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DE CAPRICES EN CAPRICES : APRÈS LES VITRAUX DE NOTRE DAME, LA TAPISSERIE DE BAYEUX


« On est tous d’accord sur une chose, c’est une connerie monumentale de la déplacer en Angleterre, c’est absolument n’importe quoi ».

Un bon connaisseur du dossier, qui ne peut apparaître sous son nom 

1. ARTICLE – Tapisserie de Bayeux en Angleterre : « On ne devrait pas instrumentaliser des œuvres si précieuses à des fins politiques »

Isabelle Vogtensperger  10/07/2025 MARIANNE

Emmanuel Macron a choisi de prêter la tapisserie de Bayeux, véritable joyau de notre patrimoine culturel, au Royaume-Uni, malgré l’avis unanime des spécialistes du patrimoine qui soulignent sa grande fragilité et les dommages inévitables qu’un tel déplacement entraînerait.

Journaliste, fondateur de La Tribune de l’art, Didier Rykner dénonce l’irresponsabilité de cette décision auprès de « Marianne ». Il met également en cause le British Museum et rappelle que les œuvres culturelles ne devraient jamais être instrumentalisées à des fins diplomatiques au détriment de leur conservation.

Marianne : Pour quelles raisons la tapisserie de Bayeux ne peut-elle pas voyager et pourquoi serait-ce une mauvaise idée de la prêter aux Anglais ?

Didier Rykner : La tapisserie de Bayeux ne peut pas voyager en raison de sa taille et surtout de sa grande fragilité. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, ce n’est pas une tapisserie mais une broderie, ce qui la rend encore plus délicate. Elle est déjà fragilisée à de nombreux endroits, et les spécialistes qui l’étudient s’accordent à dire qu’elle ne peut pas être transportée sans risque. La déplacer pourrait sérieusement l’endommager. Il suffit d’ailleurs de la regarder pour constater que sa dimension même rend le transport extrêmement difficile. C’est un fait : elle est trop fragile, et la transporter pourrait l’abîmer, voire la détériorer gravement.

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2. ARTICLE / EXTRAITS – Tapisserie de Bayeux : écoutons les restaurateurs

Didier Rykner  vendredi 11 juillet 2025   LA TRIBUNE DE L’ART

« Nous avons trouvé les meilleurs experts du monde pour expliquer en détail pourquoi il était totalement impossible de prêter cette œuvre. Et, croyez-moi, nous les avons trouvés, et, croyez-moi, nous aurions pu les trouver à nouveau. »


Voilà comment Emmanuel Macron (ill. 1) a justifié, en anglais, sa décision d’envoyer la tapisserie de Bayeux à Londres (ill. 2 à 5). On ne saurait être plus clair sur la manière dont il considère les experts : il se moque comme d’une guigne de leur opinion, car c’est lui qui décide. Au nom de quoi ? On se le demande.
Mais de quels experts s’agit-il ? Pas, comme c’est parfois le cas, de spécialistes auto-proclamés dont la parole pourrait être sujette à caution. Bien au contraire, on parle ici de restaurateurs de textiles qui ont travaillé sur la tapisserie elle-même. Et il n’y a aucune « querelle d’experts » comme on commence à l’entendre ici ou là : ceux-ci sont unanimes pour dénoncer ce transport.


Nous avions interrogé en 2018 deux des restauratrices qui avaient travaillé sur la tapisserie en 1981-1983, et qui avaient déjà été très claires sur les risques que ferait courir un voyage de l’œuvre en Angleterre (voir l’article). Le conservateur du musée, Antoine Verney, explique aujourd’hui (on sait pourquoi : il est fonctionnaire de la ville de Bayeux, qui est moteur dans cette affaire) que ce serait possible. Or il y a sept ans il nous avait expliqué que « le choix sera[it] effectué uniquement en fonction de l’étude qui [allait] être menée ». Cette étude – un constat d’état – a été faite en 2020. Nous avons demandé à la DRAC Normandie de pouvoir la consulter, celle-ci nous a renvoyé vers le ministère de la Culture (services centraux) et l’Élysée. Nous avons contacté le ministère de la Culture. Celui-ci nous a répondu : « Pour toute demande relative à la tapisserie de Bayeux, nous vous invitons à vous rapprocher du service de presse de l’Élysée ».
Bien entendu, l’Élysée n’a jamais répondu à nos sollicitations, ce qui en dit long sur la manière dont ce dossier est traité et dont la presse est considérée, qui n’est là que pour diffuser la bonne parole présidentielle.


La broderie, qui était intransportable en 2008, l’est-elle devenue soudainement, alors que la restauration prévue n’a toujours pas eu lieu, est reportée aux calendes grecques, et n’aura, quoi qu’il en soit, pas lieu avant son déplacement en Angleterre ?
Certainement pas, et c’est le représentant de l’État, le préfet du Calvados, qui le dit par l’intermédiaire de Cécile Binet, conseillère musée de la DRAC Normandie, dans une vidéo intitulée « Dépoussiérage de la tapisserie de Bayeux », mise en ligne il y a seulement cinq mois. Elle est très claire quant à la possibilité de la transporter : « la question était de savoir que faire de l’œuvre pendant les travaux et la réponse la plus logique aurait été de restaurer l’œuvre en parallèle pour pouvoir ouvrir ensuite un musée rénové avec une tapisserie restaurée. Mais en fait on s’est rendu compte au fur et à mesure des études qu’à la fois la tapisserie était trop fragile pour être déplacée sur une grande distance et que toute manipulation supplémentaire était un risque pour sa conservation, et on s’est aussi rendu compte que la construction d’un bâtiment, ou l’aménagement d’un bâtiment à proximité pour la restauration serait beaucoup trop onéreux. Donc on a décidé de conserver la tapisserie dans un espace sécurisé de réserve pendant la durée des travaux et de la restaurer ensuite. »
Donc, il y a cinq mois, le ministère de la Culture (la DRAC), donc l’État, considérait que la tapisserie était trop fragile pour être déplacée sur une grande distance, même pour être restaurée.


Nous avons pu contacter trois restauratrices de textiles qui ont travaillé récemment sur la tapisserie de Bayeux, notamment pour le fameux constat d’état. Celles-ci ont été on ne peut plus claires : la tapisserie n’est pas transportable sans des risques très importants pour son intégrité, et ceci d’autant qu’elle n’a pas encore été restaurée. Nous reproduisons ici des extraits de ce qu’elles nous ont dit.

« C’est un objet d’une fragilité absolue, pour laquelle il avait été décidé une restauration in situ pour éviter tout risque de déplacement ». « Ce qui est décidé est le contraire de tout ce que nous avons préconisé ». « En choisissant d’ignorer nos préconisations, on jette le discrédit sur notre métier de restaurateur, qui est de sauvegarder le patrimoine ». « Nous n’avons pas de parts dans la tapisserie de Bayeux, tout ce que nous faisons c’est uniquement pour permettre de la conserver ». « Elle va subir des manipulations répétées, et je ne parle même pas des risques habituels de transport des œuvres dans un transport de longue distance. En plus, elle n’a même pas été restaurée, et elle va donc partir dans son état le plus fragile ».

« J’imagine que ce prêt est devenu possible seulement parce que Monsieur Macron l’a décidé ». « Cela risque d’aggraver les fragilités de la toile, et les déchirures qui existent déjà. Toutes les altérations présentes vont empirer ». « Rien que l’extraction de sa vitrine est une manipulation très risquée. La logique dans l’enchainement des étapes, ce qui avait été décidé, c’est qu’elle soit restaurée avant d’être réinstallée dans sa nouvelle vitrine. Il faudrait qu’elle ne bouge pas pendant toute la durée des travaux. On a procédé à la dépose du dosseret du revers qui lui permettait d’avoir un support ». « Si on avait su cela, on aurait peut-être pu utiliser le dosseret ». « C’est une toile de lin très longue, il faut avoir travaillé des années dessus pour comprendre sa structure ». « C’est un objet hors norme, qui a plus de 1000 d’âge, on ne peut pas faire de choix précipités »


« Les risques sont là dès l’extraction de la vitrine, c’est une opération très délicate ». « Nous avons utilisé un fac similé pour examiner tous les problèmes pratiques ». « Rien de ce que nous avons prévu n’est conçu pour un transport sur une longue distance ».
« Le constat d’état a permis de documenter l’extrême fragilité de la toile en lin, et la diversité des techniques qui se superposent. C’est un « sandwich » de différents textiles qui évoluent différemment ».


« Les risques réels, ce sont des déchirements, des agrandissements des accrocs existants ; la toile est tellement fine que les manipulations peuvent entrainer une rupture des fils de tissage. C’est une question mécanique. Des fils peuvent céder, ils sont dans un état très précaire ».


« L’installation au British Museum va générer de nouvelles manipulations, extrêmement complexes à organiser, à la fois pour l’installer, puis pour la désinstaller, sur un objet extrêmement complexe à déplacer. »
« Je pense que les politiques se moquent de tout cela, ils ne comprennent pas qu’ils ont un trésor entre les mains, un trésor extraordinairement fragile. Il s’agit ici de « consommer » du patrimoine ».

Il faut dire un mot, devant tout cela, sur la responsabilité immense qui pèse sur le British Museum, qui se prête à ce scandale. Dans The Times, il a déclaré qu’il n’avait pas été informé de problèmes de conservation concernant la tapisserie de Bayeux. De qui se moque ce musée ? 


Contacté par nos soins, voilà ce qu’il nous a répondu : « Le British Museum dispose d’une équipe de conservation et de gestion des collections parmi les meilleures au monde, hautement qualifiée et expérimentée dans la manipulation et la préservation de ce type de matériau. Elle collaborera étroitement avec ses homologues en France afin de garantir la sécurité de la Tapisserie. » Dormez braves gens, tout va bien. On ne sait trop que dire d’un tel mépris pour les faits que nous venons de rappeler.
 
Nous conclurons sur ce cri du cœur d’un bon connaisseur du dossier, qui ne peut apparaître sous son nom : « On est tous d’accord sur une chose, c’est une connerie monumentale de la déplacer en Angleterre, c’est absolument n’importe quoi ».

 

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