
ARTICLE – RÉVEILLONS LA DÉMOCRATIE DANS NOS COMMUNES !
20/05/2025. YVON ROSCONVAL FONDATION JEAN JAURÈS
Alors que l’échelon communal demeure un modèle de proximité pour les citoyens, son fonctionnement révèle un profond déficit de représentativité et de contre-pouvoirs. Yvon Rosconval, conseiller municipal de Triel-sur-Seine et animateur du Collectif 78 des élus locaux minoritaires, montre dans cette note que le modèle municipal est lui aussi traversé par une crise démocratique. Moins d’un an avant les élections municipales, il invite à repenser la démocratie locale et notamment le statut des élus afin de la revivifier en renouant ainsi avec la confiance des citoyens.
Proche de nos concitoyens, la commune reste l’institution qui conserve le plus haut niveau de confiance des Françaises et des Français. Cette proximité masque cependant une réalité souvent ignorée, celle d’un profond déficit de démocratie représentative. Les conseils municipaux sont loin de constituer des modèles de transparence et de délibération, une situation d’autant plus préoccupante dans la perspective d’un futur acte de décentralisation.
Cette note en précise les causes et explore des solutions pour renouveler un modèle démocratique à bout de souffle en l’absence de réformes de fond depuis les lois Defferre en 1982. L’opportunité de contribuer ainsi à l’émergence d’une culture du compromis que beaucoup appellent de leurs vœux depuis les dernières élections législatives.
La gouvernance de nos villages et villes est loin de constituer un modèle abouti de démocratie. En 2012, dans un rapport1 remis au président de la République, Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Giran en dressait un état des lieux dégradé en comparaison de la démocratie parlementaire. Et le député Union pour un mouvement populaire (UMP) de regretter qu’au niveau de la démocratie locale, « on ne retrouve pas ces progrès dans le fonctionnement ni cette stabilité dans les institutions. Bien au contraire, si les collectivités territoriales ont connu depuis vingt ans de fortes mutations, les conditions d’exercice du mandat des élus locaux n’ont pas toujours fait l’objet de suffisantes précautions2 ».
Ce constat est toujours d’actualité. En réalité, depuis les lois Defferre3 en 1982, le fonctionnement démocratique des conseils municipaux n’a pas enregistré de progrès significatif. Plus de quarante ans après, la démocratie représentative dans nos communes ne s’est toujours adaptée aux profondes mutations de notre société, intervenues depuis près d’un demi-siècle. Autrement dit, la démocratie dans nos communes en est restée à l’ère du Minitel !
Un ersatz de démocratie représentative, en l’absence de contre-pouvoirs
Les conseillers municipaux d’opposition sont en première ligne pour mesurer la dichotomie entre la promesse républicaine et leur vécu d’élus minoritaires. Ils sont aux premières loges pour constater les entraves à leurs missions de contrôle de l’action publique et de contre-pouvoir, pourtant consubstantielles à la démocratie. Une réalité souvent méconnue de nos concitoyens.
Probablement ignorent-ils cette disposition du Code électoral qui, dans les villes de 1000 habitants et plus – et demain dans toutes les communes –, octroie d’emblée 50% des sièges à la liste arrivée en tête, l’autre moitié étant répartie à la proportionnelle entre l’ensemble des listes4. Cette prime majoritaire, pensée pour stabiliser l’action municipale, produit aujourd’hui un effet inverse : elle appauvrit le débat, dissuade l’engagement, concentre l’essentiel du pouvoir entre les mains d’un très petit nombre d’élus et déresponsabilise les élus minoritaires. Elle prive aussi les citoyens de la diversité de représentation qu’ils sont en droit d’attendre avec 75 à 80% des sièges attribués à la liste ayant obtenu le plus de suffrages malgré des écarts de voix parfois très faibles.
En nombre réduit pour exercer leur mandat, prime majoritaire oblige, les élus minoritaires sont confrontés à des inégalités de traitement. Quand, pour exercer leurs responsabilités, le ou la maire et sa majorité disposent du soutien et du professionnalisme des services de la commune, les élus d’opposition en sont le plus souvent privés. Pire, selon une récente enquête5, près de 90% déplorent un accès entravé aux nécessaires informations sur les projets structurants de la ville ou encore sa situation financière et comptable.
Difficile de délibérer sereinement dans de telles conditions ! D’autant que le pouvoir d’intervention des élus minoritaires en conseil municipal est singulièrement réduit. Veulent-ils inscrire une question à l’ordre du jour dans l’intérêt de leurs concitoyens6 ? Le ou la maire ne donne pas suite à leur demande, selon plus de huit élus sur dix interviewés dans le cadre du Baromètre de la démocratie locale7.
L’examen de la presse municipale, pourtant financée par l’argent public, est également révélateur d’une entrave au droit d’expression des élus de la minorité. Il se limite à une tribune qui, pour près de 80% de ces conseillers, n’excède pas 2000 signes (moins d’une demi-page) dans le magazine communal. Quant à l’expression sur les réseaux sociaux et le site internet de la commune, plus de 85% des élus d’opposition déclarent ne pas y avoir accès8. Cette situation de quasi-monopole favorise politiquement la majorité pendant toute la durée du mandat et donne tout son sens à la fameuse « prime au sortant ».
Et comment ne pas évoquer des conditions d’exercice du mandat ? Les conseillers municipaux minoritaires disposent de faibles moyens matériels pour remplir leur mission. Ils dépensent, sur leurs deniers personnels, 300 euros en moyenne par an (communication, courriers, reprographie, déplacement, assurance juridique, abonnements…) pour exercer un mandat auquel ils consacrent bénévolement 3,5 jours en moyenne par mois, le plus souvent sans la moindre compensation, comme le montre une enquête réalisée dans le département des Yvelines9.
Autant d’éléments de constat qui expliquent un taux de démission trois fois plus important dans les rangs des conseillers municipaux d’opposition, selon le Baromètre de la démocratie locale10. Ce sont des élus qui s’interrogent à juste titre sur le sens de leur engagement et refusent d’être assignés au rôle de simple alibi d’une démocratie de façade, où le ou la maire concentre l’essentiel des pouvoirs.
Une hyperprésidentialisation préjudiciable à la délibération
Pourtant élu/élue par le conseil municipal, le ou la maire ne peut pas être démis de ses fonctions par un vote de cette même instance.
Grâce à sa large majorité, la réglementation11 lui permet de s’octroyer des compétences qui relèvent a priori du conseil municipal. Ainsi, il peut gérer unilatéralement les affaires de la commune dans un large éventail de domaines : finances, passations de marché, urbanisme, juridique, sécuritaire, scolaire… C’est le 49-3 permanent !
Dessaisi de ses prérogatives et incapable de véritablement délibérer, le conseil municipal, notamment les élus minoritaires, ne dispose pas de la transparence nécessaire à l’exercice de ses fonctions de contrôle et d’évaluation.
Si toutefois des élus de la majorité décidaient de contester les choix du ou de la maire, bien mal leur en prendrait. Sans nécessairement motiver sa décision, il ou elle peut par simple arrêté démettre un adjoint ou un conseiller délégué, avec pour effet immédiat la perte de son indemnité12. Un tel lien de subordination laisse peu de place à l’expression d’avis contradictoires aux orientations ou décisions du/de la maire.
À cette concentration interne du pouvoir s’ajoute l’impuissance des contre-pouvoirs institutionnels censés garantir l’équilibre démocratique. Les autorités préfectorales – dont la mission est pourtant de veiller au respect de la loi – restent le plus souvent sans réaction. Moins d’un tiers des saisines adressées par des conseillers municipaux d’opposition donne lieu à une réponse13. Et elle se borne le plus souvent à reprendre les arguments du/de la maire. Un récent rapport de la Cour des comptes éclaire cette situation dégradée : « l’exercice des contrôles de légalité et budgétaire confiés aux préfets est fragilisé par l’érosion des moyens humains. Certaines préfectures ne sont plus en mesure de respecter les délais réglementaires de réponse aux collectivités territoriales14 ». Les contre-pouvoirs institutionnels sont donc eux aussi fragilisés, voire neutralisés.
Tels sont les ingrédients d’une véritable présidentialisation de l’exécutif municipal. Un mode de gouvernance d’autant plus préoccupant dans la perspective d’une nouvelle vague de décentralisation revendiquée par les associations d’élus, l’Association des maires de France en tête.
La démocratie, angle mort de la décentralisation
Les lois Defferre ont la particularité d’avoir conjugué décentralisation et progrès de la démocratie locale, même timidement. Depuis, des évolutions sont intervenues sans pour autant amplifier cette dynamique. Ainsi, comme le précise un récent rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale : « il est apparu que la France ne parvenait plus à retrouver l’élan décentralisateur initié par les lois Defferre de 1982 et 1983 et que le législateur ne parvenait plus, depuis lors, à résoudre les dilemmes inhérents à tout processus de décentralisation. La vie politique locale, confrontée aux pesanteurs d’un système institutionnel complexe et peu propice à l’esprit de responsabilité, doit aujourd’hui faire face aux symptômes d’une crise démocratique de plus en plus profonde15 ».
La réponse à cette crise démocratique n’est pas venue du rapport16 qu’Éric Woerth a remis au président de la République quelques semaines avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Un texte qui devait a priori constituer les fondations d’une future loi de décentralisation.
À aucun moment n’y sont évoqués le contrôle de l’action publique, le processus de délibération, la transparence, d’autant plus nécessaires avec une nouvelle redistribution territoriale des compétences. Rien sur la place des citoyens et leurs élus locaux. Le rapport se contente de « consacrer le rôle du maire comme « premier mètre » de l’action publique17 », le conseil municipal peut attendre !
Les maires ont raison : une plus grande décentralisation, c’est plus de libertés et de compétences locales pour mieux servir l’intérêt général. Cependant, dans une société démocratique, une telle transformation ne peut se concevoir sans contre-pouvoir, notamment celui des élus minoritaires qui, pour exercer pleinement leurs devoirs, doivent être renforcés dans leurs droits et leurs moyens d’actions.
Ce ne sont pas tant les personnes que le système et la réglementation qui sont en cause. On peut dès lors s’étonner du silence des partis politiques, qui dure depuis bien trop longtemps…
Évaluer, expérimenter, proposer pour légiférer efficacement
Au pays des Lumières, est-il mal venu de questionner un modèle démocratique de proximité dévitalisé ? Probablement, à en croire le mutisme des partis politiques qui, pour la plupart, préfèrent depuis plusieurs décennies concentrer leurs critiques et propositions sur les institutions nationales. Impliqués dans la gestion des communes, ils ne sont pas sans ignorer l’état dégradé de la démocratie de proximité, mais préfèrent opter pour le statu quo, comme le font également les parlementaires de tous bords.
Pourtant, jamais depuis la création de la VeRépublique la notion de coalition n’a été aussi présente dans les discours des responsables politiques. Jamais, depuis 1958, ces mêmes responsables n’ont autant appelé de leurs vœux une culture du compromis, encore récemment pourfendue par ceux qui en sont aujourd’hui les promoteurs. Au-delà des déclarations d’intention à l’issue des dernières élections législatives, Il leur appartient maintenant de poser des actes.
Aux mêmes maux les mêmes remèdes ! Ce qui relèverait aujourd’hui du possible à l’échelle nationale l’est tout autant dans nos communes. Aux élus locaux et aux parlementaires d’en créer les conditions, pour transformer un modèle dont le seul objectif est de garantir à la liste majoritaire la stabilité pour gouverner la commune, au mépris d’un principe pourtant intangible : une personne, une voix.
Comment repenser en profondeur ce modèle de démocratie locale aujourd’hui en panne ? Comment favoriser l’émergence d’une culture du compromis en politique ? Comment faire vivre la démocratie entre chaque échéance électorale ? Comment garantir une meilleure transparence de l’action publique locale ? Comment faciliter la construction de coalition au service de l’intérêt général ? Comment, sans exclusive, amplifier l’engagement citoyen, en particulier les catégories socio-professionnelles les moins favorisées et les plus jeunes générations ? Autant de questions, et bien d’autres, qui, sans remettre en cause le rôle du/de la maire et sa légitimité, permettront de rétablir les conditions d’un fonctionnement démocratique équilibré, respectueux du droit, du débat et de la pluralité.
Pour y répondre, le moment est probablement venu d’inviter les parties prenantes – ministres, parlementaires, mouvements politiques, élus locaux, chercheurs, acteurs associatifs et citoyens – à converger vers un diagnostic documenté de la démocratie de proximité dans toutes ses dimensions, représentative bien sûr, mais aussi participative, directe et sociale.
C’est le sens de la proposition phare du Collectif 78 des élus locaux minoritaires, celle de créer un observatoire national de la démocratie locale qui serait un outil de vigilance, et aussi de transformation démocratique.
En France, nombreux sont les observatoires qui participent à informer et enrichir le débat public dans une grande diversité de domaine : l’économie avec l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la qualité de vie au travail, la biodiversité, les finances publiques locales… Paradoxalement, aucun dispositif pour prendre le pouls de la démocratie locale.
Aucun observatoire de la démocratie locale, alors qu’il constituerait pourtant une invitation à faire un pas de côté pour établir un état des lieux global et précis du modèle actuel, repérer les bonnes pratiques et les promouvoir, ainsi que pour élargir la focale afin de s’inspirer des modèles à l’œuvre en Europe. Outre la France, seules l’Italie et la Grèce recourent à une forme de prime majoritaire. Les autres pays font appel à des systèmes proportionnels ou mixtes sans prime majoritaire pour les élections locales. Dès lors, la réalisation d’un benchmark trouve tout son sens pour explorer la réglementation électorale dans ces différents pays, le fonctionnement des instances délibératives, les relations État/collectivités territoriales, l’efficience de l’action publique locale ou encore la citoyenneté.
Cet observatoire serait aussi une belle opportunité pour libérer l’initiative via des expérimentations locales sources d’enseignements pour, enfin, s’extraire d’un modèle unique aujourd’hui inadapté à la disparité des réalités et à la diversité des attentes.
Évaluer, expérimenter et proposer, n’est-ce pas ainsi que se révèlera le champ des possibles pour ensuite inviter les parlementaires à légiférer efficacement ? Un tel exercice introspectif, mené en toute transparence, ne serait-il pas mesure de contribuer à rétablir un climat de confiance envers les institutions ? Elles en ont bien besoin !
La commune, pierre angulaire d’un renouveau démocratique
Selon le dernier baromètre du Cevipof, 70% des Françaises et des Français n’ont pas confiance dans la politique et 68% considèrent que la démocratie en France ne fonctionne pas bien18. Ces deux chiffres, associés au bilan des dernières élections législatives, justifient le nécessaire « big bang institutionnel », tant nos concitoyens se sentent éloignés des lieux de pouvoirs, là où leur avenir et celui de leurs proches se décident.
De ce point de vue, les communes disposent de nombreux atouts pour entreprendre la nécessaire reconquête démocratique en France et résister aux coups de boutoir populistes. À commencer par le capital de confiance à l’égard des maires (60%) et des conseils municipaux (59%)19, sans oublier le niveau d’engagement que suscitent les élections municipales avec près d’un million de candidats en 2020 et plus de 500 000 conseillers municipaux élus20. Une singularité française qui témoigne de l’intérêt de nos concitoyens pour la chose publique.
Demain, si le courage politique est au rendez-vous, les communes auront vocation à devenir la locomotive d’un renouveau démocratique global pour répondre à l’aspiration d’une majorité de Françaises et Français, celle de relations politiques apaisées, respectueuses et constructives.
Par le changement audacieux des règles du jeu, nos villes et nos villages peuvent s’affirmer comme l’espace de la délibération et du compromis, au service de l’intérêt général que seul un système démocratique est en mesure de garantir. Ils peuvent aussi jouer le rôle d’incubateur des futurs élus départementaux, régionaux et nationaux à même de déployer durablement ce changement culturel au sein de toutes les institutions, nationales et territoriales.
Rénover par la base est également essentiel pour consolider un système dont la fragilité actuelle nous expose aux velléités d’ancrage local de mouvements politiques d’inspiration autocratique, aux antipodes des valeurs républicaines. Restaurer la confiance reste le meilleur antidote contre les populismes qui fondent leur réussite électorale sur la défiance des Françaises et des Français à l’égard des institutions. Restaurer la confiance passerait aussi par des instances locales plus proches, représentatives, pluralistes, à l’écoute et bienveillantes.
Cette invitation à faire société est vitale, tant les défis environnementaux, économiques, sociaux et sociétaux qui se dressent devant nous supposent des institutions irriguées par le sens de la nuance, la faculté à négocier et la capacité à construire des convergences. Les communes et leurs élus sont légitimes à en être les « premiers de cordée ». Alors, osons la démocratie pour une action publique efficiente et transparente.