Aller au contenu principal

LES FRANÇAIS ET L’ARGENT : LE PATRIMOINE EST UN REFUGE DANS UN CLIMAT DE DÉFIANCE VIS À VIS D’UN ÉTAT DÉPENSIER, ENDETTÉ ET CONFISCATEUR (HYPER FISCALISÉ)

ARTICLE – «L’incertitude fiscale liée à la dette pourrait générer une société de défiance»

Par Boris Intini LE FIGARO 7 6 25

De récentes études démontrent l’inquiétude des Français pour le budget du pays. Dans ce contexte, ils voient la propriété physique et l’épargne comme leurs derniers filets de sécurité, à condition qu’ils ne soient pas surimposés, explique le spécialiste du patrimoine Boris Intini.

Boris Intini est dirigeant d’une société financière et spécialiste des enjeux patrimoniaux.


La représentation de l’avenir explique pour une grande part le comportement des agents économiques. Ce sont les anticipations qui vont fonder nos prédispositions à investir ou non, à consommer ou non, à épargner plus ou moins. Notre rapport à l’argent signe notre perception du futur, il souligne l’état de notre moral, il dit tout autant de nos appréhensions que de nos attentes. Il est à la fois intime et collectif, mêlant psychologie individuelle et mémoire sociale, réflexes familiaux et cadres institutionnels.

Une étude récente publiée en début d’année par l’observatoire Cetelem a montré que les Français étaient le peuple le plus pessimiste de l’UE. La note sur 10 qu’ils accordent à la situation de la France (4,6) est sensiblement en dessous de la moyenne générale (5,3) à partir de laquelle les citoyens des autres pays européens jugent leur propre contexte national. Parmi les raisons de cette dépression hexagonale, l’instabilité politique, le contexte international entre autres, mais aussi une anxiété générée par la dette publique dont la conscience paraît s’aiguiser dans les préoccupations de nos concitoyens. Un autre sondage délivré par l’Institut Odoxa en avril 2025 objective que 83 % des Français se disent préoccupés quant aux perspectives économiques, et particulièrement inquiets de l’évolution de nos finances publiques.

D’autres données, un peu plus anciennes par ailleurs, corroborent en profondeur ce diagnostic dépressif dès lors que l’on interroge les parents sur l’avenir de leurs enfants : une majorité des premiers jugent que les seconds auront une existence plus difficile que la leur. Cette perte de foi ou d’espoir est en soi un indicateur profond de notre grand malaise national. Dans un peuple comme le nôtre, porté par cet «imaginaire projectif» dont parle le politologue Stéphane Rozès, le constat dit tout de la crise de notre modèle républicain. L’ascenseur social est non seulement en panne, mais pire encore le risque de déclassement devient dominant.Propriétaires, épargnants, souvent épargnants pour être propriétaires ou propriétaires pour pouvoir épargner et mieux transmettre, les Français sont culturellement patrimoniaux : ils veulent posséder

Les Français sont des révolutionnaires qui aiment la stabilité. Et c’est souvent parce qu’ils recherchent la stabilité qu’ils procèdent initialement à des ruptures révolutionnaires. La grande réussite de la Révolution française est d’avoir permis à un peuple de paysans de devenir un peuple de petits propriétaires — ce qu’avait parfaitement compris Napoléon en se voulant le clôtureur tout autant que le continuateur de la grande Révolution. Propriétaires, épargnants, souvent épargnants pour être propriétaires ou propriétaires pour pouvoir épargner et mieux transmettre, les Français sont culturellement patrimoniaux : ils veulent posséder, non pas posséder pour posséder mais posséder pour pérenniser et protéger leurs proches.

La relation à l’argent, qui explique tant de nos comportements sociaux et politiques, est aussi une relation au temps, à la projection que l’on se fait de sa vie, à des traits de culture. Elle acte nos invariants. Sur fond de menaces de crise budgétaire et de panne de croissance, au moment même où un rapport du FMI préconise des réformes structurelles pour résorber nos déficits publics, les fondamentaux de nos comportements collectifs interrogés par cette incertitude existentielle témoignent du doute et de la prudence. Le marché de l’immobilier, après un modeste frémissement, est à nouveau atone, en retrait probablement même dans les prochaines semaines. L’expectative domine face au mur de la dette, tout est en suspens, car le plus important est de se protéger et de protéger sa famille. Vieux réflexe de repli, de retour à la préservation patrimoniale, à la volonté par «gros temps» d’en revenir à une forme d’enracinement.

Ce réflexe n’est pas un caprice : il est un mécanisme de survie sociale. Patrimoine, patrie, père : la perpétuation est un enjeu que le détail de nos angoisses de l’époque rappelle. La société liquide dont on nous annonçait l’avènement ne fait pas événement. À partir du moment où le politique n’apparaît plus en mesure de répondre à sa promesse de projection et aussi de protection, le besoin d’enracinement du citoyen est indissociable de son lien au patrimoine. La société se re-solidifie, non pas par le haut, par la puissance publique, mais par le bas, par une forme de nécessité mécanique et fonctionnelle. Dès lors, le refuge patrimonial, symbolique de la volonté de transmettre, est l’un des outils de cette re-solidification par les individus et surtout par les familles, formes traditionnelles par vocation de l’organisation des sociétés.La France figure parmi les pays les plus taxés au monde en matière de succession : jusqu’à 45 % en ligne directe, contre 0 % au Portugal, 4 % en Italie, et 7 % en Allemagne

En France, 58 % des ménages sont propriétaires de leur résidence principale (Insee, 2023). Ce chiffre monte à près de 75 % si l’on ajoute résidences secondaires et biens locatifs. Chez les 25-34 ans, malgré la précarité croissante, 42 % déclarent vouloir acheter un logement dans les cinq prochaines années. Mais cette aspiration à donner du sens via la transmission patrimoniale se heurte en France à une fiscalité des plus confiscatoires d’Europe. La France figure parmi les pays les plus taxés au monde en matière de succession : jusqu’à 45 % en ligne directe, contre 0 % au Portugal, 4 % en Italie, et 7 % en Allemagne. C’est bien le sujet de l’acceptabilité de notre modèle étatique, puissant, redistributif, qui est interrogé au moment où l’État n’est plus en mesure de garantir la cohésion sociale tout en continuant néanmoins à exercer une pression fiscale censée in fine garantir notre pacte républicain.

Ce nœud gordien ne manquera pas de s’avérer déstabilisant si nos compatriotes ne pouvaient plus à terme continuer, sous la menace de la crise budgétaire, à s’adosser tout à la fois à leur épargne et à leur patrimoine, deux stabilisateurs sociaux, fruits de l’initiative et du travail des individus. Dans une société où l’État-providence semble en reflux et l’ascension sociale de plus en plus incertaine, le patrimoine reste l’un des derniers filets de sécurité. Ce qu’il reste de société de confiance serait corrodé au point de généraliser une société de défiance dont les métastases nous feraient alors entrer dans une zon

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.