
Jean-Hervé Lorenzi: «Nous n’avions pas vu venir que la Chine deviendrait une immense puissance scientifique»
TITRE LE FIGARO Par Marie Visot
ENTRETIEN – Selon le professeur d’économie, les pays européens peuvent retrouver un niveau technologique de premier plan à la faveur des innovations de rupture que nous connaissons.
LE FIGARO. – L’an dernier, les Rencontres économiques étaient bousculées par les législatives consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale. Quelle est la toile de fond de cette édition ?
Jean-Hervé LORENZI. – Nous vivons actuellement dans un monde de ruptures et de violence. Rupture, parce que – nous n’en sommes parfois pas totalement conscients – nous vivons des chocs structurels comme nous n’en avons pas vécu depuis un demi-siècle. Le monde, non content d’être au cœur de tensions géopolitiques, vit des bouleversements simultanés : un choc démographique incroyable, des gains de productivité qui ont rarement été aussi faibles, une financiarisation qui, peu branchée avec l’économie réelle, favorise la montée de la dette mondiale gigantesque, et des populations segmentées sur fond de hausse des inégalités de patrimoine… Tout cela explique largement la baisse de la croissance mondiale qui n’est peut-être pas terminée.
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ARTICLE / Spécial Rencontres économiques d’Aix 2025 : Affronter le choc des réalités
Depuis hier après-midi, le Parc Jourdan à Aix-en-Provence accueille le plus grand forum économique d’Europe. 7 000 personnes sont attendues à des débats et tables rondes de personnalités de haut niveau, venues du monde entier
Publié le 4 juillet 2025 L’OPINION Cécile Desjardins

Les cafés éphémères du Parc Jourdan lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence –
Les faits –
La géopolitique et ses conséquences, le changement climatique et l’évolution du monde du travail seront au cœur des discussions, durant les trois jours que dureront ces Rencontres, également accessibles en ligne.
On se retrouve à Aix ? Plus qu’une question, un message codé. Il y a ceux qui en sont, et ceux qui ne comprennent pas. A l’approche de l’été, décideurs et économistes, communicants et « affaires publiques », universitaires, dirigeants politiques, représentants d’institutions internationales, activistes, grands patrons stars comme nouveaux promus qui voudraient bien se faire une place… Tous se sont donné rendez-vous dans la ville de Cézanne pour les « Rencontres économiques d’Aix-en-Provence » : trois jours de débats sous tentes et d’échanges transpirants, plus ou moins informels, sous les parasols du Parc Jourdan, jardin municipal du centre d’Aix-en-Provence, d’où les enfants ont été chassés au profit du costume en lin.
Le coup d’envoi du « plus grand forum économique européen », a été donné hier après-midi. Le thème choisi, cette année ? « Affronter le choc des réalités ». « Nous ne traversons pas une succession de crises isolées, mais bien un basculement profond et durable. Bouleversements géopolitiques, pressions climatiques, rupture numérique, explosion de l’intelligence artificielle, défiance envers les institutions, montée des inégalités… autant de chocs qui ne relèvent plus de l’exceptionnel, mais d’un nouveau cadre dans lequel il faut désormais évoluer », expliquent les organisateurs, réunis autour de Jean-Hervé Lorenzi, fondateur du Cercle des économistes, et président de ces Rencontres organisées par le Cercle depuis 2001. « Les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence veulent devenir le laboratoire où se construisent, via le débat et la confrontation d’idées, les réponses aux fractures du monde, en dépassant les solutions traditionnelles », explique-t-il.
Jusqu’à samedi soir, plus de 380 personnalités de 51 nationalités différentes vont ainsi débattre des grandes transformations du monde, dans la chaleur aixoise. Près de 70 sessions – tables rondes, débats et controverses – sont programmées dans 4 amphithéâtres éphémères. Le public – plus de 7 000 spectateurs sont attendus – pourra ainsi écouter Mario Draghi, Michel Barnier, Patrick Pouyanné, Thomas Buberl, Florence Parly ou François Villeroy de Galhau, mais aussi croiser des ministres comme Jean-Noël Barrot, Elisabeth Borne, Sébastien Lecornu ou Eric Lombard, et des personnalités comme Esther Duflo ou Tony Estanguet. A distance, les organisateurs espèrent bien battre le record de 2024 et ses 5 millions de vues.
Au cœur des thématiques de l’année, les bouleversements géopolitiques et leurs conséquences, bien sûr. Avec notamment une session samedi matin sur la compétitivité européenne et la croissance. « Il ne faut pas nous laisser distraire par le chaos. Nous devons continuer de construire notre maison commune », souligne Lionel Fontagné, membre du Cercle des économistes.
Plusieurs focus, également, sur le « Grand Sud » que constituent les Brics et l’Afrique. « L’Europe doit trouver une nouvelle façon de parler avec et à l’Afrique. Certes, le continent africain doit relever des défis. Mais il a de nombreux atouts : sa démographie, des talents, des technologies, etc. », indique Christian de Boissieu, vice-président du Cercle des économistes, qui insiste sur la nécessité de « relancer le partenariat euro-méditerranéen ».
Autre sujet majeur, abordé directement ou indirectement dans près d’une vingtaine de sessions, le changement climatique et les conséquences des actions humaines sur l’environnement. « Il faut assumer la réalité, pas très encourageante. L’élection de Trump a été une mauvaise nouvelle pour le climat car dès le premier jour, cela a signifié le retrait des Accords de Paris, la fin des subventions sur le renouvelable et les technologies vertes. La guerre en Ukraine a aussi eu un impact indirect : le besoin de réarmement entre aujourd’hui en conflit avec les dépenses pour l’environnement », explique Lionel Ragot, membre du cercle des économistes, en affirmant toutefois « qu’il y a aussi de quoi rester optimiste et refuser la fatalité ». Il y aurait notamment des marges de manœuvre sur la biodiversité, un sujet qui sera abordé en semi-plénière cet après-midi.

Rencontres économiques d’Aix 2024 – Maïté Baldi – REAix
Les thématiques liées à l’emploi, au travail et à l’intelligence artificielle, désormais incontournable, ne seront pas oubliées. « Alors que Trump pousse à se détacher des réflexions sociales, comment les entreprises peuvent-elles poursuivre leurs efforts pour l’environnement et le bien-être humain ? », s’interroge Alexandra Roulet, membre du Cercle des économistes, en faisant référence à une table ronde sur le « nouveau rôle social des entreprises », programmée ce vendredi à 16 h 00 autour de Xavier Ragot. Une autre séquence portera sur l’épanouissement au travail : « En 1990, 60 % des Français affirmaient que le travail était important dans leur vie… ils ne sont plus que 25% », souligne Alexandra Roulet.
Comme ces deux dernières années, une place particulière a été ménagée pour les plus jeunes, avec des agoras spécifiques, au sein Projet « Jeunesse(s) ». Ils pourront faire « le rêve d’une société durable », s’interroger sur la précarité et l’accès à l’emploi, sur les fractures territoriales, ou encore l’engagement politique. Des thèmes essentiellement tirés d’une enquête en ligne, menée l’hiver dernier, et à laquelle ont participé 127 000 jeunes, de profil très divers. « Nous voulons faire de la nouvelle génération un acteur du débat et les mettre au cœur des réflexions économiques », explique Helen Verryser, directrice des partenariats et du développement du Cercle des économistes.
Nouveauté 2025, une trentaine de « think tanks », de tous continents et de tous horizons, ont été invités. Parmi eux, le Club de Madrid, le Center for Strategic and International Studies, la Brookings, ou encore la Fundación Capital (Amérique latine) ou le Center for Policy Research of India… Une synthèse de leurs échanges sera présentée à la fin des Rencontres.
Autre nouveauté, les Rencontres débordent : la ville tout entière a pris des couleurs économiques, avec une programmation culturelle et pédagogique qui va courir jusqu’au 7 juillet. « Les Rencontres sont aujourd’hui le plus grand forum économique et social d’Europe, abordant des sujets très divers qui permettent le croisement de la créativité, de l’innovation et des entreprises. C’est pour la ville un fleuron, qui se conjugue à d’autres fleurons », souligne Sophie Joissains, maire de la ville et vice-présidente de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Parmi les propositions, des petits-déjeuners de discussion autour de l’économie (« Les Terrasses économiques »), des ciné-débats (ce soir à 19 heures au Cézanne, « Une affaire de principe » d’Antoine Raimbault, suivi d’une discussion avec Aurore Lalucq et Marion Soletty). Enfin, l’Office de tourisme propose des « balades économiques » : « Aix-en-Provence, comment l’économie a dessiné la ville » tandis que la Cour d’appel accueille, jusqu’à samedi, une exposition de photos du début du XXe siècle sur l’histoire économique d’Aix.
