
PUBLIÉ EN 5 PARTIES : « SPECTACLE D’HORREUR », MACRON ET LE RÉCIT D’EMMANUEL CARRÈRE DANS LE GUARDIAN (PARTIE 1)
« Emmanuel Macron est un homme qui se vit principalement comme un personnage de fiction »
« Tous les personnages ne sont que des ensembles de gestes, de mots, de manières d’être, d’apparences, mais jamais ils ne sont décrits par leurs idées ni par leurs décisions politiques concrètes — ou alors seulement par leur absence de décision — qui pourtant ont un impact matériel sur la vie de millions de gens. «
« Emmanuel Macron est toujours le lycéen inscrit en classe de théâtre qui est tombé amoureux de Brigitte dans les années 90. En bon théâtreux, il sait se mettre en scène et n’existe que pour les tragédies. »
« En bon théâtreux, il sait se mettre en scène et n’existe que pour les tragédies … il a le sens de récit, notamment de soi-même. »
ARTICLE – EXTRAITS – Emmanuel Macron n’est-il qu’un personnage de roman ?
Le 24/07/2025 Ugo Loumé ACTUALITTÉ
… Il fait pour le Guardian un portrait d’un Président qui essaye tant bien que mal de se présenter en seul opposant sérieux à Donald Trump, mais qui se trouve finalement n’être pour lui qu’une espèce de camarade de cour de récréation à la merci de ses humeurs…
Pourquoi inviter Carrère ? À première vue, on penserait que l’écrivain n’est ici que l’idiot utile d’un dispositif de communication et de storytelling au bénéfice du Président.…
Macron est immédiatement identifié comme un personnage de roman, le personnage principal, évidemment, de ce récit. On le voit comme un excellent communicant, un séducteur. Carrère semble même tomber dans cette séduction. Il raconte comment le Président le surprend et l’impressionne par sa culture générale et ses connaissances sur sa vie et son œuvre….
L’écrivain et son protagoniste
Carrère dit de Macron : « il est toujours aussi cool, vif d’esprit, disponible, ses yeux bleus rivés sur les vôtres, sa main serrant la vôtre et ne la lâchant qu’à contrecœur, et si je suis prêt à croire qu’au fond (…) il est arrogant, égocentrique et ne s’intéresse à personne, du moins en apparence (ce qui, à mon avis, ne signifie pas que ce soit faux ), il est toujours aussi attentif, toujours aussi présent pour son interlocuteur, toujours aussi distingué. »
On a envie de bondir, d’organiser une manifestation ! Mais là, on oublie quelque chose d’essentiel : Emmanuel Carrère n’est qu’un écrivain, et Macron son personnage principal. Son rôle n’est pas de le haïr (cette émotion restreint les perspectives littéraires), ni de l’analyser en profondeur (c’est la tâche d’un scientifique). Non, son rôle est de l’observer et de poser, à sa manière, des mots sur ce qu’il croit en comprendre…
La politique est-elle devenue de la littérature ?
… Les dessous d’un voyage diplomatique ont tout pour nourrir les fantasmes d’un écrivain : des petits gestes, des détails protocolaires, le poids de chaque mot, l’art d’esquiver, de ne pas répondre aux questions en y répondant quand même : « Je n’avais pas encore saisi à quel point des déclarations aussi banales pouvaient être provocatrices. »
Tout est d’abord une question d’esthétique dans le récit de l’écrivain. Macron puis Meloni. Trump aussi. Tous les personnages ne sont que des ensembles de gestes, de mots, de manières d’être, d’apparences, mais jamais ils ne sont décrits par leurs idées ni par leurs décisions politiques concrètes — ou alors seulement par leur absence de décision — qui pourtant ont un impact matériel sur la vie de millions de gens. …
Emmanuel « Peter Pan » Macron
À la publication de l’article du Guardian, de nombreux médias — people notamment — ont réagi sur la petite phrase que le Président a sortie sur l’adolescence : « Je n’ai jamais été un adolescent. Je n’aime pas les adolescents. Je ne les comprends pas [c’est rare que Macron dise qu’il ne comprend pas quelque chose]. Ma femme les comprend. » …
L’écrivain se dit « frappé » par la « force soudaine » avec laquelle Emmanuel Macron s’est mis à parler de l’adolescence — il avoue d’ailleurs qu’il ne se souvient pas comment ils sont arrivés à ce point de la discussion. C’est peut-être parce qu’« au fond » (et l’écrivain, en début de récit, s’amuse justement du fait que Macron utilise si souvent « au fond », expression qu’il qualifie justement d’adolescente), le Président est toujours un adolescent.
Alors, s’il considère qu’il n’a jamais été adolescent, c’est peut-être parce qu’il n’est jamais sorti de l’adolescence. Du moins, le portrait de Carrère semble le suggérer : Macron se comporte comme un garçon dans une cour de récréation, qui cherche l’attention sans vouloir en avoir l’air, qui essaye d’obtenir la place de mâle dominant, qui raconte en dilettante des anecdotes d’importance capitale, qui hausse des épaules « sans rancune » quand le vrai chef de la cour, Trump, l’humilie en parlant de lui comme d’un « gentil garçon » qui « cherche à se faire connaître » et, qui « ne fait pas toujours les choses bien ».
La tragédie ou rien
On le ressent à nouveau quand Emmanuel Carrère rapporte ce que lui dit son ami photographe : « Il est aux anges depuis que Trump a rompu. Il est désormais le mâle alpha. » Une phrase qu’on pourrait croire tout droit sortie d’un album de Titeuf.
Dans mes notes de 2017, j’ai retrouvé ces mots de Macron : « Si nous n’avions pas vécu un moment tragique de notre histoire, je n’aurais jamais été élu. Je ne suis pas fait pour diriger par temps calme. Mon prédécesseur [le jovial socialiste François Hollande] l’était, mais je suis fait pour les tempêtes. » Dans l’avion, je le lui ai montré. « Eh bien, nous y sommes », a-t-il dit en souriant.
Emmanuel Macron est toujours le lycéen inscrit en classe de théâtre qui est tombé amoureux de Brigitte dans les années 90. En bon théâtreux, il sait se mettre en scène et n’existe que pour les tragédies. En bon Sagittaire également (comme Emmanuel Carrère, qui en cela se reconnaît assurément aisément dans le Président), il a le sens de récit, notamment de soi-même.
On peut toujours se poser la question de la pertinence du geste de l’écrivain : idéaliser et esthétiser de la sorte un personnage politique qui est encore aux manettes, qui a un tel pouvoir réel et matériel sur le monde depuis lequel l’auteur écrit.
Mais Emmanuel Macron est déjà un homme qui se vit principalement comme un personnage de fiction, plus précisément un personnage tragique. Comment, en tant qu’écrivain, Carrère aurait-il pu résister à le traiter en tant que tel ?