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ILS ONT DIT : « Je n’ai jamais été un adolescent. Je n’aime pas les adolescents »
« …Je n’ai rien vu d’aussi shakespearien. Il semblait relativement inchangé, si ce n’est qu’il s’est visiblement mis à la musculation et que, dans un t-shirt noir moulant – sa tenue dans l’avion – il affichait des biceps impressionnants, qu’il ne se contentait pas de montrer, mais qu’il massait avec une satisfaction visible.
… et si je suis prêt à croire qu’au fond (je suis toujours surpris de l’entendre utiliser cette expression adolescente, « au fond ») il est arrogant, égocentrique et ne s’intéresse à personne, du moins en apparence (ce qui, à mon avis, ne signifie pas que ce soit faux )… »
PARTIE 2 : Dans l’avion
Près de sept ans plus tôt, en septembre 2017, j’avais voyagé dans l’avion présidentiel avec Macron, dont je faisais le portrait pour le Guardian. C’était au début de son premier mandat, et tout semblait aller pour le mieux pour lui. Nous nous dirigions vers Saint-Martin, un territoire d’outre-mer des Caraïbes récemment ravagé par un ouragan, puis vers Athènes, où Macron prononça un discours crucial sur la civilisation européenne. Rétrospectivement, cette époque paraît presque insouciante, quand on sait que notre voyage vers le G7 se déroulait sur fond de guerre en Ukraine, de destruction systématique de Gaza, d’une catastrophe écologique désormais irréversible et, les deux jours précédents, de frappes israéliennes contre l’Iran, que certains considéraient comme le prélude à la Troisième Guerre mondiale. Tout cela m’a amené à me demander si, dans sept ans, nous nous souviendrons avec nostalgie des calamités actuelles, tant le chaos semble être devenu incontrôlable et imparable.
Dans mes notes de 2017, j’ai retrouvé ces mots de Macron : « Si nous n’avions pas vécu un moment tragique de notre histoire, je n’aurais jamais été élu. Je ne suis pas fait pour diriger par temps calme. Mon prédécesseur [le jovial socialiste François Hollande] l’était, mais je suis fait pour les tempêtes. » Dans l’avion, je le lui ai montré. « Eh bien, nous y sommes », a-t-il dit en souriant.
Sur le plan intérieur, force est de constater que Macron n’a rien fait pour calmer la tempête en décidant, il y a un an, de dissoudre l’Assemblée nationale – un électrochoc politique qu’il a sans doute perçu comme une façon de tuer ou de guérir son impopularité, sans précédent dans l’histoire de la Ve République, mais qui a rendu le pays sinon totalement ingouvernable, du moins encore plus difficile à gouverner que d’habitude, et en tout cas plus difficile pour lui . Mais, relations publiques étant relations publiques – c’est-à-dire peu enclin à l’autocritique –, il reste convaincu que l’histoire lui donnera raison. Tout au plus, comme il l’a admis lors de son dernier discours du Nouvel An, sa décision n’a pas été comprise et il porte une part de responsabilité dans ce malentendu, sans préciser qui porte le reste.
Quelles que soient ses difficultés sur le front intérieur, la politique étrangère reste traditionnellement l’apanage du président français, et l’on peut raisonnablement affirmer que, même s’il est grillé chez lui, Macron s’épanouit sur la scène internationale. « Bonne décision », aurait déclaré Gore Vidal en apprenant le décès de Truman Capote. De même, le chaos mondial s’avère être un atout exceptionnel pour la carrière de Macron, puisqu’il y a un poste à pourvoir à la tête de l’Europe . C’est en tout cas son avis, et d’ailleurs, lors du temps que j’ai passé avec lui, il semblait en pleine forme. J’avais imaginé que mon deuxième portrait de lui serait très différent du premier, celui de la chute de l’Empire romain après son apogée, d’autant que certains m’avaient dit qu’il était désormais sombre, tourmenté, abandonné de tous, les ongles rongés jusqu’au vif, errant dans les couloirs d’un palais présidentiel où l’on ne prend plus de décisions.
Pour ma part, je n’ai rien vu d’aussi shakespearien. Il semblait relativement inchangé, si ce n’est qu’il s’est visiblement mis à la musculation et que, dans un t-shirt noir moulant – sa tenue dans l’avion – il affichait des biceps impressionnants, qu’il ne se contentait pas de montrer, mais qu’il massait avec une satisfaction visible. Sinon, il est toujours aussi cool, vif d’esprit, disponible, ses yeux bleus rivés sur les vôtres, sa main serrant la vôtre et ne la lâchant qu’à contrecœur, et si je suis prêt à croire qu’au fond (je suis toujours surpris de l’entendre utiliser cette expression adolescente, « au fond ») il est arrogant, égocentrique et ne s’intéresse à personne, du moins en apparence (ce qui, à mon avis, ne signifie pas que ce soit faux ), il est toujours aussi attentif, toujours aussi présent pour son interlocuteur, toujours aussi distingué.
C’est un trait caractéristique des hommes politiques, je sais : vous faire sentir que vous seul comptez, que s’il est monté dans l’avion, c’était pour profiter pleinement de votre compagnie, et qu’il vous connaît mieux que vous-même. Mais il en fait trop, et tous ceux qui l’ont côtoyé peuvent raconter une anecdote ou une autre qui l’illustre de façon presque surnaturelle. Voici la mienne. L’avion présidentiel est divisé en quatre sections. À l’avant se trouve la suite du PR, à laquelle lui seul a accès. Ensuite, un salon où, sur sa demande, une douzaine de personnes peuvent s’installer autour d’une grande table ovale pour une séance de travail, un verre ou même un repas léger. (Macron lui-même semble ne manger que des noix de pécan.) Vient ensuite une cabine affaires pour le cercle restreint, PR+18, et enfin l’arrière de l’avion, pour la sécurité, la logistique et les journalistes. J’étais dans la cabine PR+18 et, au cours de ce voyage de trois jours, j’ai été invité à la table ovale à trois reprises, où j’ai trouvé PR d’humeur à parler de films français d’antan. Pas la Nouvelle Vague, ni Godard ni Truffaut, non, mais des comédies et des films policiers de cinéastes populaires et traditionnels comme Henri Verneuil, Georges Lautner et Claude Lelouch, rediffusés en boucle à la télévision. (Les lecteurs anglophones ne les connaissent probablement pas, mais leurs équivalents britanniques, non exportables, pourraient être Nuts in May ou Carry On Up the Jungle.) Macron, en tout cas, a débité les dialogues, truffés d’argot désuet, aussi habilement qu’il cite les vers des plus nobles figures de la poésie française du XXe siècle, comme Yves Bonnefoy, Patrice de la Tour du Pin et Louis Aragon.
Il y a eu un moment, dans ce flot d’érudition cinématographique et littéraire, où l’on a commencé à parler de l’adaptation prochaine du Magicien du Kremlin, le roman de Giuliano da Empoli sur Vladislav Sourkov , l’éminence grise de Poutine , dont j’ai écrit le scénario avec le cinéaste Olivier Assayas. Jude Law joue Poutine, et j’ai sorti mon téléphone pour montrer à l’équipe de relations publiques une photo de lui dans le rôle. « Pas mal », a dit Macron en me rendant mon téléphone, et pendant un instant, j’ai eu l’impression qu’il était agacé que Jude Law incarne Poutine et non lui. Mais pourquoi, a-t-il demandé, ai-je écrit le scénario ? Pourquoi pas Giuliano ? (Il a dit « Giuliano ».) J’ai répondu qu’un auteur n’est pas forcément le mieux placé pour l’adapter au cinéma, qu’il manque de recul, que je ne collabore pas personnellement à des adaptations de mes livres. Macron a haussé un sourcil : « Mais vous avez adapté Voyage scolaire avec Claude Miller, n’est-ce pas ? »
Sachez que « Class Trip », tiré de mon roman du même nom, est sorti il y a presque trente ans. Je trouve que c’est un beau film, mais il n’a pas eu de succès, ni critique ni commercial. Si vous faisiez une enquête auprès de dix de mes amis, peut-être un ou deux l’auraient vu, et à part mon agent qui a rédigé le contrat, aucun ne saurait dire si j’ai collaboré au scénario. « Pas étonnant », disent-ils quand je leur raconte cette anecdote de relations publiques, « il a donné des notes sur tous ses interlocuteurs, c’est tout. » Non. Ou si c’est l’explication, c’est encore plus remarquable que le fait lui-même. Si Macron avait pris le temps d’examiner un dossier me concernant, il devrait faire quinze pages pour inclure un détail pareil.
Étonné, j’ai demandé : « Comment diable sais-tu cela ? »
Il a répondu : « Je dors peu, mais bien. Cela me laisse le temps de regarder des films. »
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