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PHILOSOPHER AVEC METAHODOS : LE RÊVE D’UN TERRIER IDÉAL

« Le Terrier » de Franz Kafka par le philosophe Peter Szendy

Vendredi 20 juin 2025. FRANCE CULTURE

Le philosophe Peter Szendy évoque « Le Terrier » de Franz Kafka, un petit conte inquiétant et inachevé sur une taupe paranoïaque qui n’a qu’un rêve, celui de bâtir le terrier parfait, à l’abri du monde, de ses bruits et de ses dangers, jusqu’à faire de son chez-soi le lieu de toutes les menaces…

Avec

  • Peter Szendy, professeur en littérature comparée et en humanité à l’Université de Brown aux Etats-Unis, conseiller auprès de la Philharmonie de Paris

La passion du philosophe Peter Szendy pour Kafka lui a été transmise par son père qui lui racontait beaucoup d’histoires : « Le Terrier est un conte sans moralité sur l’écoute, question qui est pour moi liée à l’interruption, à la ponctuation. Ecouter les récits de mon père, c’était se laisser porter par un flux impossible à interrompre. Or j’ai petit à petit pris conscience du fait que l’écoute n’était pas passive, mais active : c’est tout une gamme de possibilités, ce que j’ai perçu dans le texte de Kafka plusieurs années après l’avoir découvert. »

Ecouter pour quelqu’un

«  »L’écoutaire » est la personne à laquelle on adresse son écoute« , explique Peter Szendy, qui considère que l’écoute dépasse la concentration sur un objet, car elle sert aussi à transmettre ce qu’on reçoit. Et c’est la question centrale de la nouvelle de Kafka, qui s’interroge sur la possible rencontre de deux écoutes. Le philosophe explique que le bruit qu’entend le narrateur, dont on devine qu’il s’agit d’une taupe sans que ce soit jamais explicité, est moins « un bruit qu’on entend depuis chez soi que le bruit de chez-soi par excellence« . Et Peter Szendy de citer Derrida, qui rappelait que l’immunité du chez-soi était une immunité contre laquelle il fallait se prémunir : « quelque part, il faut se défendre contre la défense même, il faut que le terrier demeure ouvert, et apprendre à se garder de ce qui nous garde. Finalement, être chez soi, c’est une constante négociation entre la porosité et l’étanchéité.

Peter Szendy propose le mot « surécoute » pour désigner l’écoute de surveillance : « je me suis beaucoup intéressé à l’équivalent pour l’écoute du panoptique de Foucault, et à la discipline intériorisée qu’il implique. Pour moi, l’écoute n’est pas uniquement une source d’angoisse,  je suis captivé par la tension vers ce qui va advenir, par le qui-vive qui en découlent. » Mais l’écoute peut aussi à l’inverse être distraite ou flottante, comme en psychanalyse où, comme l’explique Freud, « c’est dans les moments où on n’attend rien que surgit quelque chose de créatif, dans les moments de distraction que l’écoute devient inventive ».

« Plus je lis Deleuze, moins je le comprends »

Peter Szendy a beaucoup lu Deleuze entre 25 et 30 ans : « je le lisais vite et avec une certaine fluidité, jusqu’au moment où j’ai dû l’enseigner. C’était incroyablement difficile d’expliquer comment il passait d’une phrase à une autre. Lire Deleuze pour d’autres est devenu énergivore. »

Extraits sonores :

  • Archive de Max Brod de 1968
  • Lecture par Nicolas Berger d’extraits de « Le Terrier » de Franz Kafka, dans Un Jeûneur et autres nouvelles, GF Flammarion, traduction de Bernard Lortholary, 1931, pp.150-151, puis pp.170-171
  • Archive de Jacques Derrida du 17 décembre 2001, « Surpris par la nuit », France Culture
  • Extrait de L’Abécédaire de Gilles Deleuze, documentaire de Pierre-André Boutang, 1996

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