
ARTICLE – Mais pourquoi la révolution promise par Emmanuel Macron a-t-elle fait pschitt ?
Sur TF1 mardi soir, le chef de l’Etat a tenté de défendre son bilan face à des interlocuteurs qui soulignaient tous par des angles différents, l’échec d’un bon nombre de promesses faites en 2017 et 2022. ATLANTICO
Luc Gras politologue et médiateur. auteur de « La démocratie en péril » publié en 2024.
Raul Magni-Berton professeur de science politique à Sciences Po Grenoble, auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.
Christian Saint-Etienne professeur titulaire de la Chaire d’économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers, membre du Conseil d’Analyse économique de 2004 à juin 2012, auteur de La fin de l’euro (François Bourin Editeur, mars 2011).
Julien Pillot Docteur en économie de l’Université de Nice (CNRS GREDEG), enseignant-chercheur à l’Inseec Grande Ecole, dirige le pôle de valorisation de la recherche de la Faculté du groupe OMNES Education. Il intervient également à l’Université Paris Saclay, ainsi que ponctuellement dans d’autres Universités.
Patrice Huiban est haut fonctionnaire. Il est président du mouvement Nouvel Essor Français
Volet 1 – Introduction générale
Patrice Huiban : On peut sans doute commencer par souligner qu’Emmanuel Macron a tenu quelques promesses. Souvent les plus accessoires ou démagogiques. Ainsi, on pourrait citer la suppression de la taxe d’habitation, qui constitue une véritable hérésie en cela qu’elle contribue à séparer le décideur du payeur et à déresponsabiliser les acteurs. Aujourd’hui, il faut bien le rappeler, nos maires n’ont la main sur le budget de leurs municipalités qu’à hauteur de 30 ou 40 %. En d’autres termes, un bon maire, dans le système actuel, n’est pas un bon gestionnaire : c’est quelqu’un dont le réseau est assez étendu, qui connaît suffisamment de gens pour récupérer un maximum de subventions auprès des conseils départementaux et régionaux, auprès de l’État. Il y a aussi eu tout un tas de mesures au mieux sociétales. On pourrait ainsi parler de la PMA étendue à toutes les femmes, du pass culture (initialement jusqu’à 300€ par jeune), mesure aussi inefficace que démagogique qui a coûté près de 250 millions d’euros en 2024 aux finances publiques… En bref, les quelques propositions qui ont été tenues n’ont jamais été de nature à redresser le pays. Si tant est que le projet de 2017 (dont il faut se souvenir qu’il ne comptait que 17 pages, comprenant essentiellement des photos du candidat) était capable de redresser la France. Je ne le crois pas.
Il m’apparaît évident que le nœud gordien du sursaut français n’est autre qu’une réforme ciblée et puissante de l’action publique, de l’État, de la Sécurité sociale, des collectivités. Or, j’ai le sentiment que la démarche d’Emmanuel Macron souffre de deux angles morts : l’absence de projet, d’abord (il disait, en 2017, que les projets ne servaient à rien, avant de se retrouver contraint et forcé d’en faire un sur un coin de table), et l’absence de colonne vertébrale, ensuite. L’action du président devrait s’appuyer sur un projet de nature à rendre à la France sa place de pays le plus prospère d’Europe et même lui permettre de se hisser au troisième rang mondial, ce qui constitue son rang naturel. Mais il s’avère, hélas, que le chef de l’État n’est pas habité par la France. Loin s’en faut ! La seule cohérence que je puisse détecter chez lui, c’est son tropisme pour le fédéralisme européen, c’est-à-dire pour la concentration des pouvoirs à Bruxelles, au détriment des gouvernements légitimement, légalement et démocratiquement élus par les différents peuples d’Europe. Il n’y avait, selon moi, aucun projet digne de ce nom dans la candidature Macron de 2017, hormis ce tropisme supranational.
Pire encore, il a fallu composer avec des injonctions paradoxales dans bien des domaines, comme le militaire par exemple. Il avait ainsi décidé un coup de rabot de 850 millions d’euros sur le budget de la défense à l’été 2017. Dorénavant, il nous dit qu’il faut réarmer le pays en urgence, en oubliant que la Défense ne peut pas s’improviser le jour du péril venu. C’est un sujet qui se travaille sur 25 ans, une génération. Il en va de même pour le nucléaire : en 2018, le chef de l’État prévoyait de supprimer 14 de nos 58 réacteurs. Aujourd’hui, il nous dit qu’il faudrait construire plusieurs EPR. On parle pourtant ici de politiques de long terme, qui sont aujourd’hui sujettes à d’incessants revirements. La réindustrialisation en est un autre exemple parlant : il est nécessaire de réindustrialiser le pays et, dans le même temps, la France applique les prélèvements obligatoires sur les entreprises parmi les plus élevés du monde développé. La loi Climat et Résilience de 2019 avec son zéro artificialisation nette (ZAN) a bridé le foncier alors que les terres artificialisées ne représentent que 8% du territoire et que le massif forestier français a doublé depuis 1850. Comment réindustrialiser sans permis de construire ? Il n’y a aucun cap. Seulement des injonctions paradoxales dans tout ou partie des domaines clés.
Il pourrait pourtant y avoir un véritable projet, en témoigne le travail du mouvement Nouvel Essor Français. Une réforme intelligente, d’ailleurs de plus en plus impérieuse, de la sphère publique, pourrait permettre de traiter le nœud gordien du problème français. Il serait ainsi possible de récupérer jusqu’à 160 milliards d’euros sans casse sociale, simplement en tapant dans le gras de la dépense publique.
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Volet 2 – Les promesses politiques et institutionnelles
Patrice Huiban : Emmanuel Macron a fait, c’est assez naturel, un certain nombre de promesses sur la probité. C’est le lot d’une majorité de candidats en campagne que de vouloir assainir la vie politique française. Dans les faits, néanmoins, je ne peux pas dire que le chef de l’État ait été particulièrement assidu à ce niveau : c’est à François Hollande que revient la parenté de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), rappelons-le. Emmanuel Macron s’est également refusé à revenir aux fondamentaux de la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, rendu possible par le référendum d’initiative citoyenne. Ç’eût été une proposition forte, audacieuse, qu’il n’a évidemment jamais faite. Nous l’avons dit, le projet d’Emmanuel Macron est assez évanescent. En cas de difficulté concernant les décisions à prendre, il eût pourtant été naturel de se tourner vers le peuple. Le général de Gaulle n’hésitait pas à le faire. Depuis, nos politiques sont devenus plus faibles et ils se réfugient derrière la force des institutions. Il devient donc nécessaire de rééquilibrer le système. Et quand l’initiative référendaire ne vient plus de l’exécutif, elle doit pouvoir être rendue au peuple. C’est précisément pour donner l’illusion de cela que Nicolas Sarkozy avait créé le référendum d’initiative partagée (RIP), une véritable usine à gaz, mais il existe d’autres modèles, suisse ou italien notamment.
Il n’y a plus, en France, de juge de paix permettant d’évaluer la bonne tenue de l’action politique. C’était précisément le rôle d’un programme…
Luc Gras : En 2017, Emmanuel Macron avait formulé de nombreuses promesses, notamment celle de renouveler le paysage politique français, à travers ce qu’il appelait le « nouveau monde ». Il expliquait alors vouloir redonner la parole aux Français, partager le pouvoir, permettre aux citoyens d’avoir le sentiment de vivre dans une véritable démocratie. Voilà maintenant huit ans qu’il est président, et il est grand temps de faire le bilan de son action. Il lui est aujourd’hui beaucoup plus difficile de justifier le non-accomplissement de ces promesses. Il est encore plus compliqué pour lui de se projeter à nouveau dans des engagements. En réalité, dès son arrivée au pouvoir, avec un alignement incroyable des planètes, Emmanuel Macron a montré que le rêve d’un nouveau monde politique était surtout un argument de promotion électorale, éloigné de ses préoccupations. La première mesure qu’il a prise fut, en effet, de nommer Édouard Philippe, un cadre de l’UMP, à Matignon. Ensuite, il n’a cessé de siphonner les partis traditionnels, l’UMP et le PS notamment, pour former ses gouvernements. Hormis quelques personnalités comme Gabriel Attal, ces gouvernements ont largement été alimentés par des cadres de « l’ancien monde ». Je ne comprends toujours pas quel était le sens de son intervention de ce mardi, sauf peut-être celui de se remettre en scène en tant que président. Mais il devient de plus en plus difficile pour lui d’être dans la lumière sans qu’apparaisse un décalage entre ses promesses de 2017 et la réalité de 2025.
Sur le plan institutionnel, Emmanuel Macron avait justement dénoncé une forme d’entre-soi des acteurs politiques. Il avait posé en cela un bon diagnostic. Pour la thérapie, il avait proposé de redonner la parole au peuple, notamment par le biais du référendum. Permettez-moi de poser une question à mon tour : combien de référendums ont été organisés par le Président de la République depuis 2017 ? Zéro. Il n’y en a pas eu. Le dernier référendum, de triste mémoire, remonte à 2005, lorsque les Français ont rejeté le traité de Lisbonne, ce qui n’a pas empêché Nicolas Sarkozy de le faire adopter par voie parlementaire, par amendement, en 2008. Depuis, aucun référendum ! Ainsi, ce qu’Emmanuel Macron dénonçait pendant sa campagne, il l’a donc clairement reproduit dans sa propre pratique politique, en n’appelant jamais les Français à se prononcer. Il a d‘ailleurs pendant un temps cessé de parler de ce thème, bien qu’il ait tenté de redonner une forme de parole aux citoyens, mais toujours dans des circonstances de tensions via le Grand Débat et les Gilets jaunes ou encore via le Conseil national de la Renaissance. Mais, comme l’aurait dit Jacques Chirac, tout cela a fait « pschitt ». Jamais on n’a eu autant le sentiment d’un président gouvernait de manière verticale. Il s’est d’ailleurs lui-même déclaré être Jupiter et maître des horloges. C’est ici un recul démocratique important. Sa campagne de 2017 relevait ainsi d’un véritable storytelling, conçu par des communicants et des publicitaires pour séduire l’opinion. Mais tout cela n’a pas débouché sur un réel renouveau démocratique. On peut donc dire que, sur cette matière, tout reste à faire. Comme je le rappelle dans mon livre La démocratie en péril.
Peut-être faut-il se demander si Emmanuel Macron a su tenir certains de ses engagements ? En vérité, je vous le dis, je suis assez embarrassé par cette question. Elle me semble plutôt optimiste. Je ne parviens pas, sur le plan institutionnel, à percevoir un renouveau dans la vie parlementaire. Je ne vois pas de gouvernance plus horizontale. J’ai du mal à identifier des améliorations substantielles dans notre vie démocratique. En situation de majorité, les directeurs de cabinet, plus que jamais, les ministres, plus que jamais, ont été nommés de façon centralisée depuis l’Élysée. Les présidents de groupes parlementaires, Castaner, Legendre…, étaient fortement dirigés par les conseillers politiques du Président si ce n‘est par ce dernier directement. Je cherche, en vain, un domaine dans lequel la pratique présidentielle d’Emmanuel Macron aurait amélioré le fonctionnement démocratique sous la Ve République.
En résumé, en 2017, Emmanuel Macron a profité d’une conjoncture politique favorable (affaire Fillon, quinquennat Hollande en difficulté), à partir de là, il a su élaborer une campagne séduisante fondée sur un bon diagnostic concernant le fonctionnement démocratique de notre pays. Hélas, l’expérience a montré qu’entre l’idéal proclamé et la réalité affichée, le président actuel a succombé à la tentation de rester dans une pratique politique ancienne. C’est dommage car l’intuition était bonne, le pays pour se défendre contre ses adversaires intérieurs et extérieurs a plus que jamais besoin d ‘une démocratie renouvelée et authentique.
Raul Magni-Berton : Emmanuel Macron, plus qu’aucun autre candidat, a fait une campagne de style plus que d’engagement. Il a travaillé son image plutôt que ses propositions, en d’autres termes. Bien sûr, nous avons eu droit à quelques déclarations d’intentions, notamment concernant la moralisation de la vie politique ou le renouvellement du personnel politique, mais tout cela ressemble davantage à une campagne « de style » qu’à une série de propositions concrètes, tangibles. On peut tout de même dire que le Parlement s’est considérablement rajeuni, qu’il y a donc eu émergence de nouveaux visages en nombre. Certains sont évidemment restés en poste, mais il n’a jamais été question d’un remplacement complet. Du reste, on ne peut pas non plus dire que le président de la République s’était engagé sur des dossiers particulièrement crédibles. Rappelez-vous le nombre de rapports d’ONG qui, déjà à l’époque de la campagne, étudiaient de près la question des conflits d’intérêts au sein de l’équipe Macron. De tous les candidats, il était celui dont l’équipe en affichait le plus (plus du double par rapport au deuxième candidat du classement). Ce n’est pas particulièrement étonnant : c’est souvent le cas pour les mouvements neufs, lancés par des entrepreneurs particuliers. Les partis établis disposent souvent de bases plus larges. Mais de ce point de vue, il semblait évident que l’ambition du futur chef de l’État manquait de crédibilité. Sans surprise, il n’a d’ailleurs pas réussi à limiter les cas de conflits d’intérêts ou même à moraliser la vie politique.
Parmi les autres promesses rompues, on pourrait citer la volonté affichée de démilitariser au moins partiellement le pays. Aujourd’hui, compte tenu du contexte que l’on connaît, les dépenses militaires connaissent une hausse importante qu’il faut souligner.
Volet 3 – Les promesses économiques
Julien Pillot : Le candidat Macron avait certifié la mise en place d’une politique de l’offre. Il s’était engagé à relancer tout à la fois la croissance, la compétitivité française, l’employabilité et l’attractivité du pays pour les capitaux étrangers. Cela devait, en théorie, engager une dynamique vertueuse qui devait, par le levier de la production, créer de l’investissement, des emplois, de la fiscalité, et du pouvoir d’achat par ruissellement. Si l’on cherche à être honnête plutôt qu’à simplement s’attaquer au chef de l’État, il faut bien dire que certaines de ces promesses ont été au moins partiellement tenues. Cela n’a évidemment pas été gratuit, mais des politiques ont été mises en place et pourraient être qualifiées de “politique de l’offre”. Je pense ainsi à la transformation du CICE en baisse de charges pérenne, qui représente tout de même six points de cotisation en moins. Autant dire qu’il s’agit d’une mesure certes coûteuse, mais pas inintéressante pour quiconque veut renforcer la compétitivité du tissu productif national. Il faut aussi parler de simplification du travail, en faveur notamment de l’auto-entrepreneuriat et de la micro-entreprise. Certaines de ces impulsions ont ainsi permis de lever quelques verrous sur l’emploi, notamment du côté des jobs les moins qualifiés ou des emplois libéraux. Une fois que l’on a dit cela, il faut bien rappeler qu’il serait naïf de penser qu’un emploi en vaut nécessairement un autre. Certains sont évidemment plus productifs sur le plan du PIB, d’autres sont de meilleure qualité, notamment au regard de la qualité de vie au travail. Il est vrai que nous avons réussi à créer beaucoup d’emplois, mais il s’agissait pour l’essentiel de métiers très peu qualifiés, comme des postes de livreurs Deliveroo, par exemple. Une analyse en surface soulignera sans doute que le président Macron a su répondre à un besoin d’activité, générer davantage de cotisations, et s’approcher de son objectif de 7% de taux de chômage. Cette image vole en éclats dès lors que l’on commence à creuser et que l’on s’aperçoit que, sur l’aspect qualitatif, on parle souvent d’emplois précaires, qui ne permettent pas de vivre bien ou de bien s’insérer dans la société, notamment au regard des banques qui privilégient toujours les prêts aux titulaires de CDI. C’est un problème important pour tout un tas de raisons et si l’on se contente de la seule question économique, on peut dire que dans un contexte où l’on cherche à allonger la durée d’activité, c’est un très mauvais calcul. Il eût fallu, à mon sens, créer davantage d’emplois industriels, plus intéressants sur le plan de la création de valeur et plus durables : personne n’investit dans une entreprise avec l’idée de la fermer au bout de deux ans. La France s’est légèrement réindustrialisée sous la Présidence d’Emmanuel Macron, mais insuffisamment au regard des espoirs légitimes que véhicule une politique de l’offre.
Reconnaissons tout de même qu’il y a aussi eu une accélération du côté des emplois en CDD ou en CDI, qui permettent généralement une meilleure insertion dans la société que les autres postes précédemment évoqués. C’est une évolution positive, qui va de pair avec notre capacité à attirer des capitaux. Mais depuis 2023 au moins, tout cela stagne. Les premiers signes avant-coureurs datent même de 2022. Peut-être s’agit-il des conséquences du relâchement des aides à l’issue de la crise sanitaire ou peut-être la France n’était-elle tout simplement pas assez préparée à faire face à une concurrence en prix et en coût qui est aujourd’hui très largement imposée par les pays asiatiques, Chine en tête. D’une façon générale, la compétitivité hors prix de la France pose question. On peut tout à fait se permettre de ne pas jouer pleinement la concurrence en coût, qui finit souvent par être destructrice sur le plan de la qualité de la prestation et des conditions de travail, à condition d’être extrêmement bon sur la qualité de la prestation. Or, la France demeure coincée dans le moyen de gamme et, à de rares exceptions dont l’existence est antérieure à la Présidence de M. Macron, nos industries ne sont pas assez singulières pour émerger comme des leaders.
Je pense toutefois qu’il faut évoquer quelques leviers avec lesquels il serait potentiellement possible de jouer : il y a, d’un côté, l’investissement dans les armées qui m’apparaît aujourd’hui très largement insuffisant. Des années durant, nous avons dû composer avec un désinvestissement massif et il faut maintenant aller tout à la fois plus loin et plus vite. Le contexte géopolitique mondial l’exige. Tout autant que le contexte économique, la littérature académique montrant sans ambiguïté les effets d’entrainement positifs pour l’ensemble de l’économie qui découlent des investissements dans la défense. D’un autre côté, Emmanuel Macron voulait aussi être le président de l’écologie mais, hormis quelques effets d’annonce, il apparaît clair que le sujet ne le préoccupe pas énormément. Quand cela a pu être le cas, la question écologique était envisagée au détriment de la question économique, en témoignent les subventions renforcées aux véhicules électriques qui ont essentiellement bénéficié aux constructeurs chinois. Pas une franche réussite, donc. Or, outre de contribuer notre autonomie stratégique, les investissements dans la transition écologique peuvent à la fois être source d’économies substantielles sur le long terme (en santé, par exemple), mais aussi créer de nouvelles filières économiques où la France pourrait être compétitive. Enfin, il y a aussi le sujet de la tech et de l’innovation de manière générale. Emmanuel Macron a fait montre d’une vraie volonté de refaire de notre pays un lieu d’innovation comme de science, et le pari me semble en partie réussi. C’est plutôt quelque chose que l’on peut applaudir, mais il faut encore que des champions émergent.
Volet 4 – Les promesses budgétaires
Julien Pillot : Pour répondre convenablement à cette question, il faut commencer par rappeler qu’Emmanuel Macron n’a fait campagne qu’en 2017. En 2022, il s’est contenté de dire qu’il était le rempart contre l’extrême droite sans jamais avoir à formuler de programme ou à présenter des propositions. J’exagère sans doute un peu, mais c’est, en soi, le fond de l’histoire. C’est en 2016-2017, alors qu’il était en posture de conquête de l’Élysée pour la première fois, qu’Emmanuel Macron a fait valoir un programme ambitieux. Il s’était alors engagé à réussir là où les autres avaient échoué, c’est-à-dire sur la question de la réduction du déficit public (qu’il devait ramener sous la barre des 3 %) ou sur celle de la réduction des dépenses publiques. Dans le programme de 2017, celle-ci était chiffrée à 60 milliards sur cinq ans, dont 25 milliards concernant l’État, 15 milliards concernant les collectivités locales, 10 milliards concernant la protection sociale, et 10 autres qu’il comptait obtenir via la réforme de l’assurance chômage. Il avait aussi évoqué la réduction du fonctionnariat, s’appuyant sur la suppression de dizaines de milliers (sinon davantage) de postes de fonctionnaires.
Après huit ans de mandature et une (large) succession de gouvernements, force est de constater que ces promesses n’ont pas été tenues. À sa décharge, il faut bien reconnaître que certaines l’ont été partiellement (comme cela a pu être le cas pour la réduction du déficit, qui est resté sous la barre des 3 % deux ans durant après son arrivée au pouvoir, quand bien même c’est peut-être davantage sous la Présidence de François Hollande) et qu’il a été confronté à un certain nombre de crises inattendues. On pourrait ainsi parler de la crise sanitaire, inévitable, ou celle des gilets jaunes, qui l’était probablement bien davantage. Nul n’ignore que la crise Covid a nécessité un accompagnement que le président a jugé pertinent de mener sous la forme d’une politique de soutien de type « quoi qu’il en coûte », dont il est évident qu’elle n’a pas été favorable à la bonne tenue des comptes de l’État. Celle-ci, rappelons-le à titre informatif tout de même, a aggravé l’endettement français à hauteur de 1 000 milliards d’euros tout de même. Ce n’est pas rien, mais l’honnêteté veut que l’on précise que, comparativement au taux de croissance annuel moyen du niveau d’endettement français sous sa Présidence (+1,8%), ce n’est pas non plus aussi spectaculaire que d’aucuns pourraient le croire en brandissant le chiffre de 1000 milliards d’euros.
Concernant ls dépenses publiques, force est de constater qu’il a été rattrapé par la réalité, voire même qu’il s’est fracassé sur le mur du réel. Il est, nous le savons, extrêmement difficile de baisser la dépense publique dans ce pays qui reste, aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, un Etat Providence où on en appel à la puissance publique pour régler chaque problème, fusse-t-il conjoncturel, sectoriel ou catégoriel. En l’état de nos dépenses publiques, pour faire de vraies économies, cela implique de s’attaquer soit au chantier des retraites (dont on sait à quel point il peut être explosif…), soit aux dépenses de santé. À l’heure actuelle, nous avons plutôt tendance à déplorer le manque de moyens dans certains des corps de métier ou certaines zones géographiques — on est donc loin de penser la santé comme un secteur en surabondance de moyens. Bien sûr, il reste la question des dépenses administratives, qui ont été évoquées lors de l’intervention du président, mais cela ne représente « que » 15 milliards d’euros d’économies. On serait encore très loin du compte. Les autres postes de dépenses sont nettement moins importants. Il est toujours possible de trouver des économies dans les différents ministères ou agences de l’état, mais cela est loin d’être évident compte tenu de l’incroyable capacité de la bureaucratie à créer des mécanismes d’auto-défense, nous avons d’ailleurs déjà eu l’occasion d’en parler dans ces colonnes.
Une fois ce survol réalisé, j’aurais tout de même tendance à dire que nous n’en avons pas assez fait sur la réforme des collectivités locales, qui aurait pu être source d’importantes économies, mais aussi d’un réel choc de simplification dont le président s’était pourtant vanté alors en campagne et même après sa prise de fonction. Il lui reste deux ans pour agir sur ce levier mais en aura-t-il la capacité, alors qu’il ne dispose pas de majorité à l’Assemblée, et la volonté alors que se profilent les élections municipales en 2026. On en en droit d’en douter.
Volet 4 – Les promesses budgétaires
Christian Saint-Étienne : Comme François Hollande avant lui, Emmanuel Macron avait promis une forte réduction de la dépense publique. Sans surprise, ces engagements ont été rapidement oubliés une fois arrivé au pouvoir. L’année 2020, durant laquelle nous avons gardé le système productif fermé trop longtemps, n’est même pas la pire des années à mon sens : le mal se retrouve surtout entre 2021 et 2023. Durant toute cette période, Emmanuel Macron a totalement perdu la main sur les finances publiques. Il n’a jamais été en mesure de tenir ses objectifs et il semble que la dépense publique constitue, à ses yeux, un problème “extérieur” dont il ne se sent absolument pas responsable. Ses déclarations sur le déficit public ou la dette n’ont jamais été plus que des paroles jetées pour satisfaire un auditoire à un instant donné. Il ne s’agit pas là d’un axe central de sa politique. D’aucuns pointent parfois du doigt le “quoi qu’il en coûte”, dont il est effectivement évident qu’il a joué un rôle important dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ne perdons toutefois pas de vue que tous les pays européens ont aussi traversé cette phase. Pour autant, ils ont su reprendre en main leurs finances. Ce n’est pas le cas d’Emmanuel Macron, qui a continué à dépenser. Il n’a peut-être pas été très bien entouré par ses ministres, mais je pense surtout que la situation a commencé à déraper dès 2018 avec la crise des Gilets jaunes. Cette crise lui a fait très peur. En décembre 2018, il lâche 15 milliards d’euros en quelques heures. À partir de là, il a renoncé à tout contrôle. Il avait eu, dans les douze premiers mois, une attitude laissant croire qu’il allait adopter une politique de rigueur, de réduction des dépenses. Mais dès les Gilets jaunes, cette posture s’est envolée, et il n’a jamais tenté de reprendre la maîtrise des finances publiques.
Dorénavant, on fait mine de découvrir que la dépense publique française dépasse de 8,5 points la moyenne européenne. En vérité, voilà 20 ans qu’on le sait ! Pire encore : cette comparaison n’a de sens que si l’on exclut la France du calcul de la moyenne de la zone euro. Parce que ses dépenses sont si élevées, l’Hexagone fait gonfler la moyenne, ce qui fausse, in fine, la comparaison. Dans ce cas de figure, on réalise alors que l’on tourne davantage autour de 9 points d’écart, dont 6 correspondent à la seule protection sociale. Autrement dit, il n’y a eu aucune volonté de traiter le sujet de manière structurelle.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul point qu’il a refusé d’envisager de cette manière. La réindustrialisation n’a jamais réellement été au cœur de son action. Emmanuel Macron gouverne en tacticien, à court terme. Il n’a ni vision de long terme, ni volonté de s’engager sur cette durée.
Volet 5 – Les promesses relatives à l’Europe et à la place de la France
Patrice Huiban : Sur la question de l’Europe, le président de la République a, me semble-t-il, préféré les déclarations d’intentions aux promesses. Il a fait savoir qu’il comptait s’appuyer sur l’Europe, mais pas celle qu’envisageait le général De Gaulle. Rappelons, ainsi, que le général prévoyait de faire de l’Europe un levier d’Archimède de puissance pour chacun des États membres, au premier rang desquels la France. Il n’était pas question, alors, de créer un super-État. Or, la politique européenne d’Emmanuel Macron, par son tropisme fédérale, est de nature à tuer l’idée même de l’Europe. Les fédéralistes constituent ainsi le principal danger pour l’idée de coopération sur le continent. Ils sont en train de monter les peuples contre l’Europe en confiant toujours plus de compétences à la Commission européenne sans légitimité démocratique, transformant les gouvernements issus des urnes en boîtes aux lettres. Ils travaillent à confier toujours plus de prérogatives à cette Commission européenne qui est par ailleurs très largement sortie de son champ d’expertise puisque ses compétences exclusives concernent la zone euro et le marché unique. La Commission, sans légitimité, bénéficie pourtant du monopole de l’initiative législative. À titre de comparaison, c’est un peu comme si le Parlement français ne pouvait pas déposer de propositions de loi, mais simplement donner son avis, soumettre des amendements sur des projets de textes élaborés par l’administration.
L’Union européenne, plutôt que de se focaliser sur les quelques sujets sur lesquels chaque Etat membre n’a pas la taille critique pour rivaliser avec la Chine et les États-Unis (c’est-à-dire le spatial, le numérique, l’industrie de défense, l’IA, l’aéronautique, etc.), vit sur ses acquis et se fait assez logiquement doubler sur ces sujets. Nous fonctionnons à l’envers : au lieu de traiter les sujets de son niveau, l’UE s’occupe de la taille de la banane, de la taille des cuvettes des toilettes (5 litres, pas un cl de plus !), d’attacher les bouchons sur les bouteilles en plastique, d’imposer aux poissonniers du continent le nom latin de leurs produits sous le nom commun, etc., alors qu’un marché unique ne signifie pas tout aligner au cordeau ! Regardez les Etats-Unis : c’est un marché unique et pourtant les états fédérés ont aujourd’hui plus de pouvoirs que les états membres de l’UE sur beaucoup de sujets en dehors des affaires étrangères, des forces armées et de sécurité fédérales.
Raul Magni-Berton : Emmanuel Macron souhaitait incarner une France tout à la fois très européiste, mais aussi leader en zone euro. Force est de constater, aujourd’hui, que la France peine à se saisir du leadership dont le président souhaitait qu’elle s’empare. Elle est confrontée à beaucoup de résistances, sur l’essentiel des projets existants. Dans le même temps, il faut aussi souligner qu’elle conserve un poids très important, ce qui lui permet de bénéficier de quelques largesses ; notamment sur le volet budgétaire. L’Europe ménage la France en lui permettant à demi-mots des déficits plus élevés que ne l’autorise le règlement, en ne l’attaquant pas du fait de ses dettes. De plus, la France s’impose aujourd’hui comme le pays de l’armée (quand bien même les récents événements poussent l’ensemble des pays membres de la zone euro à se mobiliser de ce côté), ce qui contribue à faire rayonner l’Hexagone en Europe. Pas assez, toutefois, pour permettre à Emmanuel Macron d’orienter la politique européenne ainsi qu’il pourrait le souhaiter.