
ÉMISSION – « Le Cimetière marin » et « La Jeune Parque », des appels à la vie
Jeudi 3 juillet 2025 FRANCE CULTURE
En 1921, Paul Valéry est consacré par la revue Connaissance comme le plus grand poète de son temps, rien de moins ! Mais aujourd’hui, patrimonialisé, immortalisé, il souffre peut-être d’avoir figé tous les topoï lyriques dans une perfection formelle. Dépoussiérons ces deux poèmes existentiels !
Avec
- William Marx, historien de la littérature, professeur au Collège de France
- Matilde Manara, docteure en littérature comparée et chercheuse à l’ENS
Aujourd’hui, parce qu’on connaît leurs titres ou peut-être quelques vers, parce qu’ils sont appris sur les bancs de l’école mais peut-être enfouis dans nos mémoires ou bien trop rangés dans le patrimoine culturel, on révise deux classiques de la poésie de Paul Valéry, de quoi en redécouvrir toute leur vitalité et toute leur beauté.
« La Jeune Parque », un musée de figures de styles ?
Ces deux classiques, ceux qui ont traversé les années jusqu’à nous, et marqué les esprits, ce sont La Jeune Parque (1917) et Le Cimetière marin(1920).
La Jeune Parque, nous explique Matilde Manara, docteure en littérature comparée et chercheuse à l’ENS, « c’est le poème valérien qui brise ce qu’on appelle le grand silence de Valéry, après la toute aussi célèbre Nuit de Gênes ». Pour elle, « ce poème est un tombeau et rassemble l’ensemble de tous les topoï lyriques. Si ce texte a survécu, et s’il était si important à l’époque, au-delà de sa perfection formelle, c’est qu’il fige un questionnement intime sur la survie du poème-même dans ce musée de figures de style, d’images qui arrivent jusqu’à nous dans leur cristallisation mais avec une possibilité de demeurer vivants« .
William Marx, professeur au Collège de France, auteur de plusieurs essais sur la littérature, et à qui l’on doit la publication et l’édition des deux volumes des Cours de poétique de Paul Valéry (éditions Gallimard), nous confie sa vision du poème de plus de 500 vers : « Ce qui est frappant dans ces deux poèmes, c’est qu’ils sont totalement existentiels. La Jeune Parque s’interroge elle-même sur qui elle est, et cette question se pose pour Valéry lui-même : que veut dire sortir d’un silence qu’il s’est imposé à lui-même près de 20 ans ? Et après cette guerre, y aura-t-il encore une langue française ? Mais dans ce poème, ce que Valéry raconte, ce n’est pas seulement une situation individuelle ou nationale mais une question propre à toute conscience : qu’est-ce que c’est que parvenir à la conscience ? Continuer à exister quand on est assailli de doutes, de pulsions en nous qui peut-être nous tendent vers la mort, vers le suicide… car ce poème raconte cette tentation« .
« Le Cimetière marin », sortir de la poésie pour entrer dans le réel
Le Cimetière marin s’ouvre sur une méditation dans un cimetière au bord de la mer, sous le soleil méditerranéen. Tout semble figé dans une sorte d’immobilité de l’être. Comme si, comme nous le raconte William Marx, « l’être allait continuer de manière perpétuelle. Et le poème raconte précisément la destruction de cette illusion d’abord poétique, mais aussi existentielle et philosophique. Le poète, narrateur, va passer par différents stades pour comprendre qu’en fait, il faut sortir de ce statisme. La conscience est toujours divisée, en lutte, et c’est à cette lutte qu’on assiste. Au bout du compte, que se passe-t-il ? Il faut entrer dans le mouvement, dans l’existence, sortir de la pensée qui est un drame délétère, sortir de l’illusion, des mots, sortir de la poésie pour entrer dans le réel« .
Peut-être que le point commun de ces deux poèmes est donc qu’ils dépeignent une lutte pour sortir de quelque chose, d’un état… Ils sont finalement des appels à la vie, d’où la longueur de ces vers, car il faut cheminer pour traverser toutes les étapes menant à cette finalité.
William Marx émet l’hypothèse que pour Valéry il s’agit de faire entrer le lecteur dans le mouvement même de la pensée, et qu’à la différence de Mallarmé, Valéry est un poète pour qui le poème n’est pas « l’exploration du réel par le langage, mais l’exploration de la subjectivité, et qu’il utilise celle-ci pour créer une oeuvre d’art mais surtout transformer le lecteur afin qu’il soit lui-même transformé par le poème !« .
Sons diffusés durant l’émission :
◦ Extrait de La Jeune Parque, de Paul Valéry, lu par Vera Feyder, 30/07/1968
◦ Extrait du Cimetière marin, de Paul Valéry, lu par Michel Etcheverry, 23/10/1971
Les ouvrages de nos invité·e·s autour de Paul Valéry :
◦ Valéry au Collège de France, sous la direction de William Marx et Matilde Manara, aux éditions du Collège de France (2025)
◦ Éditions des deux volumes des Cours de poétique de Paul Valéry par William Marx aux éditions Gallimard collection Bibliothèque des idées (2023)
◦ Vivre dans la bibliothèque du monde, de William Marx, aux éditions du Collège de France (2020)
◦ L’intelligence du poème, lyrisme et pensée chez Valéry, Rilke, Stevens et Montale, de Matilde Manara, aux éditions Classiques Garnier (2023)