 » : pourquoi la France a besoin de l’immigration pour financer son modèle social

7. NOTE DE TERRA NOVA – Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ?

8. NOTE DE TERRA NOVA – Enquête sur les représentations à l’égard de l’immigration de travail

9. Synthèse – Gauche : quelle majorité électorale ? TERRA NOVA

10. QUELLE STRATEGIE ELECTORALE POUR 2012 ? TERRA NOVA

1. « SAUVER LE MODÈLE SOCIAL FRANÇAIS «  : UN PRÉTEXTE ET UN RAISONNEMENT BIAISÉ

PRÉTEXTE – ÉLECTORALISME ET CAPTATION DES ÉLECTEURS IMMIGRÉS

En 2011, sous le titre «Gauche: quelle majorité électorale pour 2012?», le think-tank socialiste Terra Nova avait éclairé la stratégie à adopter par la gauche pour capter l’électorat immigré. Une analyse qui n’a pas pris une ride dans la perspective des prochaines échéances électorales.

Ce document charrie toujours un parfum de scandale, tandis que beaucoup y voient la matrice originelle du macronisme.

Le raisonnement se veut imparable :

«Les ouvriers votent de moins en moins à gauche»,

«La France de la diversité est presque intégralement à gauche» …

«Un alignement très fort des Français immigrés et de leurs enfants sur la gauche»…

«Le rapport de force droite-gauche y est extrême, de l’ordre de 80-20 voire 90-10»

« Il se vérifie quelle que soit l’origine nationale, mais il est le plus massif pour les Français d’origine africaine (tant subsaharienne que maghrébine) et se renforce nettement pour la seconde génération par rapport à la première (de l’ordre de 10 points). »

Terra Nova ne pouvait être plus explicite, plus cynique, moins éthique :

«La population des Français issus de l’immigration est en expansion et en mutation identitaire: en 2006, près de 150.000 acquisitions de nationalité française ont été accordées (…) ;

dans l’hypothèse d’une continuation à l’identique, ce sont entre 500.000 et 750.000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel sans avoir pu participer au précédent.»

Le think-tank enfonce le clou:

«C’est un fait politique important: la France de la diversité est aujourd’hui la composante la plus dynamique, tant électoralement que démographiquement, de la gauche en France.»

La naturalisation massive d’immigrés, l’ouverture des frontières, le laxisme sur les sujets de la sécurité ou de l’intégration… sont la marque de fabrique de la gauche.

« En France … l’électorat de la gauche est en mutation. La coalition historique de la gauche centrée sur la classe ouvrière est en déclin. »

« Une nouvelle coalition émerge : « la France de demain … Un électorat progressiste sur le plan culturel.

« Une population d’outsiders sur le plan économique, variable d’ajustement face à la crise d’une société qui a décidé de sacrifier ses nouveaux entrants. Il constitue le nouvel électorat « naturel » de la gauche »

« Une nouvelle coalition » à vocation majoritaire, baptisée « la France de demain », devant rassembler à la fois les « diplômés », les « jeunes », les urbains… mais aussi « les minorités et les quartiers populaires »

Mélenchon et le vote immigré: le triomphe de Terra Nova 

Le programme immigrationniste de Jean-Luc Mélenchon reprend les recommandations faites par Terra Nova en 2011. Et si LFI flatte l’islam, c’est qu’elle est la principale religion des immigrés. Ce pari, gagnant dans les urnes, est une bombe pour la France de demain. 

Flatter l’électorat musulman , Melenchon n’en a pas le monopole ( socialistes et macronistes ne s’en prive pas )

Cet électorat a été décisif dans l’élection de 2012 (où 86% des musulmans ont voté pour François Hollande)? Cette stratégie dite «Terra Nova» fonctionne t elle durablement ?

Ele est méthodiquement contestable et politiquement dangereuse. Ces faiblesses conduisent à préconiser de le choyer davantage ( à l’excès) les musulmans et le développer en nombre.

PRÉTEXTE – AUJOURD’HUI TERRA NOVA CONFIRME SA STRATÉGIE ET L’AMPLIFIE MÊME

La nouvelle note reprend ce soutien structurel à une population immigrée – pire elle se concentre sur cette seule population –

On y lit donc des propositions politiques favorables à la poursuite et à l’intensification de l’immigration.

RAISONNEMENT BIAISÉ – ÉCONOMISME ET NÉGATION DES ASPECTS SOCIETAUX (CULTURELS, SECURITÉ, DÉMOCRATIQUES …)

ÉCONOMISME ET MÉTHODOLOGIE CONTESTABLE :

La note de Terra Nova fait de l’économisme ( ou economicisme ) et s’intéresse principalement aux aspects comptables ( recettes budgétaires pour l’Etat, forces de travail, équilibre du système social ( retraite, santé … )

Terra Nova indique que l’économie aurait besoin de 250 000 à 310 000 travailleurs immigrés chaque année jusqu’à au moins 2040. Le raisonnement est contestable car certains effets négatifs ne sont pas pris en compte et – de surcroît – d’autres solutions à même d’augmenter le nombre d’heures travaillées en France existent.

L’OCDE a analysé les différentes façons dont les migrants affectent les économies des pays de destination et d’origine, notamment leur contribution aux finances publiques, à l’emploi et à la création d’emplois, ainsi que l’impact que les diasporas peuvent avoir sur le développement économique de leur pays d’origine.

Le rapport de l’OCDE montre qu’en 2020, les immigrés ont un taux d’emploi de 59,1% contre 66,3% pour les natifs,

et un taux de chômage de 12,6% contre 7,4% pour les natifs. La raison de cette plus grande exposition au chômage vient de la plus difficile insertion de ces populations sur le marché du travail, de leur faible niveau de formation et des effets de désajustement des compétences acquises par rapport à celles demandées en France.

Comme le relève la note du CAE en 2020, 37,8% des immigrés en âge de travailler avaient un niveau scolaire égal ou inférieur au brevet des collèges contre 18,9% des natifs ce qui entretien un flux d’immigration particulièrement peu qualifié vers la France.

Ce flux est en outre peu diversifié car entretenu par l’importance de l’immigration familiale (35%) et non d’une immigration économique (17,6%). L’OCDE montre bien que la France, s’agissant de la sélectivité de son immigration, est particulièrement mal placée par rapport aux autres pays développés. Elle entretient des flux peu qualitatifs en matière de qualification.

Par ailleurs, il apparaît que la France se place au  5ème plus mauvais ratio, avec une contribution nette négative aux dépenses publiques de -0,53% du PIB (hors charge de la dette). 

Si l’on regarde maintenant la dépense par habitant et le ratio immigré/natif, les immigrés consomment moins de services de santé que les natifs (0,94), beaucoup moins de dépenses d’éducation (0,29) et de dépenses de retraites (0,88), en revanche ils consomment autant de dépenses de maladie/invalidité (1,0) et davantage de dépenses familiales (1,35), de chômage (1,29) et d’exclusion sociale/logement (1,81).

Le différentiel – en France – entre la part des immigrés diplômés du supérieur et des natifs était de -3 points en 2007 (27% contre 30%) mais de -7 points en 2017 (32% contre 40%). ( Au Royaume-Uni, par exemple, le différentiel était de 0% en 2007 (33% dans les deux cas) et positif en faveur de l’immigration de 9 points en 2017 (50% contre 41% pour les natifs) )

« L’immigration transforme la France, mais son impact économique est limité »

Titrait l’Institut Montaigne en 2021 qui poursuivait : Les synthèses internationales montrent un très faible impact de l’immigration sur le marché du travail (emploi et salaires). Si les compétences des immigrés complètent celles des natifs, l’impact est positif. Si elles sont similaires, l’emploi et les salaires peuvent être négativement affectés sur le court terme. 

Ces études globales ne découragent pas les auteurs du rapport de Terra Nova, 

« sans travailleurs immigrés, notre économie vacille »

.Ces derniers ajoutent que dans plusieurs secteurs, les immigrés sont davantage représentés notamment dans les métiers en tension, comme les aides à domicile ou les agents de propreté. De plus, un médecin sur cinq qui exerce dans l’Hexagone est diplômé à l’étranger

2. DÉNI ET APPROCHE ACCOMMODANTE AU SUJET DES QUESTIONS SOCIETALES ET DÉMOCRATIQUES

Terra Nova et la gauche ont par ailleurs une approche accommodante des enjeux pourtant graves soulevés par la gestion des différences culturelles et religieuses; des risques pour la démocratie et le civisme, la délinquance et l’islamisme extrême.

De nombreuses Implications sociétales négatives institut Montaigne développe les points suivants :

La géographie de l’immigration, phénomène essentiellement urbain, a changé. 

  • Les deux-tiers des immigrés vivent dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Dans ces villes, la part de la population adulte d’origine non européenne (première et deuxième génération) s’est accrue de plus de 50 % (9 % en 1990, 15 % en 2015). Dans le même temps, nombre de villes de plus de 10 000 habitants accueillent aujourd’hui d’importantes populations immigrées (Grand Ouest notamment). 
  • Seules deux régions accueillent plus de 10 % d’immigrés : Île de France (où vivent près de 40 % des immigrés) et PACA, certains départements se démarquant (Seine-Saint-Denis et Alpes-Maritimes).

Son évolution contribue au déficit d’assimilation et au communautarisme, voire au « séparatisme ». 

  • En Seine-Saint-Denis, on recense un total d’environ 70 % d’immigrés et de descendants d’immigrés. Les naissances de deux parents français y sont désormais minoritaires (32 %). À La Courneuve, Clichy-sous-Bois et Aubervilliers, la proportion de jeunes d’origine étrangère, sur deux générations, a quadruplé depuis les années 1960, passant d’environ 20 % à environ 80 %. 
  • Or, l’immigration contemporaine est le fait de populations dont l’intégration est notoirement plus difficile (Afrique mais aussi Asie du sud, Caucase notamment) que celle des populations européennes, du fait d’une distance culturelle plus grande. Le maintien de la culture d’origine est facilité non seulement par la permanence des flux, mais aussi par les moyens modernes d’information, de communication et de déplacement. 
  • Localement, les structures traditionnelles de socialisation (associations, syndicats, notamment liés au Parti communiste) ne jouent plus le même rôle que par le passé ; celles qui s’y substituent ont fréquemment une orientation religieuse.
  • Par ailleurs, les prénoms associés aux cultures d’origine arabo-musulmane représentent aujourd’hui près d’un cinquième des naissances et le phénomène s’estompe moins à la génération suivante que ce n’était le cas auparavant. Si cette évolution participe de la diversification générale des prénoms depuis une vingtaine d’années, il prend souvent une signification particulière dès lors qu’il manifeste l’attachement à un patrimoine culturel ou religieux d’origine. 

La surreprésentation des étrangers (il n’existe pas de statistiques concernant les immigrés) dans la criminalité et la délinquance est un sujet sensible et ses explications sont diverses (forte population d’hommes jeunes, taux d’emploi et revenus plus faibles, « désocialisation » des plus jeunes…). Néanmoins, elle est indéniable et crée des effets sociétaux et politiques. 

  • Représentant 7 % de la population (3 % pour les ressortissants d’un pays d’Afrique), ils sont responsables selon le ministère de l’intérieur de 14 % des violences sexuelles (9 %), 16 % des coups et blessures volontaires (10 %), 21 % des vols avec armes (17 %), 19 % des homicides (9 %), 34 % des cambriolages (23 %), 31 % des vols sans violence (22 %), et 38 % des vols violents sans armes (33 %). Le crime organisé en France est aujourd’hui essentiellement le fait de groupes d’étrangers (Europe orientale surtout, ainsi que Maghreb et Afrique subsaharienne). La population carcérale, pour sa part, est constituée à 23 % d’étrangers, même si ce chiffre doit être tempéré, semble-t-il, par une inégalité devant la justice
  • Seule une infime minorité d’étrangers ou d’immigrés se livre à des actes de terrorisme. Toutefois, 40 % des attentats commis depuis 2015 ont été le fait d’étrangers et il n’est pas possible de négliger le retentissement d’actes tels que ceux commis ces deux dernières années (Paris, septembre 2020 ; Nice, octobre 2020 ; Conflans-Sainte-Honorine, octobre 2020 ; Pau, février 2021 ; Reims, mars 2021 ; Rambouillet, avril 2021). 

3. TERRA NOVA ET LA GAUCHE, EN MARGE DE LA DÉMOCRATIE AUTHENTIQUE ?

Le PS a donné beaucoup trop de prise ces dernières années à une sectorisation des électorats spécifiques – ( conception dont Terra Nova avait bien résumé la logique d’ensemble), élaborant son projet en fonction d’électorats spécifiques supposés.

Alors que la démarche qui consiste à proposer un projet à l’ensemble de la société et à en convaincre la majorité des citoyens apparaît à la fois comme plus conforme à une certaine idée de la République et de la démocratie , e plus efficace et plus durable.

Une très grande partie des difficultés de de la gauche et de la macronie viennent de ce défaut de conception stratégique et globale de la société française et d’une conception que l’on peut appeler « pluri clienteliste « 

4. TERRA NOVA ADOPTE UNE POSITION DOGMATIQUE

C’est une « équation démographique implacable » : une population vieillissante, une natalité en berne, un ratio actifs/inactifs en chute libre. Pour Terra Nova, il n’y a plus de doute : la France devra continuer à accueillir des travailleurs immigrés en nombre, si elle veut maintenir son niveau d’activité économique et « pérenniser son modèle social ».

Les études les plus sérieux ne partagent pourtant pas cette posture. Et les Français doivent faire des efforts d’acceptabilité et de meilleure connaissance de l’immigration .

Une méconnaissance qui «nourrit une anxiété disproportionnée», selon Terra Nova.

Seule concession – pourtant peu développée et difficile à mettre en œuvre – celle d’une immigration choisie.

5. ARTICLE – Pour Terra Nova, « sans les travailleurs immigrés, une partie essentielle de notre économie s’arrête »

Une étude du centre de réflexion souligne les besoins en main-d’œuvre étrangère pour maintenir à flot l’économie du pays et explore la tolérance de la population à cette perspective. 

Par Sidonie Davenel LE MONDE

Sans les travailleurs immigrés, l’économie française vacille. Ce constat est connu. Mais dans un moment politique où la lutte contre le « désordre migratoire » se hisse en tête des priorités du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, il trouve rarement sa place dans le débat public. Or, pour maintenir la soutenabilité de son modèle social et économique, la France devra accueillir entre 250 000 et 310 000 étrangers supplémentaires par an à l’horizon 2040-2050. C’est ce qui ressort d’un rapport intitulé « Les travailleurs immigrés avec ou sans eux ? » publié par le centre de réflexion Terra Nova, lundi 12 mai.

L’estimation se situe entre le niveau moyen de l’immigration légale des années 2010 (245 000 entrées par an) et celui de 2022 (331 000 premiers titres délivrés). Pas de hausse significative, donc, mais simplement une continuité dans le recours à l’immigration, qui « sera décisif dans les années et décennies qui viennent si l’on veut maintenir le ratio de soutien entre actifs et inactifs à un niveau raisonnable », écrivent l’essayiste Hakim El Karoui et l’économiste Juba Ihaddaden, précisant que « sans les travailleurs immigrés, une partie essentielle de notre économie s’arrête ». Cette nécessité est à lire dans un contexte démographique particulier : la population française vieillit, la natalité baisse. Parallèlement, les besoins en services essentiels grimpent et de nombreux …

…/…

6. ARTICLE – « 310 000 personnes par an d’ici à 2040 » : pourquoi la France a besoin de l’immigration pour financer son modèle social

Le think tank social-démocrate, Terra Nova, publie un sondage – étude sur l’immigration économique. Selon les résultats de ce dernier, les Français ne sont pas opposés à l’immigration choisie. Par ailleurs, l’Hexagone a besoin d’accueillir 310 000 immigrés par an d’ici à 2040 pour assurer le financement de son modèle social.

FLORIAN FAYOLLE. 12 MAI 2025 CHALLENGES

C’est un sondage qui devrait faire du bruit. Selon une enquête d’opinion réalisée par la Crédoc pour Terra Nova, un think tank social-démocrate, 58 % des 2 000 personnes interrogées seraient pour une immigration de travail choisie en fonction des besoins économiques hexagonaux. On est loin de l’opposition de plus en plus affirmée d’une partie de la société française à l’arrivée de nouveaux immigrés en partie à cause de la désinformation autour de ce sujet, note le think tank.

Le travail, un vecteur d’intégration

Le sondage précise que le travail est considéré comme le principal vecteur d’intégration des nouveaux arrivants. Pas étonnant qu’une grande majorité de Français (77 %) estiment qu’une personne étrangère « mérite de devenir française » quand elle travaille, cotise et paie ses impôts. Par ailleurs, 60 % des personnes interrogées pensent que l’immigration de travail à un impact positif sur l’économie française.

Continuer d’accueillir pour consolider l’équilibre financier

Ce sondage est publié en même temps qu’une autre étude, réalisé par Hakim el Karoui et Juba Ihaddaden sur les besoins en main-d’œuvre d’immigrés dans les décennies à venir. Il en ressort une conclusion implacable : pour pérenniser l’équilibre financier du modèle social français, il faudrait accueillir environ 310 000 immigrés par an d’ici à 2040, soit un peu moins qu’en 2022 (331 000) mais plus que la moyenne des années 2010 (245 000).

En effet, ni la remontée du taux de fécondité à deux enfants par femme ou l’amélioration du taux d’emploi des jeunes et des seniors ne suffirait à assurer l’équilibre financier du système de protection sociale qui repose sur le ratio entre actifs et inactifs.

Une compétition pour attirer les talents

D’où cette recommandation : « La prudence commande donc, non pas d’ouvrir les frontières à tous les vents, mais de maintenir le niveau d’ouverture actuel de notre pays à l’immigration en fléchant davantage les entrées vers l’activité économique. Et en prenant soin d’accueillir et d’intégrer correctement ces populations », affirment les deux auteurs.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’économie française (et plus particulièrement les entreprises hexagonales) va avoir besoin des talents venus d’ailleurs pour continuer à croître. Mais la compétition va être rude avec nos voisins européens, eux aussi confrontés à « l’hiver démographique ». D’ailleurs, même les gouvernements populistes de Giorgia Meloni en Italie et de Viktor Orban en Hongrie ont ouvert les vannes de l’immigration de travail pour faire face à un manque main-d’œuvre. Et ce malgré des discours particulièrement anti-immigration… A coup sûr, cela devrait alimenter le débat politique hautement inflammable sur ce sujet.

7. NOTE DE TERRA NOVA – Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ?

Pourra-t-on se passer de l’immigration de travail en France dans les années à venir ? Dans un contexte de vieillissement démographique, de pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs et d’inquiétude sociale alimentée par des discours politiques polarisés, il est essentiel de revenir aux faits et d’évaluer objectivement la contribution de la main-d’œuvre immigrée à l’économie française.

Par

  •  Hakim El Karouifondateur du cabinet de conseil Volentia, président du club XXIe siècle et expert associé de Terra Nova
  • JubaIhaddadenéconomiste dans le secteur bancaire, président de Terra Nova Jeunes

Publié le 12 mai 2025

Introduction

« Il faut augmenter la quantité de travail en France ! » « Il faut arrêter l’immigration ! » Ces deux propositions organisent aujourd’hui le débat public. Davantage de travail pour financer la protection sociale, la transition écologique, le besoin de réarmement. Moins d’immigration car « les Français n’en peuvent plus ».

Hier, les autorités politiques pensaient qu’il n’y avait de richesses que d’hommes, y compris pour faire la guerre, et qu’il fallait attirer des hommes en France pour renforcer sa capacité militaire et sa production économique. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’immigration est devenue une idée quasi-universellement combattue, à tel point que Flaubert revenu parmi nous pourrait ajouter une entrée à son Dictionnaire des idées reçues : « Immigration. Tonner contre. » Le sujet fait la une des médias, plus nombreux qu’avant, plus vocaux qu’avant, qui se revendiquent ou se rapprochent des thèses de l’extrême-droite. Leur audience reste en fait assez confidentielle mais leur capacité à dicter l’agenda médiatique est majeure. Ils produisent un discours nouveau parce que transgressif, transgressif parce qu’ouvertement hostile à une population devenue pour partie française, ce qui ne se faisait plus dans un pays où les attaques des uns contre les autres, d’une auto-proclamée majorité silencieuse contre des minorités ethniques ou religieuses n’ont pas laissé de bons souvenirs. Alors, le sujet est à la une et tant pis s’il occupe plus les esprits de responsables politiques en mal d’idées que ceux des Français qui, toutes les enquêtes d’opinion le montrent, relèguent au sixième ou septième rang de leur préoccupation la question et n’ont quasiment jamais été aussi tolérants selon l’indice longitudinal de la Commission nationale consultative des droits de l’homme calculé depuis 1990 (voir graphique ci-après)[1].

L’indice longitudinal de tolérance de la CNCDH

Nous ne ferons pas ici l’éloge de l’immigration, pas plus que nous n’accablerons les immigrés de tous les malheurs nationaux. Nous voulons sortir ce sujet du champ des seules valeurs (et des invectives) et parler aussi des faits : ce n’est pas inutile pour mettre en œuvre des politiques publiques. Nous voulons faire un état des lieux en adoptant un point de vue rarement utilisé dans le débat politique sur le sujet : celui du travail. Et, avouons-le, rendre un peu de la dignité qu’ils méritent aux travailleurs immigrés.

En Allemagne, le débat sur l’immigration est scindé en deux. On parle d’un côté des réfugiés et des demandeurs d’asile, souvent syriens ou afghans, et de l’autre des besoins de l’immigration de travail, revendiqué par les grandes entreprises – ah, la collusion entre le grand patronat et les immigrés ! – mais aussi et surtout par les associations, les hôpitaux, les acteurs des services sociaux, des transports publics et de l’agriculture, loin, bien loin, de l’indice des valeurs de la bourse de Francfort (le DAX) et du complot destiné à faire baisser les salaires des « vrais Allemands » (le même discours existe pour les « vrais Français »). Après tout, au cours des deux dernières décennies, 70 % de la croissance de la force de travail européenne est due à l’immigration, contre 47 % aux États-Unis[2] .

En France, le discours sur l’immigration de travail a quasiment disparu depuis son arrêt, en 1975[3]. Depuis, ce sont le regroupement familial, les réfugiés, l’immigration illégale, la charge que les immigrés feraient peser sur les comptes sociaux qui préoccupent les responsables politiques et l’opinion, occultant ainsi l’importance des immigrés dans la production nationale et, c’est plus récent, leur rôle essentiel dans la prise en charge des Français, notamment dans le domaine du soin médical et des services à la personne. La vieille crainte historique des classes populaires qui se sentaient concurrencées par une main-d’œuvre étrangère aux salaires plus bas et au faible taux d’engagement syndical s’est peu à peu estompée, remplacée par la « peur sur la civilisation » et sur la Sécurité sociale agitée par l’extrême-droite et la droite identitaire en cours de fusion.

Pourtant, partout en Europe et en France, l’heure est à la « mise au travail », les gouvernements expliquent tous qu’il va falloir travailler plus pour financer la transition climatique, le vieillissement démographique, le réarmement. L’idée que l’on peut augmenter la quantité de travail par l’arrivée de nouveaux travailleurs doit donc être débattue, d’autant qu’en l’occurrence il s’agit moins d’augmenter la quantité de travail que de limiter sa baisse. Et ce débat sur l’immigration de travail doit s’accompagner de réflexions sur des politiques d’intégration aujourd’hui dramatiquement absentes. Il doit également conduire à poser la question de l’acceptabilité du sujet car on va droit vers une impasse générale. L’étude du Credoc réalisée pour Terra Nova montre d’ailleurs qu’une majorité de Français acceptent l’immigration quand elle est justifiée par le travail.

Bien sûr, on peut – et on doit – augmenter le taux d’activité des jeunes, des femmes, des seniors. Bien sûr, la robotisation va supprimer des emplois et l’IA transformer le monde du travail. Bien sûr, il y a des poches de productivité dans l’économie qui pourraient permettre de limiter les besoins de nouveaux travailleurs. Bien sûr, on ferait mieux de réinsérer des jeunes, souvent issus de l’immigration, qui n’ont pas d’emplois, de formation ni de diplôme. Mais, les faits sont têtus, les chiffres éloquents et la réalité brutale quand on ne veut pas la voir. Et immanquablement, on s’y cogne. Alors, on peut dire comme Eugénie Bastié que « l’immigration est une drogue pour la France », que « Thierry Marx (président de l’Umih, le syndicat des restaurateurs) ne doit pas faire la politique migratoire de la France[4] », « que la civilisation ne se brade pas pour un steak-frites au rabais ». On peut discourir. Mais c’est mieux d’agir. Et puis aussi de regarder la réalité : la démographie française s’effondre pour la première fois depuis la grande crise de 1993, une tendance qui semble durable. La France a perdu 110 000 naissances par an entre 2017 (767 000 naissances) et 2024 (663 000 naissances) avec une dynamique à la baisse qui s’accélère[5].

Alors, plutôt que de faire des phrases sur l’effondrement de la civilisation française causée par les immigrés, plutôt que de rêver à ce qu’elle n’a jamais été, tentons de dessiner la France comme elle est et comme elle sera dans les années à venir. Confrontons-nous au réel. En sachant que la situation décrite va irriter certains et que l’avenir qu’elle décrit promet quelques confrontations tant le sujet de l’immigration est devenu sensible en France, en tout cas auprès d’une partie de l’opinion et de médias militants.

Une récente étude publiée dans Nature[6], citée par Gérald Bronner[7], montre que le discours factuel s’est effondré dans le débat public, remplacé par des proclamations d’authenticité qui ont laissé peu à peu le réel de côté au profit de la polarisation et des affects. Le pathos a remplacé le logos et a écarté l’ethos. Ce travail vise à remettre la rationalité au cœur du débat sur l’immigration. Notre ambition est simple : essayer de comprendre ce que serait la France, son économie, ses services, son lien social sans l’immigration, aujourd’hui et surtout demain. Nos sources sont les sources officielles et publiques : le recensement de l’Insee, l’enquête Emploi du même institut et des données qui viennent de la Commission européenne avec Eurostat qui compile les données des différents pays européens tout en les standardisant pour pouvoir les comparer. 

Compte tenu de la qualité médiocre du débat public sur cette question, il faut commencer par un état des lieux pour rappeler quelques réalités importantes sur l’histoire de l’immigration de travail en France, sur la place des immigrés, leur nombre, leur rôle dans l’activité économique nationale. Et il faut y ajouter une analyse qualitative ainsi qu’une réflexion sur l’appairage entre la demande de travail et l’offre qui vient d’apports extérieurs. Nous avons aussi calculé ce que seraient la France et son marché du travail sans apport d’immigrés nouveaux et ses conséquences sur l’équilibre des comptes sociaux via une modélisation de l’évolution du ratio actifs/inactifs. Nous avons également tenté de modéliser le flux d’immigration nécessaire pour pallier la baisse de la démographie et anticiper les politiques publiques qu’il faudra mettre en œuvre. Enfin, mais faut-il le dire, parce que l’immigration va continuer, il est essentiel de mettre en place une politique d’intégration qui brille aujourd’hui par son absence.

Alors, les travailleurs immigrés, avec ou sans eux ? Voyons ce que cela donne…

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Conclusion : nous allons faire appel à l’immigration et les politiques migratoires doivent changer

Alors que les mouvements migratoires sont le plus souvent présentés comme des problèmes qui n’ont pour seul destin que d’être combattus, le travail présenté ici montre que la situation mérite d’être pour le moins nuancée. D’abord parce que la France a depuis très longtemps utilisé l’immigration pour pallier un manque de force de travail, de soldats et d’enfants, au temps de la déprise démographique post Première guerre mondiale par exemple. Ensuite, parce que les immigrés occupent aujourd’hui une place importante sur le marché du travail français. Si leur insertion est à l’évidence difficile (sur-chômage, manque de qualification), ils sont essentiels pour le fonctionnement de la France des services à la personne (hôtellerie-restauration, économie du soin), pour la construction et pour le fonctionnement général de l’économie (transport, logistique). Moins qu’avant ouvriers (c’est l’effet de la désindustrialisation), ils sont plus souvent employés. Leurs enfants progressent dans la hiérarchie sociale, à un rythme lent avec une différence marquée entre les garçons et les filles, notamment quand ils viennent d’Afrique du Nord et de l’Ouest. Fait nouveau depuis maintenant plusieurs années : ils sont essentiels dans certains secteurs très qualifiés, comme la médecine ou l’informatique. Le système de santé français, et particulièrement hospitalier, ne fonctionnerait pas sans immigrés qui viennent opportunément effectuer un « grand remplacement » de leurs collègues français formés en trop petit nombre. Et ce sera encore moins le cas avec le choc démographique qui a commencé et qui mêle une baisse très rapide de la fécondité et une hausse prévisible de la mortalité. Dès 2027, selon l’Institut national pour les études démographiques (INED), les décès seront plus nombreux que les naissances.

Depuis 1950, la mortalité en France a longtemps été étonnamment stable : 550 000 décès par an avec une population qui a augmenté de plus de 50 %. En 2023, le nombre de décès avait pourtant considérablement augmenté puisque le chiffre était de 640 000 décès. En 2030, on passera à 690 000, en 2035 à 740 000, en 2040 à 770 000 (avec un pic de 780 000 vers 2045).

Les immigrés sont d’ores et déjà essentiels pour assurer la croissance de la population française, par leur apport net et les naissances nouvelles issues d’au moins un parent immigré. Plus la situation démographique va se détériorer, plus leur apport sera décisif, pour équilibrer les comptes sociaux et répondre aux besoins de main-d’œuvre du pays.

Naturellement, il faudra activer simultanément d’autres leviers. La durée du travail va augmenter dans les vingt années à venir et l’âge de départ à la retraite reculer[60]. Un effort important va être fait pour encourager le travail des femmes (le taux d’emploi des femmes françaises est encore 10 points plus bas que celui des femmes des pays du Nord, 62 % vs 73 % en Suède) et peut-être qu’un investissement important sera porté en direction des jeunes décrocheurs qui sont une source de travail important. Mais quelle autre solution ? Autoriser le travail de nuit pour les enfants dès 14 ans comme discuté aujourd’hui en Floride[61] ?

« C’est la civilisation française que l’on assassine ! ». « Les immigrationnistes sont devenus fous… » On sait les cris d’orfraies que vont pousser les adversaires de l’immigration. Nulle naïveté de notre part. Ni volonté d’exploiter une main-d’œuvre servile à bas coûts. L’immigration va augmenter parce que les Français vont le demander, comme pendant les Trente Glorieuses. Ils y sont d’ailleurs beaucoup moins hostiles qu’on le dit, comme le montre l’enquête réalisée par le Credoc pour Terra Nova à l’occasion de la publication du présent rapport. Et, à la différence des Trente glorieuses, ce ne sont pas les grandes entreprises qui vont organiser l’immigration mais d’abord et avant tout le secteur des services, peu et très qualifiés. Et donc les Français eux-mêmes ainsi que les services publics.

Les risques sont importants. La situation de l’intégration est très dégradée pour 20 %[62] des enfants de l’immigration maghrébine et légèrement moins pour ceux venus d’Afrique subsaharienne. Face à cela, que faut-il faire ? Chercher des coupables comme le font en permanence la droite identitaire et l’extrême-droite ? Croire impossible l’intégration des immigrés, à raison notamment de leur religion ? Ou chercher des solutions réalistes et efficaces pour assurer une meilleure intégration en phase avec la promesse républicaine, répondre aux questions identitaires que se posent certains jeunes dans leur parcours d’intégration et lutter contre le rejet dont ils font trop souvent l’objet.

C’est la situation démographique qui conduit à cette question. Pas la droite ou la gauche. Juste le comportement des Français. A eux de savoir s’ils choisissent le repli et le déclin. Ou la croissance et la prospérité. Mais, pour réussir, il faudra travailler sur l’acceptabilité d’un tel phénomène. Car ce n’est pas parce que les Français et l’économie française va avoir besoin de plus de travail venu de l’extérieur et donc des immigrés que la population française va accepter ce phénomène (dû d’abord et avant tout au déclin démographique national). Nous sommes face à un choc politique majeur…

Mieux, parce que cette situation est partagée par l’ensemble des pays européens avec, pour la plupart d’entre eux, une situation démographique plus dégradée que la France, l’ensemble des pays européens vont se faire de plus en plus concurrence pour attirer des immigrés. Alors même que l’extrême-droite s’impose de plus en plus partout. Les gouvernements d’extrême-droite européens vont donc se livrer une bataille féroce pour attirer des immigrés. Subtil paradoxe.

De tout cela, forte qu’elle était d’un taux de fécondité jusqu’ici flatteur, la France ne se rend encore pas bien compte et elle risque de se réveiller très tard. Mais elle doit commencer à imaginer quelles seraient les conséquences d’une forte dégradation de son ratio de soutien démographique. Une telle dégradation serait problématique partout, mais singulièrement dans un pays attaché à un modèle social aussi généreux que coûteux. Le contrat social français en serait profondément altéré. Sous des hypothèses raisonnables d’évolution de la productivité et de la croissance, le système de retraites par répartition deviendrait rapidement impossible à financer. Des secteurs entiers de l’économie tourneraient au ralenti faute de bras et de cerveaux. L’épisode de la pandémie de Covid-19 qui a montré que cela pouvait aller assez vite n’est qu’un avant-goût de ce qui se produirait à grande échelle à l’horizon d’une ou deux décennies. Des secteurs comme la santé – déjà sous stress – et les services à la personne seraient durement affectés. Mais le bâtiment, l’hôtellerie-restauration ou l’informatique connaîtraient également un sérieux coup de froid.

Si l’on veut éviter ces enchaînements mortifères pour notre contrat social, il faudra donc continuer à accueillir des immigrés dans notre pays. Pas forcément davantage que ces dernières années, mais certainement mieux qu’aujourd’hui et en recherchant de manière plus explicite et plus organisée la satisfaction de nos besoins économiques. Cela suppose de revoir les différents canaux de notre politique migratoire, d’envisager des partenariats de formation avec des pays d’origine, de régulariser nombre de travailleurs sans papiers qui exercent actuellement dans des métiers en tension et de mieux intégrer la main-d’œuvre immigrée déjà présente sur notre sol…

La politique migratoire ne peut pas être du seul ressort du ministère de l’Intérieur qui n’a aujourd’hui qu’un seul objectif : ralentir les flux. Les abus sont nombreux (notamment les tentatives d’obtention de titres de séjours via la procédure de l’asile pour des personnes qui à l’évidence n’ont pas de raison d’être protégées), les immigrés sans papiers aussi, même si beaucoup travaillent dans des secteurs en tension. En ce sens, le ministère fait un travail de contrôle légitime et conforme à la loi. Mais le ministère du Travail et des affaires sociales doit à nouveau avoir voix au chapitre pour permettre l’ouverture d’une immigration de travail plus importante. Et le Quai d’Orsay est indispensable pour imaginer une politique de mobilité commune avec les pays émetteurs.

C’est une nouvelle politique d’immigration qu’il faut imaginer. C’est aussi un débat politique nouveau sur le sujet qui doit s’engager : il ne faut pas mentir aux Français. L’immigration va se poursuivre, à un rythme important. Parce que la demande des Français pour le travail des immigrés est bien là. Certains voudront diversifier les pays sources, c’est-à-dire augmenter l’immigration asiatique et baisser l’immigration venue du monde arabe et d’Afrique sub-saharienne. Reste donc à organiser la discussion publique beaucoup mieux qu’aujourd’hui, en intégrant les pays d’origine à la réflexion pour qu’ils reprennent ceux qui n’ont pas vocation à rester en France et que nous ne nous comportions pas en pilleur de talents formés à grands frais dans des pays beaucoup moins riches que nous. À organiser un débat public qui sorte de l’équation immigration = nuisance. À imaginer et mettre en œuvre une politique d’intégration aujourd’hui inexistante. À discuter aussi, et c’est essentiel, des valeurs communes et des voies et moyens de les transmettre aux nouveaux arrivants, sans croire comme aujourd’hui que « soyez comme nous » fait une politique. À se battre pour que les valeurs issues de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen restent toujours le fondement de nos politiques. Bref, se confronter au réel. Pour pouvoir l’orienter dans le bon sens. Ce sera le sujet d’un prochain rapport.

8. NOTE TERRA NOVA – Enquête sur les représentations à l’égard de l’immigration de travail

L’immigration de travail, qu’en pensent les Français ? De nombreuses images négatives sont associées aux arrivées d’étrangers sur notre territoire. Pourtant, les Français savent aussi que les immigrés sont utiles sur la marché du travail. Au-delà des slogans et des préjugés, les représentations apparaissent moins figées quand elles  concernent le monde du travail.

ParTerra Nova Sandra Hobiandirectrice générale du CRÉDOCLucie Brice Mansencaldirectrice d’études et de recherche du CRÉDOC

Publié le 12 mai 2025

SOMMAIRE

Nous avons voulu mesurer la tolérance des Français, non à l’immigration en général, mais à l’immigration de travail en particulier. Nous savons que l’immigration est aujourd’hui associée par beaucoup à l’islam radical, à la clandestinité ou à l’insécurité[1]. Ces représentations alimentent une opposition massive et constante à l’arrivée de nouveaux immigrés dans notre pays. Mais qu’en est-il lorsque l’immigration est associée au travail ? Lorsque la figure de l’immigré devient ou redevient celle du « travailleur immigré » ? Lorsqu’on met la focale sur la satisfaction de nos besoins économiques ?

L’immigration de travail est-elle plus tolérée que l’immigration en général ? C’est une hypothèse que nous voulions tester car elle semble corroborée par différents éléments d’enquêtes antérieures, dispersés mais convergents, ainsi que par des observations internationales récentes.

Les éléments d’enquêtes antérieures : selon une étude d’Odoxa réalisée en 2023, les Français soutiennent majoritairement la suppression du délai de carence de 6 mois pour permettre aux demandeurs d’asile de travailler après leur arrivée sur le territoire (64%).[2] Selon une enquête d’Ipsos réalisée en 2022, 60% des Français « reconnaissent à l’immigration un caractère indispensable dans de nombreux métiers où l’on manque de main-d’œuvre. »[3] Enfin, plusieurs enquêtes réalisées au moment des débats sur la dernière « loi Immigration » montrent qu’une majorité de Français soutenaient la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension.

Les observations internationales : on a pu observer, ces dernières années, que dans plusieurs pays de l’Union européenne, y compris ceux dans lesquels l’hostilité à l’immigration a atteint des sommets (Italie, Hongrie…), des dispositifs d’accueil de main-d’œuvre étrangère ont été mis en place (décrets « flussi » en Italie, système des « travailleurs invités » en Hongrie). De manière assez contre-intuitive, ils n’ont suscité aucune controverse et n’ont valu aucune chute de popularité aux gouvernements qui en ont pris l’initiative. En est-il de même en France ? L’hostilité de plus en plus bruyante à l’immigration en général pourrait-elle cacher une relative ouverture à l’immigration de travail en particulier sur fond de vieillissement démographique et de pénurie de main-d’œuvre dans un nombre croissant de secteurs ? Se pourrait-il que, conscients de la place qu’occupent d’ores et déjà les immigrés dans toute une série de secteurs économiques (santé, BTP, garde d’enfants, hôtellerie/restauration, etc.), les Français soient finalement mieux disposés qu’on ne le pense à l’égard des « travailleurs immigrés » ?

Ces questions sont capitales quand on sait les besoins de main-d’œuvre qui vont être les nôtres si nous voulons maintenir à un niveau acceptable notre ratio de soutien démographique (actifs/inactifs). Les travaux réalisés par Hakim El Karoui et Juba Ihaddaden pour Terra Nova ont montré qu’il faudrait pour cela que la France continue à accueillir à peu près autant d’immigrés qu’elle le fait aujourd’hui

Les Français y sont-ils prêts ? Sont-ils réellement plus ouverts à une immigration de travail tournée vers la satisfaction de nos besoins économiques qu’ils ne le sont à l’immigration en général ? Craignent-ils les effets d’une telle immigration sur l’économie et les salaires ? Sont-ils disposés à reconnaître la « valeur travail » quand elle s’attache à des étrangers ? Ce sont ces questions que nous avons voulu trancher.

Méthodologie

Cette enquête a été réalisée par le CREDOC du 7 mars au 12 mars 2025, auprès d’un échantillon représentatif de la population de 18 ans et plus. L’échantillon a été interrogé par questionnaire auto-administré en ligne.

2000 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine ont été sélectionnées selon la méthode des quotas. Ces quotas (région, taille d’agglomération, âge, sexe, habitat individuel ou collectif et PCS) ont été calculés d’après le dernier recensement général de la population disponible.

Des Français très mal informés

L’enquête relève que l’immigration a légèrement reculé dans l’ordre des préoccupations des Français : elle arrive désormais en 5eposition derrière le pouvoir d’achat, l’insécurité, les tensions internationales et le climat. Seuls 19% des sondés la citent parmi leurs deux principales préoccupations du moment et ce sont surtout des personnes âgées et inactives.

Parmi les sujets suivants, quels sont les deux qui vous préoccupent le plus ?

L’enquête confirme que les Français sont très mal informés sur le sujet, et ce dans des proportions spectaculaires, supérieures encore à ce que l’on pouvait attendre.

73% surestiment ainsi la part des immigrés dans la population (en réalité, 10,7% en 2023 selon l’Insee) : un gros tiers (35%) pense même qu’elle est supérieure à 25% ; et un sur dix (10%), que plus d’un habitant sur deux est un immigré. Au total, 84% des Français se trompent ou « ne savent pas » (12%).

Selon vous, quelle est la part des immigrés dans la population ?

Ils sous-estiment par ailleurs la part des immigrés qui travaillent : alors que 62,5% des immigrés en âge de travailler occupent un emploi en 2023 selon l’Insee, 73% des Français pensent que moins d’un immigré sur deux travaillent. Au total, 89% des Français se trompent ou « ne savent pas ».

Selon vous, quelle proportion d’immigrés en âge de travailler occupe actuellement un emploi ?

La représentation dominante est donc que les immigrés sont deux à trois fois plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité et qu’ils travaillent deux à trois fois moins qu’ils ne le font en réalité. Cette mésinformation croissante est certainement l’effet du bombardement médiatico-politique sur le thème de la « submersion migratoire » et de « l’immigration hors de contrôle ». Les Français en sont d’ailleurs partiellement conscients : 69% d’entre eux déclarent se sentir mal informés sur le sujet. Ce qui ne signifie pas forcément qu’ils pensent que les médias exagèrent la situation : ils peuvent aussi penser qu’ils la minorent ou qu’ils dissimulent la réalité (en 2022, selon une enquête Ifop-Fiducial pour Sud Radio, 80% des Français était d’accord avec l’idée que « l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement »).

Une nette opposition à l’arrivée de nouveaux immigrés

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’une large majorité des personnes interrogées soient opposées à l’arrivée de nouveaux immigrés en France (55%) alors que ceux qui y sont favorables ne sont que 30% (15% ne se prononcent pas).

En général, êtes-vous plutôt favorable ou opposé à l’arrivée de nouveaux immigrés en France ?

Il est à noter que l’opinion sur cette question varie très fortement selon le degré de proximité avec des personnes immigrées. Nous avons construit une échelle de proximité à quatre degrés : proximité nulle, faible, intermédiaire ou forte en fonction des réponses à une série de questions (voir Annexe). Le résultat est que plus la proximité est élevée, plus le taux d’opposition à l’arrivée de nouveaux immigrés est bas, et inversement. Ceux qui n’ont aucune proximité y sont opposés à 64% (+9 pts de % par rapport à la moyenne) ; et ceux qui ont une proximité intermédiaire ne le sont qu’à 34% (-21 pts). En somme, plus on fréquente des immigrés, plus on est ouvert à ce qu’il en arrive de nouveaux. De même, 66% de ceux qui déclarent qu’il n’y a aucun immigré dans leur quartier sont opposés à l’arrivée de nouveaux immigrés, contre 49% de ceux qui déclarent qu’il y en a « un peu ».

Une tolérance sensiblement plus grande à l’immigration de travail

Quand on soumet aux Français l’hypothèse d’une immigration « choisie » en fonction des besoins économiques du pays, le tableau est cependant très différent : 43% s’y disent favorables contre 41% qui y sont opposés au motif qu’il faut « limiter toute immigration ». Il faut noter que 15% sont opposés à cette option au motif inverse qu’il faut « accueillir toute immigration ». Ils viennent donc s’ajouter à un camp de l’ouverture qui rassemble 58% des sondés sur cette question. L’exact inverse du rapport majoritaire précédent. L’immigration de travail est bien regardée différemment des autres formes d’immigration.

Êtes-vous favorable à l’immigration « choisie » en fonction des besoins économiques du pays ?

On retrouve ici le même niveau de corrélation avec la proximité déclarée avec des personnes immigrées : 70% de ceux qui déclarent une proximité intermédiaire avec des immigrés se déclarent favorables (+15 pts par rapport à la moyenne) contre seulement 53% de ceux qui n’ont aucune proximité avec des immigrés. De même, 67% de ceux qui déclarent vivre dans un quartier où il y a « beaucoup d’immigrés » se retrouvent dans le camp de l’ouverture, contre 55% de ceux qui déclarent vivre dans un quartier où il n’y a pas d’immigrés.

Il est à noter en outre que plus d’un quart (28%) de ceux qui se déclarent hostiles à l’arrivée de nouveaux immigrés se disent néanmoins favorables à une immigration « choisie » en fonction de nos besoins économiques. Ces « transfuges » basculent manifestement sur la question du travail.

Notons également que les équilibres changent quand on évoque une immigration qualifiée. Le score de ceux qui sont opposés « à toute immigration » tombe alors de 41% à 33% (-8 pts) et celui de ceux qui sont favorables augmente quasiment d’autant (de 43% à 50%, +7 pts). Comme on pouvait s’y attendre, l’ouverture à une immigration « choisie » qualifiée est donc plus grande que l’ouverture à une immigration « choisie » peu qualifiée qui, elle, reste proche des moyennes (42% de favorable et 40% d’opposés). Les cadres sont, parmi les sondés, les plus favorables à une immigration « choisie » qualifiée (64%) alors qu’ils sont potentiellement les plus concernés par une possible mise en concurrence sur le marché du travail. Les retraités y sont également particulièrement favorables (54%).

Êtes-vous favorable à l’immigration « choisie » en fonction des besoins économiques du pays ?

L’immigration n’est pas perçue majoritairement comme un fardeau économique

Bien sûr, l’immigration de travail peut être elle-même associée à certaines peurs. Certains redoutent en particulier qu’elle pèse négativement sur l’économie nationale ou encore qu’elle tire les salaires à la baisse[4].

Nous avons essayé de mesurer ces craintes. Quand on demande aux Français quel est selon eux l’impact de l’immigration de travail sur l’économie française, seulement 39% estiment que l’immigration de travail a un impact négatif.  60% des personnes interrogées pensent qu’elle a soit un impact positif (36%) soit aucun impact (24%).

Selon vous, quel est l’impact de l’immigration de travail sur l’économie française ?

Les résultats sont plus partagés sur son effet sur le niveau des salaires. Une courte majorité (51%) pense que l’immigration de travail soit tire les salaires à la hausse (11%), soit n’a aucune incidence sur eux (40%), contre 46% qui sont d’un avis contraire (elle les tire à la baisse).

La présence de travailleurs immigrés affecte le niveau des salaires ?

Différentes enquêtes récentes arrivent sur ces deux derniers points (impact sur la vie économique et sur les salaires) à des conclusions sensiblement différentes. L’écart peut résulter d’effets de cadrage dans les questions posées. Par leur formulation, elles peuvent par exemple suggérer le fait acquis en désignant un responsable. Par exemple, des questions du type « Êtes-vous d’accord avec l’affirmation suivante : L’immigration économique permet au patronat de tirer les salaires vers le bas ? ».

L’ouverture aux travailleurs immigrés déjà présents

La tolérance à l’immigration de travail est plus marquée encore concernant les travailleurs immigrés qui sont déjà présents sur le territoire. 66% sont ainsi favorables à la régularisation des travailleurs immigrés sans papiers quand ils exercent dans des métiers en tension contre 32% qui y sont opposés. Ces résultats corroborent ceux de différentes enquêtes réalisées au moment de la « loi immigration » en décembre 2023. L’opinion voit là manifestement une immigration « utile ».

Seriez-vous favorable ou opposé à la régularisation des immigrés en situation irrégulière s’ils travaillent déjà dans des métiers où l’on peine à recruter ?

Près de la moitié (49%) de ceux qui se déclarent opposés à l’immigration « choisie » peu qualifiée sont favorables à la régularisation des travailleurs immigrés sans papiers qui exercent actuellement dans des métiers en tension.

Surtout, près de 4 Français sur 5 (77%) estiment qu’une personne étrangère « mérite de devenir française » quand elle travaille, cotise et paie ses impôts en France depuis plusieurs annéescontre seulement 21% qui sont d’une opinion contraire.

Selon vous, une personne étrangère qui travaille en France, cotise et paie ses impôts en France depuis plusieurs années mérite-t-elle de devenir française ?

Il est à noter que 76% de ceux qui se déclarent très à droite (positions 8–9–10 sur une échelle politique de 0 à 10) suivent le jugement de la majorité. Idem pour 68% de ceux qui sont opposés à l’arrivée de nouveaux immigrés en France. Le facteur qui a le plus d’effet sur cette bascule, toutes choses égales par ailleurs, est, là encore, la proximité avec l’immigration, loin devant le positionnement politique.

Nous avons également demandé aux sondés s’ils accepteraient qu’une personne immigrée occupe différentes positions professionnelles, ces positions renvoyant à divers secteurs (travailler dans un restaurant/hôtel ; dans les champs, les serres, les élevages ; dans l’informatique), à des relations hiérarchiques (être votre collègue ; être votre chef) ou à des fonctions touchant à la sphère privée (s’occuper de vos parents âgés ; vous soigner ; garder vos enfants…).

A l’ensemble de ces propositions, une large majorité répond positivement, de 76% pour le score le plus élevé (travailler dans un restaurant ou un hôtel) à 59% pour le score le plus bas (garder vos enfants). 75% des sondés acceptent l’idée qu’une personne immigrée soit leur « collègue au travail » et 62% l’idée qu’elle soit leur « chef au travail ». Au total, 43% des sondés acceptent les onze propositions que nous leur avons faites, et 67% en acceptent sept ou plus.

Accepteriez-vous qu’une personne immigrée occupe les postes suivants ? (% réponses positives)

Il est à noter que les réticences à l’égard d’un chef immigré (62% des personnes interrogées sont prêtes à l’accepter) sont moins fortes que les réticences à l’égard d’une femme cheffe (selon une étude Randstad Wormonitor de 2017, 67% des hommes et 61% des femmes préféraient être dirigés par un manager de sexe masculin).

Se méfie-t-on des immigrés quand il s’agit de faire garder ses enfants ou de s’occuper de ses parents âgés ?

La lecture des réponses à la question « Accepteriez-vous qu’une personne immigrée occupe les postes suivants ? » (11e items) suggère un moindre engagement des personnes dans les items qui impliquent un contact avec la sphère privée (« vos enfants », « vos parents », « votre domicile »…). Faut-il y voir une forme de réticence à laisser entrer les travailleurs immigrés dans le champ de l’intime, c’est-à-dire une forme de défiance ?

Ce facteur joue sans doute pour une part des répondants. Parmi ceux qui répondent « non » à la fois aux items « Garder vos enfants », « S’occuper de vos parents âgés » et « Faire le ménage à votre domicile », plus de 80% estiment qu’« on n’est jamais assez méfiant » et 83% sont opposés à l’arrivée de nouveaux immigrés en France. Mais ils ne représentent qu’une moitié de ceux qui disent « non » à au moins l’un de ces trois items.

En réalité, ceux qui sont opposés à ce qu’une personne immigrée s’occupe de leurs parents âgés peuvent être favorables à ce qu’elle garde leurs enfants, et inversement. Quand on procède à une analyse des variables qui ont le plus d’effet sur leurs réponses à ces propositions toutes choses égales par ailleurs, on s’aperçoit que le fait de ne pas avoir de diplôme, d’être en dehors de l’emploi ou d’avoir entre 40 et 69 ans sont les meilleurs prédicteurs des réponses négatives.

Cela s’explique aisément : parmi ceux qui répondent « non » à ces items, figurent des publics qui recourent très rarement à l’emploi de personnes à domicile, quelle que soit leur origine : ce sont des personnes issues des classes populaires peu diplômées qui n’en ont pas les moyens, en particulier. Mais ce sont aussi des inactifs ou des chômeurs qui vivent à leur domicile et pourvoient eux-mêmes à ces besoins. Ce sont également pour finir des personnes qui ne sont pas concernées : il est probable qu’on trouve plus de parents de jeunes enfants entre 25 et 39 ans qu’entre 40 et 59 ans. D’ailleurs, 25% des personnes qui n’accepteraient pas qu’une personne immigrée garde leurs enfants n’ont tout simplement pas d’enfant.

D’ailleurs, les Français semblent peu disposés à discriminer entre immigrés de sexe masculin ou de sexe féminin. Quand on leur demande si, dans des relations de travail, ils feraient davantage confiance à une femme immigrée ou à un homme immigré, 50% répondent qu’ils font confiance aux deux et 32% qu’ils se méfient des deux. 82% ne font donc aucune différence selon le genre.

En réalité, si le travailleur immigré semble mieux accepté que d’autres figures de l’immigration, c’est parce que le travail est considéré comme le plus puissant facteur d’intégration, juste derrière la pratique de la langue française. 58% des sondés placent le travail en première ou deuxième position parmi les facteurs d’intégration, devant « cotiser et payer ses impôts en France » (42%), « participer à la vie associative » (12%) ou « se lier d’amitié avec des Français » (10%).

Il est à noter que le panel comporte une part de personnes immigrées nettement inférieure à la moyenne observée dans la population (2% au lieu de 10,7%). On peut imaginer que les réponses auraient été un peu différentes et sans doute plus favorables à l’immigration de travail si nous avions eu 10% ou 12% d’immigrés dans le panel.

ANNEXE

La proximité aux immigrés et la théorie du contact

La théorie du contact (parfois également appelée hypothèse du contact) est issue de la psychologie sociale. Selon elle, le contact entre membres de groupes différents peut réduire les préjugés et améliorer les relations entre les groupes. Elle a été formulée par Gordon Allporten 1954 dans son ouvrage The Nature of Prejudice. En matière migratoire, elle suggère que plus les interactions entre population native et population immigrée sont fortes et nombreuses, plus les préjugés reculent et plus l’acceptation progresse.

C’est ce que semble confirmer notre enquête. Nous pouvons mesurer en effet la proximité plus ou moins grande des sondés avec des personnes immigrées, selon qu’ils comptent des immigrés dans leur famille (parents, grands-parents, conjoint(e)…), leurs cercles amicaux, leur cercle professionnel (collègue…) ou leur entourage un peu plus lointain (quartier, monde professionnel au-delà des collègues).

Il en ressort que 48% des sondés (près de la moitié) comptent un immigré dans au moins un cercle de leur entourage proche : collègues de travail (27%), amis proches (27%), membre de la famille (16%), grands-parents (16%), parents (15%), conjoints (9%) ou employés à domicile (9%). Si l’on y ajoute la présence d’immigrés dans l’entourage étendu (quartier, travail au-delà des collègues directs), ce sont 69% des personnes interrogées qui ont une proximité avec des personnes immigrées.

En tout, 11 cercles relationnels sont ainsi définis. Sur cette base, nous avons construit une échelle de proximité à quatre niveaux :

  1. Aucune proximité (31% des sondés n’ont aucune proximité avec des personnes immigrées).
  2. Proximité faible (52% des sondés interagissent avec des immigrés dans 1 à 4 cercles).
  3. Proximité intermédiaire (13% des sondés interagissent avec des immigrés dans 5 à 7 cercles).
  4. Proximité forte (3% des sondés interagissent avec des immigrés dans 8 à 11 cercles).

L’analyse des données confirme que plus les sondés sont proches des personnes immigrées, plus ils sont disposés à accueillir de nouveaux migrants, à accepter une immigration cohérente avec nos besoins économiques, à régulariser des travailleurs sans papiers qui exercent dans des métiers en tension, etc. Inversement, moins ils sont proches, plus ils adoptent une posture de refus ou de rejet.

Une analyse multivariée confirme l’effet très significatif de la proximité aux immigrés sur les réponses à toute une série de question.

C’est notamment le cas sur la question « Êtes-vous favorable/opposé à l’arrivée de nouveaux immigrés en France ? ». Toutes choses égales par ailleurs, les personnes ayant une proximité faible avec des immigrés affichent en moyenne une opinion moins favorable. Chaque degré de proximité est associé à une moindre opposition, avec des coefficients tous significatifs, y compris pour les proximités faibles. Cela confirme un effet graduel et robuste de la familiarité avec l’immigration sur l’attitude envers l’accueil de nouveaux arrivants. Les moins de 40 ans et les diplômés du supérieur sont également moins opposés à ces nouvelles arrivées, indépendamment des autres facteurs.

9. Synthèse – Gauche : quelle majorité électorale ?

Partout en Europe, la social-démocratie est en crise. Elle ne gouverne plus que dans 6 pays sur 27. Elle n’a pas pu capitaliser politiquement sur la Grande Crise de 2008.  

Comment expliquer cette désaffection politique ? Il y a, bien sûr, la crise idéologique. Le modèle de société porté par la social-démocratie – l’économie sociale de marché, autour de la construction de l’Etat-providence – n’est plus compatible en l’état avec le nouveau monde globalisé. Il doit être refondé.  

Mais il y a une autre raison à la crise de la social-démocratie. Elle a trait à la sociologie électorale : la coalition historique qui a porté la gauche depuis près d’un siècle, fondée sur la classe ouvrière, est en déclin. C’est vrai en France, comme dans le reste de l’Europe et aux Etats-Unis.  

UNE COALITION HISTORIQUE EN DECLIN

LA FIN DE LA COALITION OUVRIERE

Depuis le Front populaire en 1936, la gauche en France (socialiste, mais surtout communiste) a accompagné la montée en puissance du monde ouvrier. La victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981 leur est intimement liée : la classe ouvrière est à son apogée démographique (37% de la population active) et vote massivement à gauche (72%, soit +20 points par rapport à la moyenne nationale). Autour de ce cœur ouvrier s’est constituée une coalition de classe : les classes populaires (ouvriers, employés) et les catégories intermédiaires (le cadres moyens).  

Ce socle historique de la gauche se dérobe aujourd’hui, à partir d’un double mouvement.  

D’abord, le rétrécissement démographique de la classe ouvrière : après un siècle d’expansion, la population ouvrière se contracte rapidement à partir de la fin des années 1970, pour ne plus représenter que 23% des actifs aujourd’hui – soit pour la gauche une chute de 40% de son socle électoral. Ce phénomène, corollaire de la désindustrialisation du pays, est amplifié par la dévitalisation du sentiment de classe : seul un quart des ouvriers se reconnaissent dans la classe ouvrière. L’explication est à trouver dans la recomposition interne du monde ouvrier. Le nombre d’ouvriers non qualifiés a fortement décru, au profit des ouvriers qualifiés, mieux rémunérés, qui accèdent à la société de consommation, et qui se reconnaissent davantage dans les classes moyennes. Par ailleurs, les ouvriers de l’industrie ne représentent plus que 13% des actifs : deux ouvriers sur cinq travaillent dans le secteur tertiaire, comme chauffeurs, manutentionnaires ou magasiniers. Ces ouvriers des services, qui travaillent dans l’isolement, ne bénéficient plus de l’identité ouvrière : le collectif de travail de l’usine, la tradition syndicale, la fierté du métier.   Second mouvement : les ouvriers votent de moins en moins à gauche. L’érosion est continue depuis la fin des années 1970 et prend des allures d’hémorragie électorale ces dernières années. Au premier tour de l’élection présidentielle, le différentiel de vote au profit de la gauche entre les ouvriers et la moyenne de l’électorat passe de +15 points en 1981 à 0 en 2002 : il n’y a plus de spécificité du vote ouvrier. Pire, le candidat Lionel Jospin n’a rassemblé que 13% des suffrages ouvriers : les ouvriers ont moins voté socialiste que l’ensemble des Français (16%). Au second tour de la présidentielle, le vote ouvrier passe de 72% en 1981 à 50% en 2007 : pour la première fois de l’histoire contemporaine, les ouvriers, qui ne votaient déjà plus à gauche au premier tour, ne votent plus à gauche au second.  

A L’ORIGINE DU DIVORCE : UN CHANGEMENT DE VALEURS

Historiquement, la gauche politique porte les valeurs de la classe ouvrière, tant en termes de valeurs socioéconomiques que culturelles. Elle est la porte-parole de ses revendications sociales et de sa vision de l’économie : pouvoir d’achat, salaire minimum, congés payés, sécurité sociale, nationalisation des grandes entreprises, encadrement des prix… Et l’une comme l’autre restent relativement conservatrices sur le plan des mœurs, qui demeurent des sujets de second plan par rapport aux priorités socioéconomiques.  

A partir de la fin des années 1970, la rupture va se faire sur le facteur culturel. Mai 68 a entraîné la gauche politique vers le libéralisme culturel : liberté sexuelle, contraception et avortement, remise en cause de la famille traditionnelle… Ce mouvement sur les questions de société se renforce avec le temps pour s’incarner aujourd’hui dans la tolérance, l’ouverture aux différences, une attitude favorable aux immigrés, à l’islam, à l’homosexualité, la solidarité avec les plus démunis. En parallèle, les ouvriers font le chemin inverse. Le déclin de la classe ouvrière – montée du chômage, précarisation, perte de l’identité collective et de la fierté de classe, difficultés de vie dans certains quartiers – donne lieu à des réactions de repli : contre les immigrés, contres les assistés, contre la perte de valeurs morales et les désordres de la société contemporaine.  

Malgré cette discordance sur les valeurs culturelles, la classe ouvrière continue au départ de voter à gauche, qui la représente sur les valeurs socioéconomiques. Mais l’exercice du pouvoir, à partir de 1981, oblige la gauche à un réalisme qui déçoit les attentes du monde ouvrier. Du tournant de la rigueur en 1983 jusqu’à « l’Etat ne peut pas tout » de Lionel Jospin en 2001, le politique apparaît impuissant à répondre à ses aspirations. Les déterminants économiques perdent de leur prégnance dans le vote ouvrier et ce sont les déterminants culturels, renforcés par la crise économique, « hystérisés » par l’extrême droite, qui deviennent prééminents dans les choix de vote et expliquent le basculement vers le Front national et la droite.   

UNE DYNAMIQUE IDENTIQUE DANS L’ENSEMBLE DU MONDE OCCIDENTAL

La France ne fait pas exception. Partout en Europe, en Amérique du Nord, en Australie, la coalition historique de la gauche, centrée sur la classe ouvrière, s’efface. Même dans les pays où existe un lien institutionnel, via les syndicats, entre la classe ouvrière et la gauche politique, le vote ouvrier déserte la gauche : Grande Bretagne, Allemagne, Suède. La social-démocratie perd sa base électorale.    

UNE NOUVELLE COALITION EN VOIE DE STRUCTURATION

LE NOUVEL ELECTORAT DE LA GAUCHE : LA FRANCE DE DEMAIN

Si la coalition historique de la gauche est en déclin, une nouvelle coalition émerge. Sa sociologie est très différente :  

1. Les diplômés. Ils votent plus à gauche que la moyenne nationale (+2 points en 2007). Le vote à gauche est désormais corrélé positivement au niveau de diplôme : plus on est diplômé, plus on vote à gauche ; moins on est diplômé, plus on vote à droite.  

2. Les jeunes. C’est le cœur de l’électorat de gauche aujourd’hui : +11 points par rapport à la moyenne nationale au second tour de la présidentielle, en 2007 (58% contre 47%). L’orientation politique du vote est très fortement corrélée à l’âge : le vote à gauche baisse avec l’âge ; et les séniors votent massivement à droite – ils ont donné une avance de 30 points à Nicolas Sarkozy contre Ségolène Royal (65–35). S’il y a un facteur âge (on est idéaliste à 20 ans, et on devient plus conservateur en vieillissant), il y a surtout un facteur générationnel : les nouvelles générations votent de plus en plus à gauche.  

3. Les minorités et les quartiers populaires. La France de la diversité est presqu’intégralement à gauche. L’auto-positionnement des individus révèle un alignement des Français d’origine immigrée, et plus encore de la deuxième génération, à gauche – de l’ordre de 80–20. On retrouve des scores de cette ampleur dans les bureaux de vote des quartiers populaires, et encore de 62–38 dans les zones urbaines sensibles.  

4. Les femmes. Nous vivons un renversement historique : l’électorat féminin, hier très conservateur, a basculé dans le camp progressiste. En 1965, l’électorat féminin a assuré la victoire du Général de Gaulle ; François Mitterrand l’emportait chez les hommes. En 1981, les femmes votent encore 7 points de moins à gauche que les hommes (49% contre 56% au second tour). En 2007, pour la première fois, elles votent plus à gauche que les hommes, de 2 points (49–47)). La transition vers la gauche se poursuit à vive allure. En 2010, aux élections régionales, cet écart atteint désormais +7 points (58–51).  

La nouvelle coalition de la gauche n’a plus rien à voir avec la coalition historique : seuls les jeunes appartiennent aux deux. L’identité de la coalition historique était à trouver dans la logique de classe, la recomposition en cours se structure autour du rapport à l’avenir. La nouvelle gauche a le visage de la France de demain : plus jeune, plus féminin, plus divers, plus diplômé, mais aussi plus urbain et moins catholique . Elle est en phase avec la gauche politique sur l’ensemble de ses valeurs.  

Contrairement à l’électorat historique de la gauche, coalisé par les enjeux socioéconomiques, cette France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs culturelles, progressistes : elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive. C’est tout particulièrement vrai pour les diplômés, les jeunes, les minorités . Elle s’oppose à un électorat qui défend le présent et le passé contre le changement, qui considère que « la France est de moins en moins la France », « c’était mieux avant », un électorat inquiet de l’avenir, plus pessimiste, plus fermé, plus défensif.  

Le facteur socioéconomique joue aussi. Car la France de demain réunit avant tout les « outsiders » de la société, ceux qui cherchent à y rentrer, notamment sur le marché du travail, mais n’y parviennent que difficilement : les jeunes, les femmes, les minorités, les chômeurs, les travailleurs précaires. Ils ont du mal car ils sont la principale variable d’ajustement face à la crise d’une société d’« insiders » qui, pour préserver les droits acquis, sacrifie les nouveaux entrants. Ces « outsiders » ont besoin de l’aide de la puissance publique pour surmonter les barrières qui se dressent devant eux : ils ont besoin d’un Etat qui les aide à s’émanciper, à briser le plafond de verre. Ils sont soutenus par les plus intégrés (les diplômés), solidaires de ces « exclus » par conviction culturelle.    

LES LIMITES DE LA NOUVELLE COALITION

La nouvelle gauche qui émerge en France est la même que celle qui se dessine partout en Europe. Elle ressemble de près à la coalition qui a porté Barack Obama au pouvoir en 2008. Avec une différence d’importance : elle n’est pas majoritaire.  

La nouvelle coalition électorale de la gauche présente trois faiblesses structurelles :  

1. Une dynamique démographique limitée. Les minorités constituent une population en expansion mais au poids démographique faible : seuls 5% des Français ont deux parents immigrés ; on peut estimer à 15% les Français issus de la diversité. Rien à voir avec les Etats-Unis, où la part des minorités atteint près de 30%. Surtout, les jeunes sont une population déclinante en France, alors que c’est le contraire aux Etats-Unis.  

2. Une coalition électorale en construction. Le nouvel électorat de gauche vote, élection après élection, de plus en plus à gauche. C’est une excellente nouvelle pour la gauche, pour l’avenir. Cela souligne a contrario une faiblesse actuelle de la coalition : elle ne fait pas le plein. C’est vrai pour les diplômés, qui votent encore faiblement à gauche. Pour les jeunes : ils votent moins à gauche qu’aux Etats-Unis : ils donnent 16 points de plus à Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy en 2007 (58/42) contre 34 à Barack Obama face à John McCain (67/33). Mais c’est surtout chez les femmes que la gauche française ne fait pas encore le plein : elles ne donnent que 2 points de plus à Ségolène Royal par rapport aux hommes en 2007 (48/46), +5 points aux élections régionales de 2010, contre +12 points à Barack Obama (56/44).  

3. Une abstention élevée. Les jeunes et les minorités votent moins que la moyenne nationale : respectivement –7 points pour les 18–24 ans et –4 points pour les zones urbaines sensibles (mais –34 dans les quartiers populaires) en 2007. Leur participation s’effondre dans les élections de faible intensité politique (européennes, régionales, cantonales).  

Face à cette nouvelle coalition de gauche, la recomposition radicale du paysage politique français fait émerger deux blocs électoraux :  

L’électorat de droite, centré sur les séniors  

L’électorat de droite n’a guère changé ces dernières décennies : les séniors, les indépendants (artisans, commerçants), les agriculteurs, les catholiques. Lui aussi devient plus clivant : sa propension à voter à droite se renforce. Il est en opposition avec les valeurs de gauche dans toutes ses composantes, tant socioéconomiques que culturelles, et parfois de manière radicale comme les agriculteurs ou les séniors (sur les valeurs culturelles).   Les séniors constituent le cœur de l’électorat de droite. Ils votent, on l’a vu, massivement à droite. Ils ont un taux de participation record : plus de 90% en 2007. Et il s’agit d’une catégorie en expansion démographique importante : elle représentait 27% de la population en 2005, elle représentera 38% en 2030. D’où un problème majeur pour la gauche : peut-elle gagner sans le vote des séniors ?  

L’électorat intermédiaire, un no man’s land incertain et instable  

Cet électorat regroupe tous les éléments du salariat : ouvriers, employés (la coalition historique de la gauche), professions intermédiaires, classes moyennes supérieures. Historiquement, la hiérarchie du salariat dictait l’orientation politique : plus on était en bas de l’échelle, plus on votait à gauche, et inversement. Ouvriers, employés, professions intermédiaires, classes moyennes supérieures s’étageaient selon une ligne politique linéaire, du plus à gauche au plus à droite. La logique de classe, hier principale grille de lecture électorale, s’est aujourd’hui brouillée. Toutes ces catégories se retrouvent à peu près au même niveau dans le rapport de forces droite/gauche. Leur vote est incertain. Il pourrait même s’inverser si les tendances, très rapides, se poursuivent : des classes moyennes supérieures votant le plus à gauche (comme les diplômés) jusqu’aux ouvriers votant le plus à droite.  

L’électorat intermédiaire est divisé sur les valeurs : une partie le rattache à la gauche, l’autre à la droite. La grille de lecture pertinente oppose classes populaires et classes moyennes. Les classes populaires (ouvriers et employés) ont des valeurs socioéconomiques qui les rattachent à la gauche (Etat fort et protecteur, services publics, sécurité sociale) et des valeurs culturelles conservatrices (ordre et sécurité, refus de l’immigration et de l’islam, rejet de l’Europe, défense des traditions…). La division est inversée pour les classes moyennes (professions intermédiaires et classes moyennes supérieures) : des valeurs culturelles de gauche mais des valeurs socioéconomiques de droite.  

L’électorat intermédiaire pose un double enjeu à la gauche : la classe ouvrière a-t-elle définitivement basculé ? Et quelle stratégie électorale adopter pour cet électorat, terrain de bataille privilégié, par son incertitude et sa mobilité, de l’affrontement droite/gauche ?  

10. QUELLE STRATEGIE ELECTORALE POUR 2012 ?

LA STRATEGIE CENTRALE « FRANCE DE DEMAIN » : UNE STRATEGIE CENTREE SUR LES VALEURS

L’élection de 2012 se déroule dans une période de mutation profonde du paysage politique : la structuration d’hier est affaiblie mais n’a pas encore disparu ; celle de demain émerge mais ne s’est pas encore pleinement déployée. Cela laisse le champ à plusieurs options stratégiques.  

Une ligne de conduite incontournable est toutefois de s’adosser à son nouvel électorat « naturel » : la France de demain. C’est d’autant plus nécessaire que la perspective d’un « nouveau 21 avril » représente un risque réel : le niveau électoral inédit du Front national et la fragmentation du camp progressiste menacent la gauche d’une élimination au premier tour de l’élection présidentielle. Il sera donc vital de rassembler son camp au premier tour.  

Il n’est pas possible aujourd’hui pour la gauche de chercher à restaurer sa coalition historique de classe : la classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs, elle ne peut plus être comme elle l’a été le moteur entraînant la constitution de la majorité électorale de la gauche. La volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie. Le parti travailliste néerlandais (PvdA) a tenté une telle rupture sous la direction de Wouter Bos. Se définissant comme un parti de classes, le parti des classes populaires, et non de valeurs, il a accompagné son électorat dans le conservatisme culturel pour se positionner « anti-immigration », « anti-Europe », et « anti-impôts », basculant ainsi de la social-démocratie au social-populisme. L’échec électoral a été cuisant : le PvdA a terminé à 13% aux dernières élections locales, entraînant le remplacement de Wouter Bos par Job Cohen, maire d’Amsterdam, qui a repositionné le parti dans la mouvance sociale-démocrate.  

Quelle stratégie la gauche doit-elle adopter pour faire le plein de son nouvel électorat naturel ?  

Elle doit opter pour une stratégie de valeurs. L’électorat « France de demain » les partage. Il y a des marges de manœuvre. Les élections régionales de 2010 ont montré que le vote à gauche des femmes, des jeunes, des diplômés progressent plus fortement que la moyenne de l’électorat. Pour accélérer ce glissement tendanciel, la gauche doit dès lors faire campagne sur ses valeurs, notamment culturelles : insister sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation, et mener la bataille sur l’acceptation d’une France diverse, pour une identité nationale intégratrice, pour l’Europe.  

La gauche doit également privilégier une stratégie de mobilisation. La « France de demain » vote fortement à gauche mais vote peu. Il est toutefois possible d’améliorer son taux de participation : les jeunes ou les minorités ne sont pas des abstentionnistes systématiques, ils votent par intermittence. L’objectif est donc de les mobiliser : cela passe par une campagne de terrain (porte-à-porte, phoning, présence militante sur les réseaux sociaux et dans les quartiers…), sur le modèle Obama.  

Une telle stratégie, sous les hypothèses du rapport, pourrait ramener 2.500.000 voix à la gauche au second tour, de quoi effacer les 2.200.000 d’avance obtenus en 2007 par Nicolas Sarkozy. Toutefois, le résultat demeurerait serré.  

LA STRATEGIE COMPLEMENTAIRE AVEC LES « CLASSES MOYENNES »

L’électorat « France de demain » est le nouveau mole central à partir duquel la gauche doit rayonner pour constituer une majorité. L’électorat à conquérir – l’électorat intermédiaire – est divisé en deux : classes moyennes et classes populaires. La coalition « France de demain » les intègre déjà en partie et doit chercher à s’élargir aux deux. Mais la stratégie n’est pas la même selon que l’on cible les classes populaires ou les classes moyennes.  

Une stratégie d’élargissement vers les classes moyennes se justifie sur un triple plan. C’est la plus compatible avec la stratégie « France de demain » : elle permet de faire campagne sur les valeurs culturelles, sur lesquelles les classes moyennes sont en phase avec la gauche, et qui sont la priorité du nouvel électorat de gauche. C’est un électorat disponible : les professions intermédiaires, les plus nombreuses (23% de l’électorat total, contre 15% pour les classes moyennes supérieures) et en expansion, ont voté 14 points de mieux pour la gauche aux régionales par rapport à la présidentielle (contre +7 points en moyenne), ce qui constitue l’évolution la plus spectaculaire vers la gauche sur la période. Cela consiste, enfin, à s’appuyer sur une tendance naturelle : les classes moyennes évoluent vers la gauche.  

Une telle stratégie est toutefois risquée. Cet électorat n’a pas de tradition de vote à gauche : il demeure versatile tant qu’il n’a pas été fidélisé. Agrégeant des réalités différentes, il est composite, donc difficile à unifier. Il nécessite une adaptation du discours de gauche sur les questions économiques et sociales. Sur la fiscalité par exemple : les classes moyennes, par rapport aux classes populaires, se caractérisent notamment par l’accumulation d’une petite épargne sur le cycle de vie, qu’elles veulent protéger et transmettre.   

LA STRATEGIE COMPLEMENTAIRE AVEC LES « CLASSES POPULAIRES »

C’est la tentation naturelle de la gauche, qui ne peut se résoudre, pour des raisons historiques, à perdre les classes populaires. La gauche doit dès lors axer sa campagne sur les priorités économiques et sociales, où elles sont en phase, et faire oublier ses convictions culturelles, notamment sur l’immigration et l’islam.  

Une telle stratégie présente des atouts. Elle est en phase avec la conjoncture, qui place les réponses à la crise économique au cœur des priorités des Français. Et les classes populaires représentent toujours une part très importante de l’électorat : encore 23% pour les ouvriers et surtout 30% pour les employés, en expansion, soit au total plus de la moitié de l’électorat. La gauche y a des fidélités historiques, entretenues par un dense réseau d’élus locaux de terrain. Surtout, une partie de sa nouvelle base électorale, la « France de demain », appartient aux classes populaires : les Français issus des quartiers, les jeunes déclassés, les minorités…  

Mais c’est une stratégie difficile. Elle va à contre-courant : les tendances sont au basculement des classes populaires à droite. Elle est compliquée à articuler avec la stratégie centrale vers l’électorat « France de demain » : elle nécessite de ne pas faire campagne sur les questions culturelles, alors qu’elles sont le ressort principal de ce dernier électorat ; et même sur le facteur socioéconomique, les propositions à développer ne sont pas les mêmes, entre la demande de protection des « insiders » fragilisés (protection des statuts, des droits sociaux) et la demande d’assistance des « outsiders ». Elle se heurte désormais à un obstacle de taille : le nouveau Front national. En voie de dédiabolisation, et donc bientôt fréquentable, le FN de Marine Le Pen a opéré un retournement sur les questions socioéconomiques, basculant d’une posture poujadiste néolibérale (anti-Etat, anti-fonctionnaires, anti-impôts) à un programme de protection économique et sociale équivalent à celui du Front de gauche. Pour la première fois depuis plus de trente ans, un parti entre à nouveau en résonnance avec toutes les valeurs des classes populaires : protectionnisme culturel, protectionnisme économique et social. Le FN se pose en parti des classes populaires, et il sera difficile à contrer.  

Toutefois, il est possible d’identifier au sein des classes populaires des sous-catégories plus aisées à raccrocher à la gauche. Il y a d’abord les précaires, les chômeurs, les exclus : ceux-là votent à 70% à gauche – le problème de la gauche se situe avec les classes populaires au travail, qui sont en CDI mais qui ont peur du déclassement. Il y a ensuite les jeunes ouvriers : ils sont d’origine étrangère (maghrébine) et donc sensibles aux enjeux culturels liés à l’immigration et l’intégration, mais ils sont très peu nombreux dans cette période de désindustrialisation accélérée. Il y a surtout les employées. Il s’agit à l’inverse d’un contingent électoral très important (77% des employés sont des femmes, soit 5.8 millions d’électeurs). Elles votent anormalement à droite : +7 points par rapport aux employés hommes en 2007. C’est un angle mort du discours politique de gauche, ouvriériste, dont l’imaginaire est associé au travailleur homme à l’usine. Les employées sont pourtant sensibles aux orientations de la gauche : travaillant à temps partiel subi, souvent pauvres, éprouvant des conditions de travail pénibles en l’absence de couverture syndicale forte, en détresse du fait de situations personnelles souvent difficiles (célibataires avec enfants à charge), ces salariées précarisées ont beaucoup de points communs avec les « outsiders » exclus du marché du travail, qui sont au cœur de l’électorat de gauche.  

LA CONQUETE DES SENIORS : UNE STRATEGIE IMPOSSIBLE ?

Certains à gauche envisagent cette stratégie, avec une idée simple. Ségolène Royal a fait un score très dégradé chez les séniors en 2007 : 35%. Avec seulement 43%, elle aurait gagné la présidentielle. En partant de si bas, avec un président sortant qui les a agacés, un programme plus adapté et un candidat plus en phase, il devrait être facile de récupérer ce retard.  

Rien n’est moins sûr. Les séniors ont des valeurs frontalement opposées à celles de la gauche. Ils ont toujours voté à droite et leur vote à droite se renforce. En empochant le sursaut à gauche de cet électorat aux régionales (+3 points par rapport à l’évolution moyenne), la gauche récupèrerait moins de 500.000 voix sur un différentiel de 2.2 millions en 2007.  

Le profil du candidat pourrait permettre d’améliorer les résultats de la gauche. Les séniors sont très sensibles à la crédibilité et à l’autorité du candidat. Par ailleurs, la « triangulation » sur les questions de sécurité ferait sens. C’est la priorité politique de cet électorat, or la question de sécurité s’est détachée des autres questions culturelles pour devenir de plus en plus consensuelle dans tous les électorats : la gauche peut donc se l’approprier sans s’aliéner son électorat de base.

Les déterminants sociologiques ne sont pas, tant s’en faut, les seuls facteurs explicatifs du vote.  

Il y a les déterminants politiques : le profil du candidat ; le projet ; l’unité de son camp politique. Il y a aussi les déterminants conjoncturels : le niveau de rejet du parti au pouvoir et du candidat sortant ; les évènements d’actualité qui impactent les perceptions de l’électorat.   Mais le lien entre ces déterminants politiques et conjoncturels avec les déterminants sociologiques est essentiel pour former une stratégie victorieuse. A cet égard, la gauche se présente en 2012 avec des choix cruciaux à réaliser.  

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